Rapport n° 11 (2020-2021) de M. Marc-Philippe DAUBRESSE , fait au nom de la commission des lois, déposé le 7 octobre 2020
Disponible au format PDF (675 Koctets)
-
L'ESSENTIEL
-
I. LE PROJET DE LOI : PROLONGER PLUSIEURS
DISPOSITIONS EXPÉRIMENTALES EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LE
TERRORISME
-
II. LA POSITION DE LA COMMISSION : NE PAS
RETARDER LA PÉRENNISATION DE DISPOSITIFS EFFICACES
-
I. LE PROJET DE LOI : PROLONGER PLUSIEURS
DISPOSITIONS EXPÉRIMENTALES EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LE
TERRORISME
-
EXAMEN DES ARTICLES
-
EXAMEN EN COMMISSION
-
RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE
L'ARTICLE 45
DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT (« CAVALIERS »)
-
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
-
LA LOI EN CONSTRUCTION
N° 11
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021
Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 octobre 2020
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi , adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure ,
Par M. Marc-Philippe DAUBRESSE,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Jacky Deromedi, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, M. Loïc Hervé, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Mikaele Kulimoetoke, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : |
3117 , 3186 et T.A. 467 |
|
Sénat : |
669 (2019-2020) et 12 (2020-2021) |
L'ESSENTIEL
Réunie le mercredi 7 octobre 2020, la commission des lois du Sénat a adopté, sur le rapport de Marc-Philippe Daubresse (Les Républicains - Nord), le projet de loi n° 669 (2019-2020) relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure , adopté par l'Assemblée nationale le 21 juillet 2020 et pour lequel le Gouvernement a engagé la procédure accélérée.
Ce texte a pour objet de proroger, pour une durée de 7 mois, l'application de plusieurs dispositions du code de la sécurité intérieure qui, faute d'intervention du législateur, arriveront à échéance le 31 décembre 2020.
Sont concernées, d'une part, les dispositions introduites par la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme , dite loi « SILT » , pour prendre le relai du régime de l'état d'urgence, et, d'autre part, une disposition créée par la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement portant sur la technique dite de l'algorithme.
Le Gouvernement justifie cette prorogation par l'incertitude que les circonstances sanitaires liées à l'épidémie de covid-19 ont fait peser sur le calendrier parlementaire.
Pour sa part, la commission a souscrit à la prolongation de l'expérimentation de la technique de l'algorithme, dans l'attente d'une réforme plus large de la loi relative au renseignement.
En revanche, au regard des travaux parlementaires déjà menés sur l'application de la loi « SILT » et des positions concordantes sur son efficacité, elle a estimé souhaitable de procéder, dans le cadre du projet de loi soumis à son examen, à une pérennisation de ses dispositions, sous réserve de plusieurs ajustements.
Elle a adopté, en ce sens, deux amendements sur le projet de loi.
I. LE PROJET DE LOI : PROLONGER PLUSIEURS DISPOSITIONS EXPÉRIMENTALES EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LE TERRORISME
A. DES DISPOSITIONS RENDUES TEMPORAIRES AU REGARD DE LEUR SENSIBILITÉ POUR LES LIBERTÉS PUBLIQUES ET INDIVIDUELLES
Plusieurs dispositions du code de la sécurité intérieure introduites au cours des dernières années pour renforcer l'arsenal de lutte contre le terrorisme ont reçu, compte tenu de leur sensibilité au regard des libertés publiques et individuelles, un caractère temporaire et arriveront à échéance, sauf intervention du législateur, le 31 décembre 2020.
1. Les dispositions d'application temporaire de la loi « SILT »
Sont tout d'abord concernées quatre dispositions de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme , dite loi « SILT », à savoir :
- les périmètres de protection 1 ( * ) , qui peuvent être mis en place par arrêté préfectoral afin d'assurer la sécurité d'un lieu ou d'un évènement exposé à un risque d'actes de terrorisme à raison de sa nature et de l'ampleur de sa fréquentation ;
- la fermeture des lieux de culte 2 ( * ) dans lesquels « les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la violence, à la haine ou à la discrimination, provoquent à la commission d'actes de terrorisme ou font l'apologie de tels actes » ;
- les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) 3 ( * ) , qui permettent au ministre de l'intérieur d'imposer une ou plusieurs obligations aux personnes présentant une menace de nature terroriste (assignation sur le territoire de la commune ou du département, interdiction de paraître, obligation de pointage, etc .) ;
- les visites domiciliaires et saisies (perquisitions administratives) 4 ( * ) .
Créées pour prendre le relai du régime de l'état d'urgence mis en place à compter du 14 novembre 2015 et prolongé à plusieurs reprises par la loi, ces dispositions ont reçu, à l'initiative du Sénat, une application temporaire, pour une durée de trois ans.
Parallèlement, le Parlement s'est vu confier des prérogatives de contrôle renforcées afin de lui permettre d'évaluer leur efficacité et de se prononcer sur leur éventuelle pérennisation. Celles-ci incluent notamment :
- la transmission, sur une base régulière, à l'Assemblée nationale et au Sénat, d'une copie de tous les actes administratifs pris en application de ces dispositions ;
- la remise aux deux assemblées d'un rapport annuel d'évaluation de l'application de la loi.
2. L'algorithme : une disposition expérimentale et strictement encadrée par le législateur
Prévue par l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure, la technique de l'algorithme consiste à imposer la mise en oeuvre, sur les équipements d'opérateurs de communications électroniques et de fournisseurs de services d'accès à internet, de programmes informatiques analysant les flux de données en vue de détecter des connexions susceptibles de révéler une menace terroriste .
Au regard des craintes qu'elle a suscitées à l'occasion de l'examen de la loi relative au renseignement au Parlement, cette technique a été strictement encadrée par le législateur et n'a été autorisée qu'à titre expérimental.
Initialement fixée au 31 décembre 2018, son échéance a été repoussée de deux ans 5 ( * ) en raison des difficultés techniques rencontrées par les services de renseignement pour définir l'architecture et le paramétrage de ces dispositifs. Sauf prorogation ou pérennisation par le législateur, elle arrivera donc à échéance le 31 décembre 2020.
B. UNE PROROGATION SÈCHE MOTIVÉE PAR UN CALENDRIER PARLEMENTAIRE BOUSCULÉ PAR LES CIRCONSTANCES SANITAIRES
Le débat sur la pérennisation, ou non, de ces dispositions d'application temporaire devait initialement intervenir dans le courant de l'année 2020.
Le Gouvernement a toutefois estimé que la possibilité, pour le Parlement, d'examiner avant la fin de cette année un projet de loi substantiel n'était pas garantie compte tenu de l'incertitude que les circonstances sanitaires faisaient peser sur le calendrier parlementaire.
Il a, en conséquence, jugé préférable de procéder, dans un premier temps, à une prorogation simple des dispositions législatives susmentionnées, dans l'attente d'un autre projet de loi qui traitera de leur pérennisation et, le cas échéant, des éventuels ajustements à y apporter.
C'est l'objet du présent projet de loi, qui est composé de trois articles . Les articles 1 er et 2 procèdent respectivement à la prorogation des dispositions de la loi « SILT » et de l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure relatif à l'algorithme. L'article 3 a pour objet de rendre cette prorogation applicable dans certaines collectivités d'outre-mer.
Initialement fixée à un an , la durée de ces prorogations a été ramenée à sept mois par l'Assemblée nationale, afin de ne pas retarder excessivement la tenue d'un débat de fond sur les mesures concernées.
II. LA POSITION DE LA COMMISSION : NE PAS RETARDER LA PÉRENNISATION DE DISPOSITIFS EFFICACES
A. PÉRENNISER, PLUTÔT QUE PROROGER, LES DISPOSITIONS DE LA LOI « SILT »
1. Des dispositions déjà évaluées et à l'efficacité prouvée
Afin d'exercer pleinement sa mission de contrôle, la commission des lois du Sénat a créé en son sein, le 21 décembre 2017, une mission pluraliste de contrôle et de suivi des quatre mesures de la loi « SILT ».
