B. LA DIVERSIFICATION DES MODES DE VALORISATION DES BIENS INUTILISÉS PAR L'ÉTAT, UN IMPÉRATIF POUR ÉVITER LA DÉPRÉCIATION DE SON PARC IMMOBILIER
Pour le rapporteur spécial, il est très probable que l'année 2019, qui a vu une hausse exceptionnelle des recettes, ne marquera qu'un rebond temporaire et que la tendance à la diminution des produits de cession se poursuivra . Depuis plusieurs années, les rapporteurs spéciaux du CAS constatent en effet à la fois une diminution du nombre de biens vendus et une diminution du prix de vente moyen. Cette trajectoire se poursuivra en 2020 et en 2021, d'autant plus que l'impact de la crise économique et sanitaire sur la structure du CAS n'a pas encore été bien évalué . À cet égard, après un rebond temporaire du solde du compte en 2019 (+ 343 millions d'euros), il devrait au mieux se stabiliser en 2020 et 2021, tout en demeurant très sensible aux cessions.
La crise a renforcé les constats et les alertes que porte la commission des finances depuis plusieurs années : le modèle du CAS n'est pas soutenable à terme et comprend trop d'incertitudes . Il n'est aujourd'hui sauvé que par des cessions exceptionnelles et qu'au prix, les années de moindres recettes, d'une diminution des dépenses, pourtant essentielles à la valorisation du parc immobilier de l'État. Le solde annuel a connu plusieurs alertes et demeure très sensible à la conjoncture . Le rapporteur spécial rappelle, comme il l'a expliqué précédemment, que les prévisions inscrites pour 2020 et 2021 doivent être traitées avec beaucoup de prudence . Le solde annuel du CAS pourrait se dégrader ces prochaines années, avec un effet à terme sur le solde cumulé.
Évolution du solde du compte d'affectation spéciale depuis 2008
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Le stock de biens à vendre de l'État ne cesse par ailleurs de diminuer (- 19 % entre 2012 et 2019 29 ( * ) ). 730 biens pourraient être inscrits pour cession en 2021. Outre une difficulté « quantitative », sur le nombre de biens disponibles à la vente, une seconde difficulté pour l'État vendeur provient de la nature même des biens proposés à la vente . En effet, le stock de biens difficiles à céder augmente . D'après les informations transmises par la direction de l'immobilier de l'État au rapporteur spécial, au 1 er janvier 2020, 593 biens seraient en vente depuis plus de trois ans, contre 524 au 1 er janvier 2019 et 506 au 1 er janvier 2018. Les biens les plus faciles à céder, soit qu'ils aient été très bien valorisés, soit que leur cession ne présentât aucune difficulté, sont en effet ceux qui ont été vendus le plus rapidement. Ainsi, 75 % des biens inscrits dans l'outil de suivi des cessions seraient considérés comme difficiles ou très difficiles à vendre .
Le rapporteur insiste par ailleurs sur le fait que les biens vacants ne font pas non plus l'objet de la même politique d'entretien , ce qui peut entrainer leur dépréciation. Au 31 décembre 2019, il y aurait 3 058 sites (terrains ou immeubles) remis au Domaine ou vacants et sans maître 30 ( * ) . Il est par ailleurs dommage que l'État procède parfois à des opérations structurantes de grande ampleur au lieu d'utiliser ses biens vacants, éventuellement après qu'ils aient été valorisés autrement. En effet, il faut bien relever que dans la surface globale des bâtiments occupés par l'État (85 millions de mètres carrés), une partie relève de ses locations .
Évolution des surfaces possédées
ou utilisées par l'État
entre 2014 et 2019
(en mètres carrés et en %)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire de vos rapporteurs spéciaux
En 2019, les loyers (hors charge) versés par l'État ont représenté 1 421 millions d'euros . Le rapporteur spécial note avec satisfaction que ces loyers sont en forte baisse entre 2018 et 2019 (- 12,2 %), après une hausse notable entre 2017 et 2018 (+ 6,37 %). La hausse constatée l'année dernière avait en effet inquiété la commission des finances, qui estimait que c'était un argument de plus pour inciter l'État à revoir sa stratégie en matière de valorisation immobilière.
