II. L'ÉVOLUTION DU PROGRAMME 138 « EMPLOI OUTRE-MER »

Le programme 138 « Emploi outre-mer » se compose de quatre actions et rassemble les crédits des politiques publiques en faveur de la compétitivité des entreprises, de l'amélioration de l'employabilité des jeunes et de la qualification des actifs ultramarins. À ce titre, il porte notamment les crédits relatifs à la compensation des exonérations de cotisations patronales, au financement du service militaire adapté (SMA) et divers dispositifs de financement de l'économie.

Entre la LFI 2023 et le PLF 2024, il enregistre une hausse de 6,7 % en AE soit 121,3 millions d'euros et de 6,4 % en CP soit 114,6 millions d'euros.

Cette hausse résulte du solde entre la hausse des actions 1 (« soutien aux entreprises » et 2 (« aide à l'insertion et à la qualification » c'est-à-dire le SMA) et de la baisse de l'action 4 (« financement de l'économie).

Évolution des crédits du programme 138

(en euros)

Source : commission des finances du Sénat à partir du PLF 2024

A. LES CRÉDITS DESTINÉS À L'EXONÉRATION DES CHARGES SOCIALES (ACTION 1) : UNE HAUSSE QUI SE POURSUIT EN LIEN AVEC L'ACTIVITÉ MAIS DES PRÉVISIONS TOUJOURS DÉLICATES À ÉTABLIR

1. Évolution et description du dispositif

Afin de diminuer le taux de chômage outre-mer (compris entre 9,5 % et 30 % en 2021, contre 7,4 % en métropole) d'une part, d'améliorer la compétitivité des entreprises ultramarines et de favoriser la création d'emplois, d'autre part, un dispositif d'allègement et d'exonération de cotisations de sécurité sociale a été mis en place par la loi du 25 juillet 1994 tendant à favoriser l'emploi, l'insertion et les activités économiques dans les départements d'outre-mer et à Saint-Pierre-et-Miquelon, et la loi du 13 décembre 2000 d'orientation pour l'outre-mer.

Ce dispositif d'exonérations de cotisations de sécurité sociale spécifiques aux outre-mer, dit « LODEOM », résulte des dispositions de l'article L. 752-3-2 du code de la sécurité sociale en ce qui concerne les entreprises implantées outre-mer et des articles L. 756-4 et L. 756-5 de ce même code pour les travailleurs indépendants ultramarins.

Il a fait l'objet de plusieurs modifications depuis sa création. En effet, la loi de finances pour 2014 et la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2016 ont ainsi abaissé les niveaux de salaires concernés par les exonérations de charges patronales afin de recentrer l'application de celles-ci sur les bas et moyens salaires, compte tenu de l'importance plus grande que joue, à ce niveau, le facteur du coût du travail sur l'emploi.

Par ailleurs, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 a poursuivi ces recentrages, cette fois, sur le dispositif d'exonérations applicables aux cotisations dont les travailleurs indépendants sont redevables.

Enfin, le dispositif d'allègements et d'exonérations de charges patronales de sécurité sociale spécifiques aux outre-mer a été modifié par la loi de financement pour la sécurité sociale de 2019 afin de compenser la suppression du CICE (crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi) au 1er janvier 2019 en renforçant les exonérations de charges patronales.

Cette réforme avait entrainé, en 2019, une augmentation de plus de 42 % des crédits affectés à la compensation de ces exonérations de charges.

Le nouveau régime des exonérations de cotisations patronales en outre-mer

Les niveaux d'exonération de cotisations patronales se déclinent dorénavant comme suit :

•Barème dit de « compétitivité » : une exonération totale jusqu'à un seuil de 1,3 SMIC suivie d'une dégressivité de cette exonération avec un point de sortie désormais fixé à 2,2 SMIC pour toutes les entreprises de moins de 11 salariés et pour les employeurs occupant plus de onze salariés et relevant des secteurs du bâtiment et des travaux publics, de la presse, de la production audiovisuelle, du transport aérien, maritime et fluvial pour les personnels assurant la desserte des départements d'outre-mer, de Saint-Martin et Saint-Barthélemy.

•Barème dit de « compétitivité renforcée » : une exonération totale jusqu'à un seuil de 1,7 SMIC suivie d'une dégressivité avec un point de sortie fixé à 2,7 SMIC pour les employeurs occupant moins de 250 salariés, ayant réalisé un chiffre d'affaires annuel inférieur à 50 millions d'euros et qui :

- soit relèvent des secteurs de l'industrie, de l'environnement, de l'agronutrition, des énergies renouvelables, des nouvelles technologies de l'information et de la communication, des centres d'appel, de la pêche et des cultures marines, de l'aquaculture, de l'agriculture, du tourisme y compris les activités de loisirs s'y rapportant, du nautisme, de l'hôtellerie, de la recherche et du développement ;

- soit sont situés en Guyane et exercent une activité principale relevant de l'un des secteurs d'activité éligibles à la réduction d'impôt prévue à l'article 199 undecies B du code général des impôts, ou correspondant à l'une des activités suivantes : comptabilité, conseil aux entreprises, ingénierie ou études techniques.

