III. LA MODERNISATION ET L'ACCESSIBILITÉ AUX SERVICES DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR, UN CHANTIER À POURSUIVRE
A. LA DÉMATÉRIALISATION ET LA MODERNISATION DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR, DES AXES INDISPENSABLES
Le ministère de l'intérieur a fait l'objet d'intenses transformations numériques, dont les étapes les plus significatives ont été la dématérialisation des demandes de titres et la création d'une nouvelle direction du numérique, en charge du pilotage d'une stratégie globale pour le ministère.
1. La dématérialisation des demandes de titres a démontré les limites du processus et les besoins d'anticipation, notamment en faveur des publics les plus fragiles
a) Le bilan de la dématérialisation : un chantier particulièrement complexe qui a laissé de côté les populations n'ayant pas accès aux outils informatiques
Dans son rapport public annuel pour 2020, la Cour des comptes a choisi de traiter le sujet du numérique au service de la transformation publique. En première partie , la Cour traite plus spécifiquement des gains de productivité et de la qualité de service liés à la dématérialisation de la délivrance de titres par les préfectures.
La Cour estime ainsi que les « objectifs de restructuration des services préfectoraux ont été globalement atteints malgré une préparation insuffisante et une mise en oeuvre difficile des projets informatiques. Les leçons de cette expérience devraient permettre de mieux exploiter les potentialités ouvertes par la dématérialisation et de mettre au centre des réformes à venir la qualité du service rendu aux usagers . »
La principale critique adressée par la Cour concerne les insuffisances dans la prise en compte des difficultés spécifiques aux publics les plus fragiles.
En effet, d'après l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), 17 % de la population française serait en situation d'illectronisme, c'est-à-dire ne sachant pas utiliser internet ou n'y ayant pas accès. La Cour dresse ainsi le constat d'insuffisances dans l'assistance téléphonique et une sous-estimation des coûts informatiques. Elle dénonce également une gestion « défaillante » de la délivrance des cartes grises.
De plus, dans son rapport « Dématérialisation et inégalités d'accès aux services publics » de 2019, le Défenseur des droits relève de « nombreux dysfonctionnements techniques du site internet ANTS.GOUV.FR empêchant de réaliser les démarches [...], notamment des problèmes de conception du site, qui n'intégraient pas certaines situations ».
b) Le ministère de l'intérieur et l'ANTS ont pris des mesures pour corriger les principales difficultés rencontrées par les usagers
Pour répondre à cette difficulté, le ministère de l'intérieur et l'agence nationale des titres sécurisés (ANTS) ont mis en place des dispositifs d'accompagnement des usagers, reposant en particulier sur :
- un accompagnement de proximité via la mise en place de 330 points numériques en préfectures et sous-préfectures afin d'aider les usagers dans leurs démarches. Ces points d'accueil numérique complètent le réseau des maisons France service ;
- le renforcement du centre contact citoyen, localisé à Charleville-Mézières, standard téléphonique dont les capacités ont été multipliées par quatre entre 2018 et 2020, passant de 60 téléconseillers en août 2018 à près de 300 actuellement, permettant également désormais d'accompagner les demandeurs étrangers de titres de séjour 21 ( * ) . Cet accompagnement est également accessible aux personnes en situation de handicap.
Par ailleurs, l'ANTS a engagé une refonte globale de son site internet qui devait initialement être mis en service début 2021. Le site est supposé être « plus ergonomique, plus intuitif et plus accessible avec un contenu enrichi, il permettra l'accès à l'information au plus grand nombre . » Des associations travaillant avec des publics handicapés ont été associées à la phase de création du site.
Le nouveau site a été mis en service la semaine du 11 octobre 2021 seulement, soit plusieurs mois après l'échéance initiale.
De plus, un chantier a été annoncé sur le système d'immatriculation des véhicules, auquel ont recours de nombreux acteurs 22 ( * ) et occasionnant entre 30 et 40 millions de connexions par an . Le système d'informations actuel, dont l'ensemble des acteurs souligne la vétusté, doit impérativement être remplacé.
La refonte du système d'immatriculation des véhicules
Alors que le système d'immatriculation des véhicules (SIV) avait été confronté à d'importantes difficultés, en particulier fin 2017, la décision a été prise de remplacer le système d'information actuel, en partie grâce à des financements de la mission « Plan de relance ».
Le dossier de refonte du SIV a fait l'objet d'une transmission avant l'été à la direction interministérielle du numérique (Dinum) dans la mesure où il s'agit d'un chantier informatique d'un montant supérieur à 9 millions d'euros. La Dinum a rendu un avis favorable sur le projet dans le courant du mois d'octobre.
L'objectif de notification, après une procédure négociée, a été fixé en juillet 2022.
