DEUXIEME PARTIE :
LES LIMITES DE LA CONVENTION DE COMPOSTELLE

L'efficacité du dispositif mis en place par la Convention de Compostelle se heurte à un certain nombre de facteurs, telles les réserves émises par la France, une difficulté à mesurer l'ampleur du trafic, les pays auxquels elles s'appliquent, et le fait que le Protocole additionnel relatif à la lutte contre le trafic de tissus et de cellules humains n'ait pas été retenu.

I. LES RÉSERVES ÉMISES PAR LA FRANCE

Si la faculté d'émettre des réserves est courante en matière de droit international, il faut constater que celles émises par la France sont d'une très grande portée.

1. Les réserves en droit international

La faculté d'émettre des réserves est reconnue en droit international.

La Convention de Vienne sur le droit des traités définit la réserve comme « une déclaration unilatérale, quel que soit son libellé ou sa désignation, faite par un État quand il signe, ratifie, accepte ou approuve un traité ou y adhère, par laquelle il vise à exclure ou à modifier l'effet juridique de certaines dispositions du traité dans leur application à cet État ».

L'objectif de permettre aux États signataires d'émettre des réserves, est de favoriser une acceptation plus large des États à adhérer au traité puisqu'il va pouvoir écarter les dispositions avec lesquelles il ne sera pas en accord. Les réserves peuvent par la suite être retirées.

Généralement, toute convention qui comprend des dispositions en matière de réserves stipule soit les conditions de formulation des réserves soit l'interdiction de réserves. Ainsi, il y a des conventions où ont été introduites dans le texte final des clauses qui précisent l'objet des réserves autorisées.

C'est le cas de la Convention de Compostelle, dont l'article 30 est consacré aux réserves.

2. Les réserves émises par la France

Le cadre français en matière de bioéthique est structuré par trois grands principes : la dignité, la solidarité et la liberté.

Les grands principes pour le don et la transplantation d'organes sont : le respect du corps de la personne vivante et de la personne décédée ; la non-patrimonialité du corps humain ; le consentement libre et éclairé ainsi que l'anonymat du donneur ; et enfin la gratuité du don.

La violation de ces règles éthiques est sanctionnée par 7 ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende.

La ratification de cette convention n'entraînera aucune modification du droit interne, celui-ci étant globalement conforme aux dispositions de ce texte (cf. annexe 1), d'autant que la France a émis des réserves importantes lors de sa signature.

Sur les 26 États ayant signé à ce jour, seuls cinq ont fait des réserves 2 ( * ) (Croatie, Espagne, France, République tchèque, Royaume-Uni, Portugal), et c'est la France qui en a émis le plus.

Pour la France, les réserves émises portent sur les articles 7, 8 et 10. Elles sont de trois ordres : la tentative de corruption, le respect de nos règles de compétence et le principe de la « double incrimination ».

- La notion de « tentative » de corruption

Le Gouvernement français a déclaré se réserver le droit de ne pas appliquer les règles relatives à la tentative de corruption (article 7 et 8 de la Convention). La tentative de commettre des infractions n'est pas incriminée par le droit pénal français. Cependant, le délit de corruption s'applique de façon très large en droit français ce qui ne rendrait pas nécessaire d'incriminer de façon spécifique la tentative de corruption.

Pour autant, à ce stade, la France n'érigera donc pas en infraction la tentative intentionnelle de corrompre des professionnels de santé, des fonctionnaires ou des personnes du secteur privé dans le but de prélever ou implanter un organe humain de façon illicite. Elle n'érigera pas non plus en infraction pénale la tentative de solliciter de façon illicite des donneurs ou des receveurs d'organes en vue d'un profit ou d'un avantage comparable.

- La réserve relative au respect de nos règles de compétence

Le Gouvernement a également déclaré qu'il n'appliquera pas les règles de compétence de l'article 10 de la Convention lorsque l'infraction est commise à l'étranger par une personne ayant sa résidence habituelle sur son territoire.

Dans de telles situations, rien dans notre droit national ne prévoit la compétence de juridictions françaises. La France entend conserver cette approche restrictive de compétence afin de ne pas porter atteinte à la souveraineté des États sur le territoire desquels les faits ont été commis.

Pourtant, lors de faits extrêmement graves (cf. articles 113-13 et 113-14 du code pénal) tels que les actes de terrorisme, les juridictions françaises exercent leurs compétences dans de telles circonstances.

La France qui a signé la Convention en 2019 a depuis refusé de prendre de nouvelles mesures législatives pour modifier son droit interne afin d'intégrer des dispositions dérogatoires en ce qui concerne le trafic d'organes.

- Le principe de la « double incrimination »

La réserve la plus lourde de conséquences porte sur l'article 10 de la Convention.

Le gouvernement français a émis des réserves relatives aux règles de compétence qui visent les délits commis hors du territoire national par l'un de ses ressortissants.

Dans ce cas, elle n'exercera sa compétence que si les faits sont également punis par la législation du pays où ils ont été commis (principe de la double incrimination). Il faut de plus que ces méfaits aient donné lieu, soit à une plainte de la victime, de ses ayants droits ou à une dénonciation officielle des autorités du pays où ils ont été commis. Il est à penser que des victimes ne puissent pas porter plainte auprès des autorités du pays dans lequel le prélèvement illicite a eu lieu, ni que ces dernières envisagent de la dénoncer.

Malgré la gravité des faits liés au trafic d'organes, la France n'entend pas revenir sur ce principe au nom du respect de la souveraineté des États.

Pourtant en matière de délits sexuels impliquant des mineurs, plusieurs lois ont supprimé l'exigence de la double incrimination afin de faire contrepoids à l'inaction des pays de destination. C'est à saluer. Pourquoi ne pas faire de même en matière de trafic d'organe dès lors que le ministre Franck Riester a déclaré, lors du débat à l'Assemblée nationale le 27 janvier dernier que « la lutte contre le trafic d'organe est une priorité pour la France » ?

Ces réserves risquent d'affaiblir la portée de la Convention.


* 2 https://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list?module=declarations-by-treaty&numSte=216&codeNature=0

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