B. SI LE « BUDGET VERT » CONSTITUE UNE INNOVATION, IL ASSURE UNE MESURE ENCORE INSUFFISANTE DE L'ACTION ENVIRONNEMENTALE DE L'ÉTAT

Le rapport sur l'impact environnemental du budget de l'État (RIEBE) ou « budget vert », introduit pour la première fois en annexe au projet de loi de finances pour 2021, est une tentative de noter l'impact environnemental de chacune des missions du budget de l'État. Si cet essai est une innovation incontestable, ses limitations fortes rendent l'exercice encore quelque peu artificiel. Seules d'importantes améliorations permettraient d'en faire un véritable outil pour éclairer le vote du Parlement.

1. La notation porte sur moins de 10 % des crédits

Le périmètre sur lequel porte l'évaluation des dépenses est l'objectif de dépenses totales de l'État (ODETE), qui comprend, outre les dépenses pilotables 57 ( * ) , des dépenses considérées comme temporaires (investissements d'avenir, plan d'urgence en 2020, plan de relance en 2021), ou échappant au contrôle immédiat de l'État mais constituant des dépenses effectives, comme les dépenses de pension, les engagements financiers de l'État (dont la charge de la dette), les prélèvements sur recettes à destination de l'Union européenne, les prélèvements sur recettes et autres transferts à destination des collectivités territoriales. Les dépenses totales de l'État sont estimées à 488,4 milliards d'euros par le projet de loi de finances pour 2021.

La notation porte également sur les dépenses fiscales , soit un montant prévisionnel de 85,9 milliards d'euros en 2021.

Sur ce total de 574,3 milliards d'euros, seuls 52,8 milliards d'euros de dépenses ont fait l'objet d'une cotation , majoritairement favorable à l'environnement. Ainsi, 91,4 % des crédits et 87,2 % des dépenses fiscales ne font pas l'objet d'une cotation .

Le « budget vert » dans l'ensemble
du budget de l'État

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (à partir du rapport sur l'impact environnemental du budget de l'État et du projet de loi de finances pour 2021)

Les dépenses « favorables » sont principalement budgétaires, alors que les dépenses « défavorables » correspondent pour la plupart à des dépenses fiscales.

Cotation des dépenses budgétaires et
des dépenses fiscales

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (à partir du rapport sur l'impact environnemental du budget de l'État)

Le RIEBE précise les choix et contraintes méthodologiques qui conduisent à ne pas donner de notation pour une partie majoritaire des dépenses . C'est le cas notamment des transferts sociaux aux ménages et des dépenses de masse salariale, des transferts aux entreprises non assortis d'une conditionnalité environnementale, ainsi que des transferts au profit de l'Union européenne (prélèvement sur recettes) et des collectivités territoriales (prélèvement sur recettes et dotations), alors même que l'ensemble de ces crédits sont utilisés in fine par leurs destinataires pour financer des actions qui peuvent être favorables ou défavorables à l'environnement.

S'agissant des crédits des ministères eux-mêmes, les choix faits sont parfois paradoxaux. Les dépenses de carburant sont ainsi neutralisées au motif que, dans la plupart des ministères, elles ne peuvent pas être isolées dans des actions ou sous-action dédiées. Or il aurait été possible de mesurer leur impact au moins pour les ministères des armées et de l'intérieur, qui retracent leurs dépenses en carburants dans leurs projets annuels de performance.

Notre collègue Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial du programme 161 « Sécurité civile » de la mission « Sécurités », observe de manière similaire que « la méthodologie de ce classement suscite des réserves, puisqu'elle s'arrête au niveau de l'action comme subdivision de retracement de l'impact environnemental, alors même qu'une bonne partie de leurs crédits a peu à voir avec la protection de l'environnement - le MCO 58 ( * ) des hélicoptères de secours par exemple. ».

La notation est également conduite de manière très inégale selon les missions .

