EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 6 MARS 2024

M. François-Noël Buffet, président. - Nous allons désormais procéder à l'examen du rapport sur le projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2023-389 du 24 mai 2023 modifiant les dispositions du code général de la propriété des personnes publiques relatives à la Polynésie française.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. - Prise sur le fondement de l'article 74-1 de la Constitution, l'ordonnance du 24 mai 2023 soumise à notre ratification vient compléter le livre du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) consacré à la Polynésie française.

Au-delà de son aspect profondément technique, cette ordonnance est emblématique des difficultés juridiques auxquelles sont confrontées les collectivités d'outre-mer. Celles-ci résultent, en premier lieu, de la difficile appréhension de l'état du droit applicable, souvent peu lisible et accessible. Elles se conjuguent, en second lieu, à la nécessité de veiller à ce que cet objectif de clarté ne fasse pas fi des spécificités locales et ne conduise pas à omettre toute adaptation et toute prise en compte du statut particulier de la collectivité.

C'est à la lumière de ce double équilibre, dont la présente ordonnance me semble être une bonne illustration, que je souhaiterais aborder l'examen de ce texte.

L'une des spécificités du cadre juridique de la Polynésie française réside dans le croisement de différents niveaux de compétences normatives. La collectivité dispose, comme vous le savez, d'une compétence normative de principe, tandis que l'État ne peut agir qu'au sein d'un périmètre de compétences qui lui est dévolu par la loi statutaire de 2004. À cela s'ajoute la coexistence de différentes catégories de domaines.

Depuis 1977, la Polynésie française est propriétaire de son propre domaine, auquel l'État a transféré l'entièreté de son domaine public maritime, à l'exception - il est bon de le noter - des dépendances affectées à l'exercice de sa souveraineté, comme celles de la marine nationale. Dans cette collectivité d'outre-mer particulièrement autonome en matière domaniale, l'État et ses établissements publics conservent néanmoins la propriété d'un vaste domaine public, qui comprend des aérodromes, des palais de justice, des ports ou des écoles, et d'un domaine privé.

Jusqu'en 2019, seul le « domaine public de l'État » figurait parmi les compétences reconnues aux autorités étatiques par le statut de 2004. A contrario, l'État n'était donc pas compétent pour établir les règles relatives à son domaine privé. Cette répartition des compétences était singulière par rapport aux autres collectivités d'outre-mer. À la lumière des auditions que j'ai conduites, elle semble davantage relever d'une omission que d'un choix délibéré.

Il en résultait une insécurité - si ce n'est un vide - juridique. En effet, bien qu'ayant la compétence théorique pour légiférer sur le domaine privé de l'État, la Polynésie française n'en a jamais fait usage. Dès lors, le domaine privé de l'État se trouvait, en pratique, régi par l'ancien code du domaine de l'État, maintenu en vigueur à titre dérogatoire.

Cette fragmentation normative a été naturellement préjudiciable à l'intelligibilité des normes, mais également à leur évolution. Comme le relevait le Conseil d'État en 2016, le législateur ordinaire demeurait, en effet, incompétent pour modifier une disposition touchant au domaine privé de l'État en Polynésie française.

Face à ce statu quo insatisfaisant, la loi organique de 2019 portant modification du statut d'autonomie de la Polynésie française a fait un premier pas vers la résolution de cette situation. Elle a ainsi étendu expressément la compétence de l'État en Polynésie française à son domaine privé et à celui de ses établissements publics. Par souci de simplification et de lisibilité, le régime de l'applicabilité de plein droit a été élargi, sur l'initiative de notre commission, au domaine privé de l'État et aux domaines public et privé de ses établissements publics.

Cependant, cette réforme ne peut être pleinement effective sans une mise en cohérence concrète du CG3P. L'ordonnance que le présent projet de loi tend à ratifier procède donc à cette actualisation, quatre ans après.

