TRAVAUX DE LA COMMISSION
I. AUDITIONS PRÉPARATOIRES
A. AUDITION DE M. DIDIER MIGAUD, PREMIER PRÉSIDENT DE LA COUR DES COMPTES (15 MAI 2019)
Réunie le mercredi 15 mai 2019, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a entendu M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport relatif aux résultats et à la gestion budgétaire de l'exercice 2018 et sur la certification des comptes de l'État pour l'exercice 2018, et, en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques, sur l'avis du Haut conseil relatif au solde structurel des administrations publiques de 2018.
M. Vincent Éblé , président . - Nous avons le plaisir de recevoir M. Didier Migaud en sa double qualité de Premier président de la Cour des comptes et de président du Haut Conseil des finances publiques, pour nous présenter d'une part les constats de la Cour sur l'exécution du budget de l'État en 2018 et l'acte de certification des comptes de l'État, et d'autre part l'avis du Haut Conseil relatif au solde structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement de 2018. Cette audition précède celle du Ministre de l'action et des comptes publics, M. Gérald Darmanin, qui se tiendra à 17 heures devant notre commission, sur le projet de loi de règlement présenté ce matin même en Conseil des ministres.
Notre commission poursuivra ses travaux au cours des semaines à venir avec de nouvelles auditions de ministres sur l'exécution budgétaire des crédits dont ils sont responsables.
Ces auditions se placent avec les travaux de nos rapporteurs spéciaux dans le cadre général de notre contrôle budgétaire continu, auquel la Cour des comptes participe substantiellement, ses magistrats étant déjà venus nous présenter trois enquêtes demandées par notre commission en application de l'article 58-2 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) depuis le début de l'année 2019, sur l'indemnisation des victimes du terrorisme, le périmètre et les risques présentés par la dette publique et la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS).
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes . - Comme chaque printemps, je suis très heureux de venir vous présenter plusieurs travaux produits à la demande du législateur organique par la Cour des comptes et le Haut Conseil des finances publiques afin d'éclairer la discussion que vous allez engager dans quelques jours sur le projet de loi de règlement pour 2018.
Je suis accompagné cet après-midi de Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour, de la présidente Michèle Pappalardo, rapporteure générale, ainsi que - pour le rapport sur l'exécution du budget de l'État - de Christian Charpy, président de section, et de Cécile Fontaine, conseillère-maître, respectivement contre-rapporteur et rapporteure de ce rapport, et - pour la certification des comptes de l'État - d'Emmanuel Belluteau, président de section, rapporteur de l'acte de certification. François Monier représente quant à lui le Haut Conseil des finances publiques, dont il est le rapporteur général. Se sont joints à nous des magistrats mobilisés pour réaliser les travaux que je vais à présent vous présenter.
Mon propos portera successivement sur trois documents qui viennent de vous être remis : l'acte de certification des comptes de l'État pour 2018, le rapport sur l'exécution du budget de l'État en 2018 et l'avis du Haut Conseil des finances publiques relatif au solde structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement - trois documents qui n'ont pas le même périmètre, les deux premiers ne concernant que les comptes et le budget de l'État, et le dernier portant sur l'ensemble des finances publiques. Le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, dont le périmètre couvre lui aussi l'ensemble des administrations publiques, vous sera adressé le mois prochain et prolongera les analyses qui vous sont présentées aujourd'hui.
Avant de vous détailler le contenu de ces documents, un mot du calendrier de publication de ces trois travaux, qui vous sont remis une quinzaine de jours plus tôt qu'à l'accoutumée, car, cette année encore, la date de dépôt du projet de loi de règlement a été avancée d'une semaine. Le ministre de l'action et des comptes publics a d'ailleurs souhaité que, d'ici 2021, ce dépôt ait lieu à la mi-avril, afin que l'examen du projet de loi intervienne lors de la présentation du programme de stabilité.
Ce changement de calendrier répond à une préoccupation qui me semble particulièrement vertueuse, celle de vous permettre de consacrer davantage de temps à l'examen du projet de loi de règlement. Nous ne pouvons évidemment que souscrire à cet objectif, que nous avons appelé de nos voeux très régulièrement, afin que la loi de règlement devienne une véritable loi de résultats et un temps fort de l'évaluation et du contrôle parlementaires.
Néanmoins, un tel resserrement du calendrier ne doit pas affecter les conditions de réalisation des travaux de la Cour. Ceux-ci dépendent en effet de la complète disponibilité des éléments d'informations statistiques, budgétaires et comptables fournis par les services du ministère de l'action et des comptes publics et nécessaires à la réalisation de nos diligences de contrôle et de certification.
Or dès cette année, le resserrement du calendrier de dépôt du projet de loi de règlement a posé quelques difficultés. Ainsi, le Haut Conseil des finances publiques a été conduit à formuler son avis avant que l'Insee ne publie les premiers résultats des comptes annuels de 2018, nécessaires au calcul du solde structurel des administrations publiques. Les données dont vous disposez dans ce document pourraient donc évoluer à très court terme, d'ici quelques jours.
À l'avenir, l'avancement du calendrier du dépôt de la loi de règlement devra donc nécessairement aller de pair avec celui de la mise à disposition de toutes les données statistiques, budgétaires et comptables produites à cette occasion par les ministères économiques et financiers, qui sont nécessaires aux juridictions financières pour réaliser les travaux que vous leur avez confiés dans les meilleures conditions et en préservant un délai raisonnable d'instruction.
Cette précaution ayant été formulée, j'en viens au contenu des trois documents qui vous ont été remis. Je commencerai par l'acte de certification des comptes de l'État pour l'exercice 2018.