Par ailleurs, les redevances domaniales ne suffisent pas à compenser la baisse des recettes du compte d'affectation spéciale . La réflexion sur le modèle de financement du CAS devait donc absolument être poursuivie, et le parc immobilier appréhendé différemment pour aller vers la valorisation locative de ces biens. La commission des finances, par l'intermédiaire des rapporteurs spéciaux, critique depuis de nombreuses années la vision binaire qui a longtemps prévalu à la gestion du patrimoine de l'État, entre possession et cession .
Le deuxième comité interministériel de la transformation publique du 29 octobre 2018 leur avait donné raison, en estimant que « le modèle d'une valorisation du parc par la seule cession [...] s'est essoufflée et n'est pas soutenable ». Devant la commission des finances, la directrice de l'immobilier de l'État, Mme Isabelle Saurat, n'avait pas dit autre chose : « c'est assez désespérant de constater la durée qui peut séparer le moment où une administration quitte une emprise de celui où un nouvel usage est trouvé. Il faudrait accorder des autorisations d'occupation temporaire (AOT) afin que ces bâtiments ne restent pas vides pendant deux ou trois ans [...]. On pourrait demander des redevances domaniales ou, pour des immeubles patrimoniaux ou de prestige, arrêter de les vendre pour accorder plutôt des baux emphytéotiques » 31 ( * ) .
Il semble que la crise sanitaire et économique, et son impact potentiel sur les produits de cession du CAS, notamment si le marché immobilier venait à souffrir ou les opérations structurantes à être décalées, a accentué le caractère urgent et impératif de cette réflexion . Comme l'a rappelé la DIE au rapporteur spécial, l'État pratique déjà une certaine forme de valorisation pour les bâtiments dont la cession est difficile ou que l'État souhaite conserver. À titre d'exemples, plusieurs baux emphytéotiques devraient être signés pour des immeubles parisiens dans le cadre d'appels d'offres mixtes « Cession ou location à long-terme » (par exemple pour l'hôtel de Grenelle ou pour une partie de l'ancien hôtel de Mailly Nesle, situés dans le 7 e arrondissement de Paris). La DIE expérimente également un outil permettant d'opérer un arbitrage entre cession et mise sur le marché locatif , avec une expérimentation centrée sur quelques biens en Ile-de-France et en Provence-Alpes-Côte d'Azur. La direction entend mieux prendre en compte l'utilité du bien, à court comme à plus long terme, l'intérêt particulier pour l'État, son histoire ou encore sa configuration.
Le ministre de l'action et des comptes publics, Gérald Darmanin, avait, dès l'année 2019, confié à M. Jean-Marc Délion une mission sur la valorisation locative des biens inutilisés , y compris par de l'occupation temporaire ou par des contrats mixtes. La mission a été prolongée au premier semestre 2020 : l'idée que les cessions ne peuvent pas constituer l'unique moyen de valoriser le patrimoine immobilier de l'État commence à s'ancrer au sein du ministère chargé du domaine. La DIE le reconnait également dans les documents budgétaires : elle admet à la fois rechercher des modes alternatifs de cession (par exemple en recourant au site « Le bon coin ») et des « modes alternatifs de valorisation » .
Plusieurs pistes ont été présentées et étudiées par M. Délion : une gestion internalisée ou externalisée, une détention directe par un établissement public ou par une foncière 32 ( * ) ... Il conviendra également d'interroger sur le rôle de la DIE, notamment dans sa capacité à gérer une opposition des ministères occupants. La diversification des modes de valorisation des biens inutiles de l'État aurait au moins pour mérite d'éviter de répéter certains fiascos de ces dernières années, quand l'État avait vendu ... avant de racheter pour trois ou quatre fois plus cher 33 ( * ) .
