II. LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX PORTENT SUR CE NOUVEAU DÉRAPAGE BUDGÉTAIRE

1. Mettre fin au « Yo-Yo budgétaire » en agissant contre le sous-dimensionnement structurel de la programmation initiale de la mission agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales (AAFAR)

Le programme 149 a bénéficié de près de 1,78 milliard d'euros en AE et de 1,52 milliard d'euros en CP, soit respectivement 100,2 % et 100,9 % des crédits prévus initialement. 78 % des ouvertures de crédits réalisées en lois de finances rectificatives sont venus abonder ce programme.

290,96 millions d'euros en AE et 307,37 millions d'euros en crédits de paiement n'ont toutefois pas été consommés sur ce programme et ont fait l'objet d'un report pour 2023, mais l'exécution excède de près de 1,5 milliard d'euros les prévisions faites en loi de finances initiale (soit 2,5 fois le dépassement déjà constaté entre la LFI pour 2021 et l'exécution constatée en 2021, qui s'était élevé à 600 millions d'euros).

Cette exécution résulte d'une sous-programmation structurelle des besoins d'accompagnement d'exploitations de plus en plus systématiquement confrontées aux effets des aléas climatiques, sous-programmation qui met sous tension le programme 149 depuis 2018.

En effet, les dotations initiales ont de nouveau été insuffisantes pour faire face aux conséquences des aléas climatiques (sécheresse, gel tardif, épisodes de grêle) et financer le fonds national de gestion des risques agricoles (FNGRA). Le coût des indemnisations dues aux exploitants agricoles pour l'année 2022 a, comme en 2021, très largement dépassé les ressources dont dispose le Fond national de gestion des risques en agriculture (FNGRA), contraignant l'État à abonder le fonds en fin d'année à hauteur de 250 millions d'euros (après déjà un abondement supplémentaire en cours de gestion de 480 millions d'euros en 2021 et 150 millions d'euros en 2020).

Les rapporteurs spéciaux considèrent que les aléas climatiques et les maladies animales à répétition sont devenus des caractéristiques pérennes à prendre en compte dans les prévisionnels budgétaires du MASA. Certes, leur nature évoluera, mais leur ampleur est structurellement et volontairement sous-évaluée, ce qui ne peut être accepté de la part de décideurs politiques dont le sens de l'anticipation doit finalement être la principale qualité. Ils plaident pour une réévaluation des programmes 149 et 206 en LFI pour 2024 à hauteur de la moyenne constatée des trois derniers exercices afin de mettre un terme à ce qu'il convient de qualifier de « Yo-Yo budgétaire ».

Dans la même optique, ils sont particulièrement attentifs à la mise en oeuvre de la réforme introduite par la loi n° 2022-298 du 2 mars 2022 d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture, et aux crédits qui y seront consacrés en 2024.

2. Une exécution budgétaire marquée par les crises à répétition qu'il faut apprendre à intégrer dans le prévisionnel budgétaire

Les exploitants agricoles viennent de connaître deux années particulièrement difficiles en raison des crises à répétition. Les rapporteurs spéciaux ne mésestiment pas la difficulté à anticiper la fréquence et l'ampleur des conséquences budgétaires de ces crises. Toutefois, ils ont le sentiment que les évaluations budgétaires initiales du ministère sont sous-dimensionnées au regard d'un contexte objectivement amené à se durcir.

L'année 2021 avait en effet déjà été marquée par la multiplication de crises aux lourdes conséquences pour le secteur agricole : outre la pandémie de Covid-19, les agriculteurs ont été frappés par l'influenza aviaire, la jaunisse de la betterave et plusieurs épisodes climatiques dont le plus marquant fut sans doute le gel d'avril 2021.

