C. LE TRAITEMENT DES DIFFICULTÉS DES ENTREPRISES
Le d du 1° du I de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 habilitait le Gouvernement à prendre par ordonnance, dans un délai de trois mois, toute mesure adaptant les procédures de traitement des difficultés des entreprises prévues au livre VI du code de commerce et au chapitre I er du titre V du livre III du code rural et de la pêche maritime .
Les mesures prises sur le fondement de cette habilitation figurent, elles aussi, parmi les dispositions susceptibles d'être prolongées, rétablies ou adaptées, par voie d'ordonnance, en application de l'article 4 du projet de loi dans sa rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale.
1. Les ordonnances du printemps 2020 relatives aux entreprises en difficulté
Deux ordonnances ont été publiées sur ce fondement :
- l'ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l'urgence sanitaire et modifiant certaines dispositions de procédure pénale ;
- et l'ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l'épidémie de covid-19 (modifiant la précédente).
Ces deux textes ont fait l'objet d'une analyse détaillée de la part de la mission de contrôle de la commission des lois, qui a exprimé des réserves sur plusieurs points 118 ( * ) .
L'ordonnance du 27 mars 2020 comprenait, tout d'abord, une mesure fortement dérogatoire au droit commun, consistant à « geler » rétroactivement à la date du 12 mars 2020, et jusqu'au 23 août 2020, la situation du débiteur pour l'appréciation de l'état de cessation des paiements . De cette fiction juridique, il résultait notamment :
- la suspension de l'obligation faite au débiteur de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans un délai de 45 jours suivant sa cessation effective de paiements, et l'impossibilité pour tout créancier ou pour le ministère public de fonder une demande en ce sens sur la cessation effective de paiements du débiteur ;
- la non-application des nullités de la période suspecte entre la cessation effective de paiements et l'ouverture ultérieure d'une procédure collective, même si l'ordonnance réservait au juge la faculté de fixer une date de cessation de paiements postérieure au 12 mars 2012 en cas de fraude 119 ( * ) .
Si cette mesure pouvait sembler justifiée par l'irruption subite de la crise sanitaire, qui mettait à mal la trésorerie des entreprises sans nécessairement compromettre leur solvabilité à moyen terme, elle ne soulevait pas moins des réserves. En soustrayant les débiteurs ayant cessé leurs paiements à l'obligation de se placer sous la protection de la justice, cette disposition les mettait eux-mêmes en danger , puisqu'ils continuaient pendant ce temps à être exposés aux poursuites individuelles de leurs créanciers. Simultanément, elle mettait à mal les intérêts des créanciers les moins diligents à engager eux-mêmes des poursuites , c'est-à-dire en général les plus faibles économiquement (salariés, petits fournisseurs, etc .).
Par ailleurs, l'ordonnance comportait diverses dispositions visant à allonger les délais de procédure (durée des procédures, de la période d'observation, de l'exécution du plan, délais impartis aux organes), s'appliquant soit de plein droit, soit sur décision du tribunal ou de son président, ainsi que divers autres assouplissements de contraintes chronologiques (dérogation au délai minimal entre deux procédures de conciliation, dispense de « rappel » devant le tribunal pendant la période d'observation en redressement judiciaire).
L'ordonnance prévoyait également d' étendre la garantie des créances salariales afin de tenir compte de l'allongement des procédures, en assouplissant les contraintes temporelles fixées à l'article L. 3253-8 du code du travail, et d'imposer la transmission sans délai des relevés de créances salariales à l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS), afin d'accélérer leur prise en charge, l'avis du représentant des salariés et le visa du juge-commissaire devant être rendus ultérieurement.
Enfin, l'ordonnance comportait plusieurs assouplissements des formalités applicables (saisine du tribunal par tout moyen, dispense de l'obligation de comparaître à l'audience, communications par tout moyen entre les organes de la procédure).
Ces dispositions étaient applicables pendant une période transitoire , courant tantôt jusqu'au 23 juin, tantôt jusqu'au 23 août 2020.
Quant à l' ordonnance du 20 mai 2020 , outre diverses retouches apportées à l'ordonnance précédente, elle comportait plusieurs mesures d'inégale portée visant à renforcer l'efficacité des procédures , parmi lesquelles, en particulier :
- la faculté pour le tribunal d'interrompre ou d'interdire toute poursuite individuelle de la part de certains créanciers dans le cadre d'une procédure de conciliation ;
- la création d'un nouveau privilège pour garantir les nouveaux apports de trésorerie au débiteur , non seulement pendant la période d'observation (ces apports étant déjà couverts par le privilège dit « des créances postérieures »), mais aussi pendant l'exécution du plan.
La plupart des dispositions nouvelles de l'ordonnance du 20 mai 2020 sont rendues applicables jusqu'au 31 décembre 2021 par l'article 43 ter du projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique, dans sa rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire 120 ( * ) .
2. La position de la commission des lois : inscrire dans la loi les dispositions nécessaires
Compte tenu de leur prolongation jusqu'à la fin de l'année 2021 par la loi « ASAP », les dispositions de l'ordonnance du 20 mai 2020 n'ont pas vocation à être prolongées ou adaptées par le Gouvernement sur le fondement de l'habilitation demandée.
