CHAPITRE VII
MESURES
RELATIVES AU RENFORCEMENT DE LA LUTTE CONTRE
LA FRAUDE DANS LES
TRANSPORTS
Article 19
Extension du droit de communication de données
fiscales des agents des transports publics
L'article 19 tend à élargir aux agents de contrôle des exploitants des services de transport public et aux agents des services de sûreté de la SNCF et de la RATP la possibilité d'obtenir la communication par l'administration fiscale de renseignements sur les contrevenants (noms, prénoms, date et lieu de naissance, adresse du domicile) dans le cadre de la procédure de transaction.
En l'état du droit, cette possibilité est en principe réservée aux agents chargés du recouvrement, mais ce dispositif de communication, pourtant institué en 2016, n'a toujours pas été appliqué. Sa mise en oeuvre apparaît pleinement justifiée par la faiblesse du taux de recouvrement des indemnités prévues dans le cadre des transactions passées avec les contrevenants aux règles de la police du transport et des amendes.
La commission a adopté cet article modifié par un amendement tendant à renforcer les garanties qui entourent sa mise en oeuvre, au regard de la sensibilité des données en cause et de l'extension importante du droit de les communiquer qu'il prévoit.
1. Le droit existant : un droit de communication de données fiscales et sociales aux opérateurs de contrôle destiné à fiabiliser le recouvrement des transactions, qui n'a toujours pas été mis en oeuvre
a) Une faculté pour les agents chargés du recouvrement des opérateurs de transport de se voir communiquer certaines données fiscales et sociales relatives aux contrevenants
L'article L. 2241-2-1 du code des transports, issu de la loi « Le Roux - Savary » du 22 mars 201650(*), prévoit un dispositif permettant aux aux agents chargés du recouvrement des exploitants des services publics de transport, dans le cadre du traitement des transactions établies suite à la constatation des infractions de nature contraventionnelle aux règles de la police du transport (voir encadré), d'obtenir communication auprès des administrations publiques et des organismes de sécurité sociale de renseignements limités aux noms, prénoms, date et lieu de naissance ainsi qu'adresse du domicile des contrevenants.
Le régime de la transaction entre les exploitants des services publics de transport et les contrevenants
Afin de faciliter le traitement des contraventions aux règles de la police du transport, qui relèvent des quatre premières classes, il est prévu que l'action publique puisse être éteinte par une transaction entre l'exploitant et le contrevenant51(*). Cette transaction se compose d'une indemnité forfaitaire et de la somme due au titre du transport52(*). Ce versement est effectué à l'exploitant au profit duquel la prestation de sûreté est réalisée :
- soit au moment de la constatation de l'infraction, entre les mains des agents compétents pour constater les infractions aux règles de la police du transport assermentés d'une entreprise de transport agissant pour le compte de l'exploitant ou des agents assermentés de la Sûreté ferroviaire (dite « Suge ») de la SNCF ou du Groupe de protection et de sécurité des réseaux (GPSR) de la RATP53(*) ;
- soit dans un délai de trois mois à compter de l'infraction, auprès du service de l'exploitant concerné. Dans ce cas, le versement est majoré des frais de dossier ;
- à défaut de paiement dans le délai de trois mois - et hors contestation - le procès-verbal d'infraction est adressé par l'exploitant au ministère public et le contrevenant devient redevable d'une amende forfaitaire majorée et recouvrée par le Trésor public54(*).
Le montant de l'indemnité forfaitaire et, le cas échéant, celui des frais de constitution du dossier, sont acquis à l'exploitant au profit duquel la prestation de sûreté a été réalisée.
Cette prérogative a pour finalité d'améliorer le recouvrement des sommes dues au titre de la transaction. En effet, la personne qui accepte le principe de la transaction peut disposer d'un délai de trois mois pour s'en acquitter. Or, il est fréquent qu'une fausse identité ou qu'une fausse adresse soit donnée aux agents des transports, rendant impossible le recouvrement de l'indemnité forfaitaire.
