C. DES AIDES À L'ACQUISITION DE VÉHICULES PROPRES EN BAISSE DE 200 MILLIONS D'EUROS MAIS QUI POURRAIENT ENFIN ÊTRE CIBLÉES VERS DES VOITURES RÉELLEMENT VERTUEUSES
1. 1,5 milliard d'euros de crédits sont proposés en 2024 pour les aides à l'acquisition de véhicules propres, soit une baisse de 200 millions d'euros par rapport aux dépenses exécutées en 2023
a) Les dispositifs « historiques » : le bonus écologique et la prime à la conversion
Les crédits relatifs aux aides « historiques » à l'achat ou à la location de véhicules neufs émettant peu de CO2 (« bonus ») ainsi qu'au retrait de véhicules qui émettent beaucoup de CO2 (prime à la conversion)52(*) sont suivis à l'action 03 « Aides à l'acquisition de véhicules propres ». À ces aides historiques sont venus s'ajouter de nouveaux dispositifs particuliers tels que des aides à l'acquisition de véhicules lourds propres ou les aides à l'acquisition de vélos.
Les crédits proposés pour 2024 au titre des aides à l'acquisition de véhicules propres s'établissent à 1,5 milliard d'euros, en augmentation apparente d'un peu plus de 200 millions d'euros (+ 16 %) par rapport aux dépenses prévisionnelles inscrites en LFI pour 2023.
Cependant, l'exécution budgétaire 2023 a été beaucoup plus dynamique qu'escomptée et les dépenses qui devraient être effectivement décaissées en 2023 au titre du bonus écologique et de la prime à la conversion devraient s'établir à 1,7 milliard d'euros, soit 0,4 milliard d'euros supplémentaires par rapport à la prévision initiale. Aussi, et contrairement aux déclarations du Gouvernement, les crédits prévus en 2024 ne témoignent pas d'une augmentation de 200 millions d'euros des financements consacrés à ces aides mais d'une diminution du même montant des dépenses prévisionnelles relatives à ces dispositifs.
Évolution des crédits (CP) consacrés aux aides à l'acquisition de véhicules propres
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
D'après les informations fournies au rapporteur par la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), en juin 2023, la part des voitures neuves qui remplissent les critères d'attribution du bonus s'établissait à 17,5 % tandis qu'au cours des sept premiers mois de l'année, 779 millions d'euros ont été versés pour 187 000 bonus. En 2022, 326 000 bonus avaient été versés53(*) (soit une hausse de 21 % en un an) pour 1 157 millions d'euros.
Au cours des sept premiers mois de l'année 2023, 42 000 primes à la conversion ont été distribuées pour 137 millions d'euros. En 2022, 92 000 primes avaient été attribuées (un chiffre en baisse de 19 % par rapport à 2021) pour un montant de 282 millions d'euros.
Nombre de bonus et de primes à la conversion distribués (2018-2022)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire
Toujours d'après les éléments transmis par la DGEC, au cours des six premiers mois de l'année 2023, 140 200 voitures électriques neuves ont été immatriculées en France, contre 95 500 sur la même période en 2022. Leur part de marché a ainsi progressé de 3,4 points pour atteindre 15,5 %.
Part de marché des véhicules électriques54(*) (2011-2023)
Source : direction générale de l'énergie et du climat (DGEC)
Sur cette même période, la part de marché des véhicules hybrides rechargeables a quant à elle augmenté plus faiblement de 0,6 point à 8,6 % pour 77 800 véhicules vendus.
Part de marché des véhicules hybrides rechargeables55(*) (2011-2023)
Source : direction générale de l'énergie et du climat (DGEC)
Le Gouvernement entendrait relever en 2024 le montant du bonus à hauteur de 1 000 euros pour les ménages les plus modestes. Une étude publiée en octobre 2023 par l'institut I4CE56(*) (Institute for climate economics) tend à considérer que cette évolution ne changera pas la donne pour les foyers modestes et les classes moyennes qui acquièrent principalement des véhicules d'occasion et pour lesquels le reste à charge (de 10 000 euros à 40 000 euros selon les modèles) pour l'achat d'un véhicule neuf électrique demeurera trop élevé.
b) Confronté à plusieurs difficultés, le lancement du leasing social à 100 euros par mois est néanmoins annoncé pour 2024
Le Président de la République avait fait la promesse d'instaurer un dispositif dit de « leasing social », c'est-à-dire un mécanisme de soutien à la location longue durée de véhicules électriques pour les foyers modestes. L'objectif affiché du dispositif est de diminuer le coût d'usage d'un véhicule pour les ménages sous condition de ressources, avec un loyer n'excédant pas 100 euros par mois pour la location d'un véhicule électrique.
