B. L'HÉBERGEMENT D'URGENCE N'ATTEINT POURTANT TOUJOURS PAS SES OBJECTIFS
1. La croissance du parc est le marqueur d'une capacité du Gouvernement à résorber la pauvreté
Si le Gouvernement se prévaut de la baisse du taux de chômage ces dernières années, baisse qui semble d'ailleurs marquer le pas, cette statistique ne peut masquer la progression de la grande pauvreté qui se constate mieux que partout ailleurs dans la mise en oeuvre de l'hébergement d'urgence.
En application du principe d'accueil inconditionnel3(*), le parc d'hébergement d'urgence a l'obligation d'accueillir toutes les personnes qui en ont besoin, sans demander de justificatif ni de papiers. C'est donc le point de convergence de nombreuses situations difficiles, des personnes qui font face à des accidents de la vie aux femmes victimes de violences (qui font de plus en plus l'objet d'une prise en charge spécifique) et aux personnes à droits incomplets ou aux réfugiés qui ne trouvent pas de place le système d'accueil et d'hébergement spécifique du ministère de l'intérieur.
Le parc d'hébergement est ainsi l'un des signes les plus sûrs de la détresse sociale, qui a franchi avec la crise sanitaire un palier dont elle n'est pour l'instant pas redescendue. C'est ce que vient de confirmer l'INSEE qui montre que la France est sortie de l'épisode de la Covid avec un taux de pauvreté (14,5 %) supérieur à celui qu'elle avait quand elle y est entrée (14,3 %), tandis que le niveau de vie des ménages aisés, lui, augmentait4(*).
Ces chiffres se traduisent sur le terrain dans les services intégrés de l'accueil et de l'orientation (SIAO) qui, dans certains territoires, sont débordés et ne peuvent remplir leur mission correctement. La fondation Abbé-Pierre a alerté le rapporteur spécial sur la progression inquiétante du nombre des demandes d'hébergement d'urgence non pourvues, le pic de l'année 2022 ayant déjà été dépassé de plus de 30 %. Ces demandes non pourvues concernent aussi bien les personnes en familles que les enfants, y compris en bas âge.
Évolution du nombre des demandes non pourvues depuis début 2022
(en nombre de demandes)
Source : commission des finances, à partir de données transmises par la fondation Abbé-Pierre
Dans ces conditions, le maintien du parc d'hébergement à un niveau haut est à la fois une nécessité à court terme et le symptôme d'une incapacité à formuler une voie de sortie.
Le Gouvernement a ainsi décidé de maintenir, une année de plus, le parc d'hébergement à son niveau le plus élevé, soit 203 000 places.
2. L'accroissement du parc d'hébergement se fait au détriment de sa capacité à servir d'étape vers l'accès à un logement plus durable
Dans le même temps où le parc d'hébergement s'élargit, sa qualité moyenne se dégrade.
La croissance de plus de 50 000 places du parc d'hébergement en urgence depuis fin 2017 est due pour plus de la moitié à la progression du nombre de places dans les centres d'hébergement d'urgence (CHU), pour un tiers à la croissance du nombre de places en hôtel et pour un dixième seulement à la progression du nombre de places dans les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS).
Évolution du parc d'hébergement d'urgence depuis fin 2017
(en nombre de places)
Source : commission des finances, à partir des réponses au questionnaire budgétaire
Les places en CHRS sont pourtant celles qui bénéficient du meilleur accompagnement afin de permettre aux personnes hébergées de retrouver un chemin vers un logement adapté ou traditionnel.
S'agissant de ces CHRS eux-mêmes, le calendrier de contractualisation prévu par l'article 145 de la loi ELAN5(*) n'a pas été respecté.
Aux termes de cet article, chacun des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) devait avoir signé un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM) avant le 31 décembre 2022. Or à cette date, seulement 187 contrats avaient été conclus pour 538 CHRS, soit 35 % de l'objectif. L'administration invoque, comme causes de retard, la gestion de la crise sanitaire et le manque global de temps au regard des nombreuses sollicitations des dernières années liées à la crise ukrainienne ou la mise en oeuvre du Ségur, qui n'auraient pas permis aux services déconcentrés de lancer pleinement leurs démarches locales de contractualisation.
Évolution du nombre de CHRS faisant l'objet d'un CPOM
(en pourcentage)
Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire
Cette très faible application de la loi ELAN doit pousser à une interrogation sur les relations entre l'État et les CHRS et sur les blocages à l'établissement d'une contractualisation. Celle-ci devrait être au bénéfice aussi bien des établissements, qui y acquièrent une plus grande visibilité, que de l'intérêt général dont l'État est garant, les financements étant alloués de manière plus adaptée aux besoins des personnes hébergées.
La question des migrants se pose également.
Si les réfugiés et demandeurs d'asile ont vocation à être pris en charge par le dispositif national d'accueil (DNA), qui relève du ministère de l'intérieur, ce dispositif est saturé et de nombreuses personnes se retournent vers les dispositifs d'hébergement d'urgence de droit commun du programme 177.
En outre, le programme 177 a également été chargé de l'accueil des migrants ukrainiens en 2022, mission pour laquelle il a reçu une enveloppe de 100 millions d'euros ouverte par le décret d'avance du 7 avril 2022.
En 2023, au 30 juillet, près de 14 000 places en hébergement collectif étaient financées par le programme 303 « Immigration et asile » de la mission « Immigration, asile et intégration », contre 23 000 places à la fin 2022. En outre, 11 000 bénéficiaires de la protection temporaire étaient hébergées fin 2022 chez des particuliers à titre gratuit. Enfin, près de 9 900 logements étaient occupés au 31 juillet 2023 par près de 29 000 déplacés ukrainiens.
La stratégie choisie est d'orienter ces personnes vers des villes moyennes afin de limiter la concurrence entre les publics et la DIHAL indique que 80 % des logements, à la mi-octobre 2022, étaient situés dans des villes de moins de 100 000 habitants.
Enfin, le dispositif d'hébergement accueille aussi, pour les mêmes raisons, des personnes à « droits incomplets », malgré la circulaire « Valls » de 2012 qui visait à faciliter le traitement des dossiers6(*). Ces personnes peuvent y rester bloquées pendant de longues périodes, car elles ne peuvent pas avoir accès à des logements sociaux traditionnels tant que leur situation n'est pas régularisée. La proportion importante des personnes en situation irrégulière dans le parc d'hébergement est l'une des raisons qui limite la fluidité de ce parc.
* 3 Article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles.
* 4 En 2021, les inégalités et la pauvreté augmentent, INSEE Première n° 1973, 14 novembre 2023.
* 5 Article 125 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.
* 6 Circulaire relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, 28 novembre 2012.