À l'issue de deux années de travaux, cette dernière a dressé un bilan positif de l'application de la loi, sur la proposition de son rapporteur Marc-Philippe Daubresse 6 ( * ) . Elle a formulé deux principaux constats :
- elle a reconnu, d'une part, que la loi avait fait l'objet d'une mise en oeuvre équilibrée et dans l'ensemble conforme à l'esprit du législateur ;
- il lui est, d'autre part, apparu qu'il existait un consensus de l'ensemble des acteurs, judiciaires comme administratifs, sur l'efficacité et l'utilité des mesures introduites , dans un contexte de menace terroriste élevée et durable.
Elle s'est, en conséquence, prononcée en faveur de la pérennisation des quatre dispositions temporaires de la loi « SILT ».
Ce même constat a été formulé par le Gouvernement à l'occasion des deux rapports d'évaluation de l'application de la loi remis au Parlement en janvier 2019 et février 2020.
2. Pérenniser sous réserve de certains ajustements destinés à en renforcer l'opérationnalité
Au vu de ce bilan positif et des travaux d'évaluation concordants menés par les assemblées parlementaires et le Gouvernement, la commission a estimé que le report du débat de fond sur les dispositions de la loi « SILT » n'était pas justifié , les incertitudes sur le calendrier parlementaire qui avaient pu se poser en début d'année étant par ailleurs levées.
À l'initiative de son rapporteur, elle a donc adopté une nouvelle rédaction de l'article 1 er qui procède à une pérennisation de l'ensemble de ces dispositions, sous réserve de quelques ajustements destinés à renforcer leur efficacité.
Ceux-ci reprennent les propositions qui avaient été formulées par la mission de contrôle et de suivi de la commission des lois et ont notamment pour objet :
- d' étendre le champ de la mesure de fermeture administrative prévue par l'article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure à d'autres lieux connexes aux lieux de culte ;
- de renforcer l'information des autorités judiciaires sur les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance ;
- d' élargir les possibilités de saisies informatiques dans le cadre d'une visite domiciliaire lorsqu'il est fait obstacle, par l'occupant des lieux, à l'accès aux données présentées sur un support ou un terminal informatiques.
B. UNE RECONDUCTION BIENVENUE DE L'EXPÉRIMENTATION DE L'ALGORITHME, DANS LA PERSPECTIVE D'UNE RÉFORME PLUS GLOBALE DE LA LOI RELATIVE AU RENSEIGNEMENT
Conformément à l'article 25 de la loi du 24 juillet 2015, un rapport de bilan de l'expérimentation de la technique de l'algorithme a été remis par le Gouvernement au Parlement le 30 juin 2020.
Celui-ci fait état de premiers résultats encourageants , en dépit de difficultés initiales à définir l'architecture technique et le paramétrage de ces dispositifs. Ces derniers auraient ainsi permis tant de détecter des individus à ce jour inconnus des services que d'améliorer la connaissance sur certaines cibles.
Ainsi que le révèle la délégation parlementaire au renseignement dans son dernier rapport d'activité 7 ( * ) , ces résultats, bien que prometteurs, demeurent toutefois en deçà des attentes initiales. Selon les services de renseignement, la technique de l'algorithme n'aurait pas atteint sa pleine efficacité, notamment en raison de la limitation de son champ d'analyse aux seules données de connexion, ce qui exclut les données de navigation sur internet.
Selon les informations communiquées au rapporteur, un travail a donc été engagé par le Gouvernement, qui pourrait, à terme, déboucher sur des modifications significatives de l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure.
Au-delà de la question de l'algorithme, le Gouvernement envisage également de procéder à une réforme plus large du cadre légal du renseignement . C'est également la proposition de la délégation parlementaire au renseignement qui, dans son dernier rapport d'activité, met en avant la nécessité de procéder à plusieurs ajustements.
Ainsi qu'il l'a été indiqué au rapporteur, les travaux préparatoires à ces réformes, en particulier les consultations préalables, sont encore inachevés.
Dans ce contexte, la commission des lois a accepté à la prorogation simple de l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure proposée par le Gouvernement, jugeant qu'il été préférable de reporter le débat sur l'algorithme à une discussion plus large sur la loi relative au renseignement.
Un tel report pourrait, en outre, s'avérer nécessaire au regard des incertitudes que la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) fait peser sur les techniques de recueil de données de connexion en temps différé, fortement mobilisées par les services de renseignement.
La commission a adopté le projet de loi ainsi modifié .
EXAMEN DES ARTICLES
Article
1er
Pérennisation et adaptation
des dispositions de la
loi « SILT »
Réécrit à l'initiative de la commission, cet article tend à pérenniser les quatre dispositions de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ayant reçu un caractère temporaire, sous réserve de plusieurs ajustements visant à en assurer le caractère pleinement opérationnel.
Il traduit ainsi, sur le plan législatif, les recommandations de la mission pluraliste créée par la commission des lois pour assurer le contrôle et le suivi de la mise en oeuvre de cette loi, formulées dans le cadre d'un rapport adopté le 26 février 2020 8 ( * ) et reprises dans une proposition de loi déposée sur le bureau du Sénat le 4 mars 2020 9 ( * ) .
1. La loi « SILT » : un arsenal utile et efficace pour lutter contre le terrorisme
1.1. Les quatre dispositions d'application temporaire
Destinée à permettre une sortie maîtrisée du régime de l'état d'urgence sous lequel la France vivait depuis près de deux ans, la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme a introduit dans le droit commun diverses mesures inspirées des dispositions de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence , par nature d'application exceptionnelle.
À l'initiative du Sénat, les quatre mesures considérées comme les plus sensibles au regard du respect des droits et libertés constitutionnellement garantis ont revêtu un caractère temporaire et arriveront à échéance le 31 décembre 2020 .
Sont concernés les périmètres de protection, la fermeture des lieux de culte, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (assignation sur le territoire de la commune ou du département) et les visites domiciliaires et saisies (perquisitions administratives).
Les quatre mesures à caractère temporaire
introduites par la loi du 30 octobre 2017
Les périmètres de protection
L 'article 1 er de la loi du 30 octobre 2017, codifié à l'article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure, autorise le préfet à mettre en place, par arrêté, des périmètres de protection , afin d'assurer la sécurité d'un lieu ou d'un évènement exposé à un risque d'actes de terrorisme à raison de sa nature et de l'ampleur de sa fréquentation.
Mesure inspirée des zones de protection et de sécurité de la loi du 3 avril 1955 sur l'état d'urgence, mais limitée aux seules fins de prévention des actes de terrorisme, l'instauration de périmètres de protection permet de soumettre l'accès et la circulation des personnes à des palpations de sécurité, des fouilles de sacs et de bagages ainsi qu'à des fouilles de véhicules.
La loi autorise, pour la réalisation de ces contrôles, que les forces de sécurité de l'État soient assistées d'agents de police municipale ainsi que d'agents de sécurité privée.
La durée maximale d'un périmètre de protection est fixée à un mois, renouvelable, comme toute mesure de police administrative, dès lors que les conditions de sa mise en oeuvre sont toujours réunies.
La fermeture des lieux de culte
L 'article 2 de la loi du 30 octobre 2017, codifié aux articles L. 227-1 et L. 227-2 du code de la sécurité intérieure, permet au préfet d'ordonner, aux seules fins de prévention du terrorisme, la fermeture de tout lieu de culte dans lequel « les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la violence, à la haine ou à la discrimination, provoquent à la commission d'actes de terrorisme ou font l'apologie de tels actes ».
Contrairement au dispositif de fermeture des lieux de réunion de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, le législateur a apporté plusieurs garanties procédurales afin d'assurer un juste équilibre entre prévention des atteintes à l'ordre public et protection des droits et libertés constitutionnellement garantis. Ainsi, la décision de fermeture doit être motivée et faire l'objet d'une procédure contradictoire préalable.
Sa durée ne peut, par ailleurs, excéder six mois et doit, en tout état de cause, être proportionnée aux circonstances qui l'ont motivée.
La violation d'une mesure de fermeture est punie de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende.
Les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance
L 'article 3 de la loi du 30 octobre 2017, codifié aux articles L. 228-1 à L. 228-7 du code de la sécurité intérieure, 10 ( * ) permet au ministre de l'intérieur, aux seules fins de prévention du terrorisme, d'ordonner des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance à l'égard des personnes dont le « comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics » et qui soit entrent en relation avec des personnes ou organisations incitant à la commission d'actes de terrorisme, soit adhèrent à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme.