Il est précisé que les renseignements transmis ne peuvent être utilisés que dans le cadre de la procédure de transaction ou de l'amende forfaitaire majorée, en vue de permettre le recouvrement des sommes dues. Ils ne peuvent pas être communiqués à d'autres personnes que celles chargées du recouvrement de ces sommes ou qu'à l'autorité judiciaire, qui est informée des cas d'usurpation d'identité détectés à l'occasion de ces échanges d'informations.
Le dispositif encadre également les modalités d'accès à ces renseignements, en prévoyant que les demandes des exploitants et les renseignements communiqués en réponse sont transmis par l'intermédiaire d'une personne morale unique, commune aux exploitants. Les agents de cette personne morale susceptibles d'avoir accès à ces informations sont spécialement désignés et habilités à cet effet par la personne morale et sont tenus au secret professionnel.
Les modalités d'application du dispositif sont enfin renvoyées à un décret en Conseil d'État, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
Pour sa mise en oeuvre, l'article 166 F du livre des procédures fiscales prévoit ainsi que l'obligation du secret fiscal auquel la direction générale des finances publiques (DGFiP) est en principe tenue55(*) ne fait pas obstacle à ce que l'administration fiscale transmettre à cette personne morale unique les renseignements susmentionnés, ni à ce que cette personne morale transmette ensuite les informations nécessaires aux agents de l'exploitant du service de transport chargés du recouvrement des indemnités forfaitaires, dans le cadre de la transaction.
a) Un dispositif encore inappliqué à ce jour
Le droit de communication prévu à l'article L. 2241-2-1 précité du code des transports n'a toujours pas été mis en oeuvre, faute de décret d'application.
Le pouvoir réglementaire s'est en effet heurté à certaines difficultés, en particulier concernant la sélection de la personne morale unique devant servir d'intermédiaire entre l'administration fiscale et les opérateurs.
Un premier projet de décret de 2019, qui entendait sélectionner une société par actions simplifiée unipersonnelle ayant pour actionnaire unique l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP) et sous-traitant une part significative de ses activités à une autre société, a fait l'objet d'un avis négatif du Conseil d'État fondé sur plusieurs illégalités manifestes :
- si l'article L. 2241-1 du code des transports ne s'oppose pas à ce qu'une personne morale de droit privé puisse être désignée en tant que personne morale unique, une telle sélection ne peut le cas échéant intervenir qu'à l'issue d'un appel à candidatures effectué par l'État, et non faire l'objet d'une simple désignation par décret ;
- en limitant strictement aux agents de la personne morale unique l'accès aux données échangées dans ce cadre, le législateur s'est opposé à ce que son activité puisse être sous-traitée ;
- le décret prévoyait un contrôle de l'administration sur cette société sans que le dispositif législatif ne l'y autorise.
Dans le cadre de ses échanges avec la rapporteure, la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) a indiqué qu'une solution était en passe d'être trouvée, avec la désignation de la société anonyme à capitaux publics IN Groupe (ex- Imprimerie nationale) au moyen d'un contrat de quasi-régie56(*) permettant à l'État d'exercer un contrôle analogue à celui qu'il exerce sur ses propres services.
2. Le dispositif proposé : une extension du droit de communication aux agents de contrôle ainsi qu'aux agents des services de sûreté de la SNCF et de la RATP
Le présent article prévoit une extension du nombre des agents des services de transports pouvant obtenir communication des données transmises par l'administration fiscale.
Le I du présent article tend ainsi à modifier l'article L224-2-1 du code des transports afin d'étendre cette faculté aux agents de contrôle ainsi qu'aux agents de la Suge et du GPSR.