Vous connaissez mon engagement et l'attention que je porte à la qualité du droit applicable à nos collectivités d'outre-mer. Je tiens ici à déplorer les lenteurs de la réforme, au regard des enjeux particulièrement prégnants de lisibilité du droit en Polynésie. Ainsi, pendant vingt ans, une surface d'environ 15 kilomètres carrés a été régie en Polynésie française par des dispositions obsolètes depuis 2006 et maintenues en vigueur à défaut d'autre solution.

J'en viens au second enjeu, celui du respect des spécificités locales.

Outre son objectif de rendre le droit domanial plus lisible et cohérent grâce à l'application de plein droit du CG3P, cette ordonnance doit répondre à son corollaire, celui de respecter pleinement le périmètre de compétences de la Polynésie française et les réalités locales malgré l'application automatique de ces mêmes dispositions du CG3P.

À cet égard, quinze articles sont insérés à la cinquième partie du CG3P, afin d'adapter les dispositions applicables. Certains articles ne procèdent qu'à des ajustements mineurs, en supprimant, par exemple,


la mention de codes inapplicables en Polynésie ou encore des éléments qui n'ont pas d'équivalent local, comme les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural.

Le travail le plus important réside finalement dans l'identification des dispositions relevant de la compétence de la Polynésie française. Pour des motifs historiques et politiques, le statut de 2004 réserve en effet à la Polynésie française une compétence exclusive pour acquérir certains biens. Ainsi, la Polynésie française dispose d'un droit de préemption immobilier. Ce droit en faveur de la protection du patrimoine foncier et des espaces naturels locaux s'inscrit dans le cadre des mesures dites de « préférence locale » prévues à l'article 74 de la Constitution. Le statut d'autonomie inclut également dans le domaine de la Polynésie française - et, par conséquent, dans son champ de compétence - « les biens vacants et sans maître » ou « ceux des personnes qui décèdent sans héritier ». L'ordonnance exclut, dès lors, expressément l'application par l'État en Polynésie de ces procédures d'acquisition, qui risqueraient d'empiéter sur les compétences propres du pays.

Au cours de mes travaux, j'ai accordé une importance particulière à cet enjeu du respect des compétences de la Polynésie française. J'ai ainsi conduit mes travaux préparatoires dans un esprit d'ouverture et de concertation, en recueillant l'avis et les observations des représentants polynésiens, dont le syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française (SPCPF), le président de l'assemblée de Polynésie française et notre collègue Lana Tetuanui.

Consultée par le Gouvernement sur le projet d'ordonnance - comme l'y oblige la Constitution -, l'assemblée de la Polynésie française n'avait pas pu émettre d'avis puisque cette saisine avait eu lieu en pleine période électorale d'avril 2023. Je précise avoir pris connaissance de ce fait grâce à l'audition du président de l'assemblée de Polynésie française.

Les membres de cette dernière m'ont fait part, au cours de leur audition, d'un certain nombre de réserves, auxquelles, soyez-en assurés, j'ai accordé une attention particulière. L'une de ces réserves concerne le renvoi à une disposition du code du patrimoine qui permet l'acquisition par l'État de biens culturels maritimes.

Après une analyse approfondie, je suis parvenu à la conclusion - je m'en expliquerai en détail lors de l'examen de l'amendement déposé par Lana Tetuanui - que les compétences de la Polynésie française sont préservées, dès lors qu'il est expressément prévu que la disposition en question ne s'applique qu'au seul domaine public maritime de l'État, au demeurant restreint. Cette répartition des compétences est, par ailleurs, conforme avec celle qui est déjà prévue par différentes dispositions du code du patrimoine métropolitain et du code du patrimoine local.

En définitive, ce texte met en cohérence, avec du retard, mais une certaine prudence, le droit domanial de l'État en Polynésie française : une cohérence qui, par la création d'un ensemble homogène, évite les vides juridiques et les « trous dans la raquette » ; une cohérence à l'égard du droit polynésien qui, en établissant un état de droit coordonné avec le droit local, prévient les contradictions ; une cohérence, enfin, parce qu'il s'agit d'une réforme de clarification pour un contenu intelligible et accessible à tous.