Deux séries d'obligations alternatives et non cumulables entre elles peuvent être prononcées au titre de ces mesures :
- d'un côté, l'assignation géographique et l'obligation de « pointage » auprès des forces de sécurité ;
- de l'autre, l'interdiction de paraître dans certains lieux et le signalement des déplacements à l'extérieur d'un périmètre défini.
Dans les deux cas, peuvent s'y ajouter l'interdiction d'entrer en relation avec une ou plusieurs personnes ainsi que l'obligation de déclarer son domicile.
Les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance peuvent être prononcées pour une durée de trois mois renouvelable (ou six mois renouvelable pour l'interdiction de paraître et l'obligation de signaler ses déplacements), dans la limite maximale de douze mois. Au-delà de six mois, elles ne peuvent être renouvelées que s'il existe des éléments nouveaux et complémentaires.
La violation des mesures est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.
Les visites domiciliaires et les saisies
L 'article 4 de la loi du 30 octobre 2017, codifié aux articles L. 229-1 à L. 229-6 du code de la sécurité intérieure, permet d'autoriser des visites domiciliaires et saisies « lorsqu'il existe des raisons de penser qu'un lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics », et :
- soit qui entre en relation de manière habituelle avec des personnes incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme ;
- soit qui soutient, diffuse ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes.
Les visites sont autorisées par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris, sur saisine du préfet.
Peuvent être saisis, à l'occasion d'une visite, les documents ou données « relatifs à la menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics que constitue le comportement de la personne concernée ». L'exploitation de ces derniers est soumise à une nouvelle autorisation du juge des libertés et de la détention, qui est tenu de se prononcer dans un délai maximum de 48 heures.
1.2. Des dispositions sécurisées sur le plan juridique
Dans deux décisions rendues en février et mars 2018 11 ( * ) , le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution l'essentiel de ces quatre mesures.
Seules deux dispositions relatives, d'une part, au contrôle du juge administratif sur les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, d'autre part, aux saisies susceptibles d'être effectuées dans le cadre de visites domiciliaires, ont été jugées inconstitutionnelles.
Le législateur a rapidement tiré les conséquences de ces censures partielles et procédé aux correctifs nécessaires dans le cadre de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, sécurisant, de ce fait, le cadre juridique des mesures temporaires introduites par la loi « SILT ».
1.3. Une utilité largement reconnue, en dépit d'une mobilisation contrastée
Dans la pratique, les quatre mesures ont été mobilisées de manière contrastée .
Entre le 1 er novembre 2017, date de leur entrée en vigueur, et le 5 octobre 2020, ont ainsi été pris :
- 545 arrêtés préfectoraux instaurant des périmètres de protection ;
- 7 arrêtés ministériels de fermeture de lieux de culte ;
- 332 mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, concernant 287 personnes ;
- 188 ordonnances du juge des libertés et de la détention autorisant une visite domiciliaire,
Ceci étant, près de trois ans après leur entrée en vigueur, les mesures ont toutes démontré leur utilité dans le cadre du dispositif de lutte antiterroriste.
Le rapport remis par le Gouvernement au Parlement au début du mois de février 2020 sur la deuxième année d'application de la loi conclue ainsi « d'une part, [à] une appropriation et [à] une maîtrise de ces instruments de police par l'autorité administrative et, d'autre part, [à] une utilité opérationnelle avérée ayant permis de faire face à une menace terroriste demeurant à un niveau particulièrement élevé ».
Ces conclusions rejoignent celles de la mission de suivi mise en place par la commission des lois du Sénat pour évaluer l'efficacité et la pertinence des quatre mesures provisoires de la loi « SILT ».
Dans son rapport rendu le 26 février 2020, cette dernière a dressé un bilan positif des deux premières années de mise en oeuvre de la loi, constatant d'une part que la loi avait fait l'objet d'une mise en oeuvre équilibrée et conforme à l'esprit du législateur et, d'autre part, qu'il existait un consensus de l'ensemble des acteurs, judiciaires comme administratifs, sur l'efficacité et l'utilité des mesures introduites.
• Les périmètres de protection :
Bien qu'ils aient été mis en oeuvre de manière très hétérogène, tant sur le plan temporel que géographique, les périmètres de protection ont constitué, pour les autorités préfectorales, une mesure utile et efficace pour assurer la sécurisation d'évènements importants , en particulier car il s'agit du seul outil permettant d'associer, avec une grande souplesse, les forces de sécurité étatiques, les polices municipales et les personnels de sécurité privée.
Au demeurant, en donnant un fondement légal spécifique à cette mesure, le législateur a permis d' encadrer strictement la réalisation des contrôles , offrant, de ce fait, des garanties appropriées en termes de préservation de la vie familiale et professionnelle des personnes résidant dans ces périmètres.
• Les fermetures de lieux de culte :
Ainsi que l'a relevé la mission de suivi, le volume réduit de fermetures de lieux de culte prononcées sur le fondement de la loi « SILT » ne suffit pas à conclure à l'inefficacité de la mesure.
Sur les sept mesures prononcées depuis l'entrée en vigueur de la loi, cinq ont ainsi conduit à la fermeture définitive du lieu de culte concerné. Dans les deux autres cas, la mesure de fermeture a facilité le changement d'orientation du lieu de culte concerné ou sa reprise en main par de nouvelles associations cultuelles.
Ce recours modéré à la mesure de fermeture invite en revanche à réfléchir à une extension de son champ d'application . Il ressort en effet des travaux conduits par la mission de suivi l'émergence d'un phénomène de déport, certains prédicateurs tendant à privilégier des discours plus subliminaux ou à diffuser leurs théories en dehors des lieux de culte afin d'échapper à des mesures de police administrative.
C'est en ce sens qu'elle a proposé d'étendre les possibilités de fermeture aux lieux rattachés à un lieu de culte car gérés, exploités ou financés par la même personne physique ou morale.
• Les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance :
Le recours aux mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) a été croissant depuis l'entrée en vigueur de la loi. Au cours des derniers mois, les MICAS ont été plus particulièrement mobilisées pour assurer une surveillance d'individus condamnés pour des faits de terrorisme ou présentant des signes forts de radicalisation, à leur sortie de détention.
Ces mesures présentent, pour les services de renseignement, une utilité à deux niveaux :
- elles permettent tout d'abord de limiter la liberté de mouvement des individus radicalisés mais insusceptibles de faire l'objet d'une mesure d'entrave de nature judiciaire ;
- elles facilitent par ailleurs les activités de surveillance conduites par les services, en limitant la liberté de mouvement des individus concernés.
• Les visites domiciliaires :
Depuis l'entrée en vigueur de la loi « SILT », le recours aux visites domiciliaires a été régulier, mais modéré. L'utilité de cette mesure est toutefois largement reconnue par les acteurs administratifs comme judiciaires, notamment car elle offre des possibilités d'intervention en amont d'une procédure judiciaire, lorsque les éléments constitutifs d'une infraction terroriste ne sont pas encore réunis.
Dans plus d'une dizaine de cas, les visites domiciliaires ont débouché sur des poursuites judiciaires, pour des faits liés au terrorisme, témoignant de l'utilité de la mesure dans l'arsenal de lutte contre le terrorisme.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, la mission de suivi de la commission s'est prononcée en faveur de la pérennisation, au-delà du 1 er janvier 2021, de ces quatre dispositions temporaires.
2. Le projet de loi : proroger pour quelques mois les dispositions de la loi « SILT », dans l'attente d'un projet de loi de pérennisation
Tout en affirmant son intention de pérenniser, à terme, les dispositions de la loi « SILT », le Gouvernement propose dans un premier temps de procéder à leur prorogation simple, sans y apporter de modification.
C'est l'objet de l' article 1 er du projet de loi , qui modifie la durée de validité des quatre mesures transitoires fixée au II de l'article 5 de la loi du 30 octobre 2017.
Cette prorogation « sèche » est justifiée par l'impact sur le calendrier parlementaire de l'épidémie de covid-19. Selon l'étude d'impact du projet de loi, « la possibilité d'un examen par le Parlement, avant la fin de l'année, d'un projet de loi spécifique permettant de débattre des conditions de la prorogation, de la pérennisation ou de la suppression de ces mesures, non plus que des modifications pouvant compléter utilement ces dispositifs, ne peut être garantie ».
