B. « MAPRIMERÉNOV' » : LE RISQUE DE L'ESSOUFLEMENT

1. Les documents budgétaires ne permettent pas d'avoir une vision claire des dépenses engagées en faveur de la rénovation énergétique

La loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 a créé la prime de transition énergétique en remplacement du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) et des aides « Habiter mieux » de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH).

En 2020, cette prime, dénommée « MaPrimeRénov' » et dont les crédits sont prévus sur le présent programme, était ciblée sur les ménages les plus modestes. Elle permet le versement de l'aide de façon contemporaine à la réalisation des travaux, contrairement au CITE, versé l'année suivant leur paiement, limitant ainsi le reste à charge des ménages. Seuls les propriétaires occupant leur logement à titre de résidence principale y sont éligibles.

Depuis le 1er janvier 2021, les propriétaires occupants aux revenus intermédiaires et supérieurs ont été intégrés au dispositif MaPrimeRénov'. La loi de finances pour 2021 avait également introduit un bonus lorsque les travaux permettent de sortir le logement du statut de passoire énergétique (étiquette énergie F ou G), et un autre lorsque les travaux permettent d'atteindre un niveau « basse consommation » (étiquette énergie A ou B).

Afin d'accélérer et amplifier la dynamique de rénovation énergétique des logements privés, en 2021, la mission « Plan de relance » prévoyait 2 milliards d'euros d'AE sur deux ans sur l'action 01 « Rénovation énergétique » du programme 362 et 1 115 millions d'euros de crédits de paiement. Le plan de relance a en outre ouvert la prime de transition énergétique à tous les propriétaires (bailleurs ou occupants).

En 2024, le dispositif MaPrimeRénov' inscrit sur le programme 174 est prévu pour être doté de 2,3 milliards d'euros en AE et 2,02 milliards d'euros en CP.

Crédits consacrés à MaPrimeRénov

(en millions d'euros)

 

Budget 2020

Budget 2021

Budget 2022

Budget 2023

Budget
2024

 

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Programme 174

575

575

740

740 

2 100

1 419

2 450

2 300

2 297

2 025

Programme 362

-

-

2 000

1 115

260

1 092

-

-

-

-

Total

575

575

2 740

1 855

2 360

2 511

2 450

2 300

2 297

2 025

Source : commission des finances du Sénat.

Les chiffres pour 2024 présentés dans le tableau précédant prennent en compte le transfert de 400 millions d'euros en AE et 40 millions d'euros en CP du programme 174 au programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » de la mission « Cohésion des territoires », pour le financement d'un fonds au profit des bailleurs sociaux dans le texte considéré comme adopté à la suite de l'application de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution. Par ailleurs, il est étonnant que cette modification des ouvertures de crédits soit présentée comme un « transfert », alors que MaPrimeRénov' n'a pas vocation à financer le logement social.

En tout état de cause, cette diminution des crédits sur le programme 174 illustre une nouvelle fois la complexité, qui confine à l'illisibilité, des financements consacrés à MaPrimeRénov'.

Premièrement, il n'a pas été possible de faire un bilan complet des crédits issus du plan de relance, faute de pouvoir établir avec exactitude la répartition des crédits entre le plan de relance et le programme 174, comme le souligne la Cour des comptes dans sa note d'exécution budgétaire pour l'année 2022 : « la gestion 2022, dernière année de mise en oeuvre du Plan de relance, n'a pas permis de clarifier l'articulation entre les crédits qu'il porte et ceux de la mission [...]. En particulier, aucun suivi des crédits de droit commun et des crédits du plan de relance n'a été effectué au regard d'une répartition établie ».

Le deuxième rapport du Comité du plan de relance fait le même constat : « L'évaluation du plan de relance est ainsi particulièrement difficile, car dans la montée en charge de MaPrimeRénov' il n'est pas possible de distinguer ce qui provient du plan de relance et ce qui provient de la montée en charge du dispositif mis en place au 1er janvier 2020. »40(*) Or, l'une des justifications de la création d'une mission budgétaire ad hoc pour les politiques du plan de relance était de faciliter leur évaluation. C'est tout le contraire qui s'est finalement produit.