J'insisterai en particulier sur trois éléments. Il me semble d'abord utile de rappeler quelques chiffres-clés relatifs à la situation financière de l'État présentée dans son compte général. Les états financiers mettent en effet en lumière la situation nette fortement négative des comptes de l'État, à hauteur de 1 296 milliards d'euros au 31 décembre 2018, soit près de quatre années de produits fiscaux. En 2006, lors du premier exercice de certification conduit par la Cour, la situation nette des comptes de l'État en représentait la moitié, soit seulement deux années. Cela traduit la détérioration de la situation financière de l'État.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le faire il y a un an, j'insiste à nouveau sur le fait que le passif de l'État représente plus du double de son actif, c'est-à-dire que ce que l'État doit représenter plus de deux fois ce qu'il possède et, ce, sans même tenir compte de ses engagements hors bilan, qui sont d'un peu plus de 4 000 milliards d'euros.
Sur le fond, ensuite, l'acte de certification confirme la poursuite de la démarche de fiabilisation des comptes de l'État que nous constatons année après année. Ainsi, les améliorations réalisées en 2018 permettent de lever 14 parties des réserves formulées sur les comptes de l'exercice passé. On peut citer à titre d'exemple les progrès réalisés dans l'estimation de la valeur du parc immobilier de l'État à l'étranger ou celle des établissements publics de santé.
Comme en 2017 et en 2016, la Cour a donc certifié les comptes de l'État sous quatre réserves substantielles. La première est systémique : en dépit de quelques progrès, dont l'acte rend compte, la Cour considère que les modalités de tenue de la comptabilité générale de l'État dans Chorus et l'efficacité encore insuffisante de son contrôle interne entraînent une limite générale dans l'étendue des vérifications que le certificateur doit conduire. Les trois autres réserves concernent différentes anomalies, portant respectivement sur les stocks militaires et les immobilisations corporelles, les immobilisations financières et les produits et charges régaliens.
Depuis les treize années que les comptes de l'État sont certifiés, nous sommes donc parvenus au stade où ne demeurent que des réserves substantielles, dont nous savons que l'érosion sera lente. Elle sera facilitée par la qualité du dialogue noué entre le certificateur et la direction générale des finances publiques (DGFiP) qui est, dans ce domaine, notre principal interlocuteur. Ce dialogue vise autant à traiter les réserves persistantes qu'à prendre en compte les nouveaux sujets qui apparaissent inévitablement à mesure que les politiques publiques évoluent, que les comptes sont plus faciles à auditer et que les travaux de certification progressent.
À cet égard, la Cour dresse cette année le constat général d'une relance de la dynamique de fiabilisation des comptes de l'État, dont nous souhaitons naturellement qu'elle se poursuive. Les échanges noués avec la DGFiP ont ainsi été très constructifs tout au long de l'année passée, et nous nous en félicitons. Un planning et une feuille de route ont par exemple été établis à l'automne 2018 pour rechercher les moyens de simplifier à la fois la production et l'audit des comptes et de moderniser les modalités de relations entre l'administration et le certificateur. Notre objectif commun est de faire en sorte que les données de comptabilité générale soient plus facilement utilisables et plus utiles, pour les gestionnaires mais aussi et d'abord pour vous-mêmes, parlementaires. La qualité de ce dialogue est en tout cas de bon augure pour le traitement des vingt-cinq constats d'audit énoncés par l'acte de certification. Ce dialogue devra aussi trouver à s'appliquer à l'identification de toutes les conditions à remplir pour accélérer le calendrier de production des comptes tout en préservant ses conditions d'examen par la Cour.
J'en viens à la présentation des conclusions de notre rapport sur l'exécution du budget de l'État. Précision méthodologique : outre le changement de calendrier, nous avons aussi procédé cette année à une adaptation du format et du contenu des soixante-six notes d'exécution budgétaire (NEB) qui accompagnent ce rapport et vous ont été transmises dès le 2 mai, soit en même temps que les rapports annuels de performance.
Ces modifications répondent à différents souhaits exprimés par le Parlement, visant notamment à disposer de davantage d'analyses par programme, à disposer de plus de problématisation et de profondeur historique, et à donner une image plus complète des moyens consacrés à chaque politique publique. Il est prévu que ce processus d'amélioration se déroule sur deux exercices ; nous serons donc particulièrement attentifs à l'appréciation que vous porterez sur les changements qui ont été effectués cette année et à vos éventuelles propositions d'évolution pour l'année prochaine. Nous y serons d'autant plus attentifs que ces notes constituent, je crois, un outil de travail particulièrement précieux pour appréhender l'exécution budgétaire de chaque mission.
Certaines notes sont d'ailleurs susceptibles de vous intéresser tout particulièrement, comme la note consacrée à la mission « Cohésion des territoires », qui identifie une baisse de 1,2 milliard d'euros sur les dépenses d'aide au logement entre 2017 et 2018, suite aux mesures d'économies décidées dans ce secteur, ou la note consacrée à la mission « Écologie », qui présente l'analyse budgétaire liée à la généralisation du chèque-énergie en remplacement des tarifs sociaux du gaz et de l'électricité destinés aux ménages modestes. Je pourrai multiplier les exemples, tant ces travaux sont riches ; la Cour se tient à votre disposition pour vous apporter, selon les missions qui vous intéressent, les éclairages complémentaires qui vous seront utiles.
Sur le fond, le rapport qui vous est remis comporte trois grands axes. Le premier détaille les conditions d'exécution du budget de l'État en 2018, qui s'est faite de manière plus maîtrisée qu'en 2017. Le second axe, plus structurel, approfondit la situation singulière du budget de l'État par rapport à l'ensemble des administrations publiques : après trois années de quasi-stabilité, le déficit de l'État s'est creusé en 2018, alors que le solde des administrations publiques connaissait une évolution contraire. Le troisième axe de ce rapport, enfin, consiste, au-delà de l'analyse de la gestion 2018, à souligner la complexité croissante et le manque de lisibilité du budget de l'État, et à dresser un bilan du dispositif de performance établi par la LOLF.
Je commencerai par restituer les principaux constats ayant trait à l'exécution du budget de l'État au cours de l'année 2018. D'un point de vue qualitatif, la Cour fait état d'améliorations incontestables par rapport à l'exercice 2017, dont l'exécution s'était révélée particulièrement heurtée. Le rapport établit notamment qu'en 2018, les mises en réserve de crédits ont été circonscrites, la gestion infra-annuelle normalisée, les reports de charges et de crédits contenus et les normes de dépenses tenues.