Dans sa version initiale, le projet de loi prévoyait une prorogation d'une année, soit jusqu'au 31 décembre 2021.
À l'initiative de son rapporteur, l'Assemblée nationale a raccourci la durée de cette prorogation à 7 mois , estimant que les travaux de contrôle conduit par les deux assemblées rendaient possibles un examen au fond des articles 1 er à 4 de la loi « SILT » dans un délai plus bref. Une nouvelle intervention du législateur serait ainsi rendue nécessaire d'ici le 31 juillet 2021 .
3. La position de la commission des lois : pérenniser et adapter sans délai les dispositions de la loi « SILT »
a) Pérenniser plutôt que proroger
Pour le rapporteur, l'argument avancé par le Gouvernement pour justifier une prorogation « sèche » et reporter le débat de fond sur les dispositions de la loi « SILT » apparaît fragile.
Si le calendrier parlementaire a effectivement été bousculé pendant les huit semaines de confinement, il n'en demeure pas moins que le Parlement a su assurer la continuité de l'activité législative, permettant l'examen, depuis le 11 mai, de nombreux projets et propositions de loi.
Dans ce contexte, il aurait été largement envisageable pour le Gouvernement d'inscrire à l'ordre du jour des deux assemblées parlementaires et de faire adopter, d'ici le 31 décembre prochain, un projet de loi de pérennisation des dispositions de la loi « SILT ». Un tel exercice aurait d'ailleurs été facilité par le travail d'évaluation conduit par l'Assemblée nationale et le Sénat au cours des trois dernières années.
Au regard tant du bilan positif précédemment évoqué que de la sécurisation du cadre juridique des quatre dispositions concernées, la commission, plutôt que de renvoyer à un texte ultérieur cette pérennisation, a quant à elle estimé non seulement possible, mais également souhaitable, d'y procéder dans le cadre du projet de loi soumis à son examen.
Elle a adopté en ce sens un amendement de rédaction globale COM-4 de son rapporteur, qui confirme les quatre mesures qui n'avaient été introduites par le législateur qu'à titre temporaire et met fin, par voie de conséquence, au dispositif ad hoc d'évaluation parlementaire de ces mesures, lié à leur caractère expérimental.
b) Des dispositions à ajuster pour assurer leur pleine efficacité
À la lumière des deux premières années de pratique, la mission de contrôle et de suivi de la commission, tout en confirmant l'utilité des mesures introduites en 2017, a formulé un certain nombre de recommandations tendant à assurer la pleine efficacité du dispositif antiterroriste .
Le même amendement COM-4 de son rapporteur transcrit ces propositions de modifications de la loi « SILT » au sein de l'article 1 er du projet de loi qui, toutes, préservent l'équilibre entre efficacité de la lutte antiterroriste et protection des droits et libertés constitutionnellement garantis.
Il s'agit, en premier lieu, de sécuriser le cadre légal des périmètres de protection en inscrivant dans la loi, par souci de lisibilité, la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel relative aux conditions de mobilisation d'agents de sécurité privée 12 ( * ) .
Afin de limiter les possibilités de contournement des mesures de fermeture des lieux de culte, la commission a également souhaité étendre le champ de la mesure de fermeture administrative à tous les lieux ouverts au public rattachés à un lieu de culte car gérés, exploités ou financés, de manière directe ou indirecte, par la même personne physique ou morale. Cette mesure vise à éviter, autant que faire se peut, le déport des activités de prosélytisme vers d'autres lieux connexes aux lieux de cultes, comme des écoles coraniques ou encore des centres culturels.
L' amendement COM-4 tend, par ailleurs, à renforcer l'information des autorités judiciaires sur les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance . En l'état du droit, la loi n'exige qu'une consultation, en amont du prononcé d'une MICAS, du parquet national antiterroriste (PNAT) et du parquet territorialement compétent.
De manière à assurer une bonne articulation des MICAS avec les mesures judiciaires (contrôle judiciaire par exemple), qui parfois sont prononcées de manière concomitante, il est apparu souhaitable à la commission de prévoir dans la loi une transmission systématique au PNAT et aux parquets territorialement compétents des arrêtés ministériels de prononcé, des arrêtés modificatifs ou de renouvellement des MICAS, y compris leur motivation . Il s'agit, ce faisant, de garantir une parfaite information de l'autorité judiciaire sur les motivations de la mesure administrative, sur son contenu effectif et sur ses éventuels ajustements, afin d'éviter tout conflit entre des mesures de nature différente et de permettre à l'autorité judiciaire d'adapter, le cas échéant, les mesures qu'elle prononce.
Enfin, l' amendement COM-4 élargit les possibilités de saisies informatiques dans le cadre d'une visite domiciliaire lorsqu'il est fait obstacle, par l'occupant des lieux, à l'accès aux données présentes sur un support ou un terminal informatiques.
La commission a adopté l'article 1 er ainsi modifié.
Article 2
Prolongation de la
technique de renseignement dite de l' algorithme
L'article 2 du projet de loi tend à prolonger la technique de renseignement dite de l'algorithme, dont la validité arrive à échéance le 31 décembre 2020.
La commission a adopté cet article sans modification.
1. L'algorithme : une technique de renseignement autorisée par le législateur à titre expérimental
1.1. Une technique innovante, strictement encadrée par la loi
Créé par la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement, l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure autorise les services de renseignement à imposer aux opérateurs et aux fournisseurs de communications électroniques la mise en oeuvre, sur leurs réseaux, de « traitements automatisés destinés, en fonction de paramètres précisés dans l'autorisation, à détecter des connexions susceptibles de révéler une menace terroriste ».
Plus communément appelée algorithme, cette technique consiste à mettre en oeuvre un programme informatique qui analyse, en fonction d'un paramétrage défini en amont, les flux de données transitant par les équipements des opérateurs de communications électroniques en vue de déceler des signaux faibles révélateurs de comportements dangereux en lien avec une menace terroriste.
Compte tenu de sa sensibilité en termes de respect de la vie privée et du secret des correspondances, cette technique a été strictement encadrée par le législateur.
Elle ne peut être tout d'abord mise en oeuvre que pour l'une des sept finalités de la politique publique de renseignement prévues à l'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure, à savoir la prévention du terrorisme.
Par ailleurs, son champ d'analyse a été limité aux seules données de connexion , c'est-à-dire au contenant et non au contenu des communications.
Enfin, sa mise en oeuvre et son exploitation par les services ont été soumis à des conditions très strictes .
À l'instar des autres techniques de renseignement, la mise en oeuvre d'un algorithme doit être autorisée par le Premier ministre, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) 13 ( * ) sur le dispositif technique envisagé et les paramètres retenus. La durée d'autorisation a été fixée à deux mois, contre quatre mois pour d'autres techniques moins intrusives, et son renouvellement a été conditionné à la fourniture d'éléments techniques et d'analyse permettant de confirmer la pertinence et l'utilité de l'algorithme.
L'algorithme doit par ailleurs être paramétré de manière à ce que les personnes auxquelles les données de connexion analysées se rapportent ne soient pas identifiables . Ce n'est que dans un second temps, en cas d'alerte et lorsque la menace est avérée, que l'anonymat sur les données peut être levé, sur autorisation expresse du Premier ministre et après avis de la Commission nationale des techniques de renseignement (CNCTR).
Saisi a priori des dispositions de la loi relative au renseignement, le Conseil constitutionnel a confirmé dans sa décision n° 2015-713 DC du 23 juillet 2015 que le législateur était parvenu, s'agissant de la technique de l'algorithme, à une conciliation équilibrée entre prévention des atteintes à l'ordre public et protection des libertés individuelles, compte tenu des nombreuses garanties entourant la mise en oeuvre de la technique.
1.2. Un dispositif expérimental déjà prorogé par le législateur
Au regard des craintes qu'elle a suscité lors du débat parlementaire de 2015, le législateur a prévu une application temporaire de la technique de l'algorithme, dont l'échéance a été initialement fixée au 31 décembre 2018.
