B. UNE DOTATION POUR DÉPENSES ACCIDENTELLES ET IMPRÉVISIBLES DONT LES CONDITIONS DE RECOURS RISQUENT D'ÊTRE UNE NOUVELLE FOIS DÉTOURNÉES

1. Une dotation soumise à une doctrine d'emploi précise et dont le montant de crédits ouverts est stable depuis 2018
a) Des crédits dont l'utilisation est encadrée afin d'éviter le financement de mesures discrétionnaires ou de pallier des sous-budgétisations

L'objet du programme 552 « Dépenses accidentelles et imprévisibles » est de couvrir d'éventuelles dépenses liées à des événements aléatoires (catastrophes naturelles, calamités...) , qui ne peuvent être financées par les mesures de régulation de droit commun - utilisation de la réserve de précaution, transfert entre programmes.

Le principe d'auto-assurance doit en effet s'appliquer en premier ressort et se traduit « soit par le redéploiement de dépenses discrétionnaires, soit par la réalisation d'économies complémentaires. Ces redéploiements ou économies doivent être mis en oeuvre prioritairement au sein du programme qui supporte les aléas ou les priorités nouvelles. À défaut, ils doivent être réalisés entre les programmes de la même mission » 16 ( * ) .

Dès lors, le recours à la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles ne doit se faire qu'en dernier ressort . Par ailleurs, l'utilisation des crédits du programme 552 en cours de gestion est très encadrée. Les documents budgétaires rappellent ainsi que ces crédits ne doivent pas compenser des sous-budgétisations ou financer « des mesures nouvelles décidées de manière discrétionnaire en gestion » .

b) Une dotation identique à celle de 2018 et 2019

Les crédits du programme 552 pour 2020 s'élèvent à 124 millions d'euros en CP et 424 millions d'euros en AE, comme en 2018 et 2019. L'écart de 300 millions d'euros entre les AE et les CP est fixé à titre conventionnel depuis 2012 . Il s'explique par la nécessité de couvrir les éventuelles prises à bail privées, lesquelles peuvent durer « généralement 6 ou 9 ans, dans de rares cas 25 ans » 17 ( * ) .

Les crédits sont ouverts à titre conservatoire sur le titre 3 dans la catégorie « dépenses de fonctionnement autres que celles de personnel ». À cet égard, le Gouvernement considère que la concentration de ces crédits sur le titre 3 n'empêche pas d'abonder des crédits de titre 2 en cours de gestion, comme cela a été le cas en 2018 18 ( * ) . En effet, la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles n'ayant pas la nature d'un programme au sens de la LOLF, elle n'est pas soumise à la règle de la fongibilité asymétrique 19 ( * ) .

2. Un détournement des règles d'utilisation de la dotation à craindre pour 2019 et 2020, afin de compenser une éventuelle sous-budgétisation

Comme mentionné supra , le montant des crédits du programme 552 a été revu à la hausse à partir de 2018, pour accompagner l'abaissement du taux de mise en réserve des crédits du budget de l'État .

Il s'avère que l'utilisation des CP de la dotation n'a aucunement répondu à cette finalité depuis 2018 . En effet, outre l'abondement des fonds spéciaux, la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles a étonnamment servi à financer des mesures ni accidentelles, ni imprévisibles, palliant ainsi la sous-budgétisation des missions « Action extérieure de l'État » et « Engagements financiers de l'État ».

Au cours de l'examen de la loi de règlement pour 2018, vos rapporteurs spéciaux avaient contesté ce détournement des règles d'utilisation du programme 552, évoquées supra , opéré dans le but de « compenser à la fois l'engagement du Gouvernement de ne plus avoir recours aux décrets d'avance et le raccourcissement du délai d'examen du PLFR 2018 » 20 ( * ) . Pour mémoire, ces deux engagements avaient été portés par le Gouvernement à l'automne 2017 dans le but de renforcer la lisibilité de la procédure budgétaire et la qualité des débats parlementaires. De fait, le Gouvernement s'est privé de la possibilité d'un décret d'avance ou d'une LFR, et a finalement eu recours aux crédits non répartis en prenant deux décrets, une procédure qui ne permet aucun examen préalable par le Parlement .

