C. LA RÉFLEXION SUR « L'IMMOBILIER DE DEMAIN », UN IMPÉRATIF POUR L'ADAPTATION DES ADMINISTRATIONS QUI NE DOIT POURTANT PAS OBLITÉRER CELUI PORTANT SUR LA RATIONALISATION DES SURFACES
La rationalisation des surfaces occupées par l'État s'évalue au regard de l'indicateur de surface utile nette par poste . Cette cible est fixée, pour l'ensemble des bâtiments de bureaux, à 12 mètres carrés ou 10 mètres carrés en zone tendue, pour une surface utile brute de respectivement 20 et 18 mètres carrés. Cet indicateur de performance est commun au CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » et au document de politique transversale relatif à la politique immobilière de l'État, cette rationalisation étant l'un des objectifs de la PIE.
Il permet de mesurer l'optimisation du parc domanial et son adaptation aux besoins de l'État et, partant, les efforts menés pour densifier les surfaces de bureaux . Cette densification conduit à une triple source d'économies : (1) la réduction des surfaces occupées, et donc la diminution des charges du propriétaire ; (2) la mutualisation des besoins et des coûts de fonctionnement ; (3) les produits tirés d'une éventuelle cession. Or, le rapporteur spécial ne peut que constater, pour la quatrième année consécutive , que cet indicateur stagne. En quatre ans, il n'aurait diminué que de 0,6 mètre carré, alors qu'il s'agit d'un objectif pour la PIE et d'un indicateur de performance pour le CAS et les programmes supports.
Selon le constat dressé par le directeur de l'immobilier de l'État lors de son audition, il est encore plus difficile d'inciter les ministères occupants à rationaliser leurs emprises que de les inciter à faire des économies d'énergie . Ces dernières leur permettent en effet de réallouer les gains ainsi obtenus sur d'autres dépenses de fonctionnement, tandis que rationaliser leurs emprises non.
Évolution de l'indicateur de rendement
d'occupation des surfaces
depuis 2012
(en mètres carrés de surface utile nette par poste de travail)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
La prévision pour 2021 montre qu' une amélioration franche de cet indicateur ne semble pas être de mise. Le rapporteur spécial regrette que cette cible ne soit pas plus contraignante dans les projets de réorganisation dans leur labellisation . D'après la DIE, il est parfois impossible, selon la configuration des immeubles, de réduire ce ratio. Cette difficulté s'explique également par un effet ciseau entre, d'une part, la réduction des effectifs, ce qui augmente le « mitage » des surfaces occupées et, de l'autre, le volume des crédits qui peut effectivement être engagé sur ce type de projets immobiliers structurants visant à regrouper et à densifier les bureaux.
Comme pour les économies d'énergie, le rapporteur spécial relève que les progrès obtenus sur ce point proviennent moins d'opérations sur les bâtiments et les surfaces en eux-mêmes que de la réduction du volume des emprises . Cet effet volume conduit à faire artificiellement baisser les indicateurs et la consommation énergétique. Il ajoute par ailleurs, et c'est là aussi une critique récurrente adressée à la DIE et à la PIE, que le manque de fiabilité sur les données doit conduire à la plus grande prudence dans leur analyse et notamment inviter à considérer le temps long .
À l'aune de la crise sanitaire et économique, la DIE a souhaité, et le rapporteur spécial salue cette initiative, mener une réflexion approfondie sur ce qu'elle a appelé « l'immobilier de demain ». Sous ce vocable quelque peu flou, il s'agit en réalité de prendre en compte les nouveaux modes d'organisation du travail : partage d'espaces de travail, modularité des espaces de vie et de travail, plateaux de bureaux flexibles, coworking ... Certes, ces évolutions ne sont pas nouvelles, la DIE ayant porté ces sujets au sein de la CNIP depuis 2019, mais la crise a eu le mérite de mener à une véritable accélération de la réflexion sur ces thèmes.
Cette réflexion porte notamment sur le télétravail : si son recours avant la crise était très faible au sein des administrations publiques, la DIE anticipe une hausse de ces usages, qui doit en retour nourrir les projets de restructuration immobilière présentés par les ministères et services occupants. Toutefois, comme son directeur l'a indiqué au rapporteur spécial lors de son audition, la DIE a encore du mal à estimer l'ampleur de ces changements , leur impact sur l'organisation des espaces de travail et, surtout, leur durabilité. La capacité d'un projet immobilier à tenir compte de ces évolutions devrait toutefois faire partie des critères pris en compte dans le cadre du processus de labellisation .
La DIE anime pour le moment des groupes de travail interministériels , qui incluent également des experts du monde académique et de la recherche, des spécialistes de l'organisation du travail, du numérique, de la santé, de la sociologie du travail ou encore du management, ainsi que des praticiens du secteur immobilier privé. Elle entend lancer prochainement des expérimentations sur le télétravail, sur l'aménagement de l'espace pour concilier santé et travail en équipe, sur le développement de « tiers-lieux », soit par exemple des espaces de coworking .
Cette nouvelle orientation de la DIE sur « l'immobilier de demain » et la réflexion en cours sur les modalités d'organisation du travail pourraient se traduire dans les indicateurs de performance du CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » . La DIE envisage en effet de modifier son indicateur de performance en substituant à la surface utile nette par poste la surface utile brute . Elle prendrait ainsi acte de la difficulté de plus en plus forte de déceler ce qui relève des surfaces nettes et brutes, alors que les espaces de travail évoluent, et de la nécessité d'avoir une approche plus économique de la rationalisation des surfaces par poste (c'est tout le bâtiment dans son ensemble qui a un coût pour l'État, pas seulement la surface utile nette). Ce changement ne doit toutefois pas se traduire par une renonciation de la politique immobilière de l'État à toute logique de rationalisation des emprises.
Pour conclure, le rapporteur spécial considère que la gestion de l'immobilier de l'État doit se confronter à de nombreux défis, aujourd'hui comme demain. Il est à cet égard essentiel de disposer d'une politique cohérente et homogène .