En conséquence, son II modifie l'article L166 F du livre des procédures fiscales afin :
- de prévoir que l'obligation du secret professionnel ne fait pas obstacle à ce que la personne morale unique à laquelle sont transmis les renseignements relatifs aux noms, prénoms, date et lieu de naissance et adresse du domicile des contrevenants par l'administration fiscale transmette ensuite ces informations à ces nouvelles catégories d'agent ;
- de préciser, par renvoi au premier alinéa de l'article L166 F du LPF, que ces informations sont transmises lorsqu'elles sont utiles à la réalisation de la transaction et non plus seulement pour l'exercice du recouvrement des sommes dues.
Ainsi, hors procédure de recouvrement, les agents concernés pourraient vérifier « en temps réel » la fiabilité des données personnelles transmises par les contrevenants.
3. La position de la commission : une mesure nécessaire et qu'il convient de mettre en oeuvre rapidement, tout en l'assortissant de garanties renforcées
a) Un retard dans l'application du dispositif institue en 2016 inadmissible au regard du préjudice financier supporté par les exploitants des services de transport
La mise en application du dispositif de fiabilisation des données fournies par les contrevenants prévue par l'article L. 2241-2-1 précité du code des transports répond à une nécessité évidente au regard de la faiblesse du recouvrement des indemnités de transaction et des amendes forfaitaires majorées.
À titre d'exemple, la DGITM estime que :
- 50% des adresses des contrevenants sur les réseaux couverts par SNCF Voyageurs s'avèrent erronées, moins de 40 % des procès-verbaux sont établis sur la base d'une carte nationale d'identité ou d'un passeport, tandis que l'identité est relevée verbalement dans 50 % des cas ;
- en 2022, sur les 2,2 millions de procès-verbaux dressés par la SNCF, représentant un montant de 254 millions d'euros, seuls 20,7 millions d'euros ont été recouvrés dans les délais légaux, soit un taux de recouvrement de seulement 8,1 % ;
- s'agissant de la RATP, alors que la fraude représente 171 millions d'euros de pertes de recettes par an, les sommes recouvrées au titre des indemnités s'élèvent à 2,6 millions d'euros, soit un taux de recouvrement de 8,5% ;
- sur le réseau de la Régie des transports Métropolitains (RTM) en 2021, le taux de recouvrement des procès-verbaux envoyés à domicile, qui représentent un montant de 7,41 millions d'euros, s'élève à 5,72%.
S'agissant des amendes forfaitaires majorées, la DGFiP fait état à fin 2023 d'un taux de recouvrement des amendes forfaitaires majorées de seulement 10,8 %, soit un résultat nettement inférieur à celui constaté toutes amendes et condamnations pécuniaires confondues (30,71 %).
La nécessité de mettre en oeuvre dans les meilleurs délais le dispositif prévu à l'article L. 2241-2-1 du code des transports a récemment été rappelé par la mission d'information sur les modes de financement des autorités organisatrices de la mobilité instituée par la commission des finances du Sénat57(*).
b) Dans la perspective de la mise en oeuvre du dispositif, la mesure d'extension prévue par le présent article constitue une garantie d'efficacité supplémentaire
Le dispositif proposé au présent article a déjà été adopté dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2024, mais a fait l'objet d'une censure constitutionnelle en tant que cavalier budgétaire58(*).
De l'avis de la DGFiP comme des opérateurs de transports interrogés par la rapporteure, la vérification de la correcte identité du contrevenant ainsi que l'exactitude de son adresse au plus près de la commission de l'infraction, comme le prévoit le présent article en étendant le droit de communication de ces données aux agents de contrôle et aux agents de la Suge et du GPSR, constitue un puissant levier pour améliorer le recouvrement.
