II. UN DISPOSITIF PRÉSERVÉ DE HAUTE LUTTE EN 2013/2014, GRÂCE EN PARTICULIER À LA MOBILISATION DES PARLEMENTAIRES EUROPÉENS ET NATIONAUX
• En 2008, la Commission européenne a poussé l'idée d'une réforme radicale : l'abandon des « droits de plantation » à l'horizon 2015
A la faveur de l'ouverture croissante aux échanges internationaux, de la libéralisation des économies et du démantèlement, à partir de 1992, des dispositions entravant le fonctionnement des signaux de marché au sein de la PAC, le dispositif des « droits de plantation » a fait l'objet de contestations croissantes durant les années 1990 et 2000. C'est dans ce contexte que la Commission européenne a conçu, en 2008, un projet tendant à renoncer à la régulation de la production de la vigne. Et il s'en est fallu de peu que ce projet ne soit adopté.
La réforme de l'OCM vitivinicole envisagée en 2008 avait pour objectif affiché d'améliorer la compétitivité du secteur.
Selon la Commission européenne, le système des « droits de plantation » avait pour inconvénient de limiter les capacités à innover des viticulteurs, tout en « enfermant », pour ainsi dire, l'appareil de production dans un « carcan administratif » lourd à gérer.
En outre, pour ses concepteurs, cette nouvelle stratégie se justifiait par la volonté de conquérir des nouveaux marchés et de faire face à la concurrence des producteurs de vin d'Amérique et d'Océanie, sur les marchés asiatiques en pleine croissance
Envisagé dès 1999, ce projet de réforme avait été formulé en 2008, avec un échéancier précis fixé au 31 décembre 2015, ou au 31 décembre 2018 pour les États membres qui auraient souhaité maintenir le dispositif antérieur trois années supplémentaires.
• La sauvegarde des « droits de plantation » jusqu'en 2030
Ce projet de réforme, que l'on peut légitiment qualifier de systémique, sinon radical, était soutenu par certains États membres pour des raisons de principe, mais également par de grandes entreprises du secteur de l'agroalimentaire et du commerce international.
Il se heurta, à l'inverse, très rapidement à l'opposition déterminée des vignerons, de leurs représentants et de nombreux parlementaires nationaux et européens. À l'initiative de la France et de l'Allemagne, un nombre croissants d'États membres a fini par renverser le rapport de force et par contraindre la Commission européenne à renoncer.
Symboliquement, la mobilisation des adversaires de la réforme fut grandement favorisée par deux prises de position publiques convergentes, tout d'abord celle de la chancelière allemande Mme Angela Merkel en mars 2010, suivie, en janvier 2011, par celle de M. Nicolas Sarkozy, alors Président de la République. Il s'est agi, indiscutablement, de deux signaux politiques forts.
Dans la foulée, neuf ministres de l'agriculture (Allemagne, France, Italie, Chypre, Luxembourg, Hongrie, Autriche, Portugal, Roumanie) formalisèrent leur opposition à l'abandon des « droits de plantation » en publiant, le 14 avril 2011, une lettre commune.
Trois autres États membres - l'Espagne, la République tchèque et la Slovaquie - rejoignirent ensuite cette position.
Puis le Parlement européen adopta le 23 juin 2011 une résolution considérant que la Commission devrait envisager de proposer le maintien des droits de plantation dans le secteur viticole au-delà de 2015.
• Une mobilisation accompagnée et encouragée par le Sénat
Le Sénat a participé activement à ce mouvement, en adoptant successivement, en 2011, puis en 2013, deux résolutions européennes, demandant le maintien des « droits de plantation » de vigne, ou encore en accueillant, en avril 2011, un colloque sur le sujet.
Le Parlement européen fit de même. Un colloque international, qui s'y tint 19 mars 2012 5 ( * ) , illustra non seulement la forte mobilisation de la filière (300 intervenants), mais également la cohésion entre, d'une part, les parlementaires des États membres, d'autre part, les parlementaires européens. Parmi ces derniers, il convient de rappeler le rôle de M. Michel Dantin, alors rapporteur du volet de la réforme de la PAC 2014/2020 portant sur l'organisation commune des marchés des produits agricoles. Ce dernier soutint avec détermination la proposition de maintenir, au minimum jusqu'en 2030, le régime actuel des droits de plantation. In fine , cette position raisonnable et équilibrée devait l'emporter, au grand soulagement des professionnels français et européens de la vigne.
En effet, la Commission européenne accepta de reconsidérer sa position, dans une affaire qui apparaissait manifestement de plus en plus mal engagée. Le commissaire à l'Agriculture et au développement rural de l'époque, M. Dacian Ciolos, eut la sagesse de constituer, le 19 janvier 2012, un Groupe de haut niveau (GHN) composé d'experts, de membres du Parlement européen et de représentants des organisations professionnelles, dans l'objectif de trouver une issue. Les conclusions de ce forum de réflexion, présentées le 14 décembre 2012, ouvrirent ensuite la voie à un accord politique au niveau européen, consistant à abandonner l'idée d'une libéralisation du secteur de la vigne.
En définitive, la pression politique fut intense pendant plusieurs années. C'est ainsi qu'à l'occasion de la préparation de la réforme de la PAC 2014/2020, la France et ses partenaires obtinrent finalement le maintien du système des « droits de plantation » et ce jusqu'en 2030, en acceptant quelques modifications techniques. Il n'est pas exagéré d'affirmer que cet heureux dénouement de la crise n'aurait sans doute pas été possible sans la contribution des parlementaires nationaux.
* 5 Voir l'article de La France agricole du 20 mars 2012 - « La France ne cédera pas sur les droits de plantation ».