Certes, le rapporteur spécial ne méconnait pas les obstacles juridiques à la diversification des modes de valorisation. Le code général de la propriété des personnes publiques soumet l'État aux règles de publicité et de mise en concurrence pour les titres d'occupation délivrés en vue d'une exploitation économique, ce qui peut nuire à la fluidité de la gestion du parc. Il serait en outre opportun de pouvoir minorer la redevance en fonction du montant des travaux réalisés par le futur occupant : la location du bien se traduirait alors par une recette directe (la redevance) mais aussi par un gain futur (valorisation du bien).
Ainsi, en attendant que les réflexions sur cette diversification des modes de valorisation du parc aboutissent, et pour continuer d'assurer un niveau satisfaisant de crédits pour les dépenses d'entretien, le CAS pourrait à tout le moins recevoir à l'avenir une part plus importante des redevances domaniales que celle qui lui est aujourd'hui affectée . Ces solutions provisoires ne doivent pas toutefois masquer la nécessité de se pencher sur l'adéquation et la pertinence du CAS s'il ne peut être doté de ressources plus pérennes, obtenues par exemple dans le cadre d'une meilleure valorisation locative des biens inutilisés .
Pour les biens qu'il n'occupe plus, l'État pourrait privilégier un mode de location à long-terme ou temporaire. L'État tirerait ainsi des recettes de son patrimoine, recettes qui couvriraient les charges afférentes aux bâtiments loués, et il aurait toujours la possibilité de mettre fin au bail et de recouvrer l'usage de ces bâtiments si ses besoins évoluaient .
En effet, le rapporteur spécial le rappelle, la trajectoire des dépenses est très inquiétante : si la sanctuarisation des crédits alloués aux dépenses d'entretien doit être approuvée, cela ne doit pas empêcher de constater qu'ils sont très insuffisants pour assurer une véritable remise à niveau du parc immobilier de l'État . Or, comme la DIE l'a expliqué au rapporteur spécial, dans les régions moins dynamiques sur le plan immobilier, un bien à usage professionnel se vend mal dès lors qu'il n'est pas neuf ou entièrement rénové . Dans les régions dynamiques, la dépréciation des biens de l'État nuit à leur valorisation. Il faut de nouvelles ressources pour cette remise à niveau et pour parvenir à obtenir un véritable effet de levier. Sur un sujet similaire, et dont la DIE pourrait s'inspirer, la Banque des territoires prévoit de soutenir la mise en oeuvre de foncières mixtes pour la rénovation des commerces.
* 29 Selon les données inscrites dans le rapport d'activité 2019 de la direction de l'immobilier de l'État.
* 30 Parmi ces biens, 529 sont vacants et sans maître : un bâtiment technique, trois immeubles de bureaux, une installation commerciale, un édifice de culte, 506 terrains (espace naturel ou aménagé), 16 logements et une voie de circulation routière.
* 31 Audition de Mme Isabelle Saurat le 21 mai 2019 par la commission des finances du Sénat ( http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20190520/fin.html ).
* 32 Dans leur rapport d'information sur la politique immobilière de l'État, Thierry Carcenac et Michel Bouvard préconisaient la création d'une foncière à capitaux intégralement publics, chargée de procurer des revenus récurrents et garantis au compte d'affectation spéciale. « De la rationalisation à la valorisation : 12 propositions pour une politique immobilière de l'État soutenable et efficace », rapport d'information n° 570 (2016-2017) de Michel Bouvard et Thierry Carcenac, fait au nom de la commission des finances, 31 mai 2017.
* 33 On peut citer l'exemple emblématique des locaux de l'Imprimerie nationale dans le 15 e arrondissement de Paris. Ils avaient été vendus au fonds d'investissement américain Carlyle pour 85 millions d'euros en 2004. En juin 2007, l'État les lui avait rachetés pour 376,5 millions d'euros. Même après retraitement des travaux, la plus-value s'élevait, pour le fonds, à plus de 200 millions d'euros.