II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2022, le rapporteur spécial avait souligné quatre points de vigilance :

1. les difficultés de recrutement du ministère, en dépit des cibles ambitieuses qu'il s'est fixé en la matière ;

2. les retards dans les dépenses immobilières, source d'importants reports en AE et de restes à payer élevés ;

3. le déploiement du plan de transformation numérique de la justice, un projet de grande ampleur au suivi parfois difficile ;

4. le manque d'évaluation de l'efficacité des dépenses supplémentaires engagées depuis 2018.

L'examen du projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes 2022 est l'occasion de dresser un bilan sur chacun de ses aspects, d'autant plus que 2022 constitue la dernière année de programmation au titre de la loi de programmation 2018-2022.

A. UNE ANNÉE MARQUÉE PAR L'ENGAGEMENT DE PROJETS DE GRANDE AMPLEUR

1. Un premier rattrapage des retards constatés sur l'immobilier pénitentiaire

Le programme 107 « Administration pénitentiaire » se distingue par une très forte augmentation des AE, de 46,5 % par rapport à 2021. Deux facteurs expliquent cette évolution.

D'une part, la passation des marchés de gestion déléguée d'une quarantaine d'établissements pénitentiaires a été reportée de 2021 à 2022, ce qui avait obligé le ministère à annuler des crédits à hauteur de 1,47 milliard d'euros en 2021. La nouvelle génération de ces marchés, les « MGD 21 », devait en effet prendre le relais des « MGD 15 » au 1er janvier 2022 pour une période de sept ans. Les retards constatés avaient toutefois conduit le ministère à prolonger les contrats de six mois et l'intégralité des AE nécessaires pour engager les MGD 21 avait fait l'objet d'un report dans la loi de finances initiale pour 2022.

D'autre part, 2022 a marqué l'engagement d'une première phase de rattrapage des retards constatés en 2020 et en 2021 sur les projets de l'immobilier pénitentiaire, notamment dans le cadre du plan de création de 15 000 places de détention supplémentaires. C'est d'ailleurs pour mieux comprendre et pour analyser ces retards que la commission des finances a confié au rapporteur spécial un contrôle budgétaire sur la mise en oeuvre de ce plan. Il sera impératif, pour la suite de la mise en oeuvre du « plan 15 000 », d'assurer un suivi plus fin des crédits.

Pour mémoire, sur une cinquantaine d'établissements devant être livrés d'ici 2027, la moitié devrait l'être pour 2024, après 3 établissements livrés en 2022 (360 places) et 10 en 2021 (1 958 places). Au total, 2 441 places nettes (3 951 brutes) ont été créées fin 2022, contre un objectif initial de 7 000 places. Au regard de ces retards et de la dynamique des incarcérations, il semble d'ores et déjà acté que l'un des objectifs de ce programme, à savoir un taux d'encellulement individuel de 80 % à horizon 20276(*), ne sera pas atteint.

2. Des restes à payer qui poursuivent leur augmentation

Les restes à payer poursuivent leur hausse, pour atteindre 9,9 milliards d'euros à la fin de l'année 2022, soit une augmentation de plus d'un quart par rapport à 2021. Ils sont principalement dus aux opérations immobilières (administration pénitentiaire comme tribunaux judiciaires) et aux marchés de gestion déléguée MGD 21.

3. La dernière année du premier plan de transformation numérique de la justice

L'année 2022, en plus d'être la dernière de la loi de programmation 2018-2022, est également la dernière année de mise en oeuvre du premier plan de transformation numérique de la justice (PTN), même si certains des projets ne sont pas terminés et se poursuivront.

La hausse des CP exécutés sur le programme 350 « Conduite et pilotage de la politique de la justice », la plus importante des programmes de la mission (+ 17 %), s'explique ainsi principalement par les dépenses informatiques. Le premier PTN devait être doté de 530 millions d'euros sur cinq ans, consacrés à trois axes : l'adaptation du socle technique et des outils de travail, les évolutions des applicatifs et le soutien aux utilisateurs.

En application du 2° de l'article 58 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), la commission des finances du Sénat avait demandé à la Cour des comptes de réaliser une enquête sur la mise en oeuvre du PTN. Le rapporteur spécial invite à se reporter à ses conclusions sur les travaux de la Cour7(*) pour davantage de détails sur les constats et les propositions énoncés dans ce cadre. Le principal enjeu demeure celui du pilotage des crédits : la Cour des comptes avait admis dans son enquête ne pas être en mesure ni d'évaluer le coût global du premier PTN ni de retracer l'ensemble des applications développées en interne.

Un deuxième PTN a été lancé pour les années 2023 à 2028. Au regard des constats dressés sur le premier PTN, deux axes de travail apparaissent prioritaires : le suivi précis des crédits engagés et la plus grande implication des personnels dans le développement des applicatifs. Pour le rapporteur spécial, si le premier PTN était avant tout un plan de rattrapage du ministère, le deuxième PTN doit être celui de la modernisation du ministère.


* 6 L'article 190 de la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023 a prorogé le moratoire sur l'encellulement individuel du 31 décembre 2022 au 31 décembre 2027.

* 7 Rapport n° 402 (2021-2022) - 26 janvier 2022, pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur le plan de transformation numérique de la justice, par M. Antoine Lefèvre, au nom de la commission des finances.