B. UNE DYNAMIQUE D'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE INCERTAINE
1. Une baisse temporaire des flux liée à l'épidémie de Covid-19
En 2020, la situation de crise sanitaire liée à la Covid-19 a entrainé une baisse les flux migratoires à destination de la France et de l'Europe . Les restrictions sur les déplacements intérieurs et internationaux intervenues en France et en Europe ainsi que dans les pays de départ et de transit ont concouru à cette diminution, notamment les restrictions sur les vols commerciaux. Selon l'OCDE, les flux migratoires à destination de ses pays membres ont diminué de moitié au premier semestre 2020 5 ( * ) . En Europe, les demandes d'asile ont ainsi diminué de 33 % au cours des six premiers mois de 2020 par rapport à la même période en 2019.
Cette situation est conjoncturelle , et il peut être attendu que la levée progressive des restrictions, ainsi que le retour à une situation sanitaire maitrisée s'accompagnent d'un retour des flux migratoires à un niveau proche de celui d'avant-crise. Cette dimension conjoncturelle s'observe au niveau de l'évolution des demandes d'asile, qui tendent à reprendre avec la levée des restrictions sanitaires. Ainsi, si elles représentaient 25 % du niveau du mois de janvier en mai 2020, cette proportion remontait à 56 % en août et continue d'augmenter au mois de septembre et octobre 2020. Le projet annuel de performance annexé au projet de loi de finances 2021 projette ainsi un niveau de demande d'asile similaire en 2021 à celui de 2019.
À cet égard, le directeur général de l'agence Frontex a indiqué en avril 2020 devant la commission des affaires européennes du Sénat, qu'il était « encore trop tôt pour savoir quels seront les effets des flux migratoires à long terme. Ceux-ci se réduisent beaucoup pour le moment, mais cela s'explique par les mesures de confinement prises dans un certain nombre de pays, ceux d'origine comme ceux de transit ou de destination. La situation sera probablement préoccupante lorsque certains continents seront largement sortis de la crise liée à la Covid-19, alors que d'autres n'auront pas encore surmonté l'épidémie . » 6 ( * )
Outre les flux en eux-mêmes et les demandes d'asile, les autres volets de la politique migratoire ont connu un coup d'arrêt. Les opérations de délivrance de titres en préfecture, le traitement des demandes de naturalisation, ou la signature de nouveaux contrats d'intégration républicaine ont été presque totalement interrompus pendant le confinement. La remontée en charge de ces différents volets de la politique migratoire pourra s'avérer difficile si elle s'accompagne d'une reprise des flux au niveau d'avant-crise, en raison de l'augmentation du stock lié au ralentissement de l'activité des services concourant à la politique migratoire.
La sortie de crise sanitaire pourrait s'accompagner d'un rattrapage des flux migratoires irréguliers à destination du territoire français.
2. Une incapacité structurelle à maîtriser l'immigration irrégulière
Malgré l'absence persistante de données officielles fiables relatives au nombre d'étrangers en situation irrégulière en France, certains indicateurs permettent d'appréhender la hausse structurelle de l'immigration irrégulière sur le territoire français. Le nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'État (AME) figure cette dynamique de hausse. Il s'établissait à 334 546 bénéficiaires fin 2019, soit une augmentation de plus de 115 % depuis 2004. Il convient de rappeler que cette aide est versée sous condition de résidence ininterrompue en France de trois mois, et que son taux de recours n'est pas connu, et ne peut donc donner qu'une image tronquée du nombre d'étrangers résidant en France en situation irrégulière, qui est certainement bien supérieur.
Évolution du nombre de bénéficiaires de l'AME
Source : commission des finances du Sénat, d'après les projets annuels de performance successifs de la mission « Santé »
Le taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) poursuit sa baisse préoccupante. En diminution constante depuis 2012, il est désormais inférieur à 13 % en 2018 comme en 2019, et connaît un plus bas historique en 2020 à la suite de l'épidémie de Covid-19 (voir infra ). Les OQTF constituent pourtant la quasi-totalité des mesures d'éloignement prononcées 7 ( * ) , ce qui interroge largement l'effectivité de l'éloignement administratif des étrangers du territoire français.
L'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit la possibilité, pour les étrangers en situation irrégulière, de se voir délivrer une carte de séjour temporaire . En 2019, le nombre d'étrangers ayant bénéficié d'une régularisation s'établit à 32 142. Entre 2018 et 2019, ce dernier a connu une baisse légère, de 3,4 %, qui ne doit toutefois pas masquer le fait que leur nombre a plus que doublé en 10 ans (+ 103,1 % entre 2009 et 2019).
Évolution du nombre d'admissions exceptionnelles
au séjour (régularisations) par motif
Source : commission des finances du Sénat, d'après le ministère de l'intérieur
De manière générale, le rapporteur spécial souscrit aux propos du directeur exécutif de Frontex traduisant l'impuissance actuelle de l'Union européenne en matière de lutte contre l'immigration irrégulière : « la politique de gestion des frontières et la politique migratoire de l'Union européenne auront du mal à être prises au sérieux tant que l'éloignement des étrangers en situation irrégulière ne fonctionne pas pleinement et que le système de l'asile est perturbé par des demandes qui émanent de personnes non-éligibles à la protection internationale, encombrent les circuits, et donnent lieu à des décisions d'éloignement dont l'exécution n'est pas systématique 8 ( * ) . »
* 5 Edition 2020 des perspectives des migrations internationales, OCDE, Octobre 2020.
* 6 Audition de M. Fabrice Leggeri, directeur exécutif de Frontex (par audioconférence) du 18 avril 2020 par la commission des affaires européennes du Sénat.
* 7 Les autres mesures sont les interdictions de territoire et les expulsions, qui connaissent des taux d'exécution bien supérieurs à celui des OQTF.
* 8 Audition de M. Fabrice Leggeri, directeur exécutif de Frontex (par audioconférence) du 18 avril 2020 par la commission des affaires européennes du Sénat.