B. LA RÉGLEMENTATION PARTICULIÈRE APPLICABLE AUX SONNERIES DES CLOCHES

Le double rôle des cloches des églises - religieux et séculaire - a conduit à réglementer très tôt leurs utilisations au moment de la laïcisation de l'espace public.

En application de l'article 27 de la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l'État, « les sonneries des cloches sont réglées par arrêté municipal, et, en cas de désaccord entre le maire et le président ou directeur de l'association cultuelle, par arrêté préfectoral » 10 ( * ) .

Deux situations doivent être distinguées.

1. Les sonneries religieuses, expression sonore de la liberté de culte

La cloches des églises, lorsque leur utilisation correspond à une manifestation religieuse (messe, enterrement, angélus, ...) relèvent de la liberté de culte . Dès lors, s'il appartient au maire de régler leurs usages dans l'intérêt de l'ordre et de la tranquillité publics, il doit le concilier avec le respect de la liberté de culte 11 ( * ) . Est ainsi illégale une mesure d'interdiction d'utilisation des cloches à des jours et heures qui auraient pour effet de supprimer les sonneries d'offices religieux, alors même qu'aucun motif tiré de la nécessité de maintien de l'ordre et de la tranquillité publics ne peut être invoqué 12 ( * ) .

2. Un usage plus restreint des sonneries civiles des cloches

En ce qui concerne les sonneries civiles, l'article 51 du décret du 16 mars 1906 portant règlement d'administration publique pour l'exécution de la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l'État précise que « les cloches des édifices servant à l'exercice public du culte peuvent être employées aux sonneries civiles dans les cas de péril commun qui exigent un prompt secours. [...] Elles peuvent en outre être utilisées dans les circonstances où cet emploi est prescrit par les dispositions des lois ou règlements, ou autorisé par les usages locaux ».

À l'exception des sonneries d'alarmes et des sonneries prescrites par les lois et règlements, l'utilisation des cloches des églises doit respecter les usages locaux. Pendant longtemps, le juge administratif a considéré que l'usage local devait être antérieur à la loi du 9 décembre 1905 . Tel est notamment le cas de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 5 novembre 2014, commune de Boissettes en Seine-et-Marne 13 ( * ) : « Considérant que, pour contester le jugement attaqué, la commune de Boissettes fait valoir que les cloches de l'église de la commune sonnaient toutes les heures et les demi-heures à des fins civiles avant la seconde guerre mondiale et fait état du témoignage d'un ancien instituteur indiquant que la pratique des sonneries des cloches de l'église de la commune à des fins civiles existait déjà en 1967 ; que, ce faisant, toutefois, la commune de Boissettes, ne justifie d'aucun usage local antérieur à la loi précitée [du 9 décembre 1905] , autorisant les sonneries d'ordre civil, diurnes et nocturnes, des cloches de l'église toutes les heures, deux fois de suite, et toutes les demi-heures ».

Toutefois, le Conseil d'État, a désormais une conception moins stricte de l'usage local : à l'occasion de l'examen en cassation de l'affaire des cloches de la commune de Boissettes en 2015, il estime que l'usage local s'entend « de la pratique régulière et suffisamment durable de telles sonneries civiles dans la commune, à la condition que cette pratique n'ait pas été interrompue dans des conditions telles qu'il y ait lieu de la regarder comme abandonnée » 14 ( * ) .

3. La responsabilité du maire dans le respect de la tranquillité publique

En application de l'article 2212-1 du code général des collectivités territoriales, le maire doit assurer la tranquillité publique. Il ressort d'un arrêt de 2001 de la cour administrative d'appel de Nancy que la responsabilité de la commune peut être engagée si le maire a refusé sans justification valable de prendre des mesures pour assurer la tranquillité publique dans le cas où les sonneries des cloches constituent une nuisance sonore.