Le Gouvernement a annoncé qu'une plateforme de pré-enregistrement devrait être mise en ligne d'ici à la fin de l'année par l'Agence de services et de paiement (ASP) afin de permettre le lancement des premières commandes pour une livraison des véhicules et un versement des premières aides au début de l'année 2024.
En 2024, 50 millions d'euros des crédits destinés aux aides à l'acquisition de véhicules propres pourraient être consacrés à ce dispositif, à condition qu'il voit effectivement le jour. Car en effet, de nombreuses voix, y compris au sein de la majorité présidentielle, s'inquiètent de la capacité de l'État a réellement et pleinement le mettre en oeuvre en 2024.
La disponibilité effective des véhicules électriques qui pourraient être éligibles au dispositif est encore très incertaine. Deux modèles sont en effet principalement ciblés pour ce mécanisme : la Citroën ë-C3 qui doit être disponible en début d'année 2024 ainsi que la future R5 électrique de Renault qui n'est attendue que dans le courant de l'année prochaine.
Alors que ces véhicules ne sont pas encore sur les chaînes de montage des constructeurs, certains proposent déjà d'étendre le dispositif aux voitures hybrides. Face aux difficultés à lancer pleinement la mesure en 2024, le Gouvernement entendrait la restreindre par un critère géographique pour cibler les ménages qui n'ont pas d'autres choix que de se déplacer en voiture. Il anticiperait 10 000 à 20 000 bénéficiaires en 2024.
c) L'appel à projets écosystème véhicule lourds piloté par l'Ademe
L'action 03 du programme 174 comprend également les crédits dévolus aux appels à projets « écosystème véhicules lourds » gérés par l'Agence de la transition écologique (Ademe). Ce dispositif vise à soutenir le déploiement de la mobilité électrique pour les véhicules lourds dans les domaines du transport routier de marchandises et du transport routier de voyageurs. Il concerne ainsi l'achat des véhicules lourds 100 % électriques à batterie de catégories N2 et N3 dont le Poids Total Autorisé en Charge (PTAC) est supérieur à 4,5 tonnes et les autocars (catégories M2 et M3) dans les domaines du transport routier de marchandises et du transport routier de voyageurs.
Ces appels à projets ont été dotés d'une enveloppe de 65 millions d'euros en 2022 puis de 60 millions d'euros en 2023 répartie entre 55 millions d'euros pour les camions et 5 millions d'euros pour les autocars.
Le montant de l'aide pour l'acquisition ou la location longue durée d'un véhicule peut atteindre jusqu'à 65 % du surcoût lié à l'acquisition d'un véhicule lourd électrique. En 2023, les montants ont été plafonnés selon les catégories figurant dans le tableau ci-après.
Plafonds de l'aide publique par type de véhicule dans le cadre de l'appel à projets 2023 « écosystème véhicules lourds »
Type de véhicule |
Montant plafonné de l'aide publique |
Camion dont le PTAC est compris entre 4,5 et 12 tonnes |
75 000 euros |
Camion dont le PTAC est supérieur à 12 tonnes |
100 000 euros |
Autocar |
100 000 euros |
Tracteurs routiers |
150 000 euros |
PTAC : Poids Total Autorisé en Charge
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire
L'installation des bornes de recharge électrique est également soutenue par cet appel à projets à hauteur de 60 % des coûts d'investissement éligibles, incluant les coûts de génie civil.
En 2022, l'appel à projets a connu un très vif succès dès sa première relève, avec 24 projets soutenus sur 70 déposés, représentant près de 300 millions d'euros d'investissements dont 64 millions d'euros d'aides publiques. Cet appel à projets a porté sur 545 véhicules lourds électriques neufs, dont 84 camions, 236 bennes à ordures ménagères, 204 autobus, et 21 autocars, ainsi que le déploiement des 507 points de recharge associés. D'après l'Ademe, le pourcentage d'aide publique moyen par rapport au surcoût d'un véhicule électrique aurait atteint 30 % pour l'appel à projets 2022.
En juin dernier, la première relève de l'appel à projets 2023 a rencontré le même succès, avec 80 projets lauréats sur 231 déposés, représentant 224 millions d'euros d'investissements dont 39 millions d'euros d'aides publiques pour l'acquisition de 629 camions et 27 autocars électriques neufs ou rétrofités. Les lauréats de l'appel à projets 2023 sont à 33 % des petites et moyennes entreprises (PME), à 54 % des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et à 14 % des grandes entreprises. La seconde relève, dotée d'une enveloppe de 19,5 millions d'euros est intervenue à la fin du mois de septembre dernier.