Considérant donc cette ordonnance comme un facteur d'amélioration de la cohérence et de la lisibilité des règles de droit domanial applicables en Polynésie française, je vous invite, chers collègues, à approuver sa ratification sans modification.

M. Jérôme Durain. - Je remercie le rapporteur pour la qualité de son travail. Notre groupe suivra son avis, l'ensemble des changements apportés s'inscrivant dans le prolongement logique de la loi organique de 2019 portant modification du statut d'autonomie de la Polynésie française. Lesdits changements viennent à la fois combler des lacunes, clarifier la loi et adapter celle-ci aux spécificités locales.

Ces modifications du CG3P sont bénéfiques pour le territoire, au-delà de l'alignement entre le droit positif en métropole et le droit spécifique à la Polynésie, puisqu'elles garantissent un accès facilité de la population aux logements sociaux. En effet, la réforme codifie les règles qui permettent à l'État de vendre des terrains de son domaine public à des prix très réduits afin d'y construire ce type de logements.

En outre, l'ordonnance rend la législation plus claire, afin d'assurer un accès équitable aux services publics essentiels et de favoriser le développement économique et social de l'archipel polynésien. Le texte devrait également permettre une meilleure administration des terrains publics et une amélioration de la qualité de la vie.

Notre groupe votera donc en faveur de la ratification de l'ordonnance du 24 mai 2023 dans les termes que vous avez indiqués.

Mme Agnès Canayer. - Je félicite à mon tour le rapporteur pour la clarté de sa présentation sur ce sujet fort complexe mêlant de nombreux enjeux. Dans le cadre d'un déplacement de la délégation aux collectivités territoriales, en compagnie de Françoise Gatel, nous avions perçu le manque de lisibilité du droit applicable en Polynésie, les plus hautes autorités elles-mêmes éprouvant des difficultés à distinguer les champs d'application respectifs du droit commun et du droit dérogatoire, ou à identifier la répartition des compétences entre l'État et de la Polynésie.

Le principal enjeu du texte, auquel je souscris, consiste donc à clarifier et à codifier le droit applicable dans le territoire, tout en comblant une omission liée à ce manque de clarté du droit positif.

De manière plus concrète, de nombreux maires rencontrés lors de notre visite ont évoqué le statut des voies privées : ne pouvant actuellement être transférées dans le domaine public - notamment des collectivités territoriales -, celles-ci ne peuvent pas être entretenues ni raccordées à différents réseaux, ce qui suscite de réelles difficultés sur le terrain. Nous devrions nous pencher sur cette question et tâcher d'y apporter une solution juridique.

M. François-Noël Buffet, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous appartient d'arrêter le périmètre indicatif du projet de loi.

Je vous propose de considérer que ce périmètre comprend les dispositions relatives à la modification et à l'adaptation des dispositions du code général de la propriété des personnes publiques relatives à la Polynésie française.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Après l'article unique

Mme Lana Tetuanui. - Je remercie notre collègue rapporteur. Si mon amendement risque de ne pas être adopté, je maintiens le souhait d'ouvrir le débat en séance publique après avoir découvert avec stupéfaction que l'État est propriétaire d'un domaine public maritime en Polynésie française. J'aimerais savoir de quelle manière le Gouvernement délimite ce domaine, le sujet étant véritablement explosif et susceptible d'attiser un sentiment antifrançais, au risque de soulever la question de l'indépendance.

Je suis allée fouiller dans les textes adoptés à 20 000 kilomètres de notre territoire et j'ai nagé dans ce véritable dédale de corail que représente l'empilement de différents codes. Ainsi, la notion de « gisement » évoquée par le code du patrimoine soulève des difficultés d'interprétation : de quoi s'agit-il précisément ?