Toutefois, votre rapporteur souligne que la sonnerie des cloches, en tant que telle, ne constitue pas un trouble anormal. En outre, le juge administratif considère que « l'émergence sonore » des cloches peut excéder « les limites définies par les articles R. 1336-7, R. 1336-8 et R. 1336-9 du code de la santé publique ».

Exemples de décisions relatives à la sonnerie des cloches

CAA Douai, 26 mai 2005, commune de Férin : « Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment des mesures de bruits effectuées par un organisme spécialisé aux abords de la propriété des époux X le 9 mars 2004 et faisant apparaître une émergence sonore réelle de 8 dB(A) inférieure à la limite admissible de 12 dB(A), que les nuisances sonores engendrées par les sonneries de la cloche de l'église de Férin ne peuvent être regardées comme portant une atteinte à la tranquillité publique à laquelle le maire aurait été tenu de remédier ».

CAA Nancy, 4 octobre 2012, commune de Riedwihr : « Considérant, d'autre part, qu'il ressort des pièces du dossier et notamment d'une étude en date du 28 mai 2008, émanant du cabinet Neubert, spécialisé notamment dans l'acoustique [...] que la sonnerie de l'Angélus à six heures du matin, mesurée dans la nuit du 9 au 10 mai 2008, s'élève à 92 décibels et dure quatre minutes et demie ; que [...] eu égard à l'intensité de la sonnerie de l'Angélus qui portait une atteinte excessive à la tranquillité publique, le maire de Riedwihr devait user du pouvoir de police qu'il tient des textes précités et fixer ainsi à au moins sept heures ladite sonnerie, quand bien même aurait existé un usage local auquel la population communale adhérait majoritairement ».

CAA Lyon, 24 septembre 2009, commune de Clessé « s'il appartient au maire, en vertu des dispositions précitées du code général des collectivités territoriales, de prendre les mesures appropriées pour empêcher ou faire cesser, sur le territoire de sa commune, les bruits excessifs de nature à troubler le repos des habitants, il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment pas de l'étude produite par les requérants, que les sonneries de cloches de l'église de Clessé porteraient atteinte, par leur fréquence et leur intensité, à la tranquillité publique des habitants du village, alors même que l'émergence sonore en résultant excéderait les limites définies par les articles R. 1336-7, R. 1336-8 et R. 1336-9 du code de la santé publique ».

CAA Nancy, 5 novembre 2011, commune de Sainte-Ruffine : « il ressort des pièces du dossier que la commune de Sainte-Ruffine, département de la Moselle, dépend du diocèse de Metz ; qu'il est constant que les cloches de l'église de Sainte-Ruffine sonnent toutes les heures entre 21 h et 7 h du matin, et, le restant de la journée, deux fois l'heure et tous les quarts d'heure ; que le régime diurne des sonneries civiles de la cloche de l'église de la commune ne porte pas atteinte, par sa fréquence et son intensité, à la tranquillité publique des habitants du village, alors même que l'émergence sonore en résultant excède les limites définies par les articles R. 1336-7, R. 1336-8 et R. 1336-9 du code de la santé publique [...] » ;

« En revanche, en ce qui concerne la période comprise entre 20h00 et 08h00, ces sonneries constituent une source de nuisance sonore ».


* 10 Sauf en Alsace-Moselle, où le régime des sonneries des églises est régi par la loi du 18 germinal an X relative à l'organisation des cultes. Elle prévoit que « l'évêque se concertera avec le préfet pour régler la manière d'appeler les fidèles au service divin par le son des cloches. On ne pourra les sonner pour toute autre cause sans la permission de la police locale ».

* 11 Conseil d'État, 8 juillet 1910.

* 12 Conseil d'État, 11 novembre 1910.

* 13 Requête numéro 10PA04789.

* 14 « en jugeant qu'un usage local des sonneries civiles de cloches, au sens des dispositions réglementaires précitées, ne pouvait procéder que d'une pratique qui existait lors de l'entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 1905 et n'avait pas été interrompue depuis lors, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit ». Conseil d'État, commune de Boissettes, 14 octobre 2015, n° 374601.

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