2. L'enjeu de souveraineté industrielle soulevé par le rapporteur spécial lors de l'examen du PLF pour 2023 commence enfin à être pris au sérieux par le Gouvernement
Alors que les trois quarts des voitures électriques vendues en France sont importés et que la même part de la valeur ajoutée totale des batteries est produite par l'industrie chinoise, en pratique, les aides à l'acquisition de véhicules propres financées par les contribuables français reviennent largement à subventionner l'industrie automobile chinoise et à mettre en danger notre souveraineté. C'est cet état de fait inacceptable que le rapporteur spécial avait vivement dénoncé au cours de l'examen du PLF pour 2023. Elle avait matérialisé ce signal d'alerte par le dépôt d'un amendement, adopté en séance publique par la haute assemblée, visant à réduire temporairement, de 500 millions d'euros en 2023, les crédits alloués aux aides à l'acquisition de véhicules propres.
Dans le même temps, et dans la perspective de rétablir ces crédits une fois la situation résolue, elle invitait le Gouvernement à concevoir un dispositif, sur le modèle notamment des mesures mises en place par les États-Unis à l'été 2022, permettant de prendre en compte l'empreinte carbone des véhicules sur l'ensemble de leur cycle de vie et non les seules émissions générées lors de leur usage. Cette méthode, plus respectueuse des enjeux climatiques aurait également l'avantage de privilégier les véhicules produits en France et en Europe, du fait d'un mix énergétique moins carboné qu'en Chine.
Si le Gouvernement avait reconnu en séance publique au Sénat la réalité des arguments avancés par le rapporteur spécial, il ne les avait pas sérieusement pris en compte, considérant que la priorité devait aller à la réduction apparente des émissions des transports en France et donc à la transition rapide du parc de véhicules individuels.
Il a ainsi fallu plusieurs mois pour que le Gouvernement finisse par reconnaître l'urgence du problème et par se ranger aux arguments et aux solutions préconisées par le rapporteur spécial. En « rendant hommage » publiquement aux positions du rapporteur spécial, le ministre de l'économie, des finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire, l'a d'ailleurs reconnu le 31 mai 2023 lors d'une audition au Sénat portant sur le projet de loi relatif à l'industrie verte.
En publiant un décret57(*) et un arrêté58(*) le 19 septembre 2023, le Gouvernement a décidé de mettre en place dès janvier 2024 un dispositif permettant de conditionner l'éligibilité au bonus à l'obtention d'un score environnemental calculé, en plus des émissions à l'usage, au regard de l'empreinte écologique de chacune des étapes qui précèdent la mise en circulation du véhicule. Ce score prendra donc notamment en compte les matériaux utilisés pour la production (acier, métaux ferreux, aluminium, etc.) la consommation énergétique lors de l'assemblage, l'empreinte écologique des batteries ou encore le transport des véhicules jusqu'à leur lieu de commercialisation. Pour être éligible, un véhicule devra obtenir un score minimum de 60 sur 80.
Le temps que l'Ademe applique ces critères aux voitures commercialisées en France, le Gouvernement ne publiera qu'à la mi-décembre la liste des véhicules qui seront éligibles au bonus à compter du mois de janvier 2024.
Si le rapporteur spécial constate qu'il a eu raison trop tôt, il n'en salue pas moins cette initiative indispensable. Il restera cependant extrêmement vigilant quant à ses résultats concrets, après notamment avoir pu prendre connaissance de la liste des véhicules qui seront effectivement éligibles au bonus en 2024.
Comme le démontre l'étude d'I4CE évoquée supra, une réforme du dispositif de bonus sera nécessaire, au-delà de la hausse de 1 000 euros évoquée par le Gouvernement, pour permettre la décarbonation de la mobilité des ménages modestes. Au regard du niveau actuel des aides, le reste à charge demeure bien trop élevé et les conditions d'accès au crédit bancaire restreignent le financement par emprunt. Selon les calculs de l'étude, l'achat d'une citadine électrique standard neuve versus le fait de conserver une voiture essence ne se rentabilise sur 20 ans pour aucun ménage.
* 52 C'est le Fonds d'aide à l'acquisition de véhicules propres, dont la gestion est assurée par l'Agence de services et de paiement, qui est chargé du suivi des dossiers des demandes d'aides et qui assure leur versement.
* 53 Dont 275 000 bonus attribués à des voitures particulières.
* 54 Dans les ventes annuelles de véhicules neufs.
* 55 Dans les ventes annuelles de véhicules neufs.
* 56 La transition est-elle accessible à tous les ménages ? I4CE, octobre 2023.
* 57 Décret n° 2023-886 du 19 septembre 2023 relatif au conditionnement de l'éligibilité au bonus écologique pour les voitures particulières neuves électriques à l'atteinte d'un score environnemental minimal.
* 58 Arrêté du 19 septembre 2023 relatif à la méthodologie de calcul du score environnemental et à la valeur de score minimale à atteindre pour l'éligibilité au bonus écologique pour les voitures particulières neuves électriques.