•Barème dit « innovation et croissance » : une exonération totale jusqu'au seuil de 1,7 SMIC, le maintien de l'exonération calculée pour un salaire de 1,7 SMIC jusqu'au seuil de 2,5 SMIC, seuil à partir duquel elle décroît avec un point de sortie fixé à 3,5 SMIC pour la catégorie des employeurs occupant moins de 250 salariés et ayant réalisé un chiffre d'affaires annuel inférieur à 50 millions d'euros, au titre de la rémunération des salariés concourant essentiellement à la réalisation de projets innovants dans le domaine des technologies de l'information et de la communication.

Source : commission des finances à partir du PAP

2. Une mesure de périmètre importante intervenue en LFI 2023 qui a masqué une hausse notable des exonérations de charges sociales

En LFI 2023, les crédits de l'action 1 se sont élevés à 1 416,2 millions d'euros soit une baisse de 4,19 % représentant 61,9 millions d'euros par rapport à la LFI 2022.

Cette baisse apparente résultait en réalité de la mise en oeuvre d'une mesure de périmètre visant à rationaliser les modalités de compensation des exonérations, afin de simplifier les relations financières entre l'État et la sécurité sociale. Ainsi, le « bandeau maladie » (abattement de 6 points de la cotisation des employeurs au titre de l'assurance-maladie pour les salaires de moins de 2,5 SMIC) a été transféré vers la sécurité sociale pour un montant de 264,53 millions d'euros sans modification du dispositif sur le fond. Retraitement fait de cette mesure de périmètre, c'est-à-dire à périmètre constant, les crédits prévus par la loi de finances pour 2023 au titre de la compensation des exonérations de cotisations sociales enregistraient une hausse de plus de 202,7 millions d'euros en raison de la reprise de l'activité après la crise sanitaire et la fin du recours massif au chômage partiel par les entreprises, ce qui avait généré une baisse importante lors des exécutions 2020 et 2021.

3. Une nouvelle hausse qui s'appuie sur les dernières prévisions disponibles

Pour rappel, les dépenses de cette action sont des dépenses de guichet. Il en résulte que le niveau des crédits ouverts en 2024 pourrait être ajusté.

En PLF 2024, les crédits ouverts s'élèvent à 1,54 milliard d'euros soit une hausse de 8,7 % (+ 123 millions d'euros) par rapport à la LFI 2023.

La dépense budgétisée dans le PLF 2024 s'appuie sur les prévisions produites par l'ACOSS lors des groupes de suivi, en juin 2023. Ces prévisions se construisent sur la base d'un relevé mensuel des déclarations nominatives des entreprises ainsi que des données statistiques et des réalisations comptables intégrées a posteriori, auxquels l'ACOSS applique un pourcentage correspondant à la part outre-mer. Les prévisions de dépenses de compensation des exonérations progressent essentiellement du fait des hypothèses d'évolution de la masse salariale des salariés des entreprises privées, retenues par l'Urssaf-Caisse nationale pour ses prévisions techniques.

Les variations constatées ces dernières années témoignent cependant de la difficulté à établir des prévisions fiables, s'agissant de dépenses de « guichet » qui sont tributaires de la conjoncture économique et ne sont confirmées qu'à l'issue des exercices budgétaires.

La prise en compte décalée des différentes réformes et élargissement du dispositif à de nouveaux secteurs professionnels accentuent encore cette difficulté. À cet égard, un projet de décret pour 2024 prévoit une revalorisation de la déduction forfaitaire pour les particuliers employeurs à Mayotte.

Dans leur précédent rapport budgétaire, les rapporteurs spéciaux avaient alerté sur les conséquences d'une reprise de l'activité en 2022 par rapport à 2020 et 2021, et qui pourrait générer une consommation plus importante que les crédits prévus en LFI 2022. À cet égard, les niveaux d'exécution leur ont donné raison dans la mesure où, en 2022, l'exécution de l'action 1 du programme 138 s'est établie à 1 725,9 millions d'euros pour des ouvertures à hauteur de 1 478 millions d'euros.

Concernant l'exercice 2023, la LFI prévoyait une ouverture de crédits à hauteur de 1 416,2 millions d'euros. Au 17 octobre 2023, la consommation s'établit à 1 167 millions d'euros.

Face aux prévisions actualisées de consommation, le projet de loi de finances de fin de gestion prévoit une ouverture de crédits sur le programme 138 à hauteur de 409,2 millions d'euros en AE et 433,4 millions d'euros en CP essentiellement pour couvrir la hausse des exonérations de cotisations patronales.

Les rapporteurs spéciaux saluent cette ouverture de crédits supplémentaires qui permettra de financer les besoins de fin d'année sans redéploiement au sein du programme.

Le contexte économique incertain de 2023 perdure en 2024 et accroit encore les difficultés rencontrées par certaines entreprises, et de fait les difficultés à établir une prévision fine de ce que pourrait être le besoin réel en 2024 en raison des éventuelles conséquences de l'inflation sur l'emploi et les salaires. Les rapporteurs spéciaux se montreront donc attentifs, en cours d'année, au niveau de consommation de ces crédits.

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