Les retards pris dans le déploiement effectif des premiers algorithmes, notamment en raison de difficultés de paramétrage, l'ont toutefois conduit, à l'initiative du Gouvernement, à prolonger l'expérimentation de deux ans, soit jusqu'au 31 décembre 2020 14 ( * ) .
Depuis l'entrée en vigueur de la loi relative au renseignement, trois algorithmes ont été mis en place , le premier en 2017, les deux autres à l'automne 2018. Deux sont gérés par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et un par la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE).
Tous ont fait l'objet de demandes de renouvellement et sont, à ce jour, actifs.
La mise en oeuvre relativement tardive de la technique s'explique, d'une part, par les demandes d'ajustement formulées par la CNCTR sur les premiers dispositifs qui avaient été envisagés et, d'autre part, par les difficultés techniques rencontrées par les services dans le paramétrage des algorithmes. Tout l'enjeu des travaux préparatoires engagés dès 2015 a en effet consisté à définir une architecture technique protectrice du droit au respect de la vie privée et garantissant un paramétrage suffisamment précis pour limiter le nombre d'alertes.
Conformément à l'article 25 de la loi du 24 juillet 2015, le Gouvernement a remis au Parlement, le 30 juin dernier, un rapport dressant un bilan de ces expérimentations.
Celui-ci fait état de premiers résultats encourageants .
Les algorithmes déployés auraient ainsi permis :
- d'identifier des individus représentant une menace à caractère terroriste et de détecter des contacts entre des individus porteurs d'une menace ;
- d'approfondir la connaissance de certains individus déjà connus des services, par exemple en permettant d'obtenir des informations sur leur localisation, de mettre à jour certains de leurs comportements ou d'améliorer la connaissance des services sur les méthodes opératoires des individus rattachés aux mouvances terroristes.
Ainsi que l'indique l'étude d'impact du projet de loi, la technique algorithmique, en permettant de « repérer et discriminer sur les réseaux des données caractéristiques de comportements typiques d'organisations et de cellules terroristes », présente aujourd'hui un intérêt opérationnel accru compte tenu de l'évolution de la menace terroriste, qui est de plus en plus le fait « d'individus qui s'inspirent de messages de propagande [...] mais qui ne sont pas entrés en contact direct ou visible avec des organisations ».
Dans son rapport d'activité sur la session parlementaire 2019-2020 15 ( * ) , la délégation parlementaire au renseignement, tout en faisant état de résultats prometteurs, a toutefois constaté que le dispositif n'avait toutefois pas encore donné tous les résultats escomptés .
Ce constat rejoint celui du Gouvernement qui, dans son rapport au Parlement, estime souhaitable de maintenir la technique de l'algorithme, mais d'étendre, pour plus d'efficacité, le champ des données analysées :
- d'une part, aux données IP, c'est-à-dire aux données générées par des applications qui utilisent Internet pour communiquer. Sont notamment visées les données transitant par les applications de messagerie chiffrées, telles que WhatsApp ou Telegram ;
- d'autre part, aux données d'URL, c'est-à-dire aux adresses web . Selon le Gouvernement, une telle extension pourrait « permettre la détection de consultations ou de téléchargements de fichiers caractérisant une menace ».
2. Une prolongation bienvenue, dans l'attente d'une réforme plus large de la loi relative au renseignement
2.1. Le projet de loi : une prorogation de quelques mois justifiée par les conséquences de l'épidémie de covid-19
L'article 2 du projet de loi vise à repousser une nouvelle fois la date d'expiration de la technique de l'algorithme.
Les raisons invoquées par le Gouvernement sont identiques à celles qui justifient la prorogation des dispositions de la loi « SILT » et liées à l'impact de l'épidémie de covid-19 sur le calendrier parlementaire.
À l'initiative de son rapporteur et du rapporteur pour avis de la commission de la défense, la commission des lois de l'Assemblée nationale a raccourci la durée de la prorogation de 12 à 7 mois, portant le terme de l'expérimentation au 31 juillet 2020.
Un rapport au Parlement dressant un nouveau bilan du dispositif devrait être remis par le Gouvernement avant le 31 décembre 2020.
2.2. La position de la commission : accepter la prolongation proposée sans modification
La commission a souscrit à cette prolongation , pour des raisons qui diffèrent toutefois de celles invoquées par le Gouvernement dans l'étude d'impact.
Il lui est en effet apparu que le débat de fond sur l'avenir de l'algorithme ne pouvait être dissocié d'une réflexion plus large sur la loi relative au renseignement .
Or, si une réforme de cette dernière est bien engagée, les travaux préparatoires n'ont à ce jour pas pu être achevés, rendant prématuré l'engagement d'un débat parlementaire.
Au demeurant, cette réforme pourrait également être impactée par une décision à venir de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) sur l'obligation généralisée de conservation des données de communication par les opérateurs, qui pourrait remettre en cause l'existence de plusieurs techniques de renseignement et nécessiter d'importants ajustements législatifs.
Le principe de conservation généralisée des données de connexion remis en cause par la jurisprudence de la CJUE
Les techniques d'accès aux données de connexion en temps différé (Fadets) reposent, en matière pénale comme en renseignement, sur l'obligation légale imposée aux opérateurs de communications électroniques ainsi qu'aux fournisseurs d'accès à internet de conserver, pendant une durée d'une année, l'ensemble des données de connexion transitant par leurs réseaux .
Cette obligation, qui existe en droit français comme dans d'autres pays européens, est toutefois remise en cause par la CJUE . Dans un arrêt Tele2 Sverige du 21 décembre 2016, celle-ci, appelée à se prononcer sur le cas suédois, a jugé contraire au droit de l'Union européenne l'obligation faite aux opérateurs de communications électroniques et aux fournisseurs de services publics en ligne de conserver, de manière généralisée et indifférenciée, les données de connexion.
Saisi de plusieurs contentieux portant sur les activités de renseignement, le Conseil d'État a renvoyé à la CJUE, le 26 juillet 2018 , trois questions préjudicielles relatives à la conformité au droit de l'Union des dispositions du droit français relatives à la conservation des données de connexion.
La CJUE ne s'est, pour l'heure, pas prononcé sur ces affaires, la décision ayant été annoncée pour la fin de l'année. Si elle venait à être confirmée dans le cas français, cette jurisprudence r emettrait en cause l'existence même des techniques d'accès aux données de connexion en temps différé et pourrait avoir des conséquences importantes sur l'activité des services de renseignement.
La commission a en outre observé que cette période supplémentaire permettra au législateur d'avoir un recul supplémentaire sur l'efficacité du dispositif de l'algorithme.
La commission a adopté l'article 2 sans modification.
Article 3
Application en
outre-mer
Cet article a pour objet de rendre applicables les dispositions du projet de loi en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises, collectivités ultramarines sur le territoire desquelles une mention expresse d'application est nécessaire 16 ( * ) .
La commission a adopté un amendement de réécriture globale COM-5 de son rapporteur, qui tire les conséquences des modifications apportées à l'article 1 er du projet de loi. Il s'agit de procéder aux coordinations nécessaires des dispositions relatives à l'application outre-mer au sein du code de la sécurité intérieure, en actualisant le « compteur outre-mer » 17 ( * ) .
La commission a adopté l'article 3 ainsi rédigé.
EXAMEN EN COMMISSION
__________
M. Marc-Philippe Daubresse , rapporteur . - Nous examinons aujourd'hui un projet de loi prorogeant diverses dispositions du code de la sécurité intérieure.
Ce projet de loi, qui comprend trois articles, a un objet simple. Il procède à une prorogation « sèche », c'est-à-dire sans modification de fond, de plusieurs dispositions expérimentales en matière de lutte contre le terrorisme. Ces dispositions arrivent à échéance le 31 décembre 2020 ; à défaut d'intervention du législateur avant cette date, elles seront amenées à disparaître. Proroger ou pérenniser, telle est la question !
Sont en premier lieu concernées quatre dispositions de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, plus communément appelée loi « SILT ». Il s'agit, je vous le rappelle, des dispositions introduites par le législateur pour prendre le relais de l'état d'urgence qui avait été déclaré le 14 novembre 2015 : les périmètres de protection, qui permettent au préfet de sécuriser un lieu ou un événement exposé à une menace terroriste ; les fermetures de lieux de culte ; les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas), qui permettent notamment l'assignation d'une personne sur le territoire d'une commune ; enfin, les visites domiciliaires, qui se sont substituées aux perquisitions administratives de l'état d'urgence.