L'année 2022 a malheureusement été caractérisée par l'intensification de cette tendance. L'épidémie d'influenza aviaire a redoublé d'intensité, provoquant un véritable effondrement de la filière « volailles », l'attaque russe en Ukraine à partir de février 2022 a déséquilibré plusieurs cours mondiaux se répercutant in fine sur les agriculteurs français (cours du blé, de l'énergie, hausse coût des exportations, etc.) et enfin les aléas climatiques se sont multipliés : incendies et sécheresse et épisodes multiples de grêle et de gel qui ont été jusqu'à déstabiliser certains des secteurs les plus solides comme la viticulture.

Cette situation explique la hausse importante des crédits ouverts dans le cadre du programme 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation ».

En 2022, les dépenses du programme ont augmenté de 30 % par rapport à celles constatées en 2021, l'exécution des crédits ayant conduit à adopter des ajustements significatifs par rapport à l'autorisation budgétaire initiale.

Plusieurs maladies ont eu un impact budgétaire important sur l'exécution 2022, au premier rang desquelles l'Influenza aviaire.

Les menaces sanitaires sont extrêmement vives et les risques tendent à se concrétiser, comme l'ont montré une série d'événements retentissants ces dernières années, les infections à plus bas bruits demeurant tout à fait ordinaires. La multiplication de foyers importants de maladies animales ou végétales s'est reproduite en 2022 : parmi les plus redoutables, on citera la tuberculose bovine, la brucellose qui peut se propager de l'animal à l'être humain, la salmonelle en élevage avicole ainsi que plusieurs foyers de capricorne asiatique actifs dans le domaine végétal.

3. Adapter les travaux de la commission des comptes de l'agriculture de la Nation au calendrier parlementaire

Les crédits de la mission AAFAR correspondent à une partie seulement des concours publics à l'agriculture, à la forêt et à la pêche2(*).

L'examen du projet de loi de règlement devrait offrir l'occasion d'appréhender au plus près la contribution de la mission aux concours publics soutenant in fine les revenus agricoles, objectif d'autant plus légitime que les dépenses de la mission sont, pour une part prépondérante, la contrepartie nationale d'interventions européennes.

Or, cette information n'est pas rendue disponible dans le rapport annuel de performances de la mission annexé au projet de loi de règlement. Les délais de confection des comptes nationaux agricoles sont en cause. À la date d'examen du projet de loi de règlement, seuls sont disponibles les comptes prévisionnels de l'agriculture publiés en décembre 20223(*).

Les rapporteurs spéciaux réitèrent, comme chaque année, leur demande que la commission des comptes de l'agriculture de la Nation puisse tenir compte du calendrier d'examen parlementaire des opérations budgétaires sur crédits nationaux pour organiser ses travaux. Il conviendra d'exposer les résultats de ces travaux dans les rapports de performances annexés aux projets de loi de règlement.

Dans ce contexte, l'évaluation publiée par la Cour des comptes dans sa note d'exécution budgétaire fournit un point de repère. La Cour y précise que les caractéristiques des années précédentes (la première source de soutien provient du budget européen et les dépenses sur crédits de la mission AAFAR sont depuis quelques années largement devancées par le total constitué des dépenses fiscales et des allégements de cotisations sociales) se confirment en 2022.

4. Les coûts contenus des fonctions support se font au prix du report de la mise en oeuvre de certaines actions et des transferts de compétences

Le programme 215 semble faire figure d'exception au sein de la mission. Il est le seul à ne pas être caractérisé par les dérapages budgétaires en cours de gestion entre la LFI et l'exécution finale. Certes, les crédits votés en loi de finances initiale ont dû être réévalués à hauteur de 19 millions d'euros en AE et 10 millions d'euros en CP. Les reports de 2021 sur 2022 ont représenté 16 millions d'euros en AE et 7 millions d'euros en CP. Par ailleurs, la Cour des comptes souligne qu'ils ont été « complétés par des fonds de concours à hauteur de 7 millions d'euros en AE et CP au titre de l'assistance technique du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) et des études statistiques ».

Ces modifications infra-annuelles sont d'avantage objectivées par le ministère que celles concernant les deux autres programmes. En effet, l'exécution budgétaire a été marquée par un contexte défavorable que connaît tout le secteur des travaux et des prestations de service et qui expliquent une majoration du coût de certaines opérations.

