C. LES CRÉDITS DU PROGRAMME 158, UNE HAUSSE DE 5,2 MILLIONS D'EUROS, TRADUISANT UNE BUDGÉTISATION AU FIL DE L'EAU QUI NE PEUT RECUEILLIR L'ASSENTIMENT DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL
Le programme 158 porte les indemnisations versées sous forme de rente ou de capital aux victimes de spoliations et de persécutions antisémites ou d'actes de barbarie perpétrés pendant la Seconde Guerre mondiale.
Il finance également les moyens mis en oeuvre pour instruire les dossiers de spoliations antisémites.
Les indemnisations versées correspondent à trois dispositifs distincts, relativement récents, régis par les différents décrets suivants : n° 99-778 du 10 septembre 1999 sur la réparation des spoliations antisémites et n° 2000-657 du 13 juillet 2000 sur les orphelins dont les parents ont été victimes d'actes antisémites (action 01 « Indemnisation des orphelins de la déportation et des victimes de spoliations du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation ») et le décret n° 2004-751 du 27 juillet 2004 (action 02 « Indemnisation des victimes d'actes de barbarie durant la Seconde Guerre mondiale ») qui instaure un dispositif d'indemnisation décalqué du précédent, mais ouvert aux ayants droit de tous les déportés et victimes d'actes de barbarie
Votre rapporteur spécial a consacré un rapport d'évaluation et de contrôle aux résultats de l'action de réparation des spoliations antisémites, qui a connu en cours d'année une évolution dont le principe doit être salué.
Le projet de budget est loin de les concrétiser.
1. Une augmentation des crédits qui tranche avec les perspectives traditionnellement mises en avant
Les crédits prévus pour le programme 158 augmentent de 5,2 millions d'euros par rapport à l'année dernière. Cette évolution est attribuable à l'accroissement des indemnités prévues au titre des spoliations antisémites (+ 8 millions d'euros), perspective qui vient confirmer l'existence d'une dette de réparation rémanente, trop longtemps sous-estimée. En revanche, les dotations correspondant aux autres chefs d'indemnisation se replient (- 2,6 millions d'euros).
Source : réponse au questionnaire du rapporteur spécial
Les dotations correspondent pour l'essentiel (98,6 %) à des crédits d'intervention répartis en deux actions dont les moyens restent, pour chacune, inchangés :
- l'action 01 réunit 53,5 millions d'euros de crédits (50,6 % des dotations du programme). Elle est majoritairement dédiée (36,5 millions d'euros, soit plus de 68 % de ses moyens) aux versements aux orphelins des victimes de persécutions antisémites des arrérages qui leur sont dus. Au total, les crédirentiers bénéficiant de cette catégorie d'interventions seraient au nombre de 5 052 (en baisse de 197) pour une rente annuelle de 7 201 euros. Ces dotations sont complétées par les moyens réservés à la réparation des spoliations commises pendant la Seconde Guerre mondiale aux dépens des juifs. Ils s'élèvent à 15 millions d'euros en 2019 auxquels il faut ajouter des crédits de l'ordre de 1,8 million d'euros pour assurer le fonctionnement de la commission d'indemnisation des victimes de spoliations (1,5 million d'euros de crédits de personnel) ;
- de son côté, l'action 02 sert également des arrérages, mais aux orphelins des victimes d'actes de barbarie commis pendant la Seconde Guerre mondiale, dont les droits ont été aménagés en 2004 quelques années après ceux des orphelins des victimes de persécutions antisémites (2000) 18 ( * ) .Elle est dotée de 52 4 millions d'euros (49,4 % du total).
Le calibrage des dotations est, en partie, hypothétique, mais il témoigne également du degré de volontarisme choisi pour accomplir l'oeuvre de réparation.
Si la valeur unitaire de plusieurs indemnisations est aisément prévisible, quand elles sont versées sous forme de rentes, dont les conditions d'indexation sont prédéterminées, il n'en va pas de même pour les indemnisations correspondant aux spoliations antisémites.
Deux variables peuvent en influencer le montant effectif.
Les enjeux de chaque demande sont fortement variables et sont mal anticipés du fait d'un insuffisant travail d'élucidation des dettes à honorer. La présentation de nouvelles demandes à très forts enjeux intervenue ces dernières années vient amplement le confirmer.
