LE CADRE DE WINDSOR : UN ACCORD ÉQUILIBRÉ PRÉVOYANT DES ASSOUPLISSEMENTS DANS LA MISE EN oeUVRE DU PROTOCOLE ET ASSORTI DE GARDE-FOUS
Après des mois de négociations, le Premier ministre britannique et la présidente de la Commission européenne ont finalement annoncé, le 27 février 2023, la conclusion d'un accord sur les dispositions du protocole nord-irlandais, dit cadre de Windsor.
Cet accord prévoit d'alléger les contrôles douaniers, sanitaires et phytosanitaires imposés aux marchandises provenant de Grande-Bretagne et entrant en Irlande du Nord mais non destinées à être exportées en Irlande, c'est-à-dire dans l'Union européenne. Il prévoit ainsi l'instauration d'une « voie verte » avec des formalités réduites pour les marchandises britanniques à destination exclusive de l'Irlande du Nord. Concrètement, les produits arrivant de Grande-Bretagne vers l'Irlande du Nord pour y rester ne seront plus soumis aux mêmes contrôles que ceux voués à être ensuite exportés vers la République d'Irlande, c'est-à-dire vers l'Union européenne.
En contrepartie, l'Union européenne a obtenu des procédures renforcées de surveillance du marché et des biens - avec la construction par le Royaume-Uni d'installations sanitaires et phytosanitaires, l'accès aux données douanières britanniques et l'étiquetage approprié des marchandises (« non destiné à l'UE ») - ainsi que la possibilité de suspendre ces facilités en cas de manquements aux nouvelles dispositions.
Le cadre de Windsor prévoit également un rôle accru du Parlement d'Irlande du Nord en cas d'évolutions règlementaires européennes risquant de créer des divergences trop fortes au sein du marché irlandais, avec la création du « Stormont Brake » (ou frein de Stormont). Ce mécanisme, à disposition du Parlement nord-irlandais, doit permettre à 30 de ses membres de demander au gouvernement britannique de mettre un terme à l'application en Irlande du Nord de dispositions modifiées ou remplaçant certaines dispositions du droit de l'Union listées dans le protocole, selon des conditions très précises (cf. encadré infra).
LES PRINCIPAUX ÉLÉMENTS DU CADRE DE
WINDSOR :
DES CONCESSIONS FAITES AUX BRITANNIQUES EN ÉCHANGE DE
GARDE-FOUS
AU BÉNÉFICE DE L'UNION
EUROPÉENNE
Le cadre de Windsor a introduit un assouplissement des exigences initiales du protocole nord-irlandais, tout en mettant en place des garanties et mesures de sauvegarde :
1. En matière douanière : l'Union européenne a consenti à une extension du modèle des « opérateurs de confiance », constituant une réduction drastique des déclarations et contrôles pour des entreprises/exportateurs certifiés qui exportent en Irlande du nord des biens « non risqués » (not for EU). Toutefois, aucune réduction des contrôles n'a été mise en place pour les biens « à risque », c'est-à-dire ceux susceptibles d'être réexportés hors d'Irlande du Nord. En contrepartie, l'Union européenne a notamment obtenu un accès en temps réel aux données douanières du flux Grande-Bretagne/Irlande du Nord, ainsi qu'une surveillance par l'équipe de l'Union européenne à Belfast.
2. Contrôles sanitaires et phytosanitaires (SPS) : le cadre de Windsor a introduit des simplifications administratives pour les biens destinés à la consommation en Irlande du nord, ainsi que des simplifications pour les animaux domestiques. Certains produits interdits pour l'importation seront acceptés en Irlande du Nord s'ils viennent d'importateurs autorisés (ex : semences de pomme de terre, plantes). En réponse à ces assouplissements, le Royaume-Uni a accepté la construction de centres d'inspection SPS dans les ports d'arrivée en Irlande du Nord, ainsi que le partage des données douanières et SPS, et la mise en place d'un étiquetage « not for EU » pour les marchandises agroalimentaires vendues en Irlande du Nord.
3. TVA et droits d'accise : l'Union européenne a accepté des règles dérogatoires au régime de l'UE en Irlande du Nord concernant l'application de la réglementation relative à la TVA et aux droits d'accises, avec une TVA inférieure au minimum fixé par l'UE pour les biens « non-amovibles ». En contrepartie, l'Union européenne a obtenu un contrôle des effets de ce régime fiscal sur le marché intérieur et la possibilité de réversibilité des mesures.
