III. LES CONTOURS D'UN APPUI EUROPÉEN AU MÉCANISME DE JUSTICE TRANSITIONNELLE
La proposition de résolution européenne propose aujourd'hui d'orienter une partie des financements européens à destination de l'Irak vers la mise en place d'un mécanisme de justice transitionnelle, à dimension internationale, en vue de juger les crimes commis ces dernières années contre les minorités sur son territoire. Elle insiste également sur la nécessité pour l'Union européenne de participer à la formation des enquêteurs et des juges locaux. L'affectation de crédits à ces objectifs ne constituerait pas totalement une nouveauté. L'Union européenne finance déjà à hauteur de 1,5 million d'euros le mécanisme international, impartial et indépendant, chargé de faciliter les enquêtes sur les violations les plus graves du droit international commises en Syrie, et mis en place par les Nations unies.
A. UNE DIMENSION INTERNATIONALE INDISPENSABLE
L'Irak est aujourd'hui partie au Plan d'action de Paris ; qui prévoit, notamment, de lutter contre l'impunité et garantir la justice. Plusieurs actions sont envisagées :
- Documenter les crimes, notamment les crimes ethniques et religieux, ainsi que la traite des êtres humains, en mettant l'accent sur les exactions commises pour des motifs sectaires, ethniques et religieux ;
- Créer une base de données pour recouper les informations recueillies en coordination avec le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale ;
- Garantir l'intégrité et la sécurité des victimes, des témoins et de leurs familles.
Dans ces conditions, le mécanisme de justice transitionnelle qu'appelle de ses voeux l'auteur de la proposition de résolution doit logiquement comporter une dimension internationale.
Le gouvernement irakien a déjà demandé l'appui de la communauté internationale pour mener à bien ces missions. Reste que l'Irak n'est pas partie au Statut de Rome qui a mis en place la Cour pénale internationale. Les autorités irakiennes rappellent régulièrement leur souhait de voir respectées leur souveraineté et leur compétence pour juger des crimes commis sur leur territoire.
Cette ambition qu'il convient de comprendre tant elle participe également de la reconstruction de l'État irakien conduit de facto à écarter la mise en place d'une nouvelle juridiction internationale à l'image du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), créé en 1993 par une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies , du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), juridiction ad hoc créée par une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies en 1994 et de la Cour pénale internationale (CPI) , entrée en fonction le 1 er juillet 2002.Rappelons que cette dernière respecte le principe de subsidiarité et n'intervient pas si une procédure a été mise en oeuvre, de bonne foi, au niveau national. Ces trois juridictions pénales internationales jugent les mêmes catégories de crimes, essentiellement violations du droit humanitaire international, crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide.
Notre commission avait, dans le rapport qu'elle a rendu sur la proposition de résolution européenne tendant à la création d'un Tribunal pénal international chargé de juger les djihadistes européens ayant servi avec Daech déposée par notre collègue Mme Nathalie Goulet en octobre 2017, relevé la difficulté pour la CPI de se saisir des crimes perpétrés en Irak 8 ( * ) . Sa procureure, Mme Fatou Bensouda, a notamment indiqué que Daech était avant tout dirigée par des ressortissants irakiens et syriens, de sorte que les perspectives d'enquête et de poursuites à l'encontre des dirigeants les plus responsables semblaient limitées. Ni la Syrie ni l'Irak ne sont, en effet, parties au Statut de Rome et n'ont accepté la compétence de la Cour. Celle-ci ne peut donc pas exercer de compétence territoriale pour tous les crimes pertinents commis dans ces pays. Mme Bensouda concluait donc que, au stade actuel, le fondement juridique nécessaire pour procéder à un examen préliminaire était trop étroit. Il incombait, donc, aux autorités nationales d'enquêter, en premier lieu, sur les crimes commis à grande échelle et de poursuivre leurs auteurs.
Un tel constat n'empêche en rien de conférer un caractère international aux enquêtes et aux jugements sur le terrain. Cette approche mixte a été retenue au Cambodge. Le gouvernement cambodgien a demandé l'appui des Nations unies en vue de mettre en place un tribunal chargé de juger les crimes commis durant la guerre civile. Aux termes de l'accord signé entre le gouvernement cambodgien et l'ONU en 2004, trois chambres extraordinaires auprès des tribunaux cambodgiens, composées de magistrats internationaux (8) et cambodgiens (11), sont créées afin de traduire en justice les personnes responsables des crimes commis par les Khmers rouges pendant cette période.
Cette solution est aujourd'hui souhaitée, à l'échelle irakienne, par l'auteur de la proposition de résolution (alinéa 13). L'appui européen à cette option mixte ne constituerait pas une totale nouveauté, puisque le budget de l'Union participe directement au financement des Chambres extraordinaires des tribunaux cambodgiens. 16,2 millions d'euros ont ainsi été accordés à ces structures depuis 2006. L'ambition de l'auteur de la proposition de résolution européenne doit donc être approuvée. L'ajout d'une dimension internationale doit constituer une des conditions du soutien européen.
* 8 Proposition de résolution en application de l'article 73 quinquies du Règlement, tendant à la création d'un Tribunal pénal international chargé de juger les djihadistes européens ayant servi avec Daesh, Rapport n° 96 (2017-2018) de MM. Jacques BIGOT et André REICHARDT, fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 17 novembre 2017.