L'article 2 du projet de loi porte, quant à lui, sur une disposition de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, qui concerne la technique dite « de l'algorithme ». Cette technique de renseignement consiste à imposer la mise en oeuvre, sur les réseaux des opérateurs de communications électroniques, de programmes informatiques qui analysent les flux de données en vue de détecter des connexions susceptibles de révéler une menace terroriste. Elle a suscité de nombreuses craintes lors de son adoption, et n'a donc été autorisée par le législateur qu'à titre expérimental.
Le débat sur la pérennisation ou non de ces dispositions aurait normalement dû intervenir dans le courant de l'année 2020. Toutefois, en raison de la crise sanitaire, le Gouvernement a estimé qu'il existait un risque que le calendrier parlementaire soit bousculé et ne permette pas de tenir un débat serein au Parlement. C'est pourquoi il a préféré déposer un projet de loi de prorogation sèche, dans l'attente d'un prochain texte plus ambitieux.
Le Gouvernement avait initialement fixé la durée de cette prorogation à un an, soit jusqu'au 31 décembre 2021. Cette durée a été ramenée à sept mois par l'Assemblée nationale, ce qui supposera que le Parlement se prononce à nouveau avant le 31 juillet 2021.
Je souhaiterais, à titre liminaire, évoquer la méthode du Gouvernement. Alors que le Parlement, notamment le Sénat - nous avions déposé une proposition de loi sur ce sujet -, s'était préparé à ces échéances, l'argumentaire avancé pour justifier la prorogation me semble fragile. Depuis le mois de mai dernier, le Parlement a en effet repris une activité normale et aurait pu débattre, au fond, de ces questions.
Cela étant, je vous proposerai d'adopter une position médiane sur ce texte. Le débat se pose en effet dans des termes différents pour les dispositions de la loi SILT et celles de la loi relative au renseignement. Je vais d'emblée présenter le contenu de mes amendements, ce qui permettra d'aller plus vite lors de l'examen des articles.
En ce qui concerne les dispositions de la loi SILT, je vous proposerai de procéder à leur pérennisation plutôt qu'à une simple prorogation.
Un important travail d'évaluation de ces dispositions a en effet déjà été réalisé, tant par le Parlement que par le Gouvernement, que nous avons entendu à de multiples reprises. Ces travaux concluent tous à leur efficacité pour la lutte contre le terrorisme.
Dans un rapport présenté à la commission à la fin du mois de février, j'avais moi-même dressé un bilan positif des deux premières années d'application de la loi et recommandé de les pérenniser. Dès lors qu'un accord global se dessine sur le sujet, il ne me semble donc pas nécessaire de reporter le débat.
Je vous rappelle en outre que le Conseil constitutionnel a validé ces dispositifs, qui sont donc bien sécurisés sur le plan juridique.
Je vous proposerai également d'apporter trois ajustements à ces mesures, afin de renforcer leur efficacité. Ces ajustements reprennent les propositions adoptées par notre commission au mois de février et reprises dans une proposition de loi, que plusieurs d'entre vous ont cosignée.
Il s'agit : premièrement, d'étendre le champ de la mesure de fermeture administrative aux lieux connexes aux lieux de culte, afin d'éviter le déport des discours radicaux vers d'autres lieux ; deuxièmement, de renforcer l'information des autorités judiciaires sur les Micas, de manière à assurer une parfaite articulation avec les mesures judiciaires ; enfin, troisièmement, d'élargir les possibilités de saisies informatiques dans le cadre d'une visite domiciliaire, dans les cas où l'occupant des lieux fait obstacle à l'accès aux données présentes sur un support ou un terminal informatique.
Ces modifications répondent à des besoins exprimés par les services du ministère de l'intérieur, et visent à garantir la pleine efficacité des dispositifs que nous avons votés en 2017. Elles préservent l'équilibre entre sécurité et liberté.
Mon amendement ne reprend pas, en revanche, une proposition que nous avions formulée et qui visait à créer des mesures de sûreté pour les terroristes sortant de détention. Comme vous le savez, cette proposition a été reprise dans une proposition de loi de la présidente de la commission des lois de l'Assemblée nationale, adoptée à la fin du mois de juillet. Elle a toutefois été censurée par le Conseil constitutionnel, au mois d'août. Le Conseil n'a toutefois pas complètement fermé la porte : il a considéré qu'il était loisible au législateur de prévoir des mesures de sûreté, mais a exigé que les garanties soient renforcées.
Dans ces conditions, le dépôt d'un nouveau texte est envisageable, mais il nécessite que des consultations soient organisées et qu'une réflexion approfondie soit menée, afin d'éviter le risque d'une nouvelle censure. En tout état de cause, il nous aurait été difficile de l'intégrer au présent projet de loi, avec lequel il ne présente pas de lien au sens de l'article 45 de la Constitution. J'invite néanmoins la commission à engager une réflexion sur ce point.
S'agissant de la technique de l'algorithme, je n'ai pas souhaité déposer d'amendement et je vous proposerai d'adopter l'article 2 sans modification.
Deux raisons motivent cette position.
La première est liée au bilan de la technique. Un premier rapport d'évaluation a été remis au Parlement fin juin 2020. Celui-ci fait état de premiers résultats encourageants : les trois algorithmes déployés par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et par la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) auraient ainsi permis, au cours des derniers mois, d'identifier des individus jusqu'alors inconnus des services. Mais ce rapport ne cache pas que la technique n'a pas encore atteint sa pleine efficacité, notamment parce que son champ d'analyse serait trop restreint.
Dans ce contexte, la prorogation proposée par le Gouvernement offre au législateur l'opportunité d'avoir un recul plus important sur l'efficacité de l'algorithme, avant d'envisager une pérennisation.
La seconde raison pour laquelle je n'ai pas souhaité proposer de modification à l'article 2 tient aux perspectives législatives en matière de renseignement.
Le Gouvernement a en effet annoncé qu'une réforme plus globale de la loi relative au renseignement de 2015 était en préparation. Cette réforme devrait proposer une série d'évolutions, qui font encore l'objet de discussions préalables au niveau interministériel. Dans ce contexte, il me semble tout à fait légitime, voire préférable, que le débat sur l'algorithme se tienne dans le cadre d'une discussion plus large sur les activités de renseignement.
Ce report pourrait en outre se révéler nécessaire au regard des incertitudes que la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), qui a rendu un arrêt important hier, fait peser sur les techniques de recueil de données de connexion en temps différé. Je note, à cet égard, que la commission des affaires étrangères et de la défense s'est saisie de ce texte pour avis.
Voilà, en quelques mots, le contenu des amendements que je soumets à notre commission et que nous serons amenés à examiner dans la suite de la discussion.
M. Jean-Yves Leconte . - C'est initialement notre commission qui avait proposé que les mesures de la loi SILT puissent s'autodétruire, de manière à faire l'objet d'un suivi, d'une évaluation par le Parlement et, le cas échéant, d'une révision.
Les mesures dont vous proposez la pérennisation et que le Gouvernement et l'Assemblée nationale nous proposent simplement de proroger faisaient suite aux mesures totalement dérogatoires du droit commun de la phase d'état d'urgence. La fin de l'état d'urgence, en 2017, a conduit le Gouvernement à proposer ces mesures assez proches de ce qui existait auparavant. Il s'agit de mesures de police lourdes en termes d'atteinte aux libertés. Nous avons déjà exprimé plusieurs fois notre souhait que ces mesures soient limitées et contrôlées.
C'est la raison pour laquelle il semble raisonnable, conformément au choix effectué par la commission jusqu'à présent, de considérer que leur prolongation est nécessaire dans le contexte actuel, mais qu'elle nécessite un pilotage serré du Parlement, avec des clauses de rendez-vous pour, le cas échéant, les proroger de nouveau ou les adapter.
En revanche, notre groupe n'est pas favorable à la pérennisation que vous nous proposez aujourd'hui.
J'ajoute que, sur un certain nombre de mesures, le contrôle du juge est assez léger, puisqu'il s'agit d'une simple information au parquet. Or celui-ci a pour le moment une indépendance limitée en France. La Cour européenne des droits de l'homme a déjà rappelé la France à l'ordre sur ce sujet. Sans une réforme du parquet, il me semble totalement inadéquat d'imaginer une pérennisation des mesures de la loi SILT.