Ensuite, les reports de crédits et l'utilisation de la trésorerie de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) conduisent à un décalage entre les crédits prévus en loi de finances et les crédits effectivement dépensés.

Ainsi, le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023 annule 1 milliard d'euros de crédits de paiement pour MaPrimeRénov'. Toutefois, d'après les informations transmises par l'administration, la sous-exécution réelle serait en réalité plus faible. Sur une prévision de 2,45 milliards d'euros en AE et de 2,3 milliards d'euros en CP, l'exécution réelle en 2023 serait de 2,1 milliards d'euros en AE et 2 milliards d'euros en CP. Cette sous-exécution plus faible que ce que laissent penser les annulations de crédits provient notamment de l'usage de la trésorerie de l'ANAH, qui est évaluée à 900 millions d'euros en loi de finances à la fin de l'année 2022.

Une partie de cette complexité découle, certes, de la délégation de la gestion de MaPrimeRénov' à un opérateur. Mais le projet annuel de performances devrait justement y remédier en présentant, de la manière la plus précise possible, les données relatives à la prime de transition énergétique.

Or, au contraire, MaPrimeRénov' ne fait même pas l'objet d'une action spécifique dans le programme 174. Elle est réunie avec le chèque énergie, qui est un dispositif à l'objectif non pas environnemental mais social, et qui comprend ses propres enjeux. Cette situation est dénoncée depuis plusieurs années par la Cour des comptes, qui parle d'un programme à la « cohérence devenue introuvable »41(*). Il est incompréhensible que cette présentation perdure dans le budget pour 2024.

L'information du Parlement s'en retrouve affectéeIl est en l'état impossible, à partir des seuls documents budgétaires, d'avoir une vision claire de la répartition de l'ensemble des aides à la rénovation énergétique. Le Parlement connaît ainsi des difficultés majeures pour assurer le contrôle et le suivi des crédits destinés à la rénovation énergétique des logements.

Il faut espérer que la refonte de MaPrimeRénov' prévue pour 2024 puisse permettre de clarifier la répartition et la destination des crédits.

2. Il est impératif que la réforme de MaPrimeRénov' encourage davantage les rénovations globales
a) La refonte de MaPrimeRénov' apporte une clarification souhaitable du dispositif, mais ne dispense pas d'une réflexion sur les objectifs de la prime

Pour 2024, il est prévu que MaPrimeRénov' comporte désormais deux parcours, l'un appelé « Performance » et l'autre « Efficacité ».

Le parcours « Performance » sera constituée d'aides proportionnelles au coût des travaux, qui visent à soutenir la réalisation de travaux de rénovation globale performante. Ses financements sont prévus pour être majorés pour les logements F ou G avant travaux.

Les ménages qui bénéficient de ces aides devront obligatoirement être aidés dans le cadre du dispositif « Mon Accompagnateur Rénov' ». Ce dispositif remplace ainsi « MaPrimeRénov' Sérénité » qui proposait des rénovations globales accompagnées à destination des ménages aux revenus modestes ou très modestes, et le forfait « rénovation globale » de MaPrimeRénov'. Il est prévu que ce parcours soit financé à partir du programme 135.

Mon Accompagnateur Rénov'

« Mon Accompagnateur Rénov' » fait partie du Service public de la performance énergétique de l'habitat (SPPEH) prévu par la loi du 22 août 2021 dite « Climat et Résilience »42(*). L'article L. 232-2 du code l'énergie prévoit que ses missions sont l'appui à la réalisation d'un plan de financement et d'études énergétiques, l'assistance à la prospection et à la sélection des professionnels, et l'évaluation de la qualité des travaux menés par les professionnels. Ce rôle est distinct du mandataire « MaPrimeRénov' ».