Cette situation tient pour une part importante à l'amélioration de la qualité de la budgétisation initiale et de la programmation des dépenses : les sous-budgétisations se sont ainsi limitées à 1,5 milliard d'euros en 2018, contre 4,4 milliards en 2017.
Grâce aux efforts entrepris, aucun décret d'avance n'a été nécessaire en cours de gestion, alors que les exercices précédents en avaient connu deux ou trois. Les annulations et ouvertures de crédits comptent également parmi les plus basses depuis l'entrée en vigueur de la LOLF. La Cour salue tout particulièrement le faible niveau de la réserve, puisque le taux de mise en réserve est passé de 8 % en 2017 à 3 % en 2018. Nous ne pouvons évidemment que souhaiter que cet effort de maîtrise de l'exécution budgétaire se poursuive au cours des prochains exercices.
Mais, malgré ces satisfécits, quelques pratiques de gestion critiquables persistent. Le rapport signale par exemple le maintien de sous-budgétisations dans le domaine des opérations extérieures, à hauteur de 600 millions d'euros. Il relève également l'utilisation inappropriée de la dotation pour dépenses accidentelles ou imprévisibles, qui a principalement couvert une sous-budgétisation de 100 millions d'euros liée au Mécanisme européen de stabilité (MES).
D'un point de vue quantitatif, le rapport formule un certain nombre d'observations quant aux résultats de la gestion achevée. S'agissant des dépenses, la Cour relève que, par rapport à 2017, les dépenses de l'État ont continué à progresser, à hauteur de 0,9 % sur le périmètre de la nouvelle norme de dépense pilotable. Le rythme de progression des dépenses du budget général a pour sa part été limité à 0,3 %, contre 3,2 % sur un périmètre équivalent l'année dernière.
La progression des dépenses en 2018 résulte de l'augmentation significative des dépenses de personnel, qui se sont accrues de 2 % entre 2017 et 2018, malgré une stabilisation des effectifs. Cela tient notamment à l'effet, en 2018, des recrutements effectués en 2017 et aux mesures salariales intervenues alors, telles que l'application du protocole sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations (PPCR). Par ailleurs, même si la croissance de la masse salariale a légèrement ralenti par rapport à 2017, elle demeure supérieure à la moyenne de l'évolution constatée entre 2008 et 2017. En définitive, les dépenses de personnel représentent désormais près de 39 % des dépenses du budget général.
S'agissant des recettes, les recettes totales de l'État ont été nettement plus élevées que la prévision établie en loi de finances initiale, les recettes fiscales nettes ayant connu une exécution plus forte qu'attendu. Bien qu'en hausse par rapport à la prévision, parce que l'évolution spontanée des recettes a été dynamique, les recettes fiscales sont toutefois en légère baisse par rapport à 2017, notamment en raison des mesures importantes de baisses d'impôts prises en 2018 ou de mesures prises les années précédentes.
Vous le savez en effet, les baisses de prélèvement ont été significatives ces dernières années. Ainsi, pour la seule année 2018, en dépit d'un alourdissement de 4,1 milliards d'euros des recettes provenant de la fiscalité énergétique, les différentes mesures adoptées ont eu un impact net sur les recettes fiscales de moins 16,5 milliards d'euros, dont moins 13,5 milliards d'euros résultant de mesures d'allègements fiscaux.
Même si elles sont plus élevées que les prévisions initiales, les recettes nettes totales de l'État accusent donc une baisse d'un milliard d'euros par rapport à 2017. Cette baisse aurait d'ailleurs dû atteindre 3,8 milliards d'euros si des recettes de droits de mutation en 2017 n'avaient pas été imputées à tort sur 2018, ce que nous avions déploré l'année dernière, dans la précédente édition du rapport sur le budget de l'État.
Grâce à des recettes plus élevées qu'anticipé, le déficit de l'État a été relativement contenu par rapport à la prévision établie en loi de finances initiale. Il atteint en effet 76 milliards d'euros, soit 9,6 milliards d'euros de moins que le niveau fixé en loi de finances initiale. Mais ce constat ne doit pas occulter la trajectoire d'évolution et l'ampleur du déficit de l'État.
À un tel niveau - 76 milliards d'euros - le déficit de l'État représente en effet 23,4 % des dépenses nettes du budget de l'État, c'est-à-dire 4 milliards d'euros de plus que les dépenses de la mission « Enseignement scolaire » et 3 milliards d'euros de plus que les recettes de l'impôt sur le revenu. Surtout, et pour la première fois depuis 2014, le déficit de l'État est en hausse par rapport à l'année précédente, à hauteur de 8,3 milliards d'euros.
La trajectoire de l'État diverge donc de celle de l'ensemble des administrations publiques. En effet, le déficit de l'État en comptabilité nationale a atteint près de 3 % du PIB en 2018 ; il est, de ce fait, nettement supérieur au déficit de l'ensemble des administrations publiques (APU), qui a baissé de 0,3 % en 2018 pour s'établir à 2,5 %. En conséquence, alors que la dette de l'ensemble des APU se stabilise à 98,4 points de PIB, celle de l'État progresse, atteignant 78,3 points de PIB, soit 1,2 point de PIB de plus que l'année passée.
Au regard de cette situation contrastée, nous avons souhaité approfondir l'analyse du rôle particulier de l'État au sein des administrations publiques : c'est l'objet du second message délivré dans ce rapport. L'explication des divergences observées entre la situation de l'État et celle de l'ensemble des administrations publiques ne se trouve pas du côté des dépenses, dont l'augmentation, quelle que soit l'approche retenue, a tendance à ralentir. Le facteur explicatif se trouve plutôt dans la politique suivie en matière de recettes et, plus particulièrement, de recettes fiscales.