Concernant les algorithmes, nous avons choisi, en 2015, de donner une autorisation générale de recueillir des informations, pour les traiter ensuite. C'est ce qui avait justifié cette clause de rendez-vous. Un rapport a été remis au Parlement. Nous pouvons envisager de poursuivre cette expérimentation. Toutefois, il nous semblerait utile d'aborder dès maintenant un certain nombre de sujets évoqués par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) dans ses rapports d'activité, de manière à améliorer les capacités de contrôle de celle-ci et à simplifier son fonctionnement. Nous avons déposé trois amendements en ce sens.
Mme Éliane Assassi . - Monsieur le président, je veux vous adresser nos félicitations pour votre élection.
Nous ne voterons pas en faveur de ce texte, pour un certain nombre de raisons qui, en 2017, ont déjà justifié notre opposition à la loi SILT.
Le Gouvernement a proposé une prorogation jusqu'au 31 décembre 2021, l'Assemblée nationale la réduisant de cinq mois. Quant à vous, monsieur le rapporteur, vous nous demandez de pérenniser ces mesures. Nous ne pouvons pas accepter votre proposition.
L'article 2 du texte prévoit de proroger la technique de recueil de renseignements algorithmique, qui, à ce jour, n'a aucunement fait la preuve de son efficacité ni, surtout, de sa pertinence. Je rappelle que la CJUE juge que cette technique, même utilisée à titre expérimental, constituait en soi une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux.
Le texte ne contient aucune évaluation des dispositifs prorogés et ni la nécessité, ni la proportionnalité, ni l'efficacité de telles mesures n'ont été démontrées. Sur le fond, nous les considérons comme attentatoires aux libertés, parce qu'elles pérennisent des dispositifs de renforcement du pouvoir exécutif, en étendant les pouvoirs de police administrative. Nous voterons donc contre.
Mes chers collègues, je vous invite à prendre connaissance de la motion du Conseil national des barreaux datée du 3 juillet dernier. Celui-ci constate que « le Gouvernement prend prétexte de la crise sanitaire pour considérer que le Parlement ne disposerait pas du temps nécessaire pour débattre des conditions dans lesquelles ces dispositifs doivent être abandonnés, pérennisés ou aménagés et ainsi proposer leur prolongation pour une année sans débat approfondi et en procédure accélérée ». Il considère que « les parlementaires ne peuvent proroger ces mesures dans l'urgence et sans une évaluation indépendante ».
M. François Bonhomme . - Pourriez-vous nous préciser le nombre de personnes qui seront libérées dans les prochaines années après avoir été condamnées pour fait de terrorisme ? En juillet dernier, il était question de 42 personnes libérées en 2020, de 62 en 2021 et de 50 en 2022. Ces chiffres sont-ils les bons ?
Mme Esther Benbassa . - Monsieur le président, je veux, au nom de mon nouveau groupe, vous féliciter pour votre élection. Je suis sûre que la commission est entre de bonnes mains et continuera à travailler dans la sérénité.
On nous demande, en procédure accélérée et sans que nous ayons pu disposer d'un bilan détaillé et exhaustif, de proroger des mesures préventives engagées sur la base de soupçons, restreignant les libertés et décidées par l'autorité administrative. Nous nous étions déjà opposés aux mesures prévues dans la loi SILT, susceptibles de faire l'objet de dérives et échappant au contrôle du juge judiciaire. Sans un quelconque rapport démontrant la légitimité et la proportionnalité de ces mesures, rien ne prouve leur efficacité. Il ne semble donc pas pertinent de les proroger d'un an. Nous voterons donc contre ce texte.
Mme Brigitte Lherbier . - Je souhaite avoir quelques précisions sur les personnes qui seront libérées : disposons-nous de détails sur leur origine géographique, de statistiques, d'évaluations ? Avant de se prononcer, les parlementaires devraient pouvoir connaître le degré de dangerosité de ces personnes.
M. Alain Richard . - Monsieur le président, je vous adresse les félicitations et les encouragements de notre groupe dans votre tâche.
La menace terroriste n'a pas baissé. La vigilance et la capacité de l'État d'assurer la protection de la République restent nécessaires. Nous souscrivons évidemment au maintien en vigueur des quatre mesures résultant de la loi SILT. Leur évaluation figure dans le rapport que vous avez présenté voilà à peine six mois. Il y a donc bien eu un travail d'analyse et de vérification de leur pertinence. Vous proposez de les pérenniser, alors que le Gouvernement préfère se donner un peu de temps - il semble qu'il veuille les ajuster sur des points de détail. Je suis convaincu que nous trouverons un point d'équilibre entre ces deux positions dans la navette.
En ce qui concerne le maintien en activité des systèmes d'algorithme, qui sont encore en développement, une prorogation temporaire me paraît juste, puisqu'il y aura de nouveaux développements dans un texte dont nous serons saisis.
Enfin, je rejoins tout à fait votre position : un travail approfondi doit être réalisé pour analyser exactement les limites qu'a tracées le Conseil constitutionnel en nous invitant à légiférer sur le sujet, à savoir la durée des mesures dans le temps, l'existence ou non de mesures de formation ou d'insertion pendant la détention, l'éventail des mesures de sûreté et leur compatibilité avec la liberté d'aller et venir et le droit à une vie familiale normale. Une éventuelle proposition de loi en ce sens devra être soumise au Conseil d'État pour éviter toute mauvaise surprise.
Dans ces conditions, nous soutiendrons la position de M. le rapporteur.
M. Marc-Philippe Daubresse , rapporteur . - Monsieur Leconte, dans le cadre de la mission de suivi et de contrôle de la loi SILT, nous avons organisé de nombreuses auditions. J'ai rédigé deux rapports. Vous y trouverez toutes les évaluations que vous recherchez. Mon rapport est critique : il ne s'agit pas d'un blanc-seing. J'y explique que certaines choses sont allées dans le bon sens, mais que d'autres doivent être améliorées, pour assurer le respect des libertés. En 2017, sous l'autorité du président Philippe Bas, nous avions clairement envisagé de pérenniser les mesures de la loi SILT après évaluation. Ma position s'inscrit donc dans la logique des précédents travaux de la commission.
Je rappelle qu'il s'agit de mesures de police administrative restrictives, et non privatives, de libertés. Il n'y a pas de raison que le parquet intervienne directement dans leur mise en oeuvre. L'autorité judiciaire intervient uniquement pour autoriser les visites domiciliaires, car il y a là une atteinte au droit de propriété. Je rappelle qu'en tout état de cause, les mesures administratives peuvent, toujours, faire l'objet d'un recours devant le juge administratif. Enfin, gardons à l'esprit que toutes ces mesures ont été validées par le Conseil constitutionnel, qui est très sourcilleux sur l'équilibre entre sécurité et liberté. Au reste, je souscris à peu près à tout ce que vous avez dit sur le renseignement.
Mesdames Assassi et Benbassa, je rappelle que la loi avait un caractère expérimental et qu'elle a fait l'objet d'une évaluation très précise. J'ai moi-même conduit deux missions sur le terrain, à Lille et dans les Alpes-Maritimes, et je me suis rendu à Bruxelles, où nous avons étudié les connexions avec la commune de Molenbeek.
Pour autant, je suis d'accord, nous n'avons pas aujourd'hui suffisamment approfondi la question du renseignement pour pouvoir nous prononcer. J'ai répondu à la motion du barreau. Le Gouvernement annonce un projet de loi relatif au renseignement : comme l'a dit Alain Richard, il vaut mieux attendre ce texte et prendre le temps de la réflexion.
Pour ce qui est des chiffres, le nombre de personnes devant sortir de prison s'élève à 42 personnes pour 2020, 62 pour 2021 et probablement 50 pour 2022. Actuellement, le dispositif des Micas n'est qu'administratif. Je souhaitais que nous puissions le compléter par un dispositif judiciaire.
Je souscris complètement à ce qu'a dit Alain Richard sur la menace terroriste, qui n'a pas disparu - bien au contraire -, sur les algorithmes et sur la nécessité d'un travail approfondi sur les mesures de sûreté, auxquelles le Conseil constitutionnel ne s'oppose pas, mais dont il demande que l'on restreigne le champ, l'application et l'éventail.