Le dispositif est déployé depuis récemment. Un décret du 22 juillet 202243(*) et un arrêté du 21 décembre 202244(*) définissent la procédure d'agrément, et précise le contenu des missions d'accompagnement. Depuis juillet 2023, les acteurs qui souhaitent obtenir l'agrément pour devenir « Mon Accompagnateur Rénov' » peuvent déposer un dossier en ligne, et à partir de 2024, l'agrément sera obligatoire pour exercer cette fonction.

Dans la limite d'un plafond de 2 000 euros45(*), Mon Accompagnateur Rénov' est prévu pour être financé en 2024 à :

- 100 % pour les ménages des catégories de revenus « très modestes » ;

- 80 % pour les ménages modestes ;

- 40 % pour les ménages intermédiaires ;

- 20 % pour les ménages aux ressources supérieures.

Source : commission des finances

Le parcours « Efficacité » sera composé d'aides forfaitaires définies par type de travaux, qui vise à soutenir la décarbonation du chauffage des logements. Il correspond aux travaux majoritairement financés aujourd'hui par le programme 174, et il continuera d'être financé par ce programme. Les logements F et G avant travaux ne seront plus éligibles à ce dispositif, et redirigés vers le parcours « Performance ». L'accès à ces aides sera également conditionné à l'installation d'un équipement de chauffage des locaux ou d'eau sanitaire.

Restructuration de MaPrimeRénov'

Piliers dans le cadre de la refonte

Dispositifs Anah actuels

Public éligible

Efficacité

(programme 174)

Forfaits MaPrimeRénov' par geste
(programme 174)

Ménages aux revenus très modestes, modestes, intermédiaires et supérieurs

Performance

(programme 135)

Forfait MaPrimeRénov' « Rénovation globale » (programme 174)

Ménages aux revenus intermédiaires et supérieurs

MaPrimeRénov' « Sérénité » (programme 135)

Ménages aux revenus très modestes et modestes

MaPrimeRénov' « Copropriétés » (programme 135)

Syndicats de copropriétaires

Source : commission des finances

La distinction des deux piliers de MaPrimeRénov' permet de clarifier les objectifs de la prime de transition énergétique. En effet, MaPrimeRénov', hors MaPrimeRénov' Sérénité et Copropriété, était présentée comme une prime favorisant la réduction de la consommation d'énergie, alors qu'elle finance en très grande majorité des rénovations « monogestes » (86 %), qui consistent pour l'essentiel en un changement d'appareil de chauffage.

À l'inverse, les rénovations globales étaient rares. Le rapport du Comité d'évaluation du plan France Relance d'octobre 2021 (« Rapport Coeuré ») évaluait les rénovations globales à 0,1 % des travaux soutenus par le dispositif. La Cour des comptes a confirmé cette observation dans son référé sur la rénovation énergétique des bâtiments d'octobre 2022 : « on observe que les consommateurs sollicitent essentiellement des aides en faveur de gestes isolés de rénovation, en l'absence d'un plan d'ensemble visant l'atteinte d'une haute performance énergétique. »

Désormais, ce versant de MaPrimeRénov' ne vise plus les rénovations globales, mais la décarbonation des modes de chauffage. MaPrimeRénov' Sérénité, qui finance véritablement des rénovations globales, et qui était souvent oubliée lorsque « MaPrimeRénov' » était mentionnée, fait désormais l'objet d'un pilier à part entière, à égale importance avec celui financé par le programme 174. À ce titre, on peut néanmoins s'interroger sur le choix d'inscrire au sein de la mission « Écologie » les crédits du parcours dont la plus-value environnementale réelle est la plus faible.

L'exclusion des passoires énergétiques des financements du pilier « Efficacité » est une idée intéressante sur le principe. En effet, le changement d'un système de chauffage dans un logement qui n'est pas isolé peut être contreproductif sur le plan énergétique. L'installation d'une pompe à chaleur dans un logement mal isolé ne fonctionne pas, ou très mal, car la température des émetteurs de chaleur ne peut pas être supérieure à un certain seuil46(*).