La première étape de la refonte SIV consiste en la mise en place d'un moteur de taxation dans le SIV actuel et qui sera intégré dans la solution cible. Ce chantier a été lancé à la fin de l'été, pour une mise en service au deuxième semestre 2022.
La refonte globale du SIV est pilotée par une équipe intégrée constituée d'agents de la délégation à la sécurité routière, de l'Agence nationale des titres sécurisés et de la direction du numérique du ministère de l'intérieur.
Le chantier devrait s'étendre sur quatre années, afin de permettre une migration progressive sans interruption de service.
Source : réponses aux questionnaires de la rapporteure spéciale
2. Le rôle de pilotage de la direction du numérique doit être renforcé
Le décret du 27 septembre 2019 23 ( * ) a créé la direction du numérique (DNUM), qui a pour mission, en lien avec l'ensemble des services, d'élaborer et de conduire la stratégie numérique du ministère. Elle est chargée d'assurer la cohérence et la sécurité de ses systèmes d'information et de communication. Rattachée au secrétariat général, elle interagit avec les différents services responsables 24 ( * ) .
Quatre objectifs stratégiques lui ont été fixés :
- insuffler la transformation numérique à l'échelle du ministère de l'intérieur, (impacts et opportunités en matière d'intelligence artificielle, de blockchain , de 5G, d'internet des objets...), en proposant des outils aux différents métiers, en organisant le processus d'innovation et en étant à l'écoute des attentes des usagers ;
- piloter la stratégie numérique globale dans le cadre de la stratégie Tech.Gouv de l'État (environnement numérique de travail, Cloud, réseau radio sécurisé) ;
- rationnaliser et réduire les coûts de la fonction informatique, en réduisant les doublons et dépenses redondantes ;
- améliorer l'attractivité du ministère de l'intérieur, en recrutant des compétences rares nécessaires, « en faisant évoluer l'organisation et les conditions de travail des services numériques, en développant l'image de marque du ministère au travers d'initiatives et d'innovations technologiques et en développant les partenariats avec les mondes académique et universitaire . » 25 ( * )
Cependant, la Cour des comptes relève, dans son rapport sur la conduite des grands projets numériques de l'État 26 ( * ) , qu'il existe un risque que « les responsabilités traditionnelles de maîtrise d'oeuvre des DSI [directions des systèmes d'information] l'emportent sur la production de services aux usagers et la transformation des organisations administratives dont sont chargées les DNUM . » La rapporteure spéciale considère que, sans remettre en cause le rôle de maîtrise d'ouvrage des DSI, il est indispensable que les décisions informatiques stratégiques soient pleinement intégrées au ressort de la DNUM.
La DNUM a notamment la charge de plusieurs projets de grande ampleur, comme la dématérialisation des procédures destinées aux publics « étrangers » ou encore la mise en place du réseau radio du futur, en partie financé par la mission « Plan de relance ».
a) Le chantier de l'administration numérique pour les étrangers en France
Alors que le plan PNG reposait en grande partie sur la dématérialisation des demandes de titres, des interrogations subsistent sur les objectifs et les conséquences du chantier de l'administration numérique pour les étrangers en France (ANEF). En effet, les étrangers sont aujourd'hui les derniers usagers à pouvoir encore se présenter aux guichets en préfecture.
Pour l'instant, ont été déployés les procédures dématérialisées pour les visas long séjour valant titre de séjour en 2019, les titres « étudiant » en septembre 2020, les autorisations de travail en avril 2021 et les passeports « talent » à compter du 25 mai dernier. Fin 2021, l'équivalent de 80 % des procédures « étrangers » auront été dématérialisées.
Les échéances passées et prévisionnelles de l'ANEF
(en nombre de dossiers traités)
Source : direction de la modernisation de l'action territoriale du ministère de l'intérieur
D'après les informations communiquées par la DMAT, le chantier de la dématérialisation des titres pour les étrangers n'a pas été conçu comme le plan PNG et ce à deux titres :
- d'abord, aucune diminution d'effectif n'est envisagée dans l'immédiat : ce n'est que dans un deuxième temps, si les guichets font face à une moindre affluence, que les réductions pourront s'opérer ;
- ensuite, l'engagement a été pris de maintenir le même niveau d'effectifs sur la mission « étrangers » des préfectures. Ainsi, les effectifs d'accueil seront, de toute façon, maintenus et affectés à d'autres tâches de la mission.
Le coût des développements serait de l'ordre de 100 millions d'euros . Le ministère évalue que l'ANEF pourrait être à l'origine d'une économie annuelle équivalente à 15 millions d'euros : alors que les demandes seraient traitées plus rapidement, des économies seraient à prévoir via la réduction des allocations pour demandeurs d'asile versées dans l'attente du traitement des demandes.
b) Le « réseau radio du futur », un projet de modernisation très attendu
Le projet réseau radio du futur devrait bientôt entrer dans une phase opérationnelle, le marché devant être signé au mois de novembre 2021.