Je propose de considérer que le périmètre du texte, au sens de l'article 45 de la Constitution, inclut les dispositions relatives au régime ainsi qu'à la durée d'application des mesures de police administrative prévues aux chapitres IV à X du titre II du livre II du code de la sécurité intérieure et les dispositions relatives aux conditions et à la procédure d'autorisation, de mise en oeuvre et de contrôle des techniques de renseignement.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1 er
L'amendement COM-4 est adopté.
Articles additionnels après l'article 2
M. Jean-Yves Leconte . - Nos trois amendements ont été inspirés par la CNCTR.
L'amendement COM-1 rectifié vise à permettre un contrôle permanent des fichiers de souveraineté par cette commission, de manière qu'elle puisse réaliser un contrôle plus solide sur l'usage de ces fichiers. Cela me semble indispensable pour donner confiance dans la manière dont les techniques de renseignement sont mises en oeuvre dans notre pays.
M. Marc-Philippe Daubresse , rapporteur . - Sur le fond, je partage votre préoccupation. Conforter le pouvoir de contrôle de la CNCTR en lui donnant accès aux fichiers de souveraineté répondrait à une demande forte. Le débat est évidemment légitime, mais il soulève aussi des interrogations : comment garantir la protection des sources des services de renseignement et celle de leurs agents ? Ces questions doivent être traitées avant de légiférer.
Mais puisque l'on nous annonce une refonte complète de la loi sur le renseignement, je pense que le travail parlementaire devra s'effectuer à ce moment, raison pour laquelle j'y donnerai un avis défavorable.
L'amendement COM-1 rectifié n'est pas adopté.
M. Jean-Yves Leconte . - Les amendements COM-2 rectifié et COM-3 rectifié sont des amendements de simplification.
Il est quelque peu aberrant que les exigences de conservation des données soient différentes selon que ce sont des images ou des paroles qui ont été captées. Nous proposons, avec l'amendement COM-2 rectifié, de réaliser une moyenne des deux durées maximales de conservation existant à ce jour.
L'amendement COM-3 rectifié vise à éviter la réunion d'une formation collégiale de la CNCTR pour autoriser le démantèlement d'un dispositif de surveillance.
M. Marc-Philippe Daubresse , rapporteur . - Sur le fond, nous sommes d'accord, mais, sur la forme, nous considérons qu'il vaut mieux attendre le dépôt du projet de loi relatif au renseignement. Avis défavorable à ces deux amendements.
M. Jean-Yves Leconte . - Monsieur le rapporteur, autant je comprends que l'amendement COM-1 rectifié nécessite un débat approfondi, autant j'estime que, sur ces deux amendements, qui portent de petites simplifications, vous pourriez vous montrer aussi audacieux que vous l'avez été sur l'article 1 er ! Nous sommes là pour légiférer.
Les amendements COM-2 rectifié et COM-3 rectifié ne sont pas adoptés.
Article 3
L'amendement COM-5 est adopté.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article 1
er
|
|||
M. DAUBRESSE,
|
4 |
Pérennisation et ajustement des dispositions de la loi « SILT » |
Adopté |
Articles additionnels après l'article
2
|
|||
M. LECONTE |
1 rect. |
Accès de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement aux fichiers de souveraineté |
Rejeté |
M. LECONTE |
2 rect. |
Mise en cohérence de la durée de conservation des paroles et des images collectées dans le cadre d'une technique de renseignement |
Rejeté |
M. LECONTE |
3 rect. |
Simplification de la procédure d'avis de la CNCTR pour le retrait d'un dispositif de surveillance dans un lieu d'habitation |
Rejeté |
Article 3
|
|||
M. DAUBRESSE, rapporteur |
5 |
Coordination outre-mer |
Adopté |
RÈGLES RELATIVES
À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45
DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44
BIS
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT
(« CAVALIERS »)
Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 18 ( * ) .
De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie 19 ( * ) . Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte 20 ( * ) . Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial 21 ( * ) .
En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.
Elle a considéré que ce périmètre incluait les dispositions relatives :
- au régime ainsi qu'à la durée d'application des mesures de police administrative prévues aux chapitres IV à X du titre II du livre II du code de la sécurité intérieure ;
- aux conditions et à la procédure d'autorisation, de mise en oeuvre et de contrôle des techniques de renseignement.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Ministère de l'Intérieur
Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI)
M. Nicolas Lerner , directeur général
Direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ)
M. Thomas Campeaux , directeur
M. Martin Alline , adjoint au chef du bureau des polices administratives
LA LOI EN CONSTRUCTION
Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl19-669.html
* 1 Art. L. 226-1 du code de la sécurité intérieure.
* 2 Art. L. 227-1 et L. 227-2 du même code.
* 3 Art. L. 228-1 à L. 228-7 du même code.
* 4 Art. L. 229-1 à L. 229-6 du même code.
* 5 Art. 17 de la loi n° 2017-1015 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.
* 6 Rapport n° 348 (2019-2020) de M. Marc-Philippe Daubresse, fait au nom de la commission des lois, sur le contrôle et le suivi de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, déposé le 26 février 2020. Ce rapport est disponible à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/r19-348/r19-3481.pdf .
* 7 Rapport n° 506 (2019-2020) de M. Christian Cambon fait au nom de la délégation parlementaire au renseignement, déposé le 11 juin 2020. Ce rapport est disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/r19-506/r19-506.html .
* 8 Rapport d'information n° 348 (2019-2020) du 26 février 2020 sur le contrôle et le suivi de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, fait par M. Marc-Philippe Daubresse au nom de la commission des lois. Ce rapport est disponible à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/r19-348/r19-3481.pdf .
* 9 Proposition de loi renforçant la lutte contre le terrorisme et le suivi des condamnés terroristes à leur sortie de détention, présentée par MM. Philippe Bas, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Josiane Costes, MM. François Grosdidier et Dany Wattebled.
* 10 Ces dispositions ont été codifiées au sein d'un nouveau chapitre VIII du titre II du livre II du code de la sécurité intérieure, comprenant sept articles L. 228-1 à L. 228-7.
* 11 Décisions n° 2017-691 QPC du 16 février 2018 et n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018.
* 12 Dans sa décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018, le Conseil constitutionnel a confirmé la conformité à la Constitution de l'article 1 er de la loi du 30 octobre 2017 autorisant l'autorité préfectorale à instaurer des périmètres de protection. Il a toutefois formulé une réserve d'interprétation s'agissant de la participation d'agents de sécurité privée à la mise en oeuvre des contrôles, exigeant des autorités publiques qu'elles garantissent « l'effectivité du contrôle exercé sur ces personnes par les officiers de police judiciaire ».
* 13 Créée en 2015, la CNCTR est une autorité administrative indépendante, qui a remplacé la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS). Elle a pour mission de veiller à ce que les techniques de renseignement soient mises en oeuvre, sur le territoire national, conformément au cadre légal.
* 14 Article 17 de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.
* 15 Rapport n° 506 (2019-2020) de M. Christian Cambon fait au nom de la délégation parlementaire au renseignement, déposé le 11 juin 2020. Ce rapport est disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/r19-506/r19-506.html.
* 16 Loi n° 61-814 du 29 juillet 1961 pour les îles Wallis et Futuna, loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 pour la Polynésie française, loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 pour la Nouvelle-Calédonie, loi n° 55-1052 du 6 août 1955 portant statut des Terres australes et antarctiques françaises et de l'île de Clipperton.
* 17 La technique du « compteur » consiste à indiquer qu'une disposition est applicable dans une collectivité régie par le principe de spécialité législative dans sa rédaction résultant d'une loi déterminée, ce qui permet de savoir si les modifications ultérieures de cette disposition ont été ou non étendues.
* 18 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.
* 19 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.
* 20 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.
* 21 Décision n° 2011-637 DC du 28 juillet 2011 - Loi organique relative au fonctionnement des institutions de la Polynésie française, confirmée par les décisions n° 2016-732 DC du 28 juillet 2016 - Loi organique relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature, et n° 2017-753 DC du 8 septembre 2017 - Loi organique pour la confiance dans la vie politique.