B. LA RECENTRALISATION EXPÉRIMENTALE DU RSA : UN RENVERSEMENT INHABITUEL, MAIS TEMPORAIREMENT ACCEPTÉ, DE LA DÉCENTRALISATION

1. Une conséquence de l'insuffisance des compensations des transferts de charges

Tant les dépenses sociales des départements que leurs recettes sont soumises à la conjoncture, d'où les risques souvent identifiés d'« effet ciseaux ».

D'une part, un retournement de la conjoncture économique entraîne logiquement une hausse durable des besoins d'assistance aux publics les plus en difficulté.

D'autre part, la majorité des recettes fiscales des départements sont également corrélées à la conjoncture, à l'instar des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), qui dépendent de la situation du marché immobilier, mais également de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Depuis 2021, s'ajoute à cette liste la TVA, qui est elle aussi fortement sensible à la conjoncture, contrairement à la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) dont elle compense la perte pour les départements. La fiscalité liée à la conjoncture économique représenterait ainsi 55 % des dépenses de fonctionnement et 78 % des recettes fiscales des départements en 202113(*).

Outre la problématique de l' « effet ciseaux », les départements sont confrontés, notamment en matière de revenu de solidarité active (RSA), à un « reste à charge » croissant. Ainsi, la forte progression des dépenses de RSA contraste avec la stabilité des compensations « historiques », qui entraînent un reste à charge passé de 3,7 milliards d'euros en 2016 à 4,8 milliards d'euros en 2020. Ce constat n'a pu qu'être aggravé par les récentes revalorisations du RSA pour faire face à l'inflation, qui n'ont pas donné lieu à une revalorisation des compensations, la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne l'imposant pas14(*). La revalorisation intervenue en 2023, qui était loin d'être la plus importante, s'est par exemple traduite par une augmentation de 43 millions d'euros du coût pour l'État du RSA recentralisé.

Le nécessité de financer les allocations du RSA de moins en moins bien compensées a en outre abouti à une forte contraction des dépenses en faveur de l'insertion des bénéficiaires, qui sont passées de 760 millions d'euros en 2014 à 670 millions d'euros en 2020.

2. Un modus vivendi transitoire, mais qui ne pourra se poursuivre indéfiniment

Face aux difficultés rencontrées par certains départements, il a été fait le choix d'une recentralisation partielle du financement du RSA par l'État. Ainsi, les départements de Guyane et de Mayotte15(*), puis celui de La Réunion16(*) ont vu leur compétence relative à l'attribution et au financement du RSA définitivement recentralisée.

Une expérimentation a également été initié par la loi de finances pour 2022 pour une recentralisation du RSA dans les départements volontaires, pour une durée de cinq ans, les candidatures de départements de Seine-Saint-Denis et des Pyrénées-Orientales ayant été retenues. En 2023, le département de l'Ariège s'est joint à l'expérimentation.

La recentralisation du RSA
en Seine-Saint-Denis et dans les Pyrénées-Orientales

L'article 43 de la loi de finances initiale pour 2022 permet aux départements qui le souhaitent d'expérimenter, pendant cinq ans, une recentralisation du RSA. L'État assure alors le financement du RSA ainsi que l'instruction, l'attribution et le service de cette prestation qui seront exercés par délégation par les caisses d'allocations familiales (CAF) et les caisses de mutualité sociale agricole (MSA). Les départements conservent donc la compétence liée à l'orientation ainsi que celle liée à l'insertion. En contrepartie, l'État bénéficie d'un droit à compensation calculé sur la base de la moyenne des dépenses de RSA sur la période 2018-2020, financée par la reprise aux départements des ressources qui avaient été transférées en compensation du transfert de compétence RSA, complétées par certaines ressources tirées du produit des droits de mutation à titre onéreux, de la dotation globale de fonctionnement et le cas échéant de la fraction de TVA perçue en compensation de la perte de la taxe foncière sur les propriétés bâties.

Au moment de l'élaboration de la loi de finances pour 2022, seul le département de la Seine-Saint-Denis avait officiellement manifesté sa volonté de participer à cette expérimentation. Ainsi, le montant de l'enveloppe budgétaire en PLF 2022 était de 564,9 millions d'euros.

La première loi de finances rectificative pour 2022 a quant à elle prévu une ouverture de crédits à hauteur de 149,4 millions d'euros pour financer l'entrée dans l''expérimentation du département des Pyrénées-Orientales.

L'objectif de l'expérimentation est d'analyser si, sans supporter la gestion et le financement du RSA, les départements pourront accroitre l'efficacité de l'orientation et de l'insertion des bénéficiaires du RSA dans l'emploi. Ils s'engagent ainsi à renforcer leur politique d'insertion, au travers d'une convention signée avec l'État qui fixe les modalités de suivi ainsi que les engagements du département en matière d'accompagnement des bénéficiaires du RSA.

Les accords conclus avec les départements de Seine-Saint-Denis et des Pyrénées-Orientales fixent les engagements des parties en matière d'insertion en mettant en place des indicateurs de suivi ainsi qu'une gouvernance au niveau départemental. Ceux-ci doivent permettre d'apprécier de façon concertée les résultats atteints et les mesures correctrices éventuellement nécessaires.

Grâce aux moyens financiers dégagés par la recentralisation du financement du RSA, les départements se sont engagés à augmenter leurs dépenses d'insertion (+ 23 millions d'euros à horizon 2026 en Seine-Saint-Denis et + 24 millions d'euros dans les Pyrénées-Orientales).

En 2023, le financement du RSA recentralisé dans ces deux départements représenterait une dépense brute de 1,5 milliard d'euros pour l'État.

Source : réponses au questionnaire budgétaire

La Cour des comptes, dans son rapport sur le RSA17(*) de janvier 2022, avait déploré que les pouvoirs publics aient renoncé au principe du « financeur-décideur », qui avait présidé à la philosophie de la décentralisation en 2023.

Si cette recentralisation a pu aider les départements bénéficiaires, notamment en leur permettant de retrouver des marges de manoeuvre pour financer l'insertion et l'accompagnement des bénéficiaires du RSA, elle est également perçu par de nombreux départements comme un « abandon » de leur compétence en matière d'attribution et de financement du RSA. Pour ces raisons, la participation à cette expérimentation doit demeurer un choix des départements bénéficaires.


* 13 Source : Cour des comptes, Les finances publiques locales 2021, juin 2021.

* 14 Conseil constitutionnel, décision n° 2011-142/145 QPC du 30 juin 2011, Département de Seine-Saint-Denis.

* 15 Loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, article 81.

* 16 Loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, article 771.

* 17 Cour des comptes, Le revenu de solidarité active, janvier 2022.

Partager cette page