Les réseaux radio actuels gérés par le ministère de l'intérieur reposent sur une technologie comparable à la technologie 2G des réseaux commerciaux des années 1990, soit une technologie obsolète.
Ce type de réseau radio ne permet que la transmission de la voix ou de courts messages et ne devrait bientôt plus pouvoir être utilisé dans certaines zones géographiques, en particulier en région parisienne. L'objectif du nouveau réseau serait d'être opérationnel pour la coupe du monde de Rugby en 2023, dans la perspective des Jeux Olympiques de 2024.
Le nouveau réseau radio du futur (RRF) devrait permettre l'accès à une messagerie instantanée, aux données de géolocalisation (y compris renvoyées sur le terminal de l'utilisateur), aux systèmes d'information du ministère de l'intérieur, aux flux vidéo ou aux objets connectés. Le réseau doit pouvoir être accessible tant à la Gendarmerie et à la Police nationales qu'aux moyens nationaux de la sécurité civile, à l'administration pénitentiaire, aux douanes, aux sapeurs-pompiers ou encore aux polices municipales.
Le programme RRF vise ainsi à répondre aux besoins opérationnels des utilisateurs, à savoir les services en charge des missions relevant du traitement de l'urgence, tant dans le domaine de la sécurité publique que dans celui du secours aux personnes et aux populations .
Le calendrier cible du ministère de l'intérieur prévoit le déploiement de RFF dans 22 départements en 2023 27 ( * ) , 38 en 2024 et des 36 derniers en 2025.
Les moyens financiers devraient être conséquents, à la hauteur de l'objectif cible du déploiement de 700 000 dispositifs. Une part très significative de ces dépenses sera portée par les différents services de sécurité et de secours qui auront souscrit aux offres d'abonnement du réseau, sur leur propre budget et dans les volumes qu'ils auront choisis.
Le besoin d'investissement a été évalué à 688 millions d'euros avec un effort budgétaire conséquent au départ pour « acquérir l'ensemble des ressources techniques (coeur de réseau, services d'applications missions critiques, contrats avec les opérateurs de réseaux mobiles, terminaux mobiles et accessoires, etc.) suivi par une baisse de l'effort d'investissement à partir de 2023 (début du déploiement) » 28 ( * ) .
Modèle économique du réseau radio du futur
Source : réponses au questionnaire budgétaire de la rapporteure spéciale
Alors que les crédits pour 2021 et 2022 sont portés par la mission « Plan de relance », la rapporteure spéciale s'étonne que des crédits normalement portés par la mission « Administration générale et territoriale de l'État » soient sortis de la mission et considérés comme une mesure de relance, alors même que ceux-ci relèvent de dépenses ordinaires, qui devaient de toute façon être engagées.
* 21 D'après la convention conclue entre la direction générale des étrangers en France (DGEF) et l'ANTS, le numéro téléphonique dédié doit permettre 1. d'offrir aux usagers une « aide au clic » 2. l'identification des anomalies 3. un rôle de remontée et de relais de la DGEF avec les usagers.
* 22 Le SIV permet à la fois la perception de taxe sur les véhicules, versement de certaines aides, l'émission d'amendes, l'identification de véhicules volés, la sécurisation de transactions automobiles ou encore l'information de professionnels du secteur.
* 23 Décret n°2019-994 du 27 septembre 2019 modifiant le décret n°2013-728 du 12 août 2013 modifié portant organisation de l'administration centrale du ministère de l'intérieur et du ministère des outre-mer.
* 24 - le service des technologies et des systèmes d'information de la sécurité intérieure ;
- la direction de l'innovation, de la logistique et des technologies chargée du numérique de la préfecture de police ;
- les services des secrétariats généraux pour l'administration du ministère de l'intérieur ;
- l'agence du numérique de la sécurité civile dont elle assure également la tutelle ;
- l'agence nationale des titres sécurisés dont elle assure également la tutelle ;
- l'agence nationale de traitement automatisé des infractions.
* 25 Direction du numérique du ministère de l'intérieur, auditionnée par la rapporteure spéciale.
* 26 La conduite des grands projets numériques de l'État, Communication à la commission des finances du Sénat, juillet 2020 .
* 27 D'après les réponses au questionnaire budgétaire « les 12 départements hôtes de la coupe du monde de rugby seront déployés à compter de juin 2023 afin d'être pleinement opérationnels en septembre 2023 au moment du démarrage de la coupe du monde de rugby, les 10 autres départements seront déployés à compter de septembre 2023. »
* 28 Réponses au questionnaire budgétaire de la rapporteure spéciale.