Il est à craindre que ce détournement ne se reproduise en 2019 et 2020 du fait de l'absence de dotation du programme 336 « Mécanisme européen de stabilité » de la mission « Engagements financiers de l'État » depuis 2017. Or ce programme devrait porter les crédits de la rétrocession des intérêts négatifs au Mécanisme européen de stabilité. Si elle n'est pas certaine, cette opération est à tout le moins prévisible, du fait de sa récurrence depuis 2017, et mérite donc d'être budgétisée dès le projet de loi de finances initial, comme le rappelle notre collègue Nathalie Goulet, rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'État ».

L'absence chronique de dotation du programme 336 depuis 2017

« Le programme 336 « Mécanisme européen de stabilité » soutient la contribution française au capital du Mécanisme européen de stabilité (MES), organisation permanente inaugurée en octobre 2012 pour remplacer le Fonds européen de stabilité financière, une institution temporaire créée pour financer les programmes d'assistance financière à destination de trois pays de la zone euro (Irlande, Portugal, Grèce).

La contribution de la France au MES est légèrement supérieure à 20 % de son capital , composé à la fois de parts libérées (80,5 milliards d'euros au total dont 16,3 pour la France) et de parts appelables (624,3 milliards d'euros au total dont 126,3 pour la France). La participation de la France aux parts libérées a déjà été versée, sous la forme de cinq tranches de 3,3 milliards d'euros.

Cependant, en 2017, le MES s'est vu retirer la dérogation lui permettant de ne pas payer les intérêts négatifs sur ses facilités de dépôt placées auprès des banques centrales nationales composant l'Eurosystème (taux de - 0,4 %). Pour que la levée de cette dérogation n'affecte pas le capital du MES, les autorités françaises et allemandes ont pris l'engagement de rétrocéder au MES les intérêts perçus sur les dépôts placés auprès de la Banque de France et de la Bundesbank . Considérant que la rétrocession reste conditionnée à un engagement similaire de l'Allemagne et ne constitue donc pas une dépense certaine, le Gouvernement ne dote pas ce programme. [...] Si l'inscription de 100 millions d'euros conduirait certes à dépasser le plafond de dépenses inscrit en LPFP, elle répondrait au souci, constamment réaffirmé par le Gouvernement, de sincérité de la budgétisation . C'est également l'une des recommandations de la Cour des comptes. »

Source : note de présentation de Mme Nathalie Goulet, rapporteur spécial, sur la mission « Engagements financiers de l'État », projet de loi de finances pour 2020

Ces observations ne peuvent qu'inciter le Gouvernement à procéder à une ouverture de crédits sur le programme 336 pour 2019, dans le cadre du prochain examen du projet de loi de finances rectificative, et pour 2020, tandis que la discussion du projet de loi de finances initial se poursuit.


* 16 Rapport annexé à la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.

* 17 Réponse du ministère au questionnaire budgétaire des rapporteurs spéciaux sur le PLF pour 2019.

* 18 Contribution de MM. Claude Nougein et Thierry Carcenac au rapport n° 625 (2018-2019) de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2018, 3 juillet 2019 : http://www.senat.fr/rap/l18-625-2/l18-625-278.html#toc1169

* 19 Le IV de l'article 12 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances dispose en effet qu'« aucun virement ni transfert ne peut être effectué au profit du titre des dépenses de personnel à partir d'un autre titre »

* 20 Contribution de MM. Claude Nougein et Thierry Carcenac au rapport n° 625 (2018-2019) de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2018, 3 juillet 2019 : http://www.senat.fr/rap/l18-625-2/l18-625-278.html#toc1169

Page mise à jour le

Partager cette page