En effet, l'État définit la politique de prélèvements obligatoires, non seulement pour ses propres impôts - l'impôt sur le revenu, la taxe sur la valeur ajoutée ou encore l'impôt sur les sociétés - mais aussi pour les ressources des collectivités locales et de la sécurité sociale. Ainsi, les baisses de prélèvements destinées à améliorer la compétitivité des entreprises ou à augmenter le pouvoir d'achat des ménages prennent notamment la forme de mesures relevant de la Sécurité sociale - comme la suppression de cotisations salariales maladie et chômage - ou des collectivités locales - telles que le dégrèvement de la taxe d'habitation - qui font l'objet de compensations pesant sur le budget de l'État.
C'est donc le budget de l'État qui supporte l'essentiel du coût net des baisses de prélèvements, alors que ces baisses portent sur les recettes de toutes les administrations publiques. Or l'État ne peut pas réduire ses propres dépenses à due concurrence des baisses de prélèvements opérés sur l'ensemble des administrations publiques, d'autant plus qu'il porte aussi la charge d'intérêt sur 80 % de la dette publique.
Nous tirons de cette situation trois enseignements : il faut veiller à ce que l'effort de baisse des impôts soit proportionné à l'effort de baisse de la dépense ; il faut que cet effort de maîtrise de la dépense soit réparti sur le champ de l'ensemble des administrations publiques et non du seul État ; enfin, si nécessaire et notamment si l'on souhaite réduire rapidement le déficit du budget de l'État, le partage des recettes et des charges entre l'État et les autres secteurs d'administrations publiques mérite de faire l'objet d'un réexamen.
J'en viens au troisième et dernier message-clé figurant dans ce rapport. Il concerne la complexité croissante du budget de l'État, ainsi que les limites de la démarche de performance mise en oeuvre par la LOLF. Ce n'est pas un constat spécifique à la gestion budgétaire observée en 2018 ; néanmoins, nous avons souhaité y accorder des éléments d'analyse plus substantiels, à l'approche notamment du vingtième anniversaire de la LOLF.
Vous le constatez dans chacun de vos travaux, la dépense de l'État constitue un agrégat hétérogène, peu lisible et instable. Il est extrêmement complexe - sinon parfois impossible - de parvenir à en délimiter précisément les contours et à en apprécier les évolutions.
Cette complexité tient pour partie aux entorses persistantes faites aux grands principes budgétaires, tout particulièrement au principe d'universalité. Bien souvent en effet, les démembrements du budget de l'État conduisent à ce que les crédits budgétaires ne retracent qu'une partie finalement très réduite du financement de certaines politiques publiques. En conséquence, si l'on cherche à analyser la dépense de l'État sur le seul périmètre du budget général, on a une réelle difficulté à retracer des évolutions pertinentes et à appréhender la totalité des concours publics qui financent une activité déterminée.
Nous avions choisi l'année dernière de nous intéresser à l'un des outils portant atteinte à la cohérence du cadre budgétaire : les fonds sans personnalité juridique. Cette année, le rapport sur l'exécution du budget de l'État réalise une présentation détaillée de l'un de ces spécimens, le fond pour l'innovation et l'industrie, créé en 2018 et qui constitue une bonne illustration des critiques que nous avons formulées sur les fonds sans personnalité juridique. En l'espèce, le rapport formule une recommandation visant à substituer à ce fonds pour l'innovation un dispositif de soutien à l'innovation inclus dans le budget général.
Nous avons également consacré des développements substantiels aux dépenses fiscales, dont le coût a continué à progresser en 2018, de 6,7 milliards d'euros par rapport à 2017. Leur montant atteint ainsi 100 milliards d'euros pour l'année 2018. Depuis 2013, le coût des dépenses fiscales a progressé de près de 5,6 % par an et 1,8 %, hors effet du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE). Les dispositifs nouveaux se sont ainsi multipliés sans que les dispositifs existants ne soient réexaminés. Le plafonnement de ces dépenses demeure inopérant et leur évaluation lacunaire.
Vous êtes, si j'ose dire, les principales victimes des problèmes de fond que je viens successivement d'évoquer, qui limitent la portée de votre autorisation parlementaire et, plus largement, réduisent la capacité du Parlement à appréhender dans leur globalité les enjeux financiers associés à l'action de l'État, notamment sur une longue période. Aussi, je souhaite que les différentes recommandations que nous formulons dans ce rapport - et que nous aurons l'occasion de suivre - puissent progressivement remédier à cette situation.
J'en viens aux observations que nous établissons sur la démarche de performance. Le chapitre qui lui est consacré permet de dresser un bilan globalement décevant des réalisations portées par la LOLF. En réalité, il confirme une perception que nous avions déjà : la culture de la performance dans la gestion publique est une greffe qui n'a pas encore parfaitement pris. Nous en relevons plusieurs symptômes, tel que le caractère surabondant et peu utilisé de la documentation budgétaire. Sur le temps long, nous observons aussi que toutes les démarches de modernisation de l'État - quelles qu'en aient été les appellations - se sont construites à côté de ce dispositif de performance, signe de son caractère peu opérant ou, au moins, de sa faible appropriation par les décideurs publics.
La valeur ajoutée du bilan que nous avons réalisé tient pour partie à l'important travail de parangonnage effectué par les rapporteurs. Il permet en effet de replacer l'expérience française parmi celles de nos voisins étrangers. Nous avons également procédé à une consultation en ligne des responsables de programme, riche d'enseignements. Vous pourrez prendre connaissance de ces différents éléments en annexe du rapport que vous a été remis.
Globalement, si notre analyse nous conduit à dresser un bilan décevant de la démarche de performance, ce bilan ne doit pas conduire à céder au découragement. Car la LOLF a clairement permis de faire bouger les lignes et de dépasser la seule logique de moyens qui lui préexistait. Il est vrai, par ailleurs, que le contexte budgétaire particulièrement tendu qui a prévalu à partir de 2008 a fortement raccourci l'horizon des gestionnaires et rétréci leurs marges de manoeuvre, et qu'il a ainsi en partie annihilé les effets positifs du dispositif de performance promu par la LOLF.
