MOTION TENDANT À
OPPOSER
LA QUESTION PRÉALABLE
présentée par M. Jean-François Husson
au nom de la commission des finances
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement du Sénat ;
Considérant que l'absence d'effort de maîtrise des dépenses publiques au cours des années passées, alors que les indicateurs économiques du pays étaient encore favorables, n'a pas permis à la France de retrouver les marges de manoeuvre budgétaires utiles pour répondre le plus efficacement possible à toute nouvelle crise telle que la crise sanitaire, sociale et économique résultant de la pandémie de Covid-19 ;
Considérant, alors que l'État se finance désormais autant par l'endettement que par l'impôt, qu'il convient de garder à l'esprit l'impact de nos décisions actuelles sur l'état de nos finances publiques à moyen terme et le fait que toute hausse de taux d'intérêt pourrait très rapidement devenir insoutenable ;
Considérant qu'à ce titre, le Gouvernement aurait dû privilégier des mesures temporaires, puissantes et mieux ciblées pour favoriser la sortie de crise dans le cadre du plan de relance ;
Considérant que, plus globalement, ce plan de relance paraît trop tardif et mal calibré, tout en s'appuyant insuffisamment sur la réalité des territoires ;
Considérant qu'il est regrettable que l'Assemblée nationale soit revenue sur toutes les mesures adoptées par le Sénat pour renforcer le plan de relance et lui faire porter ses fruits à plus court terme, telles que le report en arrière des déficits dans la limite de 5 millions d'euros, les dispositifs spécifiques de suramortissement ou encore la contemporanéisation du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCVTA) qui permet de soutenir l'investissement local ;
Considérant qu'indépendamment de la nécessité de soutenir spécifiquement certains secteurs qui restent durement affectés par la crise, à l'instar des exploitants de remontées mécaniques des stations de ski ou de certains acteurs de la culture, le Sénat ne peut que déplorer le fait que le Gouvernement ait fait le choix d'attendre la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale pour abonder de 5,6 milliards d'euros le programme 357 « Fonds de solidarité pour les entreprises à la suite de la crise sanitaire », pour créer un nouveau programme « Matériels sanitaires pour faire face à la crise de la covid-19 » doté de 430 millions d'euros, et pour renommer le programme 357 « Prise en charge du chômage partiel et financement des aides d'urgence aux employeurs et aux actifs précaires à la suite de la crise sanitaire » afin de tenir compte du fait qu'il devrait désormais couvrir la prise en charge de congés payés de certains salariés et une aide exceptionnelle aux actifs « permittents » saisonniers ou extras ;
Considérant qu'à ce titre, il est très critiquable, au regard de l'atteinte portée à l'autorisation parlementaire du volet « dépenses » du projet de loi de finances, que plusieurs milliards d'euros de crédits ouverts en 2020 soient de fait prévus pour être reportés sur l'année 2021, en particulier les 2,1 milliards d'euros ouverts sur le programme 356 par la quatrième loi de finances rectificative pour 2020, promulguée il y a seulement deux semaines, d'autant que ces crédits contribueront aussi au financement de dépenses nouvellement décidées ;
Considérant que, sans revenir sur la réforme des impôts de production prévue par le projet de loi de finances, dans la mesure où les entreprises, en particulier dans le secteur industriel, doivent voir leur niveau d'imposition se réduire pour rester compétitives, le Sénat rappelle qu'il importe aussi d'assurer une juste et pérenne compensation aux collectivités territoriales ;
Considérant qu'en conséquence, il convient de saluer le fait que l'Assemblée nationale a su rejoindre la position du Sénat en conservant, sous réserve de quelques aménagements, la reconduction du mécanisme de garantie des ressources du bloc communal pour l'année 2021, même si d'autres mesures tendant à améliorer la situation financière des collectivités territoriales auraient mérité d'être conservées, notamment pour couvrir les baisses de recettes tarifaires des régies municipales dotées de la seule autonomie financière ou encore les hausses de dépenses sociales pour les départements ;
Considérant qu'il est regrettable que l'Assemblée nationale n'ait pas conservé la compensation de la perte de recettes de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) subie en 2021 par les départements et le bloc communal, identique à celle prévue pour les régions dans le cadre de la réforme des impôts de production ;
Considérant que l'Assemblée nationale a fait le choix de supprimer les deux contributions exceptionnelles adoptées par le Sénat et visant, d'une part, les assureurs et, d'autre part, les grandes plateformes de la vente à distance, alors que l'impératif de solidarité nationale aurait dû imposer de tels efforts ;
