B. LA PROTECTION JURIDIQUE DES MAJEURS : LES PLUS FRAGILES MIS À CONTRIBUTION POUR COMPENSER LE DÉSENGAGEMENT DE L'ÉTAT

Les personnes majeures qui ne sont pas en mesure de pourvoir à leurs intérêts en raison d'une altération de leurs facultés mentales ou corporelles font l'objet de mesures de protections, prononcées par le juge des tutelles . Elles peuvent être confiées prioritairement à un membre de leur famille, ou alors à un mandataire judiciaire à la protection des majeurs (MJPM) , c'est-à-dire à un service mandataire, à un mandataire individuel ou à un préposé d'établissement.

Le principe de priorité familiale avait été réaffirmé dans la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, qui prévoyait une aide et information des tuteurs familiaux à leur demande. Toutefois, actuellement, la part des nouvelles mesures confiées à un membre de la famille est non seulement minoritaire mais également en baisse (46 % des ouvertures de mesure en 2015 et 48 % en 2010 selon les estimations du ministère de la justice).

Afin de rendre effective cette priorité familiale et de favoriser la qualité de prise en charge, un groupe de travail et un soutien financier a été mis en place par l'État , efforts que vos rapporteurs ne peuvent que soutenir et encourager. En 2019, le montant des crédits dédiés au développement dans les territoires des actions d'information et de soutien aux tuteurs familiaux augmente ainsi, s'élevant à 4,18 millions d'euros (contre 3 millions d'euros en 2018).

L'information et le soutien des tuteurs familiaux : des actions à développer

Un groupe de travail a été mis en place en septembre 2016 rassemblant les fédérations du secteur, le ministère de la Justice et trois DRJSCS (Pays de la Loire, Hauts-de-France et Bretagne) afin d'harmoniser et de coordonner le développement du dispositif dans les territoires. A la suite de ces travaux, l'instruction N° DGCS/SD2A/2018/16 du 19 janvier 2018 relative au développement du dispositif d'information et de soutien aux tuteurs familiaux a été publiée, visant notamment à harmoniser les pratiques, améliorer la coordination des acteurs et renforcer le pilotage du dispositif. La mise en oeuvre de ce dispositif au niveau local, prend ainsi la forme :

- de prestations individualisées : permanences téléphoniques, physiques ou rendez-vous personnalisés. Ces permanences peuvent se faire soit dans les locaux du porteur de projet soit à l'extérieur notamment dans les tribunaux ou les maisons de la justice et du droit

- d' actions collectives : organisation de conférences, rencontres avec les familles...

- d'outils d'information et de conseil : plaquettes d'information, supports techniques et modèles de documents.

Source : DGCS

Jusqu'alors soutenus par plusieurs financeurs publics (les organismes de sécurité sociale, l'État ou les départements) en fonction de prestations sociales perçues par les personnes concernées par les mesures de protection , la loi de finances pour 2016 a simplifié le financement des mandataires judiciaires en le transférant à l'État, les départements continuant de contribuer à hauteur de 0,3 % à la dotation des services mandataires. Vos rapporteurs spéciaux continuent toutefois de s'interroger sur l'utilité du maintien de la contribution subsidiaire des départements au financement des services mandataires, et réitèrent leur proposition de pousser la simplification à son terme en procédant à une recentralisation totale du financement.

Décomposition des crédits finançant la protection juridique des majeurs

(en millions d'euros)

2018

2019

Services mandataires

565,35

572,9

Mandataires individuels

77,68

91,8

Soutien aux tuteurs familiaux

4,18

4,18

Total

647,2

668,3

Source : réponse au questionnaire budgétaire

Les crédits alloués à la protection juridique des majeurs (action 17) augmentent par rapport à 2018 , alors que les crédits pour 2018 étaient en baisse de 0,4% par rapport à 2017 (647,2 millions d'euros contre 650 millions d'euros en 2017).

Cette augmentation semble plus en cohérence avec l'augmentation continue du nombre de mesures (484 656 en 2019 contre 468 248 en 2018). Les mesures d'accompagnement social spécialisées (MASP) , présentées comme une alternative à la mesure judiciaire par le Gouvernement, ne suffisent malheureusement pas à enrayer l'augmentation des mesures de protection juridique. Leur nombre est estimé à 11 859 en 2015.

Néanmoins, une mission interministérielle sur l'évolution de la protection juridique des personnes - conduite par A. Caron-Déglise, avocate générale à la Cour de Cassation, dont le rapport a été rendu le 21 septembre 2018 - comporte une recommandation visant à construire un accompagnement des personnes les plus vulnérables dans une logique de parcours individualisé . Elle propose à cet effet d'intégrer l'outil MASP comme moyen de soutien pour les personnes percevant des prestations sociales et de l'étendre aux petits revenus. Vos rapporteurs ne peuvent que saluer ces propositions, qui - ils l'espèrent - seront reprises par la ministre.

