N° 176
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024
Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 décembre 2023
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi relative aux droits de l'enfant à entretenir régulièrement des relations personnelles avec ses parents en cas de séparation de ces derniers,
Par Mme Marie MERCIER,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Philippe Bonnecarrère, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, M. Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.
Voir les numéros :
Sénat : |
308 (2021-2022) et 177 (2023-2024) |
L'ESSENTIEL
Malgré sa progression continue, la résidence alternée de l'enfant chez chacun de ses parents demeure une modalité de résidence minoritaire parmi les couples de parents séparés. Jugeant cet état de fait regrettable, la proposition de loi présentée par Élisabeth Doineau et plusieurs de ses collègues du groupe Union centriste tend à favoriser l'entretien régulier de relations personnelles entre les parents et leur enfant en cas de séparation, en particulier en systématisant la résidence alternée.
La commission des lois a souscrit à l'objectif poursuivi par la proposition de loi d'une plus grande implication des deux parents auprès de leur enfant, en cas de séparation. Elle a en conséquence adopté sans modification l'article 1er qui complète les obligations des parents dans le sens d'un entretien régulier de leurs relations personnelles avec leur enfant postérieurement à la séparation. Elle s'est également prononcée en faveur de la prise en compte par le juge aux affaires familiales dans ses décisions relatives à l'autorité parentale d'éventuelles violences ou pressions d'un parent sur la personne de l'enfant, afin de renforcer l'édifice juridique en matière de lutte contre les violences familiales.
Guidée par la nécessité de conserver l'appréciation la plus souple de l'intérêt de l'enfant afin de préserver au mieux celui-ci, la commission des lois n'a néanmoins pas retenu les dispositions de la proposition de loi tendant à instaurer une présomption légale de l'intérêt de l'enfant ou restreignant à l'excès la marge d'appréciation du juge aux affaires familiales : au regard de la diversité des situations auxquelles ceux-ci sont confrontés, il est apparu qu'ils ne sauraient être entravés par des dispositions inadaptées dans la préservation de l'intérêt de l'enfant.
Après avoir adopté trois amendements à l'initiative du rapporteur, la commission a adopté le texte ainsi modifié.
I. LA RÉSIDENCE ALTERNÉE : UNE SOLUTION EN CAS DE SÉPARATION DES PARENTS PARFOIS JUGÉE SOUS-EMPLOYÉE
A. VINGT ANS APRÈS SA RECONNAISSANCE JURIDIQUE, LA RÉSIDENCE ALTERNÉE PROGRESSE BIEN QU'IL Y SOIT INÉGALEMENT RECOURU
Déjà pratiquée dans le silence de la loi par certains parents séparés, la résidence alternée a vu son existence juridique consacrée par la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale. Son régime juridique se caractérise par sa souplesse. Ainsi, si certaines de ses conséquences pratiques sont régies par la loi, notamment sur le plan financier1(*), le régime de la résidence alternée laisse au juge une marge d'appréciation pour adapter les modalités de résidence aux circonstances de l'espèce : la jurisprudence a ainsi reconnu que le temps passé par l'enfant auprès de chacun de ses parents peut être inégal, que peut être maintenue la résidence des enfants au domicile familial et organisée la résidence alternée des parents, et qu'il peut être mis fin à une résidence alternée dès les premiers signes de dysfonctionnement2(*).
Le recours à la résidence alternée semble avoir progressivement cru depuis sa reconnaissance juridique en 2002. Comme le rappelle la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) dans un rapport de 2013, la proportion de décisions de résidence alternée a progressé dans les premières années suivant sa reconnaissance, passant « de 10 % en 2003 à 17 % en 2012 »3(*). Interrogée par le rapporteur, la DACS n'a pas été en mesure de fournir une actualisation complète de l'étude mais a fait état d'une progression de ce taux de 12 points entre 2012 et 2022, à rebours du constat parfois dressé d'un échec du dispositif.
Proportion d'enfants en résidence alternée selon l'année, selon la génération4
Source : Insee
Bien qu'il tende à progresser continûment, le recours à la résidence alternée demeure inégal. Il varie en premier lieu selon la situation familiale de l'espèce, le nombre des enfants mais surtout l'âge influant tout particulièrement sur le mode de résidence choisi comme le montre le graphique ci-contre. Par ailleurs, les parents d'enfants en résidence alternée bénéficient d'une situation socio-économique en moyenne plus avantageuse : par rapport aux parents d'autres familles monoparentales ou recomposées, les parents d'enfants en résidence alternée sont plus souvent propriétaires de leur logement (54 % contre 34 %).
Si l'on peut regretter ce recours inégal à la résidence alternée, ces données semblent montrer que les juges comme les parents tiennent compte des conséquences matérielles concrètes qu'emporte un tel choix de résidence.
* 1 La résidence alternée peut donner lieu au versement d'allocations familiales divisées entre les deux parents. Sur le plan fiscal, sauf disposition contraire dans la convention homologuée par le juge, la décision judiciaire ou, le cas échéant, l'accord entre les parents, les enfants mineurs sont réputés être à la charge égale de l'un et de l'autre parent, cette présomption pouvant néanmoins être écartée « s'il est justifié que l'un d'entre eux assume la charge principale des enfants. »
* 2 Voir les décisions suivantes : Cour de cassation, Civ. 1ère, 25 avril 2007, n° 06-16-886, Cour d'appel de Paris, 26 septembre 2013, n° 12-12514 et Cour d'appel de Lyon, 7 mars 2011, n° 10/03267.
* 3 Guillonneau, Maud et Moreau, Caroline, « La résidence des enfants de parents séparés : de la demande des parents à la décision du juge », DACS, étude du PEJC, novembre 2013.