En outre, l'existence d'un stock important de dossiers à traiter combinée avec un problème particulier au mécanisme d'indemnisation, longtemps demeuré sans réponse satisfaisante (voir infra ) peut perturber les prévisions budgétaires.
Pour l'ensemble des indemnisations cette fois, joue encore l'incertitude sur les évolutions de la population des crédirentiers.
2. Des horizons d'indemnisation différenciés selon le dispositif envisagé
Il y a lieu de distinguer les réparations accordées aux orphelins de des victimes des persécutions antisémites et d'actes de barbarie commis durant la Seconde Guerre mondiale de celles prévues dans le cadre du dispositif portant sur les spoliations.
a) Les réparations accordées aux orphelins des victimes de persécutions antisémites et d'actes de barbarie méritent une mise à jour légale d'un avantage fiscal au demeurant peu contestable...
À ces deux régimes correspondent des indemnisations suivant un régime identique. Les allocataires disposent d'une option entre le versement d'un capital dont le montant est invariablement de 27 440,82 euros et l'attribution d'une rente mensuelle, qui, quant à elle, est revalorisée.
Son niveau atteint 600 euros à partir du 1 er janvier 2019 contre 585,44 euros l'an dernier.
Les modalités de revalorisation des deux rentes ont été fixées par deux décrets de 2009 au taux de 2,5 % chaque 1 er janvier, soit une modalité de revalorisation déliée de toute considération de nature économique, mais supérieure à la cible d'inflation visée par les autorités monétaires (2 %) et plus encore à l'inflation constatée.
Ces modalités d'indexation impliquent un fort dynamisme- les rentes ont connu une revalorisation de 28 % depuis 2019, qui peut apparaître contestable au vu des évolutions économiques et des contraintes, certes très critiquables, exercées sur d'autres prestations financées par la mission.
Par ailleurs, les crédirentiers bénéficient d'une exonération de l'imposition sur le revenu des indemnités qui leur sont versées.
Même s'il faut affirmer qu'elle correspond en tous points à l'esprit des exonérations que le législateur a entendu réserver à des indemnités analogues, cette exonération manque de base légale, situation que votre rapporteur spécial recommande très solennellement de corriger.
b) ... et présentent des difficultés sensibles d'administration
Selon les informations disponibles, qui n'ont hélas pas toutes été actualisées cette année, le nombre des demandes reçues dans le cadre de ces deux dispositifs a été inégal, le dispositif le plus récent (barbarie) ayant suscité 33 984 demandes depuis 2004 quand celui réservé aux victimes d'actes antisémites a engendré 17 632 demandes en quinze ans.
Le taux de réponse aux demandes transmises apparaît au premier regard comme peu satisfaisant, les services instructeurs ayant été quelque peu débordés, tout particulièrement les premières années, par le flux des dossiers qu'ils ont reçus. Pour les demandes formulées dans le cadre du dispositif de 2004, le taux de décision apparaît particulièrement faible à près de 67 %. Il est vrai que dans le contingent des non-réponses figurent les dossiers classés sans suite.
Les taux de satisfaction sont également différents. Dans le dernier cas mentionné, le taux de décision favorable atteindrait 77 % tandis qu'il ne serait que de 67 % pour les victimes d'actes de barbarie. Ce dernier taux est sans doute influencé, par le bas, par le niveau encore trop élevé des dossiers n'ayant pas reçu d'instruction définitive à ce jour.
Le taux de conflictualité des décisions administratives n'est pas négligeable (30,0 % des décisions de rejet dans le cadre de chacun des dispositifs). Cependant, aucun des recours formés dans le cadre du premier dispositif n'a prospéré. En revanche, il reste quelques contentieux (28) liés au dispositif au profit des victimes d'actes de barbarie pour lequel des annulations de décisions de rejet ont été prononcées. Vingt-trois recours sont pendants.
