N° 846
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2021-2022
Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 juillet 2022
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de finances rectificative , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2022 ,
Par M. Jean-François HUSSON,
Rapporteur général,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 16 ème législ.) : |
17 , 146 , 147 et T.A. 5 |
Sénat : |
830 (2021-2022) |
EXPOSÉ GÉNÉRAL
PREMIÈRE PARTIE
LE RALENTISSEMENT DE L'ÉCONOMIE ET LA HAUSSE
DES DÉPENSES NOUS CONFRONTENT PLUS QUE JAMAIS AU RISQUE D'UNE CRISE DES
FINANCES PUBLIQUES
I. UNE ÉCONOMIE AU RALENTI MARQUÉE PAR LA CRISE ENERGÉTIQUE, L'AFFAIBLISSEMENT DU POUVOIR D'ACHAT ET LA CONTRACTION DES MARGES DES ENTREPRISES
A. LA REPRISE ATTENDUE A ÉTÉ STOPPÉE DANS SON ÉLAN PAR LA SURVENUE DE LA CRISE ÉNERGÉTIQUE
1. La reprise économique a été stoppée dans son élan par la crise énergétique
La prévision de croissance du PIB en volume pour 2022 est revue à la baisse p ar le Gouvernement. Elle s'établit désormais à + 2,5 % en volume contre + 4,0 % en loi de finances initiale.
Cette diminution de la prévision de croissance s'explique par le moindre dynamisme qu'initialement anticipé de la consommation des ménages et de l'investissement des entreprises.
Évolution de la prévision de croissance
du PIB du
Gouvernement pour l'année 2022
(base 100 au PIB en volume de l'année 2021)
Cons : consommation ; Inv : investissement ; APU : administrations publiques ; SNF : sociétés non-financières.
Source : commission des finances d'après les comptes nationaux de l'INSEE pour 2021 et les documents budgétaires
En sens inverse, le solde du commerce extérieur et la consommation des administrations publiques soutiendraient davantage la croissance économique en 2022 que ce qui était envisagé jusqu'ici.
Cette révision à la baisse de la croissance économique pour 2022 en France tire également les conséquences des résultats annoncés par l'INSEE pour le premier trimestre et qui font état d' une contraction du PIB en volume de 0,2 % par rapport au quatrième trimestre de l'année 2021 qui n'était pas anticipé.
En effet, à la fin de l'année 2021, l'INSEE 1 ( * ) prévoyait une croissance du PIB pour le premier trimestre 2022 de + 0,4 % tandis que la Banque de France 2 ( * ) retenait une hypothèse de + 0,2 %.
Évolution de la prévision de croissance
du PIB d'après les
conjoncturistes pour la France en 2022
(taux de croissance en pourcentage et en volume)
Source : commission des finances d'après les données du Consensus Forecasts
Par ailleurs, elle s'inscrit dans le contexte mondial de détérioration des perspectives de croissance économique pour l'année 2022 . Ainsi, la prévision établie par le Consensus Forecasts de croissance du PIB en volume en 2022 de l'ensemble de la zone euro est passée de + 4,1 % en décembre 2021 à + 2,7 % en juillet 2022. En Allemagne, la croissance économique pour 2022 n'est plus estimée en juillet qu'à + 1,6 % contre + 4,0 % en décembre dernier.
Évolution de la prévision de croissance
du PIB des
conjoncturistes des principales économies mondiales en
2022
(taux de croissance en
pourcentage et en volume)
Source : commission des finances d'après les données du Consensus Forecasts
En France comme au niveau mondial, au moins trois grands chocs sont venus affecter la reprise économique observée à la fin de l'année 2021. Il s'agit notamment :
- de la crise d'approvisionnement en produits énergétiques aggravée par l'invasion de l'Ukraine par la Fédération de Russie ;
- de la perturbation des chaînes des valeurs au niveau mondial renforcée par l'institution de la stratégie « zéro COVID » chinoise ;
- de la résurgence de l'épidémie de COVID avec l'apparition, fin 2021, du variant Omicron.
Dans des travaux récents 3 ( * ) , l'OFCE a cherché à évaluer l'impact des différents chocs économiques survenus depuis la fin de l'année 2021 sur l'évolution de la croissance économique française en 2022.
Il en ressort que la seule hausse du coût de l'énergie - pétrole, gaz et électricité - aurait contribué à réduire le niveau de croissance d'environ 1,3 point de pourcentage.
À date de ces travaux, l'effet anticipé du plan de résilience et des mesures engagées ou envisagées en faveur du pouvoir d'achat ne compensait cette baisse que d'environ 0,8 point de pourcentage.
Décomposition de l'impact des différents
chocs sur la prévision
de croissance du PIB pour 2022
(en point de pourcentage)
Source : commission des finances d'après la note de l'OFCE du 9 juin 2022
2. Une prévision de croissance optimiste alors que les indicateurs conjoncturels sont préoccupants
La prévision de croissance économique retenue par le Gouvernement à l'occasion du projet de loi de finances rectificative pour 2022 apparait sans doute un peu optimiste.
Sans être inatteignable il convient de noter que la prévision gouvernementale est supérieure à celle retenue à ce stade par la plupart des conjoncturistes. Ainsi, le consensus des économistes évalue la croissance française à + 2,3 %.
