TITRE II

AMÉLIORER LA COOPÉRATION ENTRE LES ACTEURS CHARGÉS DE LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE SOCIALE

CHAPITRE IER

AMÉLIORER LA COOPÉRATION INTERNE

Article 6
Habilitation des présidents des tribunaux à communiquer des informations

Cet article propose d'ajouter les présidents des tribunaux de commerce à la liste des agents habilités à transmettre des informations en vue de lutter contre la fraude.

I - Le dispositif proposé : un complément à la liste des agents habilités à échanger des informations

Le présent article modifie l'article L. 114-16-3 du code de la sécurité sociale qui liste les agents qui, aux termes de l'article L. 114-16-1 du même code, « sont habilités à s'échanger tous renseignements et tous documents utiles à l'accomplissement des missions de recherche et de constatation des fraudes en matière sociale énumérées à l'article L. 114-16-2, ainsi qu'au recouvrement des cotisations et contributions dues et des prestations sociales versées indûment ».

Sont ainsi ajoutés à cette liste les présidents des tribunaux de commerce .

Selon l'auteur 18 ( * ) de cet article, cette modification du code émanait d'une demande de la conférence des présidents de tribunaux de commerce, estime que l'article L. 8271-1-2 du code du travail présentait une lacune.

II - La position de la commission : un maintien cependant peu pertinent

Cet article avait déjà été proposé par voie d'amendement 19 ( * ) au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021. La ministre déléguée à l'autonomie avait alors justifié dans ces termes l'avis défavorable du Gouvernement. Selon ce dernier, les dispositions sont satisfaites, « le code de la sécurité sociale [prévoyant] déjà, dans son article L. 114-16, que " l'autorité judiciaire est habilitée à communiquer aux organismes de protection sociale toute indication qu'elle recueille, à l'occasion de toute procédure judiciaire, de nature à faire présumer une fraude commise en matière sociale" » 20 ( * ) .

L'article additionnel proposé au PLFSS pour 2021 a été adopté par le Sénat mais supprimé par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.

Le rapporteur partage l'avis du Gouvernement sur le caractère satisfait de cette demande. Par ailleurs, interrogée sur l'opportunité de ce dispositif, la présidente de la conférence des présidents de tribunaux de commerce a rejoint cette analyse, soulignant l'habilitation existante au titre de l'article L. 114-16 précité et insistant sur l'importance des échanges entre les services fiscaux et sociaux et l'autorité judiciaire.

En outre, différents renvois sont faits à l'article L. 114-16-3 que le présent article entend modifier. Il s'agit de viser les agents des différents organismes, administrations ou institutions qui, au sein de ces derniers, sont chargés de la lutte contre la fraude. L'ajout proposé conduirait dans l'énumération à une différence de nature potentiellement préjudiciable à la lecture d'autres dispositions législatives. Ainsi, par exemple, en cas d'adoption de l'article 4 de la présente proposition visant à proposer une expérimentation sur l'analyse des contenus en ligne, les présidents de tribunaux de commerce seraient dans le champ des agents pouvant être chargés de la mise en oeuvre des traitements automatisés, ce qui serait dépourvu de sens.

En conséquence, sur proposition de son rapporteur, la commission a supprimé cet article (amendement COM-25) .

Article 7
Réunions de coordination de la lutte contre la fraude

Cet article propose de modifier l'organisation des actions locales de lutte contre la fraude.

I - Le dispositif proposé : une refonte de l'organisation des comités opérationnels anti-fraude

A. Un dispositif relatif à l'organisation de la coordination locale de l'action de lutte contre la fraude

Le présent article vise à créer un nouvel article L. 114-16-4 au sein du code de la sécurité sociale (CSS).

Le premier alinéa de l'article créé vise à prévoir une coordination au niveau local des actions de lutte contre la fraude sociale , celle-ci étant aux termes de cet alinéa assurée conjointement par le représentant de l'État, soit le préfet, et le procureur de la République près le tribunal judiciaire. La présence des procureurs d'autres ressorts judiciaires est également possible.

Les actions coordonnées sont celles visées à l'article L. 114-16-1 du CSS, soit l'échange d'informations visant à l'accomplissement des missions de recherche et de constatation des fraudes en matière sociale ou encore le recouvrement de cotisations et contributions dues et des prestations versées indûment, mais aussi les actions de lutte contre le travail dissimulé .

La dernière phrase du premier alinéa insiste sur les échanges et transmissions de documents, mentionnant une nouvelle fois le même article L. 114-16-1 du CSS.