S'agissant de l'ordonnance du 27 mars 2020, elle comporte plusieurs mesures qui méritent effectivement d'être reprises et adaptées à la nouvelle période d'état d'urgence sanitaire . À l'initiative du rapporteur, la commission a choisi d'insérer dans le projet de loi un article additionnel visant principalement à attribuer au tribunal, à son président ou à la cour d'appel, selon le cas, la faculté de prolonger jusqu'à trois mois la durée des différentes procédures ou de leurs étapes (amendement COM-68 du rapporteur) .
Ainsi :
- la durée maximale de la procédure de conciliation serait de sept mois au lieu de quatre, éventuellement prolongée jusqu'à huit mois au lieu de cinq ;
- celle de la période d'observation en procédure de sauvegarde ou de redressement serait de neuf mois au lieu de six, renouvelable une fois dans la même limite, avec la faculté pour le tribunal de la prolonger exceptionnellement, à la demande du procureur de la République, de neuf mois au lieu de six également ;
- la prolongation éventuelle de la période d'observation en cas de conversion d'une procédure de sauvegarde en une procédure de redressement pourrait atteindre neuf mois au lieu de six ;
- la durée maximale de la procédure de liquidation simplifiée serait de neuf mois au lieu de six ou, pour les plus grandes entreprises, de quinze mois au lieu d'un an ;
- alors que la procédure de rétablissement professionnel est normalement ouverte pour quatre mois, sa durée pourrait être portée jusqu'à sept mois sur décision du tribunal ; dans ce cas, les délais de paiement éventuellement accordés par le juge au débiteur seraient allongés d'autant ;
- la durée maximale de la nouvelle période d'observation ouverte par la cour d'appel en cas d'infirmation du jugement du tribunal imposant de renvoyer l'affaire devant celui-ci serait de six mois au lieu de trois.
En revanche, les dispositions de l'ordonnance du 20 mai 2020 suffisent à ce que l'exécution des plans de sauvegarde et de redressement puisse être prolongée en cas de besoin.
En outre, la commission a temporairement écarté le « délai de carence » de trois mois entre deux procédures de conciliation, ainsi que la règle qui, dans le cadre d'un redressement judiciaire, oblige le tribunal à statuer sur la poursuite de la période d'observation au-delà de deux mois (procédure dite de « rappel »).
Par ailleurs, le président du tribunal pourrait prolonger d'une durée maximale de trois mois les délais impartis par la loi aux organes de la procédure (administrateur judiciaire, mandataire judiciaire, liquidateur, commissaire à l'exécution du plan) pour réaliser divers actes, par exemple le délai imparti au liquidateur pour procéder à la vente des biens mobiliers du débiteur en liquidation judiciaire simplifiée. Dans le cas où, en application de cette disposition, le délai imparti à l'administrateur ou au liquidateur pour notifier des licenciements serait prolongé, les créances résultant de la rupture des contrats de travail resteraient couvertes par le régime d'assurance des créances des salariés .
Enfin, la commission a prévu d'imposer la transmission sans délai à l'AGS des relevés de créances salariales , comme le prévoyait l'ordonnance du 27 mars 2020.
En conséquence, la commission a supprimé à l'article 4 l'habilitation correspondante (amendement COM-53 du rapporteur) .
Toutefois, elle a maintenu une habilitation à prendre par ordonnance des mesures relevant du domaine de la loi pour étendre le champ des créances salariales couvertes par l'AGS en cas de liquidation judiciaire .
L'article L. 3253-8 du code du travail limite, en effet, cette couverture aux salaires (et autres sommes dues aux salariés) dus au cours des quinze jours suivant le jugement de liquidation ou le jugement mettant fin au maintien provisoire d'activité 121 ( * ) ; les indemnités de licenciement (et autres créances résultant de la rupture du contrat de travail) ne sont pareillement couvertes que si le licenciement est notifié dans le même délai. En cette matière, il a paru à la commission nécessaire de procéder à de nouvelles consultations avant de légiférer, de telles mesures pouvant avoir une incidence très lourde sur l'équilibre financier de l'AGS.
* 118 10 premiers jours d'état d'urgence sanitaire , rapport précité, p. 107-114, et Mieux organiser la Nation en temps de crise , rapport final sur la mise en oeuvre de l'état d'urgence sanitaire, n° 609 (20129-2020), p. 212-222. Ce dernier rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/r19-609/r19-6091.pdf .
* 119 Des dispositions analogues s'appliquaient à la procédure de règlement amiable agricole.
* 120 Seul fait exception l'article 7 de l'ordonnance, plus controversé, qui, dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire, prévoit que le tribunal peut autoriser le débiteur ou les dirigeants de la personne morale en liquidation ou leurs parents ou alliés à présenter une offre de reprise sur requête du débiteur ou de l'administrateur judiciaire, à la condition que les débats aient lieu en présence du ministère public. (Selon le droit commun, une telle requête doit être formée par ce dernier.) Cette disposition continuerait donc à s'appliquer jusqu'au 31 décembre 2020 seulement.
* 121 Ce délai est porté à vingt et un jour dans le cas où un plan de sauvegarde de l'emploi est élaboré, et à un mois en ce qui concerne les représentants des salariés.