La réalisation de travaux qui se limitent au changement d'un système de chauffage est donc proportionnellement plus efficace en termes de gains d'énergie dans des logements déjà isolés, ce qui justifie de concentrer les financements de travaux de rénovation « monogestes » sur ce type de logement. C'était d'ailleurs l'option qu'avait défendue Antoine Pellion, le Secrétaire général à la planification écologique, lors de son audition du 3 mai 2023 devant la commission d'enquête relative aux politiques de rénovation énergétique des logements : « Par conséquent, pour pouvoir atteindre notre objectif de 2030, il nous semble important, pour les logements qui sont d'ores et déjà raisonnablement isolés, de pouvoir changer plus vite uniquement le chauffage sans réaliser de rénovation plus performante. En cumulant un premier plan d'action qui consiste à changer rapidement les chauffages dans les logements classés de A à D et à effectuer la rénovation la plus performante possible sur le reste du parc, on parviendra à réorienter dans le bon sens l'effort de rénovation de nos logements. »47(*) Il convient toutefois de prendre garde aux effets de bords qui peuvent découler de cette interdiction, dans la mesure où le diagnostic de performance énergétique (DPE) n'est pas d'une fiabilité complète.

L'obligation de changer un système de chauffage pour bénéficier d'une aide du pilier « Efficacité » soulève en revanche de nombreuses questions. On peut en effet imaginer que des ménages souhaitent refaire l'isolation de parties ciblées (toiture, murs) de leur logement sans changer de système de chauffage ou s'engager dans une rénovation globale. Il serait absurde d'obliger ces ménages à passer par un accompagnateur Rénov, ou de choisir de changer en plus un système de chauffage. La forfaitisation des aides, qui est une caractéristique du parcours « Efficacité » par rapport au parcours « Performance » peut être utile pour d'autres travaux.

La crainte est que cette obligation soit inscrite dans le parcours « Efficacité » pour faire gonfler les chiffres de MaPrimeRénov' en termes d'économie d'émission de gaz à effet de serre et de nombre de dossiers traités. L'enjeu majeur des économies d'énergie pourrait à nouveau passer au second plan, et MaPrimeRénov' ne serait pas encore libérée de la « politique d'affichage » du nombre de dossiers traités.

En effet, la distinction entre les deux versants de MaPrimeRénov', le financement des rénovations globales et celui des travaux ponctuels, était nécessaire, mais cela ne dispense aucunement d'une réflexion sur les résultats et les objectifs de la prime de transition énergétique.

b) Les résultats de MaPrimeRénov' en termes d'économies d'énergie ne sont jusqu'à présent pas à la hauteur

Au premier abord, la baisse des financements de la prime de transition énergétique entre 2023 et 2024 pourrait étonner alors que le Gouvernement a annoncé à plusieurs reprises sa volonté de renforcer les aides à la rénovation énergétique. En réalité, outre l'annulation de crédits au profit des logements sociaux déjà mentionnée, la diminution des crédits provient du basculement des financements consacrés à la rénovation globale sur le programme 135.

Ainsi, en 2024, d'après le projet annuel de performances de la mission « Cohésion des territoires », 1,04 milliard d'euros en AE et en CP seront consacrés en subvention à l'ANAH pour la rénovation énergétique des logements privés, ce qui représente un quasi-triplement par rapport à la subvention de l'année dernière (368,9 millions d'euros en AE et en CP).

Toutefois, même s'il y a un rééquilibrage, la répartition des crédits reste encore nettement en défaveur de la politique de rénovation globale. Or MaPrimeRénov' dans son ensemble, mais en particulier le dispositif financé sur le programme 174, ne présente pas des résultats suffisants en termes de réduction de la consommation d'énergie pour atteindre les objectifs que s'est fixé le pays dans la promotion des bâtiments basse consommation (BBC).