Le second alinéa de l'article créé vise à reproduire cette coprésidence conjointe préfet - procureur de la République pour les réunions de coordination des actions des agents de lutte contre la fraude auxquelles participeraient des magistrats .

Les agents mentionnés sont ceux habilités à échanger des informations aux termes du premier alinéa de l'article L. 114-16-1 et listés à l'article L. 114-16-3 visé au présent alinéa.

B. Un dispositif modifiant en réalité les règles d'organisation des CODAF

Le décret de 2020 relatif à la coordination de la lutte contre les fraudes 21 ( * ) a rénové l'organisation de la lutte anti-fraudes en France, créant notamment la mission interministérielle de coordination anti-fraude qui a pris la suite de la délégation nationale à la lutte contre la fraude.

Ce décret a notamment rénové les dispositions relatives aux comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF), prévus à son article 7 avec pour mission « de déterminer les actions coordonnées à mettre en place entre partenaires en matière de lutte contre la fraude portant atteinte aux prélèvements obligatoires fiscaux et aux prélèvements sociaux ou à d'autres recettes des collectivités publiques ainsi qu'aux prestations sociales ».

L'article 8 du même décret a précisé l'organisation de ces CODAF, prévoyant une coprésidence du préfet et du procureur de la République près le tribunal judiciaire du département ainsi qu'un encadrement de leur composition. Or, ce même article 8 prévoit des réunions de ces comités en formation restreinte » alors uniquement présidées par le procureur de la République et auxquelles un représentant du préfet assiste. C'est bien cette instance restreinte qui est l'organe opérationnel des échanges d'informations.

Les dispositions du présent article « écrasent » donc en réalité les dispositions réglementaires relatives aux CODAF en modifiant l'organisation des formations restreintes de ces derniers.

II - La position de la commission : la suppression d'un dispositif qui mettrait à mal l'organisation actuelle

Le rapporteur s'est interrogé sur la place de cet article dans la présente proposition de loi, ces dispositions relevant manifestement du domaine réglementaire et devant, suivant la position constante du Sénat en la matière, amener à proposer leur suppression.

Surtout, le rapporteur considère que des motivations de fond conduisent à écarter cet article.

En effet, entendues par le rapporteur, tant la direction de la sécurité sociale que la mission interministérielle de coordination anti-fraude ont alerté sur le caractère déstabilisateur des dispositions proposées pour le fonctionnement des CODAF et l'équilibre trouvé dans la répartition des missions entre l'autorité judiciaire et l'autorité préfectorale . Le préfet n'étant pas compétent pour conduire des enquêtes judiciaires, la coprésidence par celui-ci des formations restreintes modifierait les modalités de leur action alors que les membres qu'elles réunissent sont déliés du secret professionnel à l'égard du procureur de la République qui les président .

Le rôle déterminant des formations restreintes dans les échanges d'information a été souligné par les personnes entendues qui ont appelé à ne pas modifier leur fonctionnement au risque de dégrader l'efficacité de la lutte contre la fraude et le travail dissimulé, les dispositions proposées allant donc à rebours de l'intention du présent article .

Aussi, sur la proposition de son rapporteur (amendement COM-10), la commission a supprimé cet article.

Article 8
Communication aux organismes et administrations compétents des principales caractéristiques des logements donnant lieu au versement d'une aide personnalisée au logement

Cet article propose de subordonner le versement d'une aide personnalisée au logement (APL) à la transmission à la caisse d'allocations familiales (CAF) d'informations sur le logement auquel l'aide se rapporte. En outre, il organise la transmission de ces informations entre les CAF et l'administration fiscale.

I - Le dispositif proposé

A. L'instauration au niveau législatif d'une nouvelle condition de versement des APL, liée à la communication aux CAF des caractéristiques du logement

1. Les conditions d'octroi d'une APL liées au logement

En application de l'article L. 823-5 du code de la construction et de l'habitation, les modalités d'ouverture et d'extinction des droits à une aide personnalisée au logement sont définies par voie réglementaires, aux articles R. 822-1 à R. 822-25 du même code. Pour ce qui concerne les caractéristiques du logement, les conditions d'attribution sont les suivantes :

- afin d'être considéré comme la résidence principale du bénéficiaire de l'APL, le logement doit être effectivement occupé soit par lui-même, soit par son conjoint, soit par une des personnes à sa charge au moins huit mois par an, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure (article R. 822-23 du même code) ;

- le logement au titre duquel le droit à l'aide personnelle au logement est ouvert doit répondre aux caractéristiques de décence définies par le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent (article R. 822-24 du même code) ;

- et le logement au titre duquel le droit à l'APL est ouvert doit présenter une surface habitable globale au moins égale à neuf mètres carrés pour une personne seule, seize mètres carrés pour un ménage sans enfant ou deux personnes, augmentée de neuf mètres carrés par personne en plus, dans la limite de soixante-dix mètres carrés pour huit personnes et plus (article R. 822-25 du même code).