L'amendement COM-1 que je présente vise non pas à supprimer l'ensemble de l'ordonnance, mais à empêcher le Gouvernement et l'État d'empiéter sur l'autonomie de la Polynésie française en supprimant l'article L.5261-2 du CG3P rendant applicable au domaine public maritime de l'État en Polynésie française l'acquisition de biens culturels maritimes par l'État.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. - Je vous remercie pour ces observations et tâcherai de vous rassurer, rappelant que j'accorde la plus grande attention aux réserves exprimées par les représentants de

Polynésie française. Permettez-moi de détailler les raisons pour lesquelles j'estime que l'ordonnance n'entraînera pas d'empiétements sur les compétences de la Polynésie française.

Il convient tout d'abord de rappeler que cet article ne fait que mettre en cohérence, à droit constant, le CG3P avec les dispositions du code du patrimoine. Ce dernier prévoit en effet, en Polynésie française, une procédure d'acquisition par l'État des biens culturels maritimes situés dans son domaine public maritime.

Pour être plus précis, les réserves exprimées à propos de l'application de l'article L. 1127-1 du CG3P sont en réalité de deux natures.

Premièrement, il serait à craindre que l'application de cet article en Polynésie française autorise l'État à empiéter sur la compétence culturelle de la Polynésie française. Les consultations et les travaux que j'ai conduits me permettent d'affirmer qu'un tel empiétement n'est en réalité pas à redouter. En effet, l'ordonnance précise bien que l'article est applicable « en tant qu'il concerne les biens situés dans le domaine public maritime de l'État ».

Or la quasi-totalité du domaine public maritime en Polynésie appartient à la collectivité. Le domaine public maritime de l'État est très résiduel, et il se limite en réalité à quelques installations portuaires affectées à la marine nationale.

La possibilité pour l'État d'acquérir des biens publics maritimes sera donc restreinte à son propre domaine, lui-même très résiduel : cela correspond à la répartition des compétences fixées par la loi organique statutaire de 2004.

Ainsi, l'avis du Conseil d'État du 21 septembre 1999 dispose bien que la Polynésie française est compétente pour les biens culturels « situés dans le domaine public maritime du territoire », et non pas dans celui de l'État.

J'ajouterai, par ailleurs, que cette compétence de l'État sur son domaine public maritime est reconnue par le code du patrimoine de Polynésie française lui-même, puisque ce dernier prévoit que la collectivité peut également revendiquer un bien culturel maritime hormis ceux qui sont « situés dans le domaine public maritime de l'État ».

Deuxièmement, les représentants de la Polynésie française considèrent que l'application de cet article présente un risque d'immixtion de l'État dans l'exploitation des ressources naturelles présentes dans les sous-sols marins polynésiens.

Cette crainte est liée à la définition des biens culturels maritimes qui nous est fournie par le code du patrimoine, à savoir « les gisements, épaves, vestiges ou généralement tout bien présentant un intérêt préhistorique, archéologique ou historique qui sont situés dans le domaine public maritime ou au fond de la mer dans la zone contiguë ».

Or la notion de « gisement » au sens du code du patrimoine n'est pas équivalente à celle qui est présente dans le code minier. Ici, la notion revêt une dimension archéologique et implique une intervention de l'homme : cela exclut donc toutes les ressources naturelles biologiques ou non biologiques, dont l'exploitation relève d'une compétence appartenant à la Polynésie française.

Plus spécifiquement, un gisement est « archéologique » lorsqu'il est constitué par une épave qui présente un intérêt archéologique de par sa cargaison ou de sa bonne conservation.

Ces dispositions s'appliquent d'ailleurs de manière identique en Nouvelle-Calédonie depuis 2016 et n'ont jamais conduit à des empiétements ou immixtions de l'État.

Pour l'ensemble de ces raisons, et même si j'entends les craintes qui ont été exprimées, j'émets un avis défavorable sur cet amendement.

L'amendement COM-1 n'est pas adopté.

L'article unique constituant l'ensemble du projet de loi est adopté sans modification.

Le sort de l'amendement examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article(s) additionnel(s) après l'article unique

Mme TETUANUI

1

Suppression de l'article rendant applicable au domaine public maritime de l'État en Polynésie française l'acquisition par l'État des biens culturels maritimes

Rejeté

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