EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Après avoir adopté, le 6 mars dernier, la proposition de loi de notre collègue Laurence Rossignol visant à lutter contre toutes les violences éducatives ordinaires, le Sénat est saisi, une nouvelle fois, du dossier des violences éducatives ordinaires (VEO), à l'occasion de l'examen, en première lecture, de la proposition de loi de notre collègue députée Maud Petit et plusieurs de ses collègues des groupes Modem, Gauche démocrate et républicaine et La France insoumise, relative à l'interdiction des violences éducatives ordinaires.
Déposée le 17 octobre 2018, cette proposition de loi a été adoptée par l'Assemblée nationale le 29 novembre dernier, après avoir été sensiblement remaniée. Transmis au Sénat, le texte a été inscrit à l'ordre du jour de la session extraordinaire du mois de juillet.
La proposition de loi visant à lutter contre toutes les violences éducatives ordinaires, déposée par Laurence Rossignol et ses collègues du groupe socialiste et républicain, a quant à elle été déposée au Sénat le 20 février 2019 et adoptée le 6 mars suivant, dans le cadre d'un espace réservé au groupe socialiste.
Proches dans leur rédaction, ces deux textes poursuivent le même objectif : affirmer, dans le code civil, le principe d'un exercice non violent de l'autorité parentale et faire ainsi reculer le recours aux VEO, qui désignent l'ensemble des châtiments corporels et des violences physiques, psychologiques ou verbales exercées contre les enfants dans un but supposé « éducatif ».
Comme votre rapporteure l'avait déjà souligné lors de l'examen de la proposition de loi issue de notre assemblée 1 ( * ) , les résultats de la recherche scientifique tendent à démontrer que les VEO entraînent des conséquences négatives, à long terme, sur les enfants qui les subissent : elles peuvent freiner leur développement cognitif et altérer leur comportement, en les rendant plus enclins à tolérer la violence, et in fine à la reproduire.
Le recul du temps montre en outre que les nombreux pays européens qui ont déjà introduit dans leur législation l'interdiction des VEO en ont retiré des bénéfices : d'une manière générale, les enfants élevés dans un environnement non violent deviennent, à l'âge adulte, des citoyens pour lesquels la violence n'est pas un mode légitime de résolution des conflits. Il en résulte des rapports sociaux plus apaisés, y compris au sein du couple ou de la famille.
Sur la proposition de votre commission, le Sénat avait adopté, au mois de mars, une rédaction identique à celle approuvée par l'Assemblée nationale concernant l'article qui vise à modifier le code civil. Elle regrette que le Gouvernement n'ait pas jugé souhaitable d'inscrire la proposition de loi sénatoriale à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
Toutefois, compte tenu de cette convergence de vues, votre commission vous propose d'adopter sans modification le texte transmis par l'Assemblée nationale, les réserves suscitées par certaines dispositions secondaires ne paraissant pas de nature à justifier de prolonger plus longtemps la navette sur un sujet depuis longtemps débattu.
I. UNE PROPOSITION DE LOI PROCHE DU TEXTE ADOPTÉ PAR LE SÉNAT AU MOIS DE MARS DERNIER
Le coeur de la proposition de loi transmise par l'Assemblée nationale réside dans son article 1 er , qui tend à modifier l'article 371-1 du code civil. La rédaction de cet article est identique à celle de l'article unique de la proposition de loi adoptée par le Sénat le 6 mars dernier.
Les articles 1 er bis et 2 contiennent des dispositions complémentaires qui visent surtout à ouvrir une réflexion sur les politiques de soutien à la parentalité et de formation des professionnels de l'enfance.
A. INSCRIRE DANS LE CODE CIVIL LE PRINCIPE D'UN EXERCICE NON VIOLENT DE L'AUTORITÉ PARENTALE
L'article 1 er de la proposition de loi vise à insérer, après le deuxième alinéa de l'article 371-1 du code civil relatif à l'autorité parentale, un nouvel alinéa précisant que cette autorité est exercée sans violences physiques ou psychologiques.
1. Une rédaction nécessaire pour une évolution de la société
L'article 371-1 du code civil définit l'autorité parentale comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant ». Son deuxième alinéa indique qu'elle « appartient aux parents jusqu'à la majorité ou l'émancipation de l'enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne ».
L'article 1 er de la proposition de loi ajoute un alinéa à cet article 371-1, qui affirme que « l'autorité parentale s'exerce sans violences physiques ou psychologiques ». La référence aux violences physiques ou psychologiques permet de couvrir les châtiments corporels et les humiliations, ainsi que toute autre forme de violence pouvant être exercée à l'encontre des enfants.