La consommation énergétique du secteur résidentiel dans le scénario de rénovation dit « ABC », c'est-à-dire où 64 % des logements relevant des classes A ou B, et 33 % des logements relevant de la classe C, devrait être de 182 TWh/an. Atteindre ces objectifs suppose des économies d'énergie de l'ordre de 10,7 TWh/an par an. Face à cela, les estimations de gain aboutissent à des gains de l'ordre de 5 TWh/an, soit un peu moins de la moitié de ce qui est requis.

Économies d'énergies théoriques permises par les rénovations financées
par le programme « MaPrimeRénov' »

(en GWh/an)

 

2020

2021

2022

MaPrimeRénov'

973,92 

4328,30 

4197,12 

MaPrimeRénov'

Sérénité

647,86 

779,98 

666,52 

MaPrimeRénov'

Copropriétés

60,25 

104,62 

232,40 

Source : rapport de la commission d'enquête sur l'efficacité. Il s'agit d'un chiffrage réalisé par l'ANAH.

En outre, les économies présentées sont théoriques, c'est-à-dire qu'elles n'incluent pas les effets d'aubaine, le phénomène d'effet rebond (consommation accrue d'énergie résultant de la diminution des prix), et d'autres facteurs de variation. La comparaison avec d'autres méthodologies a révélé une surestimation possible de 10 à 15 % des économies d'énergie. Les économies d'énergie réelles sont donc possiblement moins importantes que celles présentées dans le tableau précédent.

Il faut également souligner que les résultats inférieurs de MaPrimeRénov' Sérénité et MaPrimeRénov Copropriétés en termes de volume de d'économies d'énergies totales doivent être rapportés aux nombres de dossiers financés. À cette aune, les gains d'énergies par logement sont nettement supérieurs pour MaPrimeRénov' Sérénité (19,53 MWh) comparé au dispositif de base de MaPrimeRénov' (6,68 MWh/an).

La question se pose donc de l'intérêt de maintenir autant de crédits sur le pilier « efficacité » par rapport au pilier « performance ». MaPrimeRénov' doit en effet être une véritable politique environnementale, et non pas une politique de soutien au pouvoir d'achat. La réorientation de MaPrimeRénov' sur les rénovations les plus performantes doit encore être poursuivie.

c) Le reste à charge des ménages limite encore fortement les rénovations globales

Le reste à charge des ménages reste un obstacle majeur à la réalisation de travaux de rénovations globales. À l'heure actuelle, le reste à charge pour les ménages très modestes est d'environ 45 % du coût des travaux, et il est de 58 % pour les ménages modestes. Il est courant qu'une rénovation complète d'un logement coûte 50 000 euros, ce qui laisse un reste à charge de 22 500 euros pour un ménage aux revenus très modestes. Un ménage de deux personnes est considéré comme « très modeste » lorsque ses revenus n'excèdent pas 23 734 euros48(*). Il est évident que ce reste à charge est prohibitif pour ces ménages.

L'augmentation des crédits pour la rénovation globale prévue par la réforme devrait avoir pour effet de réduire le reste à charge. Plus précisément, l'I4CE (Institut de l'économie pour le climat) estime que la restructuration de la prime conduirait à un reste à charge situé entre 10 et 20 % pour les ménages très modestes, et entre 25 et 35 % pour les ménages modestes.

Ces chiffres sont toutefois théoriques, et les barèmes de MaPrimeRénov' ne sont pas encore fixés. De plus, ils incluent à la fois la prime de transition énergétique et les certificats d'économie d'énergie. Même si la refonte prévoit un couplage des deux dispositifs, qui sera assuré par l'ANAH, leurs critères ne correspondent pas encore entièrement, et il n'est pas certain, en raison notamment de leur complexité, que les CEE soient délivrés systématiquement. Il conviendra donc de rester vigilant sur le reste à charge réel des ménages.

Au demeurant, il n'est pas souhaitable que le reste à charge pour les ménages modestes tombe à zéro. Une telle mesure conduirait à une explosion de la fraude à la rénovation énergétique, comme à l'époque où les « isolations à 1 euro » étaient proposées. Ces offres ont d'ailleurs, en théorie, pris fin au 1er juillet 2021 pour cette raison même.