Considérant qu'au contraire du ministre de l'économie, des finances et de la relance qui a exclu l'instauration d'une assurance pandémie, le Sénat considère qu'une couverture assurantielle applicable au risque sanitaire, avec une répartition des responsabilités entre les assureurs d'une part, et l'État d'autre part, serait seule capable de garantir l'ensemble des entreprises contre un tel risque ;
Considérant que la majorité gouvernementale a refusé les dispositifs proposés par le Sénat pour renforcer l'aide aux plus précaires et à ceux qui se trouvent le plus en difficulté face à la crise, comme par exemple une aide à l'embauche pour six mois supplémentaires, un fonds de solidarité renforcé pour mieux couvrir les charges fixes, ou encore les nombreuses mesures destinées à soutenir des secteurs comme la culture ;
Considérant que du point de vue de la fiscalité écologique et énergétique, les mesures prises par la majorité gouvernementale ne permettent pas d'accompagner le changement nécessaire, en particulier s'agissant de la hausse du malus automobile sur trois ans qui, cumulée à la création du « malus poids », intervient alors que le secteur automobile traverse difficilement la crise et que les ménages ne pourront pas tous adapter leur comportement d'achat ;
Considérant qu'à ce titre, l'étalement de la hausse du malus sur cinq ans, accompagné d'un renforcement de la prime à la conversion, préconisés par le Sénat, aurait permis d'inciter davantage les automobilistes à faire le choix de solutions plus respectueuses de l'environnement sans tomber dans la fiscalité punitive ;
Considérant que le Sénat s'était à la quasi-unanimité opposé à plusieurs dispositions du projet de loi de finances qui ont, depuis, été rétablies par l'Assemblée nationale, à l'instar de l'article 7 relatif à la suppression progressive de la majoration de 25 % des bénéfices des entreprises qui n'adhèrent pas à un organisme de gestion agréé (OGA) ou de l'article 47 qui prévoit une ponction d'un milliard d'euros sur la trésorerie d'Action Logement ;
Considérant que le Sénat a également rejeté les crédits des missions « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », « Immigration, asile et intégration » et « Sport, jeunesse et vie associative » ainsi que des comptes d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » et « Développement agricole et rural » dont les crédits ont été rétablis par l'Assemblée nationale sans réponse aux objections qui avaient été soulevées ;
Considérant que l'Assemblée nationale a rétabli plusieurs articles qui ne relèvent pas du domaine des lois de finances selon la jurisprudence établie par le Conseil constitutionnel ;
Considérant que, certes, l'Assemblée nationale a par ailleurs conservé, en nouvelle lecture, plusieurs apports du Sénat de première lecture, à l'instar du prolongement pour un an du plafond à 1 000 euros de la réduction d'impôt au titre de dons aux organismes d'aide aux personnes en difficulté, dit « dispositif Coluche », de la suspension, pendant l'état d'urgence sanitaire, de l'application du jour de carence pour les agents publics dont l'arrêt maladie est directement lié à l'épidémie de Covid-19, des aménagements apportés au nouveau crédit d'impôt aux bailleurs consentant des abandons de loyers à des entreprises particulièrement touchées par la crise, en vue de prévoir son application dès 2021 et d'élargir le périmètre des bailleurs éligibles et des entreprises locataires susceptibles d'en ouvrir le bénéfice, ou encore des 66 millions d'euros de crédits votés par le Sénat en faveur du fonds de péréquation postale, permettant de compenser les conséquences de la réforme des impôts de production sur ce fonds ;
Considérant que, pour autant, l'Assemblée nationale est revenue sur beaucoup des amendements adoptés par le Sénat, même lorsqu'ils ont été votés à une très grande majorité voire à la quasi-unanimité, notamment dans le secteur du logement ;
Considérant, en conséquence, que l'examen en nouvelle lecture par le Sénat de l'ensemble des articles restant en discussion du projet de loi de finances pour 2021 ne conduirait vraisemblablement ni l'Assemblée nationale ni le Gouvernement à revenir sur leurs positions ;
Le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2021, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture n° 236 (2020-2021).
Objet :
Réunie le 16 décembre 2020, la commission des finances a décidé de proposer au Sénat d'opposer la question préalable sur le projet de loi de finances pour 2021, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.
NB : En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, cette motion est soumise au Sénat avant la discussion des articles.