III. UN PLAN D'ACTION AUX CONSÉQUENCES SOCIO-ÉCONOMIQUES PARTICULIÈREMENT NÉFASTES ET MANIFESTEMENT MAL ÉVALUÉES PAR LA COMMISSION
A. UNE INTERDICTION AUX CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DÉVASTATRICES POUR LES FILIÈRES HALIEUTIQUES FRANÇAISES ET EUROPÉENNES
L'interdiction des arts traînants dans les zones marines protégées entraînerait une diminution brutale de l'activité de pêche dans certaines régions ; en effet, selon les données du CSTEP à l'échelle de l'Union européenne, plus d'un cinquième de l'effort de pêche a lieu annuellement dans les aires marines protégées, cette activité concourant à hauteur de 15,9 % aux volumes débarqués chaque année.
Activités de pêche dans les aires
marines protégées
au sein de l'Union européenne sur la
période 2017-2019
(en % du total)
Jours de pêche |
Volumes débarqués |
Valeur débarquée |
|
Navires supérieurs à 12 mètres |
21,3 % |
14,1 % |
19,3 % |
Navires inférieurs à 12 mètres |
22,5 % |
31,2 % |
28,4 % |
Tous navires confondus |
21,6 % |
15,9 % |
20,0 % |
NB : le tableau ne prend pas en compte les données du Royaume-Uni.
Source : commission des affaires européennes, à partir des données de l'avis du CSTEP
La « petite pêche » (c'est à dire les navires de moins de 12 mètres) opère proportionnellement davantage dans les aires marines protégées que la « grande pêche » (c'est à dire les navires de plus de 12 mètres), puisque l'activité de pêche y représente 31,2 % des volumes débarqués, contre 14,1 % pour la grande pêche. Il y a donc tout lieu de croire que la pêche artisanale serait touchée de plein fouet par une interdiction des arts traînants dans les zones marines protégées.
En parallèle, cette mesure pénaliserait davantage les États comptabilisant un nombre élevé de zones Natura 2000 et de zones marines protégées, au premier rang desquels figurent l'Allemagne, la Belgique et la France. En effet, selon Eurostat, en 2020, le réseau Natura 2000 couvrait 45,7 % des eaux allemandes, 36,8 % des eaux belges et 30,8 % des eaux françaises.
Zones marines Natura 2000 en 2020
Source : Eurostat.
Selon les informations communiquées au rapporteur, les aires marines protégées dans leur ensemble représenteraient environ 44 % de la zone économique exclusive de la France.
Par conséquent, l'effort de pêche dans les zones marines protégées est particulièrement important en France, où il s'élève à 35,92 % des jours de pêche pour la petite pêche et 31,2 % pour la grande pêche.
Activités de pêche dans les aires marines protégées par pays en 2019
(en %)
Jours de pêche |
Volumes débarqués |
Valeur débarquée |
||||
>12 m |
<12m |
>12 m |
<12m |
>12 m |
<12m |
|
Belgique |
15,92 |
0 |
8,03 |
0 |
8,01 |
6,84 |
Bulgarie |
19,39 |
14,16 |
18,35 |
15,29 |
18,65 |
15,6 |
Chypre |
0 |
0 |
0 |
0 |
||
Allemagne |
46,2 |
33,52 |
28,68 |
26,2 |
30,65 |
28,16 |
Danemark |
20,76 |
23,74 |
10,96 |
18,24 |
14,46 |
23,1 |
Espagne |
21,68 |
12,74 |
23,4 |
22,85 |
23,9 |
23,52 |
France |
31,18 |
35,92 |
21,36 |
38,92 |
24,66 |
32,87 |
Grande-Bretagne |
1,48 |
0,24 |
1,64 |
0,21 |
1,69 |
0,25 |
Grèce |
14,68 |
19,56 |
15,22 |
19,59 |
14,74 |
18,74 |
Croatie |
17,96 |
26,92 |
14,74 |
23,78 |
14,17 |
23,06 |
Irlande |
2,15 |
12,2 |
1,89 |
12,94 |
2,31 |
11,92 |
Italie |
12,69 |
|
9,81 |
- |
||
Lituanie |
2,44 |
|
1,77 |
1,63 |
||
Lettonie |
5,83 |
61,32 |
5,89 |
62,07 |
3,24 |
62,19 |
Malte |
6,41 |
|
17,54 |
18,06 |
||
Pays-Bas |
19,68 |
22,36 |
17,45 |
18,68 |
14,18 |
17,28 |
Pologne |
29,81 |
88,33 |
16,2 |
88,24 |
18,42 |
88,13 |
Portugal |
27,64 |
18,55 |
34,69 |
18,52 |
27,94 |
23,16 |
Roumanie |
19,53 |
|
19,4 |
19,44 |
||
Slovénie |
6,69 |
6,68 |
6,69 |
6,68 |
6,69 |
6,69 |
Suède |
9,45 |
9,12 |
5,62 |
6,89 |
9,46 |
7,95 |
Source : commission des affaires européennes, à partir des données de l'avis du CSTEP
Si la France serait donc proportionnellement plus affectée que la plupart des autres États de l'Union européenne par la mise en oeuvre du plan d'action, elle le serait également en valeur absolue, puisque l'effort de pêche et les volumes débarqués par la flotte française figurent parmi les plus élevés de l'Union européenne.