2. L'instauration d'une obligation de communication des caractéristiques du logement aux CAF

Afin d'assurer que les CAF disposent des outils nécessaires à la vérification du respect des conditions d'octroi, le présent article propose que le versement d'une aide personnelle au logement soit subordonné à la transmission à la caisse d'allocations familiales compétente des principales caractéristiques du logement auquel l'aide se rapporte susceptibles d'affecter sa valeur locative. Cette transmission serait effectuée avant le premier versement par le bénéficiaire de l'aide ou, en cas de tiers payant, par le bailleur.

À cette fin, un nouvel article L. 823-5-1 serait inséré dans le code de la construction et de l'habitation.

Ce même article préciserait que la liste des caractéristiques du logement à transmettre et la fréquence des transmissions seraient fixées par décret.

B. La systématisation des communications entre les CAF et l'administration fiscale sur les caractéristiques des logements donnant lieu au versement d'une APL

Enfin, aux termes du dernier alinéa du texte proposé pour le nouvel article L. 823-5-1 du code de la construction et de l'habitation, la CAF compétente et l'administration fiscale se communiqueraient mutuellement, à la demande de l'une ou de l'autre, les informations dont elles disposent sur un même logement au titre duquel est versée une APL .

II - La position de la commission

La commission soutient l'introduction des mesures proposées par le présent article. Ce dispositif proposé traduit d'ailleurs l'une des propositions de la Cour des comptes figurant dans le rapport sur la lutte contre la fraude aux prestations sociales que lui avait demandé la commission 22 ( * ) .

Dans ce rapport, la Cour a ainsi relevé que des fraudes aux APL « peuvent résulter du montage de dossiers en fonction de logements inexistants, n'appartenant pas au propriétaire déclaré, non mis en location (...), ou supports d'aides versées à plusieurs allocataires en tout ou partie fictifs » et que les CAF « ne mènent plus d'actions particulières visant à vérifier, par des contrôles sur place, la réalité des logements et des situations locatives à l'origine des aides versées ».

Dès lors, afin d'assécher les risques de fraude, la Cour a plaidé pour la mise en oeuvre d'un rapprochement automatisé périodique entre la base des tiers aux allocataires (Tiersi) de la branche famille, dans laquelle sont retracés les bailleurs publics et privés, et les informations que détient la direction générale des finances publiques (DGFiP) sur les logements.

De plus, la Cour ayant relevé que les fraudes peuvent également présenter un caractère fiscal (en particulier par la non-déclaration des loyers perçus ayant donné lieu au versement d'une APL), elle plaidait également pour l'introduction des références des logements concernés parmi les données devant être déclarées par les bailleurs privés en tiers payant et les locataires qui perçoivent les aides (sur communication de leurs bailleurs), et pour la transmission d'informations à l'administration fiscale sur les aides versées afin de lui permettre de détecter des déclarations de revenus fonciers omises ou inférieures aux montants des aides versées.

Le rapporteur général, ayant approuvé ces orientations, approuve donc, par cohérence, l'adoption de cet article , modifié par un amendement rédactionnel (amendement COM-11) . Il conviendra simplement de voir au cours du débat en séance publique puis de la navette si, au vu de la portée de ces innovations, ce dispositif ne pourrait pas être mis en oeuvre progressivement.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.


* 18 Compte rendu intégral des débats de la séance du 14 novembre 2020.

* 19 Amendement n° 94 rect. bis de Mme Goulet et plusieurs de ses collègues pour lequel la commission avait sollicité un avis du Gouvernement et ce dernier formulé un avis défavorable.

* 20 Compte rendu intégral des débats de la séance du 14 novembre 2020.

* 21 Décret n° 2020-872 du 15 juillet 2020 relatif à la coordination interministérielle en matière de lutte contre la fraude et à la création d'une mission interministérielle de coordination anti-fraude.

* 22 Cf. rapport d'information Sénat n° 699 (2019-2020).

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