N° 828
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2020-2021
Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 septembre 2021
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à protéger la rémunération des agriculteurs ,
Par Mme Anne-Catherine LOISIER,
Sénatrice
(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; M. Alain Chatillon, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Patrick Chaize, Mme Viviane Artigalas, M. Franck Montaugé, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Pierre Moga, Bernard Buis, Fabien Gay, Henri Cabanel, Franck Menonville, Joël Labbé , vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, MM. Rémi Cardon, Pierre Louault , secrétaires ; M. Serge Babary, Mmes Martine Berthet, Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Denis Bouad, Yves Bouloux, Jean-Marc Boyer, Alain Cadec, Mme Anne Chain-Larché, M. Patrick Chauvet, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, Mmes Marie Evrard, Françoise Férat, Catherine Fournier, M. Daniel Gremillet, Mme Micheline Jacques, M. Jean-Marie Janssens, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Claude Malhuret, Thierry Meignen, Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Mme Guylène Pantel, MM. Sebastien Pla, Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Jean-Claude Tissot .
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : |
4134 , 4266 et T.A. 639 |
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Sénat : |
718 et 829 (2020-2021) |
L'ESSENTIEL
Le 21 septembre 2021, la commission des affaires économiques a modifié et adopté la proposition de loi n° 718 du député M. Grégory BESSON-MOREAU , transmise au Sénat le 25 juin 2021, visant à protéger la rémunération des agriculteurs .
Composée de 16 articles , elle entend redonner aux agriculteurs des marges de manoeuvre dans la négociation des prix qui leur sont payés pour la vente de leurs produits. Les deux ambitions principales de ce texte sont d'assurer une plus grande prise en compte des coûts de production que les agriculteurs supportent et de « sanctuariser », lors des négociations commerciales en aval, la part des matières premières agricoles qui composent les produits alimentaires.
Si la commission partage ces objectifs, elle doute que cette proposition de loi permette, en l'état, de corriger les défauts de la loi Egalim et d'améliorer le revenu des agriculteurs, si ce n'est à la marge. En effet :
• elle ne traite en aucune manière le sujet des charges supportées par les agriculteurs, qui amputent considérablement leurs revenus et de façon croissante ;
• elle ne concerne qu'une faible part, environ 20 %, du revenu agricole concerné, puisqu'elle ne concerne ni leurs ventes à l'export, ni la partie de leur revenu relative aux subventions, ni leurs ventes aux grossistes. En outre, elle ne s'applique pas, en l'état, aux produits alimentaires vendus sous marque de distributeur (MDD), qui représentent environ un tiers des rayons des grandes surfaces. Dès lors, il serait illusoire de voir dans ce texte, tel qu'il a été transmis au Sénat, un pas significatif vers une amélioration du revenu des agriculteurs ;
• elle entraînera un accroissement de l'intensité des négociations sur les éléments non agricoles du tarif du fournisseur, au détriment des capacités d'investissement, d'innovation, de recherche et de développement du maillon intermédiaire, qui représente le principal débouché des agriculteurs français.
En outre, cette proposition de loi dite « Egalim 2 » repose en partie sur les mêmes mécanismes que ceux de la loi Egalim 1 qui ont prouvé depuis trois ans leur inefficacité, conformément aux alertes exprimées par le Sénat en 2018 lors de son examen parlementaire.
Par ailleurs, la commission déplore l'excessive complexité des dispositifs créés et le fort déséquilibre que cette proposition de loi instaure entre fournisseurs et distributeurs. Elle partage donc les mêmes réserves que celles qu'elle avait émises à propos d'Egalim 1. Elle a cependant, dans un esprit constructif, essayé de tirer le meilleur parti de ce texte au profit des agriculteurs.
À l'initiative de la rapporteure Mme Anne-Catherine LOISIER (Côte d'Or - Union centriste), la commission a corrigé plusieurs effets de bord et manques, considérant notamment que l'amélioration du revenu agricole doit passer par un rééquilibrage des relations entre fournisseurs et distributeurs. Elle a simplifié le dispositif de transparence de la part des matières premières agricoles, soumis pour la première fois les produits alimentaires vendus sous marque de distributeur (MDD) à un ensemble d'obligations et encadré l'application de pénalités logistiques entre distributeurs et fournisseurs. Elle a également renforcé les pouvoirs du médiateur des relations commerciales agricoles.
Sans ces apports du Sénat, il semble donc de plus en plus évident que le pays aura connu un quinquennat blanc en matière de soutien structurel au revenu des agriculteurs.
I. UNE FAIBLESSE INTOLÉRABLE DU REVENU AGRICOLE, VÉRITABLE ANGLE MORT DU QUINQUENNAT
La question du revenu des agriculteurs est au coeur des préoccupations de la commission 1 ( * ) et constitue, au-delà de ses aspects économiques, un enjeu de justice sociale et de dignité. Les agriculteurs nourrissent le pays et il est inadmissible que certains d'entre eux ne puissent se verser l'équivalent d'un SMIC, voire se couchent plus pauvres qu'ils ne se sont éveillés.
Dans aucun autre secteur ne peuvent être rencontrés des hommes et des femmes travaillant plus de douze heures par jour, dans des conditions souvent difficiles, sans dimanche et bien souvent sans vacances, et n'ayant pourtant aucune prise sur le prix qu'ils tirent de la vente de leur production.
Ce constat est élaboré de longue date ; pour autant, et en dépit des appels répétés du Sénat à traiter les différentes causes de cette situation (alourdissement des charges, concurrence déloyale de certains produits importés, faible soutien à la montée en gamme des productions, etc.), les initiatives majeures de ces dernières années ont échoué à inverser la tendance.
La loi Egalim, en effet, qui ambitionnait d'améliorer le revenu des agriculteurs en relevant le seuil de revente à perte pour les produits alimentaires, en encadrant les promotions, en inversant la construction du prix de vente des produits agricoles et en prévoyant qu'il soit tenu compte des coûts de production en agriculture dans les différents contrats, s'apparente à un coup d'épée dans l'eau ; l'ensemble des professionnels agricoles rencontrés par la commission ont ainsi déploré ne pas avoir vu leur situation financière s'améliorer. Lors de son examen parlementaire, le Sénat mettait déjà en garde contre une loi créant de grandes espérances pour un faible résultat, tant elle s'appuyait sur le voeu pieux - et simpliste - qu'une hausse des prix de certains produits dans les rayons allait « ruisseler » jusqu'à l'amont, c'est-à-dire jusqu'à l'agriculteur.
Il est désormais manifeste que les bénéficiaires de la loi Egalim ne sont pas les agriculteurs.
* 1 Rapport d'information n° 89, « Loi Egalim un an après : le compte n'y est pas », Rapport d'information n° 451, « Suicides en agriculture : mieux prévenir, identifier et accompagner les situations de détresse », groupe de suivi sur les États généraux de l'alimentation, groupe d'études « Élevage », groupe d'études « Agriculture et alimentation », etc.