Une solution est de promouvoir les prêts à la rénovation énergétique. L'éco-prêt à taux zéro pour la rénovation énergétique connaît une progression significative sur les dernières années (82 049 prêts ont été émis en 2022, contre 61 034 en 2021 et 42 107 en 2020), mais il touche majoritairement les ménages aisés. D'après une étude de la Société de gestion des financements et de la garantie de l'accession sociale (SGFGAS)49(*), les ménages qui relèvent des trois premiers déciles de revenus n'ont représenté que 3 % des bénéficiaires des éco-PTZ en 2021.

Le prêt avance rénovation (ou prêt avance mutation), qui comprend un prêt hypothécaire, sans mensualité et remboursable en une fois au moment de la mutation, pourrait en théorie remplir ce rôle. Ce prêt peine toutefois à trouver son public : à date de mai 2023, le nombre de prêts distribués était estimé à seulement une centaine. Les raisons de cet échec sont multiples. Les conditions d'accès au prêt sont restrictives (il est généralement nécessaire que le crédit hypothécaire accordé soit au premier rang), et l'obstacle psychologique, c'est-à-dire le sentiment que le prêt pourrait obérer la transmission du bien immobilier, n'est pas négligeable.

L'article 6 du présent projet de loi de finances vise à renforcer l'attractivité de ce prêt en lui accordant un taux zéro. Il conviendra de voir quels sont les effets de cette mesure.

3. La montée en puissance de MaPrimeRénov' suscite des doutes
a) La non-atteinte par MaPrimeRénov' de ses objectifs ne rassure pas quant à sa capacité à monter en puissance

La sous-exécution des crédits de MaPrimeRénov' en 2023 est révélatrice des difficultés que rencontre le dispositif dans sa montée en puissance. Entre le 1er janvier et le 31 mai 2023, on compte 243 000 dossiers ouverts, contre 260 000 sur une période identique en 2022.

En conséquence, les objectifs ne seront pas atteints en 2023. L'administration prévoit d'aboutir fin décembre à 550 000 rénovations environ, soit 76 % de l'objectif seulement (721 957).

Selon le ministre délégué aux comptes publics, cette consommation inférieure aux prévisions découle d'abord des tensions sur l'offre en matière de rénovation énergétique. Il déclarait ainsi, devant la commission des finances de l'Assemblée nationale : « Le rythme des rénovations n'a pas été aussi rapide que ce que nous souhaitions tous, en raison de l'augmentation des coûts des matériaux d'une part, et d'une forte demande et des difficultés de la filière à trouver des personnels formés pour conduire des rénovations d'autre part »50(*).

Il ne serait pas juste toutefois de rejeter la « faute » sur la filière. Les difficultés au niveau de l'offre découlent d'abord des hésitations du Gouvernement et du manque de prévision dans l'évolution des financements des aides à la rénovation énergétique. Le développement de ces filières est en effet très dépendant des aides publiques, en raison du manque de rentabilité à court et moyen termes des rénovations énergétiques. Or, il n'existe toujours pas de prévisions pluriannuelles pour MaPrimeRénov', malgré les nombreuses recommandations de missions et études portant sur la rénovation énergétique. Chaque année le budget est annoncé comme historique, mais faute de perspective de long terme, les artisans ne peuvent pas complètement s'engager.

Le manque d'offre est aussi la conséquence du manque d'attractivité du label RGE (« Reconnu garant pour l'environnement »), qui est obligatoire pour MaPrimeRénov' : les contraintes afférentes à la labellisation sont trop élevées pour les entreprises par rapport aux bénéfices qu'elles en retirent.

b) La « filière de l'escroquerie » à la rénovation énergétique est une menace réelle au développement de MaPrimeRénov'

Les dernières informations sur la fraude à la rénovation énergétique confirment la crainte qu'avait exprimée à plusieurs reprises le rapporteur spécial qu'en parallèle de MaPrimeRénov' se développe toute une « filière de l'escroquerie ».

