N° 59

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 octobre 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi portant amnistie des faits commis à l'occasion de mouvements sociaux et d'activités syndicales et revendicatives,

Par M. Jean-Michel ARNAUD,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Philippe Bonnecarrère, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, M. Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Sénat :

926 (2022-2023) et 60 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

La proposition de loi présentée par Cathy Apourceau-Poly, Eliane Assassi, Laurence Cohen et plusieurs sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste - Kanaky tend à prévoir l'amnistie des faits commis à l'occasion de mouvements sociaux et d'activités syndicales et revendicatives. Elle rejoint une volonté ancienne des sénateurs membres de ce groupe de consacrer une « amnistie sociale »1(*).

La commission a considéré que ce texte, qui prévoit une amnistie définie de manière particulièrement large, était de nature à emporter des conséquences allant bien au-delà de l'intention de ses auteurs. Plus fondamentalement, elle a considéré que les garanties entourant l'action publique et les procédures relatives aux mesures disciplinaires touchant les salariés, fonctionnaires, étudiants et élèves permettent de prendre en compte de manière adéquate et proportionnée les événements survenus à l'occasion de conflits sociaux ou d'actions revendicatives et qu'une amnistie générale serait inadaptée.

En conséquence, à l'initiative de son rapporteur, Jean-Michel Arnaud, la commission des lois a rejeté la proposition de loi.

I. UN RECOURS À L'AMNISTIE DE PLUS EN PLUS RÉDUIT

A. UN MÉCANISME À LA MAIN DU LEGISLATEUR UTILISÉ POUR DES FINALITES DIVERSES

Le quatrième alinéa de l'article 34 de la Constitution dispose qu'appartient au domaine de la loi : « la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ; la procédure pénale ; l'amnistie (...) ». Comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel, « sur le fondement de ces dispositions le législateur peut enlever pour l'avenir tout caractère délictueux à certains faits pénalement répréhensibles, en interdisant toute poursuite à leur égard ou en effaçant les condamnations qui les ont frappés »2(*).

Les effets de l'amnistie sont définis aux articles 133-9 à 133-11 du code pénal. L'article 133-9 dispose que : « L'amnistie efface les condamnations prononcées. Elle entraîne, sans qu'elle puisse donner lieu à restitution, la remise de toutes les peines. Elle rétablit l'auteur ou le complice de l'infraction dans le bénéfice du sursis qui avait pu lui être accordé lors d'une condamnation antérieure ». L'article 133-10 prévoit par ailleurs que l'amnistie ne « préjudicie pas au tiers » ; ainsi, si la juridiction de jugement a été saisie de l'action publique avant la publication de la loi d'amnistie, cette juridiction reste compétente pour statuer, le cas échéant, sur les intérêts civils.

Les lois d'amnistie peuvent poursuivre deux finalités principales3(*). L'une est le retour à la paix civile ou l'apaisement des passions après des périodes de troubles particulièrement déstabilisatrices. L'amnistie tend, ainsi, par l'extinction de l'action publique et la libération des personnes détenues à permettre le retour de tous à la vie civile. C'était, par exemple, le but de la loi du 10 janvier 1990 portant amnistie d'infractions commises à l'occasion d'événements survenus en Nouvelle-Calédonie4(*) dont le garde des Sceaux Pierre Arpaillange indiquait lors de la présentation du projet au Sénat qu'il constituait « une étape importante du processus de règlement d'un grave conflit qui a trop longtemps endeuillé la Nouvelle-Calédonie »5(*). La seconde finalité est le désengorgement des juridictions de contentieux de masse considérés comme de faible importance. C'est dans ce sens que peuvent être interprétées les lois d'amnistie longtemps votées après les élections présidentielles sous la Vème République.


* 1 Intitulé du texte n° 365 (2002-2003) de Nicole Borvo Cohen-Seat et plusieurs de ses collègues, déposé au Sénat le 24 juin 2003. Cette volonté a notamment conduit au dépôt de la proposition de loi portant amnistie des faits commis à l'occasion de mouvements sociaux et d'activités syndicales et revendicatives adoptée par le Sénat le 27 février 2013 mais rejetée par l'Assemblée nationale.

* 2 Décision n° 89-265 DC du 9 janvier 1990.

* 3 Des mesures d'amnistie ont par ailleurs été prises dans certains textes au moment d'évolutions importantes du droit ainsi l'article 19 de la loi n° 90-55 du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques.

* 4 Loi n° 90-33 du 10 janvier 1990 portant amnistie d'infractions commises à l'occasion d'événements survenus en Nouvelle-Calédonie.

* 5 Séance du 12 décembre 1989, JO Sénat p. 4828.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page