4. Aides d'État : le cadre de Windsor a permis un assouplissement des règles d'application de la réglementation de l'UE en matière d'aides versées par le Royaume-Uni à des opérateurs d'Irlande du Nord. Le Royaume-Uni ne sera tenu de respecter les règles européennes que si les subventions ont un impact réel et prévisible sur les échanges entre l'Irlande du Nord et l'UE. En contrepartie, l'UE a demandé un contrôle des effets de ces aides sur le marché intérieur et une possibilité de réversibilité des mesures.
5. Contingents tarifaires : le nouvel accord prévoit que des marchandises provenant de pays tiers et importées par le Royaume-Uni en Irlande du Nord ne soient pas imputées sur le quota britannique prévu auprès de l'UE. Cela concerne uniquement l'acier dans un premier temps. Toutefois, l'accord introduit un contrôle des effets sur le marché intérieur et la réversibilité des mesures si en fait ces marchandises pénétraient ensuite le marché intérieur. Une extension de ces mesures à d'autres catégories de produits pourra être étudiée, de manière progressive et justifiée.
6. Médicaments : l'UE a accepté l'application de la règlementation britannique (autorisations de mise sur le marché) pour les médicaments exportés du Royaume-Uni vers l'Irlande du Nord. En contrepartie, elle a imposé une règle d'emballage spécifique sur lequel figure la mention « UK only » ainsi que des audits et inspections à réaliser par le Royaume-Uni avec une possible suspension unilatérale par l'UE.
7. Reprise dynamique de l'acquis communautaire : la règle initiale prévue à l'article 13-4 du protocole prévoit la transposition par le comité mixte3(*) des actes de l'Union pertinents au sein des annexes du protocole et la possibilité de prendre des mesures correctives en l'absence de transposition. L'accord de Windsor apporte un assouplissement à cette règle avec la création du « frein de Stormont », qui permet au Royaume-Uni de ne pas appliquer, de manière unilatérale, une disposition modifiant ou remplaçant une règlementation européenne. Dans ce cas, la règlementation préalable demeure applicable. L'UE a néanmoins mis en place des préconditions strictes : (i) saisine par 30 parlementaires de Stormont sur 90, représentant au moins 2 partis politiques ; (ii) justification par le Royaume-Uni de sa volonté de non-respect d'une réglementation européenne, si celle-ci a un « impact significatif, spécifique et durable, sur la vie quotidienne des communautés d'Irlande du nord »; (iii) des circonstances exceptionnelles et en dernier ressort ; en cas de différends, possibilité in fine pour l'UE de prendre des mesures correctives appropriées ; (iv) champ d'application restreint, hors TVA, aides d'État et énergie (pour lesquels la reprise dynamique de l'acquis communautaire continue à s'appliquer).
8. Rôle de la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) : il n'est pas modifié dans le texte, mais les déclarations politiques accompagnant la conclusion du cadre de Windsor rappellent la nécessité d'épuiser toutes les voies de conciliation amiables au préalable afin que la CJUE demeure une juridiction d'appel, en dernier recours.
Source : d'après les informations fournies par le Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE)
L'adoption du cadre de Windsor a ainsi permis un renouveau dans les relations entre le Royaume-Uni et l'UE, dont les liens ont été mis à mal par des mois d'opposition et de tensions. À cette occasion, le Royaume-Uni a officiellement abandonné son projet de loi visant à démanteler le protocole nord-irlandais, tandis que la Commission européenne a mis en suspens ses procédures d'infraction.
Néanmoins, ce compromis n'a - pour le moment - pas permis de mettre fin aux tensions politiques en Irlande du Nord, toujours confrontée au blocage des institutions de la part des unionistes du Democratic Unionist Party (DUP).
C'est ce blocage que le sénateur Pierre Laurent et plusieurs de ses collègues du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE), ont tenu à dénoncer en déposant la proposition de résolution européenne (PPRE) n° 657 (2022-2023), invitant le Gouvernement à agir au niveau européen et international pour appuyer la relance du processus de paix et de réconciliation entamée par l'accord de paix pour l'Irlande du Nord.
* 3 Constitué de représentants européens et britanniques, le comité mixte veille à garantir l'application de l'accord de retrait conclu entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.