S'il n'est donc pas souhaitable de revenir en arrière, notre rapport propose un certain nombre de pistes de refondation de ce dispositif : mieux distinguer les objectifs stratégiques, de niveau politique, et les objectifs de gestion fixés aux responsables de programmes, car un gestionnaire ne peut être tenu pour responsable que de ce sur quoi il a de vraies marges de manoeuvre ; inscrire ce dispositif dans un environnement plus global, propice à l'efficience de la dépense, en conduisant notamment des revues de dépenses et des évaluations de politiques publiques de façon régulière et selon un programme prévu dans la loi de programmation des finances publiques et présenté au Parlement, comme le font la plupart de nos partenaires ; rendre de vraies marges de gestion aux responsables de programme, en leur redonnant des perspectives de moyen terme par un renouveau des dispositifs de contractualisation et de fongibilité.
J'achèverai mon propos en tant que président du Haut Conseil des finances publiques pour vous présenter l'avis que le Haut Conseil vient de formuler sur le projet de loi de règlement, avis rendu en application de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques de décembre 2012. Conformément à la volonté du législateur organique, le Haut Conseil doit, à cette occasion, comparer l'exécution constatée en 2018 avec la trajectoire de solde structurel définie dans la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. Pour rappel, ce solde correspond au solde nominal, corrigé des effets liés à la conjoncture économique et déduction faite des mesures ponctuelles et temporaires.
En l'espèce, l'avis formule deux constats, le premier portant sur le niveau du déficit structurel, dont l'estimation est passée, en points de PIB, de 2,4 en 2017 à 2,1 en 2018. Sous la réserve que j'ai formulée au début de mon intervention sur le calendrier de publication par l'Insee des chiffres du PIB, le Haut Conseil constate que le solde structurel estimé pour 2018 est identique à celui prévu par la loi de programmation des finances publiques promulguée en janvier 2018. Il n'y a donc pas lieu de déclencher le mécanisme de correction prévu par la loi organique de décembre 2012 lorsqu'un écart de solde structurel par rapport à la loi de programmation atteint au moins 0,5 point de PIB sur une année donnée ou 0,25 point de PIB par an en moyenne sur deux années consécutives.
Le second constat formulé par notre avis porte sur la décomposition de la variation du solde structurel. Entre 2017 et 2018, compte-tenu des arrondis, le déficit structurel s'est réduit de 0,2 point de PIB. Cette amélioration s'explique, selon le Gouvernement, par un effort sur les dépenses publiques de plus 0,4 point, partiellement compensé par des mesures de baisse des prélèvements obligatoires à hauteur de moins 0,2 point.
S'agissant plus particulièrement de l'effort en dépense, il résulte d'une croissance des dépenses publiques estimée à 0,5 % en volume - en retenant les prix du PIB - soit un rythme moins rapide que la croissance potentielle du PIB, estimée à 1,25 %. Toutefois, le Haut Conseil relève que la recapitalisation d'Areva en 2017 a un impact significatif sur le calcul de cet effort. Si l'on neutralise les 4,5 milliards d'euros de dépense publique liés à cette recapitalisation, opérée en 2017, la croissance de la dépense en volume est alors de 0,9 % en 2018, soit une augmentation proche de celle constatée en 2017. Hors impact de la recapitalisation d'Areva, l'effort en dépense serait alors de 0,2 point en 2018 et l'effort structurel serait réduit à zéro.
En tout état de cause, le Haut Conseil souligne que le solde structurel, estimé à moins 2,1 points de PIB en 2018, reste encore très éloigné de l'objectif de moyen terme de moins 0,4 point de PIB défini dans la loi de programmation.
M. Vincent Éblé , président . - Le regard rétrospectif qui nous occupe aujourd'hui passe parfois pour politiquement anecdotique, car nous ne pouvons pas amender les articles purement récapitulatifs de la loi de règlement. C'est pourtant un exercice très utile : l'enchainement de cet exercice rétrospectif avec l'exercice prospectif est essentiel pour changer la donne et ne pas être réduit à la constater. Notre constat d'aujourd'hui doit nous donner des éléments pour les lois de finances futures ou en cours d'exécution.
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - L'année 2018 donne une impression contrastée. L'exécution a été bonne et les efforts de sincérité des comptes doivent être reconnus : il n'y a pas eu de décrets d'avance. Mais la bonne exécution est due à des recettes fiscales qui se tiennent. Les baisses d'impôt de 2018 n'ont pas été financées par des économies. J'en veux pour preuve la hausse de la masse salariale de l'État. On peut certes comprendre qu'il y ait de nouvelles missions, notamment en matière de sécurité ; des postes ont été créés par un gouvernement précédent. La Cour attire notre attention sur le coût des niches fiscales et celui de la politique du logement. Il semble que le Gouvernement ait entamé en 2018 ce qu'il a continué en 2019 et qui sera éclatant en 2020 : le renoncement aux réformes. Il n'est en effet pas raisonnable de laisser progresser de 2 % la masse salariale de l'État. On ne s'interroge pas non plus sur les missions de l'État.
Le déficit repart à la hausse. Ce n'est que grâce aux efforts des collectivités territoriales et à la bonne tenue des recettes fiscales que nous avons un assez bon résultat par rapport à ce qui était prévu. La masse salariale représente 39 % du budget de l'État. Toutes les annonces initiales sur la réduction du nombre de postes sont oubliées...
Quelques questions plus précises : le Haut Conseil indique que la recapitalisation d'Areva ne figure pas dans les décisions exceptionnelles et temporaires. J'espère pourtant que nous n'aurons pas à y procéder tous les ans ! Elle a une incidence de 0,2 point sur l'ajustement structurel. Cela signifie que si elle avait été considérée comme une opération exceptionnelle, la France aurait dépassé l'écart maximum autorisé par les règles européennes. S'agirait-il d'un petit arrangement pour que la France respecte ses engagements ?