Comparaison des prévisions de croissance du
PIB
pour l'année 2022
(taux de croissance en
pourcentage et en volume)
Source : commission des finances d'après les données du Consensus Forecasts, les documents budgétaires, la note de conjoncture de l'INSEE de juin 2022, la note de projections macroéconomiques de la Banque de France de juin 2022 et la prévision économique d'été 2022 de la Commission européenne
La prévision du Gouvernement implique également que l'activité devra accélérer de façon notable comparativement à partir du deuxième trimestre de 2022 ce qui pose la question du profil d'évolution du PIB jusqu'à la fin de l'année 2022 retenu par le Gouvernement et sur lequel il n'a pas communiqué.
À date, l'INSEE, la Banque de France et l'OFCE estiment que l'activité devrait progresser au deuxième trimestre quoiqu'assez faiblement - de l'ordre de + 0,2 à + 0,25 % - notamment grâce à la levée des restrictions sanitaires. Par la suite, selon l'INSEE et l'OFCE, le PIB en volume croitrait d'environ 0,3 % par trimestre jusqu'à la fin de l'année.
Le niveau relativement faible de ces hypothèses de croissance trimestrielle et la persistance de fortes incertitudes au niveau international fragilisent la prévision.
Ainsi, dans l'hypothèse où le PIB n'aurait pas augmenté au deuxième trimestre 2022 et si l'activité devait rester au niveau du premier trimestre, la croissance économique sur l'ensemble de l'année se limiterait à 1,9 %.
Or certains instruments d'évaluation du niveau de l'activité économique en temps réel - à l'instar du Weekly Tracker 4 ( * ) développé par des économistes de l'OCDE 5 ( * ) - laissent penser que l'activité pourrait avoir stagné ou reculer au deuxième trimestre 2022 avant de se redresser au mois de juillet.
Estimation de l'évolution du PIB mensuel
(en volume - base 100 au mois
de décembre
2019)
Note : ces estimations n'engagent ni l'OCDE ni les concepteurs du Weekly Tracker publié par l'OCDE.
Source : calculs et estimations de la commission des finances d'après les données du Weekly Tracker de l'OCDE pour la France à la date du 21 juillet 2021 et des comptes nationaux trimestriels pour la France de l'OCDE
Si cette estimation devait s'avérer correcte - ce qui ne pourra être confirmé que par la publication par l'INSEE des comptes nationaux trimestriels pour le deuxième trimestre 2022, le 29 juillet 2022 - cela impliquerait que l'économie française serait entrée en récession technique au deuxième trimestre 2022.
Pour mémoire, la notion de récession désigne la contraction de l'activité économique mesurée par le niveau du PIB en volume sur une période de temps. On distingue deux types de récession :
- la récession annuelle qui désigne une contraction du PIB annuel en volume, comme celle qui a été observée entre les années 2019 et 2020 ;
- la récession technique qui désigne une contraction du PIB sur au moins deux trimestres consécutifs.
La survenue d'une récession technique au deuxième trimestre 2022 n'impliquerait pas nécessairement que la croissance du PIB annuel en volume soit négative par rapport à l'année 2021.
Par exemple, si le PIB devait s'être contracté au deuxième trimestre de 0,2 point de pourcentage - soit le même niveau qu'au premier trimestre - et si l'activité n'évoluait plus jusqu'à la fin de l'année, le PIB annuel progresserait tout de même de 1,8 % par rapport à 2021.
3. Le niveau d'activité est hétérogène selon les secteurs
L'activité des différentes branches de l'économie apparait très hétérogène au regard des données disponibles pour le premier trimestre 2022.
Un certain nombre d'entre elles, en particulier dans les services, évoluent à des niveaux d'activité - mesurés par la valeur ajoutée brute en volume - supérieurs à celui de la fin de l'année 2019 et de la fin de l'année 2021.
Pour d'autres, l'activité demeure en-dessous des niveaux observés en fin d'année 2019 mais progresse en volume par rapport à la fin d'année 2021. Tel est notamment le cas dans le secteur de l'industrie agro-alimentaires, de la construction ou des biens d'équipement.
Tout à l'inverse et de façon préoccupante, plusieurs secteurs comme celui de l'agriculture, de l'hébergement-restauration, des matériels de transport et de l'énergie, eau et déchets connaissent des niveaux d'activité de plus en plus éloigné de ceux observés à fin 2019.
Évolution de la valeur ajoutée des
branches en 2022
par rapport à l'avant-crise et à
l'année 2021
(écart en pourcentage - en volume)
Source : commission des finances d'après les comptes nationaux de l'INSEE au premier trimestre 2022
Pour le deuxième trimestre ainsi que pour les mois à venir, les enquêtes de conjoncture réalisées par la Banque de France font état d'anticipations qui appellent à la vigilance.
Par exemple, selon ses estimations, les capacités de production seraient exploitées à environ 80 % dans l'industrie, ce qui se situe dans la moyenne historique sur 15 ans, et un recul de l'activité serait envisagé au mois de juillet. À contrario , une légère hausse de l'activité est attendue dans les services et dans la construction.
* 1 INSEE, note de conjoncture, décembre 2021.
* 2 Banque de France, projections macroéconomiques, décembre 2021.
* 3 OFCE policy brief n° 107, La croissance à l'épreuve des chocs - Perspectives économiques pour l'économie française en 2022, 9 juin 2022.
* 4 Woloszko, N. (2020), “Tracking activity in real time with Google Trends”, OECD Economics Department Working Papers, No. 1634, OECD Publishing, Paris.
* 5 Le Weekly Tracker est un modèle prédictif de l'évolution du PIB hebdomadaire qui se fonde sur l'analyse et l'exploitation par une intelligence artificielle de données de tendance fournies par Google.