Tandis que, par exemple, le recours abondant aux transports aériens de la part du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères ne fait pas l'objet d'une cotation, l'impact négatif de certaines dépenses fiscales en faveur des agriculteurs est, lui, dûment pris en compte . Si l'enjeu n'est pas le même en termes de dépenses 59 ( * ) , un euro de réduction de la TICPE pour les travaux agricoles n'a certainement pas le même impact, sur le plan environnemental, qu'un euro consacré à un voyage en avion.

Or la cotation considère une dépense comme « favorable », « défavorable » ou « mixte » en bloc , sans distinguer selon le caractère plus ou moins favorable ou défavorable de la dépense.

2. Le choix d'asseoir la notation environnementale sur la maquette budgétaire est un facteur fort de limitation de sa portée

Les limitations précédemment énumérées proviennent pour une bonne part du choix méthodologique consistant à faire porter la notation sur une présentation purement budgétaire de l'action de l'État , sans aller vers un niveau plus fin de l'action publique.

La volonté de noter l'impact environnemental des postes du budget de l'État se heurte en effet aux limites de la hiérarchisation en programmes, actions et parfois sous-actions. Conçue en fonction des politiques publiques, la maquette budgétaire peut difficilement être divisée de manière binaire en mesures « favorables » et en mesures « défavorables » à l'environnement . Les actions et sous-actions représentent généralement des blocs assez vastes de crédits dont l'utilisation a souvent un effet ambigu.

Ainsi, seule une « comptabilité analytique environnementale », dans laquelle les activités de l'État seraient décrites à un niveau suffisamment fin pour permettre d'ajouter un axe d'analyse environnemental à la description purement budgétaire des crédits (division en titres), permettrait d'avoir une connaissance opérationnelle de l'impact écologique de l'action publique.

Or l'État n'a toujours pas réussi à mettre en place une comptabilité analytique qui lui permettrait de comprendre réellement où sont les coûts - et donc les économies possibles - de l'action publique. Il convient de rappeler que c'est par un simple décret pris en septembre 2018, pris au nom de la « simplification » dans le cadre du programme « Action publique 2022 » 60 ( * ) , que le Gouvernement a mis fin à la « comptabilité d'analyse de coûts », qui elle-même ne mettait en oeuvre que de manière limitée la véritable comptabilité analytique dont la loi organique relative aux lois de finances prévoit la mise en place 61 ( * ) .

Seule une volonté forte permettra donc dans les années à venir d' approfondir ce « budget vert » afin qu'une notation plus nuancée des postes du budget constitue un guide pour l'action publique et un véritable moyen d'évaluation pour le Parlement .


* 57 Les dépenses pilotables correspondent dans l'ensemble, pour ce qui concerne le budget général, aux dépenses des ministères desquelles sont soustraites les dépenses liées aux pensions, ainsi que les investissements d'avenir et le plan d'urgence. Les remboursements et dégrèvements et la charge de la dette sont également exclus des dépenses pilotables. La norme de dépenses pilotables et la norme de dépenses totales de l'État sont définies par la loi n o 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.

* 58 Maintien en condition opérationnelle.

* 59 Le coût estimé du tarif réduit de TICPE pour les travaux agricoles et forestiers est estimé à 1,4 milliard d'euros en 2021, contre 13 millions d'euros pour le poste « Voyages et missions statutaires » de la mission « Action extérieure de l'État ».

* 60 Décret n° 2018-803 du 24 septembre 2018 modifiant le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique et autorisant diverses expérimentations, articles 6 et 18.

* 61 Loi organique n° 2001-692 du 1 août 2001 relative aux lois de finances, article 27. Voir le commentaire de l'article additionnel après l'article 26 du projet de loi organique relatif aux lois de finances, dans le rapport n° 343 (2000-2001) de M. Alain Lambert, fait au nom de la commission des finances, déposé le 29 mai 2001.

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