Une remarque enfin sur la performance. La Cour plaide à juste titre pour le retour à l'esprit de la LOLF. Nous sommes d'accord : qui se penche sur un « bleu budgétaire » voit bien qu'il est illisible. Tous les objectifs sont atteints, il n'y a que des estimations pour les niches fiscales... Il y a peut-être trop d'informations, d'indicateurs, de rapports, et pendant ce temps, la dette continue à augmenter. En 2019, nous en serons à 100 %... peut-être faudrait-il revenir à des indicateurs plus simples. Des pays nordiques ont fait ce choix et ils ont de bien meilleurs résultats que nous. Il faudrait ajouter à cela le changement de calendrier pour que nous disposions de plus de temps pour l'évaluation.
M. Didier Migaud . - Oui, monsieur le président, le regard rétrospectif est utile, la réalité d'une politique budgétaire se mesurant avant tout dans son exécution. Il est toujours utile de regarder dans le rétroviseur : on connait ainsi mieux les dangers et la façon dont le chemin se déroule.
Les NEB que nous vous transmettons représentent 3 000 pages. Mais elles sont à destination des rapporteurs spéciaux, qui y trouvent des éléments d'information sur les programmes ou les missions sur lesquels ils rédigent leur rapport.
Monsieur le rapporteur général, une observation sur les dépenses de personnel : en effet, celles-ci augmentent moins qu'en 2017, mais un peu plus que la moyenne des augmentations entre 2008 et 2017, par la suite de décisions prises les années précédentes. L'effectif est cependant stabilisé à 300 unités près.
La Cour aura l'occasion de revenir sur la question d'Areva dans son rapport sur les perspectives des finances publiques. Le choix fait par le Gouvernement n'a pas d'incidence sur le solde effectif, mais sur le calcul du solde structurel mesuré par la Commission européenne. Le Gouvernement n'a pas classé cette dépense comme étant exceptionnelle, et la Commission européenne n'a pas fait d'observation...
Pour nous, la recapitalisation correspond à la définition des dépenses exceptionnelles, mais le Gouvernement et la Commission ont eu une position différente. Cela a effectivement une conséquence sur la mesure de l'évolution du solde structurel, qui devient quasi nulle. J'imagine que vous poserez cette question au ministre.
La démarche de performance est indispensable. Elle a été mise en place par la LOLF, après l'avoir été bien avant dans d'autres pays. Tout ce qui a été mis en place est-il pertinent ? La question n'est pas suffisamment prise en compte par les gestionnaires. Oui, l'information est surabondante et le nombre des indicateurs a été réduit, mais insuffisamment. Il faut mettre en cohérence les indicateurs et les opérations de pilotage, qui ne sont pas toujours les mêmes... Nous appelons donc à refonder ce dispositif. Mais la démarche de performance en elle-même reste particulièrement utile. Nous proposons d'introduire des revues de dépense régulièrement présentées au Parlement, des marges de manoeuvre plus souples pour les gestionnaires, telles que la pluri-annualité et la fongibilité. Mais cela pose le problème de la réserve numéro 1 sur les systèmes d'information et le contrôle interne : si nous voulons donner plus de souplesse, encore faut-il que ces derniers soient plus performants.
Nous aurons l'occasion d'y revenir, car nous proposerons un bilan de la LOLF pour ses vingt ans d'existence.
M. Vincent Delahaye . - Merci pour votre présentation. Votre travail constitue pour nous une mine d'informations précieuse. Vous notez l'effort de sincérité, la baisse des sous-budgétisations. Le déficit affiché est artificiellement réduit grâce à la prise en compte en 2018 d'une recette de 1,4 milliard d'euros au titre des droits de mutation qui n'a pas été comptabilisée en 2017. Au lieu de 76 milliards d'euros, il devrait donc s'élever à 77,4 milliards d'euros.
Le projet de loi de règlement est plus important que le projet de loi de finances initial car on n'est plus dans le domaine des projections mais dans le domaine du réel, de l'exécution. Avancer la date d'examen parlementaire de ce texte d'un mois est donc une bonne chose, cela nous permettra de mener davantage d'auditions.
La Cour souligne aussi les changements de périmètres budgétaires. Est-il possible de les stabiliser ? Cette pratique récurrente chaque année rend difficiles les comparaisons.
Je souhaiterais savoir s'il était possible de disposer d'une évaluation des frais de réception, de représentation, de transport et de communication au sein de chaque mission. Enfin, les restes à payer s'élèvent à 110 milliards d'euros, à peu près comme l'an dernier. Comment apprécier ce chiffre ? Est-il possible de le diminuer ?
M. Marc Laménie . - Merci pour votre travail très précieux. Le déficit s'élève à 76 milliards d'euros. C'est important si l'on considère la hausse de l'endettement même si la charge de la dette demeure stable grâce au maintien de taux d'intérêt bas.
Les opérateurs de l'État sont très nombreux, avec des missions très diverses. Parvenez-vous à quantifier leur poids financier ? Enfin, vous évoquez les dépenses fiscales, déplorant qu'elles ne soient ni pilotées ni évaluées. Pourquoi ?
M. Jean-Claude Requier . - Je suis un peu noyé dans l'avalanche de chiffres...mais je reste impressionné par l'importance du déficit budgétaire. Certes, voilà 25 ans que la France n'a pas eu un budget en équilibre, ce n'est donc pas nouveau, mais 76 milliards ce n'est pas rien ! Quand j'étais jeune, on n'empruntait pas car on avait peur de faire faillite. Les choses ont bien changé...Néanmoins la situation budgétaire s'est un peu améliorée, mais cela semble précaire et aléatoire. Quelle est la part due à l'action de l'État ? Quelle est la part due à l'amélioration de la conjoncture ?