Au total, le nombre des bénéficiaires varie selon le dispositif envisagé 19 ( * ) . Les victimes de persécutions antisémites qui ont été indemnisées ont été au nombre de 13 620 (chiffre qui demanderait une évaluation du dispositif au regard de l'histoire), pour un coût total de 749,4 millions d'euros. Pour les victimes d'actes de barbarie, le nombre des crédirentiers a été nettement supérieur (22 607) pour un coût de 931,4 millions d'euros. Le coût moyen cumulé par bénéficiaire ressort ainsi comme inégal (54 900 euros dans un cas, 41 199 euros dans l'autre) ce qui traduit les effets d'une ancienneté inférieure du dispositif des victimes d'actes de barbarie compensée par une longévité des bénéficiaires qui apparaît supérieure .
L'instruction des dossiers d'indemnisation est réalisée par :
- la commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations (CIVS) pour ce qui concerne les dossiers d'indemnisation des spoliations ;
- le département Reconnaissance et réparations de la direction des missions de l'Office national des anciens combattants et des victimes de guerre (ONAC-VG) pour les dossiers d'indemnisation des orphelins.
Conformément aux dispositions réglementaires, les décisions accordant les mesures de réparation financière sont prises par le Premier ministre, le paiement des indemnisations étant effectué par l'ONAC-VG. Dans ce cadre, le versement des crédits à l'ONAC-VG est assuré par les services du Premier ministre en vertu des trois décrets instituant les indemnisations et d'une convention-cadre entre les différents organismes.
L'objectif de performance pour le programme 158 est ainsi l'amélioration du délai de paiement des dossiers d'indemnisation des victimes de spoliations, mesurée à travers un indicateur, composé de deux sous-indicateurs, mis en place en 2010 et inchangé depuis :
- le délai moyen de paiement des dossiers d'indemnisation des victimes de spoliations, résidents français, après émission des recommandations favorables ;
- le délai moyen de paiement des dossiers d'indemnisation des victimes de spoliations, non- résidents français, après émission des recommandations favorables.
De 5,4 mois pour les résidents français et de 6 mois pour les non-résidents en 2007, le délai moyen de paiement a été ramené à respectivement 4,5 mois et 5,5 mois.
Ces délais moyens sont stables depuis 2014.
L'indicateur est toutefois peu satisfaisant d'un point de vue méthodologique. Il ne tient aucun compte des conditions de l'instruction, qui peuvent réserver des délais considérables, notamment du fait de phases contentieuses qui n'ont pas été rares, ce dont témoigne l'importance trop grande des demandes en stock. Il ne tient pas davantage compte du problème des « parts réservées », qui sont exclues du calcul de l'indicateur.
Or, les stocks à traiter sont importants.
Pour la CIVS, les données suivantes en témoignent.
Source : réponse au questionnaire du rapporteur spécial
Quant aux parts réservées, nées des difficultés rencontrées dans l'instruction des demandes d'indemnisation des spoliations antisémites, leur estimation est fluctuante.
Le problème se présente lorsque la commission, constatant l'existence d'une pluralité d'ayants-droit, mais sans pour autant avoir pu les identifier avec précision, est conduite à diviser la réparation qu'elle accorde en réservant les parts de ceux des ayants-droit concernés par son ignorance.
La Cour des comptes dans un rapport de septembre 2011 avait relevé que sur les 30 000 dossiers examinés alors par la CIVS, une recommandation sur deux comportait des parts ainsi réservées, sans qu'un suivi attentif de ces parts ne soit mis en oeuvre. Cette négligence a accru l'acuité d'un problème, qui, plus tôt considéré, aurait été plus facile à résoudre, ne serait-ce que par la complexification inévitable des chaînes successorales au fil du temps. Elle a conduit à ne pas donner tous leurs prolongements pratiques aux recommandations de la CIVS et, ainsi, à priver de leur portée des attributions de réparation prononcées par la commission au bénéfice de victimes.
Une première estimation les avait chiffrées à 100 millions d'euros, mais, après un audit plus systématique, impliquant la réouverture de 18 000 dossiers d'indemnisation de préjudices matériels, leur montant a été ramené à quelque 27 millions d'euros. L'écart entre les deux estimations aurait mérité davantage d'informations, et le degré de vraisemblance de la nouvelle estimation fondée sur les seuls dossiers de spoliations matérielles aurait mérité plus de justifications. Au demeurant, à la suite de nouvelles recherches portant sur les dossiers les plus importants, de nouvelles parts réservées ont été constituées.