Lors de la commission d'enquête sur l'efficacité des politiques de rénovation énergétique, Romain Roussel, sous-directeur industrie, santé et logement à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), avait ainsi déclaré que la rénovation énergétique est : « un des secteurs qui ressort le plus fortement avec plus de 10 000 plaintes enregistrées l'année dernière, qui génère de lourds contentieux ainsi que des difficultés d'une certaine gravité. Nous avons pu constater au fil des différentes enquêtes, intensifiées au fil des années, qu'il s'agissait d'un phénomène assez massif et difficile à endiguer, car il s'adapte à l'évolution des politiques publiques. »

La DGCCRF a réalisé une étude à partir de 36 000 inspections réalisées en 2021 et en 2022, au cours de laquelle il a été constaté un taux de non-conformité de 25 %. Le taux de conformité était de 50 %, et un quart ne pouvait pas être vérifié. Concernant les travaux non-conformes, les problèmes étaient souvent liés à la qualité de l'isolant utilisé, ainsi que l'absence de garantie sur la formation des personnes réalisant les travaux.

Ces escroqueries ont des conséquences très importantes sur la vie des victimes. Dans certains cas, elles peuvent se retrouver dans une situation de surendettement, en raison de crédits souscrits pour des travaux qui n'ont aucune efficacité énergétique.

Interrogée sur la question, l'ANAH a répondu qu'elle effectue des contrôles sur pièces pour l'ensemble des dossiers, et des contrôles aléatoires sur place pour une partie d'entre eux. En 2022, l'ANAH a effectué environ 40 000 contrôles, sur une base de 530 521 dossiers engagés51(*), ce qui représente un taux de contrôle de 8 %. Ce nombre n'est pas négligeable, mais il est loin d'atteindre le nombre de dossiers présentant des problèmes de non-conformité, que l'on peut évaluer par hypothèse à 132 631, sans compter les potentiels dossiers non-conformes parmi ceux qui n'ont pas pu être vérifiés.

Une augmentation des crédits consacrés à MaPrimeRénov', sans que les moyens dédiés à la lutte contre la fraude ne soient adaptés, peut conduire à une hausse des escroqueries, dont les conséquences sont dramatiques pour la confiance des ménages et qui peut considérablement réduire l'efficacité du dispositif financé par des crédits budgétaires de l'État. Le pilier « Efficacité », qui finance des changements de système de chauffage sans accompagnement requis, est particulièrement sujet à ce risque.


* 40 Deuxième rapport du Comité d'évaluation du plan France Relance, Inspection générale des finances et France Stratégie, décembre 2022, page 168.

* 41 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».

* 42 Article 164 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

* 43 Décret n° 2022-1035 du 22 juillet 2022 pris pour application de l'article 164 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

* 44 Arrêté du 21 décembre 2022 relatif à la mission d'accompagnement du service public de la performance énergétique de l'habitat.

* 45 Ce plafond est de 4 000 euros dans le cas d'une situation de traitement de l'habitat indigne et de précarité énergétique.

* 46 Une note du CLER - Réseau pour la transition énergétique (ex « Comité de liaison pour les énergies renouvelables), réalisée avec l'association négaWatt et datée de janvier 2023, situe ce seuil à 55°.

* 47 Extrait du compte-rendu du 4 mai 2023 de la commission d'enquête sur l'efficacité des politiques de rénovation énergétique.

* 48 Il s'agit du chiffre hors Île-de-France. Dans cette région, le plafond est 32 967 euros.

* 49 « Bilan statistique des éco-prêts émis en 2021 », SGFGAS.

* 50 Audition par la commission des finances de l'Assemblée nationale le 31 octobre 2023 de Thomas Cazenave, ministre délégué aux comptes publics, sur le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023.

* 51 Sur MaPrimeRénov' hors MaPrimeRénov' Sérénité et MaPrimeRénov' Copropriété.

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