M. Victorin Lurel . - J'ai des incertitudes sur l'estimation des immobilisations financières. Il est difficile de les évaluer et de déterminer les valeurs d'équivalences. Beaucoup d'entités existent avec des normes comptables différentes. J'aimerais avoir plus de précisions. Je pense en particulier à l'Agence des participations de l'État. Dans votre recommandation n o 9, vous préconisez le retour des recettes et des dépenses des fonds sans personnalité juridique au budget général, en recourant si possible aux mécanismes d'affectation prévus par la LOLF, ou en plaçant la gestion déléguée, si elle est maintenue, dans le cadre d'une convention de mandat. Cela correspond à ce que notre commission des finances avait demandé. Vous émettez d'ailleurs une réserve substantielle à propos des immobilisations financières, vous ne pouvez pas les certifier car les méthodes sont fluctuantes.
Sur les participations de l'État, dans la recommandation n o 10, vous plaidez pour la substitution au fonds pour l'innovation et l'industrie d'un dispositif de soutien inclus dans le budget général. On a en effet l'impression que la LOLF n'est pas respectée : lorsque les dividendes sont payés en numéraire, ils alimentent le budget général ; lorsque c'est sous forme de titres, c'est l'Agence des participations de l'État ou la Banque publique d'investissement qui gèrent...Cela ressemble à un tour de passe-passe comptable qui ne respecte ni l'esprit ni la lettre de la LOLF. Pouvez-vous nous en dire plus ? Le fonds pour financer l'innovation de rupture devait rapporter 250 millions chaque année. Depuis, le Conseil constitutionnel s'est prononcé et on est dans l'expectative...Ne faudrait-il pas rationaliser davantage le financement de l'innovation dans la mesure où différents fonds et programmes existent déjà ? Pourriez-vous donc nous éclairer davantage sur les immobilisations financières et le respect de la LOLF ?
M. Jean-François Husson . - Après trois années de baisse, le déficit budgétaire augmente de 10 %. Ce n'est pas rien ! Cette hausse est imputable à l'État. L'an dernier, le Gouvernement avait mis à contribution les collectivités territoriales, les désignant ainsi comme responsables, au moins partiellement, du déficit. On constate finalement que, grâce à la contractualisation, les collectivités territoriales ont fait un effort et qu'en même temps le déficit de l'État a augmenté. Avez-vous des préconisations à adresser à la représentation nationale ? Comment expliquer cette dégradation ? Je note l'alourdissement sensible de 4 milliards d'euros de la fiscalité énergétique, qui était à l'origine du mouvement des gilets jaunes.
Vous soulignez la complexité croissante du cadre budgétaire de l'État en regrettant le manque de lisibilité, entrave au respect des principes d'unité et d'universalité budgétaires. Quelles sont vos préconisations pour renforcer la transparence ? Là encore, le manque de lisibilité et de transparence n'est pas étranger au mouvement de révolte récent de nos concitoyens.
M. Julien Bargeton . - La Cour des comptes note la meilleure programmation des dépenses qui a amélioré la sincérité du budget. On ne peut que s'en féliciter. On parle de la réforme de l'État, de la réduction des dépenses publiques et de la baisse du nombre de fonctionnaires. Mais dans le contexte des gilets jaunes, ce n'est pas évident et l'on peine parfois à proposer des économies parce que l'on sent dans les territoires une demande de services publics. Il n'appartient pas à la Cour de faire des propositions d'ordre politique sur la réduction des dépenses ou sur l'affectation des personnels. La Cour a-t-elle néanmoins des propositions sur la méthode à suivre pour réduire efficacement les dépenses ? Les méthodes jusque-là mises en oeuvre pour réformer l'État n'ont pas toujours donné les résultats escomptés...
M. Thierry Carcenac . - Vous insistez sur la faible lisibilité et la difficile appréhension du cadre budgétaire. Les périmètres sont instables. Rapporteur spécial des crédits de l'immobilier de l'État, je ne peux que déplorer, en effet, la dispersion de la gestion de l'immobilier de l'État entre 44 missions et l'existence, en outre, d'une direction de l'État. Tout cela ne contribue pas à donner une vision claire de ce qui est fait en la matière. Il en va de même pour les systèmes d'information où chaque ministère oeuvre dans son coin, même si une agence nationale existe. Comment améliorer la lisibilité du budget ?
Certains ont souligné la contradiction entre la volonté de réduire les déficits et la nécessité d'améliorer les services publics, et donc d'embaucher. De fait, si une année on réduit le nombre d'enseignants, on constate une augmentation des recrutements l'année suivante. On manque de continuité.
Vous appelez à une nécessaire refondation de la démarche de performance, appel d'autant plus intéressant que vous figurez parmi les pères fondateurs de la LOLF. Nos voisins ont réduit de manière drastique le nombre d'objectifs. Entendez-vous faire des propositions au Gouvernement en ce sens ?
M. Michel Canévet . - Le déficit demeure à un niveau significatif même s'il est inférieur aux prévisions de la loi de finances initiale. Il est plus élevé que l'an passé et l'on peut s'inquiéter pour l'avenir alors que des baisses de recettes et d'impôts ont été annoncées. Je m'inquiète aussi des propos sur la certification. La Cour indique qu'elle n'est pas en mesure de se prononcer sur la fiabilité de l'estimation d'une part importante du parc immobilier de l'État. Elle souligne qu'il existe de nombreuses inconnues comme sur les créances fiscales à la fin de l'exercice.
Vu la situation, il est nécessaire de faire des efforts pour réduire la dépense. J'avais ainsi proposé, lors de l'examen du projet de loi de finances, de réduire les dépenses de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » dont je suis le rapporteur, et je constate qu'en exécution on parvient à une baisse de 10 % par rapport aux prévisions initiales ; c'est la preuve qu'il existe des marges de manoeuvre. Jusqu'où la Cour peut-elle aller dans l'examen des dépenses de l'État, pour évaluer certaines dépenses, comme celles évoquées par Vincent Delahaye, déceler les abus et les postes où l'on pourrait réduire les crédits de manière significative ?