Évolution du nombre de dispositifs de protection juridique
des majeurs entre 2010 et 2019

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019
(prévision)

Services mandataires

320 645

328 783

334 390

341 245

347 986

354 629

361 399

368 298

381 901

391 143

Mandataires individuels

36 294

37 925

44 271

52 206

59 391

66 423

75 921

85 791

85 792

93 513

Total

356 939

366 708

378 661

393 451

407 377

421 052

437 320

454 089

467 693

484 656

Source : commission des finances du Sénat d'après documents budgétaires

La baisse des financements publics devait en 2018 être compensée par la révision du barème de participation financière des majeurs protégés - qui était prévu au 1 er avril mais dont le décret a finalement été publié le 31 août 2018.

Vos rapporteurs spéciaux considèrent cette mesure comme socialement injuste, puisque mettant à contribution une population déjà fragile, dont près de la moitié se situe en dessous du seuil de pauvreté 17 ( * ) . Ils s'inquiètent, par ailleurs, du financement et de la juste compensation financière des services mandataires (établissements et associations) - chargés de suivre, majoritairement, des personnes exonérées de participation. Ces services mandataires - soumis à des efforts budgétaires depuis plusieurs années - se trouvent dans une situation financière de plus en plus difficile. Par ailleurs, l'absence de reconnaissance du statut des délégués mandataires, exposés à des risques psycho-sociaux croissants, a un impact non négligeable sur leur recrutement et la qualité de l'accompagnement des majeurs protégés. Dans ce contexte de tensions et difficultés, les acteurs de terrain ont le sentiment d'un réel désengagement de la part de l'État .

Réforme du barème de participation
des personnes sous mesure de protection

Le décret n° 2018-767 du 31 août 2018 relatif au financement des mandataires judiciaires à la protection des majeurs, fixe un nouveau barème (article R. 471-5-3), qui entre en vigueur au 1 er septembre, prévoyant :

- le maintien de l'exonération de participation financière des personnes ayant un niveau de ressources inférieur ou égal à l'allocation aux adultes handicapés (AAH) ;

- la suppression de la franchise en vigueur pour les personnes ayant un niveau de ressources supérieur à l'AAH qui paieront une participation de 0,6 % sur la tranche de revenus 0 € - AAH ;

- un relèvement des taux de participation actuels du barème.

Source : DGCS

Avant de réaliser une réforme du barème, vos rapporteurs spéciaux considéraient qu'il était nécessaire de définir le juste coût de la mesure de protection , protection qui tient compte du type de mesure mais également de la situation de la personne protégée.

Financement des services mandataires : le point service

Les services mandataires sont financés sous forme de dotation globale. Cette dotation est déterminée à l'issue d'une procédure budgétaire contradictoire qui dure 60 jours à compter de la date de publication de l'arrêté fixant les dotations régionales limitatives.

La détermination de cette dotation est fonction de l'évolution retenue au niveau national de la valeur du point service. Le point service est calculé en divisant le total des budgets des services mandataires par le total de points. Le nombre de points correspond à la charge de travail des services mandataires.

Source : DGCS

Ils saluent ainsi la mise en place d'une mission sur le sujet - confiée à l'IGAS - dont les travaux sont en cours. Vos rapporteurs seront attentifs aux résultats de cette mission.

La définition du coût de la mesure de protection : l'IGAS missionnée

La Ministre des Solidarités et de la Santé et la Secrétaire d'État chargée des Personnes Handicapées ont confié une mission à l'Inspection Générale des Affaires Sociales, par lettre en date du 12 février 2018. Cette mission doit se dérouler en 3 phases (la première est en cours de finalisation. La seconde devrait débuter au cours du premier trimestre 2019) :

- la première vise à identifier et décrire les principales missions du MJPM pour chaque type de mesure et à élaborer, à partir d'un échantillon des trois catégories de mandataires, une méthode de mesure de la charge horaire de travail moyenne selon le type de prestation ;

- la seconde phase de l'évaluation, qui sera confiée à un prestataire, consiste à recueillir auprès de MJPM volontaires des trois modes d'exercice les données permettant de mesurer la charge de travail horaire moyenne selon le type de prestation et les données financières et budgétaires ;

- la troisième phase de l'évaluation consiste à analyser les résultats de l'enquête réalisée par le prestataire, et notamment déterminer les coûts des mesures de protection à partir des charges (personnels, sociales et fiscales, fonctionnement ...) de chaque catégorie de MJPM.

Source : DGCS

C'est un sujet extrêmement important, car on observe des dérives sur le terrain . Le coût de la mesure ne reflétant pas la lourdeur de celle-ci, on assiste à une « spécialisation » de certains mandataires individuels dans la prise en charge des mesures les moins difficiles , laissant le soin aux services mandataires de prendre en charge les cas les plus difficiles.

Sur ce sujet en particulier, et dans une optique visant à préserver les intérêts des majeurs protégés et de les concilier avec les impératifs budgétaires, des associations - comme l'UNAPEI - mènent des réflexions depuis plusieurs années. Vos rapporteurs spéciaux souhaiteraient que le Gouvernement puisse s'appuyer sur le travail considérable de ces organisations afin d'aboutir à une réforme qui doit être la plus juste possible, et se faire en concertation avec les acteurs concernés .


* 17 D'après une étude conjointe de la DGCS et l'Ancreai de mai 2016.

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