En toute hypothèse, le montant des parts réservées demeure considérable et il doit être déduit des évaluations rendant compte de l'activité d'indemnisation de la commission. Surtout, il apparaît nécessaire de trouver une issue à la difficulté ainsi constatée puisque si une légère décrue est intervenue depuis, le montant des parts réservées étant passé de 27,5 millions d'euros à la fin de l'année 2016 à 26,3 millions d'euros au 31 décembre 2017, la dette correspondante reste élevée.
Outre le travail toujours en cours de mise à jour des parts réservées, qui pourrait aboutir à une augmentation des engagements financiers de l'État et à devoir résoudre des problèmes de partage négligés dans le cadre de certaines indemnisations, la CIVS a conclu avec le Cercle des généalogistes juifs une convention visant à identifier les bénéficiaires potentiels de ses recommandations. Par ailleurs, un mécénat de compétence a été mis en oeuvre par le ministère de la culture avec des experts de la généalogie, formule qui permet au ministère d'épargner ses dotations et aux parties compétentes de réduire leur imposition.
Ces solutions, d'attente, appellent des compléments de moyens.
Le projet de budget ne les programme pas.
Il faut ajouter aux deux dispositifs envisagés ici le dispositif d'indemnisation ménagé dans l'accord conclu le 8 décembre 2014 entre la République française et les États-Unis pour assurer l'indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France mais non couvertes par les programmes français d'indemnisation. Une somme de 54,5 millions d'euros a été ouverte à ce titre dans les crédits du programme 158 au cours de l'année 2015. Le nombre des bénéficiaires ultimes de l'accord n'a pas été communiqué à votre rapporteur spécial, leur identification demeurant de la responsabilité du Gouvernement des États-Unis.
c) Les indemnisations pour spoliations, un horizon beaucoup plus incertain
Les réparations accordées aux victimes de spoliations antisémites présentent un enjeu financier difficile à établir.
Les crédits ouverts (15 millions d'euros) sont nettement supérieurs à ceux de l'an dernier.
La crédibilité de cette prévision n'est pas en cause, mais cette question est loin d'épuiser le problème du bilan actuel et prévisible de la réparation des spoliations antisémites, auquel votre rapporteur spécial a consacré un rapport d'information publié en cours d'année 20 ( * ) .
Il renvoie aux quarante observations et trente recommandations du rapport.
Un temps menacée dans son existence même, la CIVS a été prolongée. Le décret n° 2018-829 du 1 er octobre 2018 l'a dotée d'une mission plus étendue, qui tient compte de la nécessaire proactivité dans la recherche de réparation de la dette rémanente.
Les conditions pratiques de cette extension de responsabilité restent toutefois à déterminer.
Votre rapporteur spécial tend à s''inquiéter des évolutions concrétisées dans le projet de loi de finances pour 2019.
Alors qu'une « CIVS augmentée » doit être une priorité, les effectifs dégagés baissent (- 4 emplois).
En outre, la motivation de cette évolution très regrettable n'est pas de nature à rassurer puisqu'aussi bien il est question du transfert de 2 emplois au ministère de la culture, qui, du fait de sa spécialisation, est loin de vérifier les appétences qu'implique une activité d'enquête à laquelle, dans le passé, il n'a guère consacré d'efforts.
Si les compétences réunies dans l'orbite du ministère ne sont ici pas en cause, et devraient être appelées à contribuer aux missions élargies de la CIVS, il apparaît tout à fait nécessaire de conserver à celle-ci les moyens autonomes d'exercice de sa nouvelle mission.
Le projet de budget s'écarte considérablement de cette perspective.
* 18 Cette « postériorité » a donné lieu à des contentieux qui n'ont pas prospéré.
* 19 Le nombre des bénéficiaires effectifs dépasse les bénéficiaires immédiats du fait des règles de partage successoral.
* 20 « La commission d'indemnisation des victimes de spoliations antisémites : vingt ans après, redonner un élan à la politique de réparation »Rapport d'information de M. Marc Laménie, fait au nom de la commission des finances n° 550 (2017-2018) - 6 juin 2018