Mme Christine Lavarde . - Je tiens à remercier la Cour pour la modification des NEB. J'ai lu avec intérêt celle consacrée au programme des investissements d'avenir. La présentation est claire, problématisée. J'y ai retrouvé vos interrogations sur la pertinence des indicateurs de performance. Je note aussi que les constats que vous faites sur l'exécution du budget sont les mêmes que ceux que nous faisons à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances initial, et nos remarques sont identiques d'une année sur l'autre...Que pouvons-nous faire collectivement pour faire bouger les choses ? J'ai peur qu'en 2020 on fasse les mêmes remarques que cette année...
M. Didier Migaud . - Je confirme notre analyse sur les droits de mutation : une recette de 1,4 milliard a été imputée sur l'exercice 2018 alors qu'elle trouvait son origine en 2017. Nous l'avions déjà remarqué l'an dernier.
Nous avons souhaité insister à nouveau sur la lisibilité budgétaire dans notre rapport qui contient un certain nombre de constats et de recommandations. Les dépenses fiscales ont augmenté plus sensiblement que les autres dépenses. On ne peut que constater l'échec des conférences fiscales qui ont été organisées, un échec de la démarche de plafonnement global recherché par les lois de programmation des finances publiques - l'objectif était, il est vrai, très limité, comme nous l'avions souligné dans nos observations sur la dernière loi de programmation. Les dépenses fiscales sont un guichet ouvert et constituent un moyen de contourner les normes d'évolution de la dépense, avec un risque de dérive. Nous invitons à refaire le point sur la maitrise des dépenses fiscales. Évidemment, cela aboutirait à augmenter mécaniquement le taux des prélèvements obligatoires mais on pourrait profiter de l'occasion pour baisser d'autres impôts.
Le déficit budgétaire est moins important que prévu en raison du dynamisme des recettes. Il est la conséquence du choix politique de baisser les impôts. L'année 2018 est éclairante. D'un côté, la dépense continue d'évoluer positivement, malgré un effort de maîtrise plus important que les années précédentes ; d'un autre côté, les recettes diminuent avec des baisses d'impôts. Mécaniquement, le déficit se creuse ! Si l'on veut réduire le déficit, une action plus puissante de maitrise de la dépense publique s'impose, qui devrait concerner l'ensemble des secteurs, État comme collectivités territoriales ou Sécurité sociale. Des marges d'amélioration en termes d'efficacité existent.
On compte plus de 150 fonds sans personnalité juridique. Comme ils ne figurent pas dans le budget de l'État, ils peuvent s'affranchir des règles budgétaires et de la norme d'évolution de la dépense publique. Ils se soustraient aussi au contrôle du Parlement qui n'est pas aussi systématique que pour les dépenses budgétaires classiques et ils ne contribuent pas à la lisibilité de l'action publique. Ainsi près de la moitié des crédits de la mission « cohésion des territoires » est éparpillée dans des fonds divers. Il est bien difficile d'évaluer la qualité et l'efficacité de l'action de l'État en ce secteur ! Il en va de même pour l'innovation, la recherche ou l'industrie. Un fonds a été créé en 2018 pour accueillir les recettes provenant de privatisations possibles afin de financer l'innovation et la recherche, mais d'autres dispositifs similaires existent déjà, dans le cadre du budget général ou dans d'autres fonds ! Dans un souci de transparence, nous plaidons donc pour un retour de ces actions dans le budget. Cela contribuerait à une plus grande transparence de l'action de l'État. Il en va de même pour les modifications de périmètre, récurrentes, même si elles peuvent parfois se justifier. C'est pourquoi nous nous efforçons de faire des analyses à périmètre constant.
Il est tout à fait possible de chiffrer les frais de communication ou de représentation à travers le portail Chorus, même si nous ne l'avons pas fait dans notre rapport. Je laisse la parole à M. Briet sur les immobilisations financières et les restes à payer.
M. Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes . - Les incertitudes comptables sont de trois ordres. Tout d'abord certains systèmes d'information, notamment en matière de recettes, sont très anciens, avec des référentiels qui sont encore ceux de l'ordonnance de 1959 et non ceux de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Certaines opérations sont encore parfois manuelles. On n'a visiblement pas encore tiré tout le parti de Chorus.
Ensuite, en dépit de progrès dans la maitrise des risques et le contrôle interne dans les ministères, les avancées ne sont pas suffisantes pour disposer d'une assurance raisonnable sur la qualité de ces comptes.
Enfin, les données sont souvent incomplètes ou imprécises. C'est le cas notamment pour les participations financières de l'État, pour lesquelles on ne dispose pas d'indications solides et homogènes provenant de l'ensemble des participations financières de l'État, soit parce que les référentiels comptables ne sont pas homogènes, soit parce que l'on ne dispose pas des rapports des commissaires aux comptes, soit parce qu'il n'y a pas de certification des comptes du tout...Les problèmes de valorisation à l'actif de l'État de l'immobilier n'empêchent toutefois nullement de contrôler la gestion quotidienne de l'immobilier de tel ou tel ministère. Nous notons aussi une amélioration concernant la valorisation de l'immobilier à l'étranger.
Les restes à payer, c'est-à-dire les autorisations d'engagement pour lesquelles les crédits de paiement n'ont pas été ouverts, sont globalement stables, en hausse à la Défense, en baisse pour la mission « Travail et emploi ». Si l'on croise la comptabilité budgétaire et la comptabilité générale, on s'aperçoit que seuls 10 % des restes à payer correspondent à des passifs à court terme, c'est-à-dire à des dettes certaines. Le reste correspond à des engagements hors bilan. Vu le niveau atteint fin 2018, il n'y a pas de préoccupations particulières à avoir à ce sujet.
M. Didier Migaud . - Nous souhaitons aussi compléter le dispositif de performance par une revue des dépenses et une évaluation des politiques publiques qui seraient présentées au Parlement dans le cadre de la loi de programmation. Les autres pays ont fait le choix d'une démarche cohérente entre la revue des dépenses, le dispositif de performance et les réformes proposées. En France, ces démarches sont indépendantes, juxtaposées, sans cohérence. Une diminution du nombre d'objectifs et d'indicateurs serait évidemment souhaitable et pertinente.
M. Vincent Éblé , président . - Je vous remercie.