La DGFiP relève en outre qu'un tel dispositif est aussi gage d'amélioration du service rendu aux usagers, en leur permettant de prendre connaissance rapidement de l'avis d'amende, d'exercer le cas échéant dans les plus brefs délais leurs droits de recours, et d'éviter à la fois de subir une majoration de tarif voire des actions de recouvrement forcé sans avoir au préalable reçu l'avis d'amende initiale.
c) Des garanties doivent être apportées compte tenu de l'extension importante du droit de communication de données sensibles
Lors de l'examen de cet article adopté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024, supprimé au Sénat au motif de sa contrariété à la loi organique relative aux lois de finances, avant son rétablissement en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, le rapporteur général de la commission des finances avait relevé qu'outre son caractère de cavalier budgétaire, sur le fond, « le dispositif proposé n'est pas sans soulever plusieurs interrogations au regard de la protection des données personnelles et fiscales, avec un élargissement significatif des agents autorisés à transmettre leurs requêtes à la personne morale unique qui centralise les renseignements demandés sur les noms, prénoms, date et lieu de naissance ainsi qu'adresse du domicile des contrevenants »59(*).
D'après les données communiquées à la rapporteure, le dispositif aurait en effet pour conséquence d'étendre significativement le nombre d'agents des opérateurs bénéficiant du droit de communication prévu par l'article L. 2241-2-1 :
- s'agissant de la SNCF, celui-ci serait porté d'environ 80 à environ 14 400 (dont environ 3 200 agents de la Suge et 11 200 contrôleurs) ;
- s'agissant de la RATP, le présent article porterait le nombre d'agents concernés d'environ 70 à près de 6 000 (dont environ 1 000 agents du GPSR et 5 000 contrôleurs).
Dans le cadre des observations sur la loi de finances pour 2024 communiquées au Conseil constitutionnel suite à sa saisine, le Gouvernement a pu à cet égard mettre en avant le fait que :
- le dispositif poursuit l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions ;
- l'échange d'informations est entouré de de garanties, compte tenu de la limitation de la liste des données communiquables et des finalités de leur utilisation, du fait que les agents concernés sont tenus au secret professionnel ;
- il va de soi que, si les informations recueillies peuvent faire l'objet d'un traitement automatisé de données à caractère personnel, le législateur, en adoptant les dispositions de l'article 199 de la loi déférée, n'a pas entendu déroger aux garanties apportées par le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données et la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, relatives notamment aux pouvoirs de la CNIL.
Afin de renforcer encore les garanties entourant la mise en oeuvre du dispositif, la commission des lois a adopté l'amendement COM-27 de sa rapporteure.
Celui-ci vient préciser le contenu du décret d'application du dispositif, en prévoyant expressément que celui-ci :
- précise les conditions dans lesquelles une personne morale de droit privé peut être sélectionnée en tant que personne morale unique au sens du présent article ;
- précise les exigences de formation et de mise à jour régulière des connaissances en matière de protection des données à caractère personnel auxquels les agents de cette personne morale unique doivent satisfaire pour être habilités ;
- définit les conditions dans lesquelles les données échangées peuvent être conservées ;
- définit les conditions dans lesquelles les opérations de transfert, de consultation, de conservation et d'effacement de ces données sont enregistrées ;
- définit les modalités de contrôle par l'administration de la personne morale unique.
La commission a adopté l'article 19 ainsi modifié.
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* 50 Article 18 de la loi n° 2016-339 du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs.
* 51 Article 529-3 du code de procédure pénale.
* 52 Article 529-4 du code de procédure pénale.
* 53 Il s'agit des agents visés au 4° et 5° du I de l'article L. 2241-1 du code des transports.
* 54 Article 529-5 du code de procédure pénale.
* 55 Article L. 103 du livre des procédures fiscales.
* 56 Ces contrats sont régis par les articles L. 2511-1 et suivants du code de la commande publique.
* 57 « Transports du quotidien : comment résoudre l'équation financière ? » Rapport d'information n° 830 (2022-2023) fait par MM. Hervé Maurey et Stéphane Sautarel au nom de la commission des finances du Sénat, déposé le 4 juillet 2023
* 58 Décision n° 2023-862 DC du 28 décembre 2023, Loi de finances pour 2024.
* 59 Rapport général n° 128 (2023-2024) fait par M. Jean-François Husson au nom de la commission des finances du Sénat, tome III, déposé le 23 novembre 2023