Cette rédaction est identique à celle adoptée par le Sénat le 6 mars dernier. Votre rapporteure, suivie par votre commission, avait alors préconisé de retenir cette rédaction, sobre et précise, afin de faciliter justement un accord avec l'Assemblée nationale au cours de la procédure législative.
Cette rédaction 2 ( * ) pose clairement le principe d'une éducation sans violence pour les enfants. La référence aux violences physiques et psychologiques inclut ainsi les châtiments et autres humiliations qui peuvent être exercées sur les enfants.
2. Un levier nécessaire pour une évolution de la jurisprudence
Certains s'interrogent sur la portée d'une modification du code civil qui n'est pas assorti de sanctions. D'autres considèrent que le code pénal répond déjà à ce problème en sanctionnant les auteurs de violences commises sur des mineurs. Cette analyse fait toutefois l'impasse sur la portée de l'article concerné par la modification et sur la jurisprudence actuelle qui reconnait parfois encore aujourd'hui un « droit de correction ».
Le code civil est l'un des piliers de notre « contrat social » et il a donc vocation à poser les principes généraux qui régissent la vie en société. À cet égard, il n'est pas inutile de rappeler que l'article 371-1 du code civil est lu aux futurs époux par l'officier d'état civil lors de la cérémonie de mariage . Le principe posé par la proposition de loi bénéficiera donc d'une grande publicité et sera un outil de sensibilisation à l'exercice sans violence de l'autorité parentale.
D'autres principes énoncés dans le code civil ne sont assortis d'aucune sanction, par exemple à l'article 16-1 (« Chacun a droit au respect de son corps ») ou à l'article 16-4 (« Nul ne peut porter atteinte à l'intégrité de l'espèce humaine »). Ils orientent toutefois les juridictions dans leur travail d'interprétation de la loi et les conduisent à faire évoluer leur jurisprudence.
Ainsi, l'inscription au sein du code civil, dans les dispositions relatives à l'autorité parentale, de l'interdiction explicite de toute violence, ne permettrait plus à la jurisprudence de se retrancher derrière un attribut implicite de l'autorité parentale pour justifier l'invocation d'un « droit de correction ».
Depuis deux siècles, la chambre criminelle de la Cour de cassation reconnaît aux parents et aux éducateurs un tel « droit de correction ». Cette jurisprudence permet au juge pénal de renoncer à sanctionner les auteurs de violences dès lors que celles-ci :
- n'ont pas causé de dommages à l'enfant ,
- restent proportionnées au manquement commis,
- et ne présentent pas un caractère humiliant 3 ( * ) .
Ce « droit de correction » est contestable au regard du principe de légalité des délits et des peines, faute de tout fondement textuel 4 ( * ) . Le fondement de ce droit de correction n'est pas clairement explicité par la Cour de cassation et semble reposer sur la coutume ou sur l'autorisation de la loi, ce droit étant considéré comme un attribut inhérent à l'autorité parentale.
Implicitement, la jurisprudence relative au « droit de correction » semble signifier aux parents qu'il existerait une violence « nécessaire », voire « acceptable », pour l'éducation des enfants. Pour votre rapporteure, l'adoption de la proposition de loi, en prohibant clairement toute violence des parents sur leurs enfants, devrait conduire la Cour de cassation à renoncer à sa jurisprudence sur ce point.
* 1 Cf. son rapport n° 343 (2018-2019) déposé le 20 février 2019 au nom de la commission des lois.
* 2 Cette rédaction n'est pas celle de la proposition de loi initiale, qui disposait que « les enfants ont droit à une éducation sans violence » et que « les titulaires de l'autorité parentale ne peuvent user de moyens d'humiliation tels que la violence physique et verbale, les punitions ou châtiments corporels, les souffrances morales ». La commission des lois de l'Assemblée nationale a ensuite adopté une rédaction indiquant que « les titulaires de l'autorité parentale l'exercent sans violence » et qu'« ils ne doivent pas user à l'encontre de l'enfant de moyens tels que la violence physique, verbale ou psychologique, les châtiments corporels ou l'humiliation ».En séance publique, l'Assemblée nationale a finalement adopté, sur proposition de la rapporteure Maud Petit, la rédaction qui nous est aujourd'hui soumise.
* 3 Cass. Crim. 29 octobre 2014.
* 4 Le code pénal punit toutes les violences commises sur les personnes, même psychologiques, et retient comme une circonstance aggravante le fait que la victime soit âgée de moins de quinze ans.