En pratique, chaque année, plus de 23 000 tonnes de poissons sont pêchés par les navires français de moins de 12 mètres dans les zones protégées, soit 38,9 % des volumes débarqués, pour un total de 28,7 millions d'euros, soit 32,9 % de la valeur débarquée. Tous navires confondus, la pêche française dans les zones marines protégées représente plus de 56 000 tonnes de poissons et 138 millions d'euros.
Activités de pêche dans les aires marines protégées en France en 2019
Effort de pêche (en nombre de jours en mer et en % de l'effort de pêche total) |
Volumes débarqués (en tonnes et en % du volume débarqué total) |
Valeur débarquée (en millions d'euros et en % de la valeur débarquée totale) |
|
Navires supérieurs à 12 m |
29 856 |
28 927 |
101,6 |
Navires inférieurs à 12 m |
22 681 |
23 831 |
28,7 |
Tous navires confondus |
54 415 |
56 109 |
138,6 |
Source : commission des affaires européennes, à partir des données de l'avis du CSTEP.
Il semble en revanche plus délicat d'évaluer la part des arts traînants dans l'effort de pêche au sein des différentes zones marines protégées, cette proportion fluctuant sensiblement selon les régions. À l'échelle nationale, les différents engins de pêche de fond représentent 36 % des quantités pêchées pour 28 % des jours en mer, sans qu'il soit possible à ce stade d'isoler les volumes pêchés au sein des aires marines protégées.
Si l'impact d'une interdiction de la pêche de fond mobile dans les aires marines protégées devrait donc varier selon les différentes façades maritimes, en fonction de la proportion des eaux protégées et du degré d'utilisation des arts traînants, il pourrait in fine, selon les informations transmises au rapporteur, entraîner la disparition de près d'un tiers de la flotte française.
Activités de pêche dans les aires marines protégées en France en 2019
(en %)
Source : commission des affaires européennes, à partir des données de l'avis du CSTEP
In fine, selon les estimations du Comité des pêches, l'interdiction des arts traînants dans les zones marines protégées se traduirait en France par la disparition de près de 30 % de la flotte française et donc de plus de 4 500 emplois directs et environ 15 000 emplois induits.
En effet, dans le secteur de la pêche professionnelle, un emploi embarqué génère habituellement 3 à 4 emplois à terre, au sein de la filière aval35(*) (construction navale, équipement des navires, commercialisation et transformation des produits de la pêche). Dans un contexte marqué par la disparition, au cours des 20 dernières années, de plus de 4 000 emplois pour la petite pêche et 1 000 emplois pour la pêche côtière, la mise en oeuvre du plan d'action de la Commission risquerait de porter un coup fatal à un secteur encore plus durement éprouvé ces derniers mois.
En parallèle, à l'échelle européenne, la mise en oeuvre du plan d'action menacerait directement 7 000 navires, correspondant à 25 % des volumes pêchés et 28 % de la valeur débarquée, selon les estimations de l'Alliance européenne pour la pêche.
Dans ce contexte, le rapporteur s'étonne de l'absence de concertation préalable avec les parties prenantes, ces dernières n'ayant pas été associées aux travaux préparatoires à l'élaboration du plan d'action.
Il regrette également que la Commission se soit dispensée de publier une étude d'impact en bonne et due forme à l'appui de ses préconisations. Si la production d'un tel document ne revêt pas de caractère obligatoire pour les simples communications, le rapporteur rappelle que l'accord interinstitutionnel du 13 avril 2016 « Mieux légiférer »36(*) prévoit expressément que les initiatives non législatives susceptibles d'avoir une incidence économique, environnementale ou sociale importante soient assorties d'une étude d'impact.
Le rapporteur note, enfin, que le calendrier évoqué par la Commission a suscité beaucoup d'incompréhension parmi les parties prenantes, en faisant planer sur les pêcheurs le risque d'un arrêt brutal et imminent de leurs activités.
* 35 FranceAgriMer, 2020.
* 36 Accord interinstitutionnel entre le Parlement européenne, le Conseil de l'Union européenne et la Commission européenne du 13 avril 2016