En revanche, ces majorations apparaissent artificiellement compensées sur l'exercice 2022 par des reports d'opérations, choisis ou subis, parmi lesquels :

- le report du projet du pôle agriculture à Maisons-Alfort pour 4,7 millions d'euros en AE et 8,3 millions d'euros en CP ;

- le report de projets informatiques pour 7,6 millions d'euros en AE et 7,5 millions d'euros en CP non consommés (d'autant plus dommageable à terme que seule une meilleure modélisation informatique permettra au MASA de progresser en termes de prévisions) ;

- l'ouverture tardive de fonds de concours finalement non consommés en 2022, représentant 2,5 millions d'euros en AE et en CP ;

- des annulations de crédits en loi de finances rectificative (5 millions d'euros en AE et CP hors titre 2) en l'absence de dégel de la réserve de précaution (4,5 millions d'euros en AE et 4,1 millions d'euros en CP) et de moindres dépenses sur les frais judiciaires.

Le tableau suivant récapitule cette apparente maîtrise des moyens généraux en 2022 du programme 215, qui semble devoir être soulignée comparativement à ce qui peut être constaté dans les deux autres programmes, au prix toutefois d'un jeu sur les réalisations reportées :

Crédits du programme 215, hors titre 2, en 2022

(en millions d'euros)

 

Crédits LFI

Crédits ouverts

Crédits consommés

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Action 1 - Moyens de l'administration centrale

30,09

25,58

31,03

27,28

32,45

29,01

Action 2 - Évaluation

4,25

4,35

5,84

6,09

5,30

5,23

Action 3 - Moyens directions régionales

7,36

7,56

12,62

14,72

9,98

11,51

Action 4 - Moyens communs

45,08

38,58

56,05

38,09

33,92

29,52

Total

86,78

76,07

105,54

86,18

81,65

75,27

Source : Cour des comptes, d'après les données du MASA

S'agissant des emplois et de la masse salariale, la maitrise des coûts a également a été rendue possible par le report de la mise en oeuvre de certaines actions.

À la suite de la demande des autorités britanniques visant à reporter une partie de l'activité de certification à l'export, le MASA a procédé, dans l'attente d'une clarification par les instances européennes, au gel des 20 ETP correspondant aux derniers recrutements prévus pour septembre 2022. En outre, les créations d'emplois initialement fléchés au titre de la création d'une police unique de la sécurité sanitaire des aliments (SSA) ont été abandonnées en 2022 La mise en oeuvre progressive de cette police unique, désormais intégralement sous la responsabilité du MASA, s'est opérée début 2023. Elle a mis fin à la gestion partagée entre la direction générale de l'alimentation (DGAL) et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), pour faire suite aux recommandations émises par la mission inter-inspections menée par l'inspection générale des finances (IGF), l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), l'inspection générale de l'administration (IGA) et le conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAER) sur l'organisation du contrôle de la sécurité sanitaire des aliments.

Le schéma d'emplois du programme 215 est d'autant plus maîtrisé qu'il ne tient pas encore compte des impacts en emplois du transfert aux conseils régionaux de l'instruction des mesures hors surfaciques de la programmation de la PAC depuis le début de l'année 2023.

Enfin, s'agissant du programme 206, les rapporteurs spéciaux prennent acte du report sur 2023 de plusieurs recrutements prévus en 2022, en particulier le gel de 20 recrutements « Brexit » et l'abandon de 45 créations d'emplois initialement prévues au titre de la sécurité sanitaire des aliments.


* 2 Il faut ajouter aux dépenses sur crédits nationaux les dépenses sur crédit européen notamment de la politique agricole commune (PAC) et de la politique commune des pêches (PCP) , les dépenses fiscales et les dépenses sociales non compensées à partir de la mission.

* 3 Le document est consultable à l'adresse :

https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/download/publication/publie/Dos2203/CCAN-2022-3_d%C3%A9cembre2022_VersionD%C3%A9fnitive.pdf.