B. UNE DÉPENSE CONSTAMMENT MINORÉE PAR DES SOUS-BUDGÉTISATIONS À RÉPÉTITION
1. En hausse de 38 % depuis 2012, la dépense d'AME n'est pas maîtrisée
Les crédits demandés pour l'action 02 « Aide médicale d'État » du programme 183 « Protection maladie » par le présent projet de loi de finances s'élèvent à 934,9 millions d'euros en AE et en CP, contre 889,7 millions d'euros ouverts en loi de finances initiale pour 2018, soit une augmentation de l'ordre de 6 %.
Pour 2019, les crédits se répartissent de la façon suivante :
- une dotation budgétaire de 893,4 millions d'euros pour l'AME de droit commun, en progression de 53,2 millions d'euros par rapport aux crédits votés en loi de finances initiale pour 2018 ;
- une dotation forfaitaire de 40 millions d'euros à la CNAMTS au titre de la participation à la prise en charge des soins urgents . Ce montant est stable depuis 2008 ;
- 1,5 million d'euros pour les autres dispositifs d'AME , en diminution de 10 % par rapport à 2018, pour tenir compte de la baisse tendancielle relevée ces dernières années.
Évolution comparée des dépenses d'AME entre 2012 et 2019
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, à partir des données des rapports annuels de performances successifs.
La progression des dépenses d'AME résulte de deux phénomènes concomitants, à savoir la hausse continue du nombre de bénéficiaires et l'augmentation du coût moyen par bénéficiaire, avec une accélération marquée à partir de 2012 . Les dépenses d'AME de droit commun ont progressé de 38 % depuis cette date .
Évolution comparée du coût et du
nombre de bénéficiaires
de l'AME de droit commun
Source : commission des finances du Sénat, à partir des données des rapports annuels de performances successifs
D'après le projet annuel de performances relatif à la présente mission, deux facteurs ont été pris en compte pour établir la prévision de dépense d'AME de droit commun :
- une évolution des effectifs de bénéficiaires consommant des soins équivalente à « la dynamique observée sur les derniers exercices » , estimée à + 4,7 % par an ;
- une progression de la dépense moyenne par bénéficiaire, l'hypothèse retenue étant celle d'un coût moyen de 871 euros par trimestre et consommant.
En outre, votre rapporteur spécial s'inquiète des effets sur la dépense d'AME de l'intensification des flux migratoires . Les informations transmises ne révèlent pas une prise en compte particulière de cet accroissement potentiel des dépenses, alors même que les étrangers en situation irrégulière ou les déboutés du droit d'asile entrent dans le champ de l'AME de droit commun.
La direction de la sécurité sociale se contente ainsi de noter, dans les réponses aux questionnaires budgétaires que « les effets des flux migratoire sur l'AME sont incertains (...) et dépendent notamment du statut des personnes migrantes ».
2. Une sous-budgétisation récurrente des dépenses d'AME
Votre rapporteur spécial relève que le montant des crédits proposés au titre des dépenses d'AME par le présent projet de loi de finances s'inscrit dans une démarche de sincérité budgétaire , se fondant sur une évolution tendancielle plus conforme à la réalité de la dynamique de la dépense, mais probablement encore sous-évaluée.
Néanmoins, la dépense d'AME inscrite en loi de finances initiale ne reflète pas la dépense effective :
- si le dispositif est à la charge de l'État, sa gestion est assurée par l'assurance-maladie. La mission « Santé » retrace donc une dotation à la CNAMTS, qui ne couvre pas la totalité des dépenses effectivement constatées lors de l'exercice , entraînant la constitution d'une dette de l'État vis-à-vis de la CNAMTS ;
- en outre, la comparaison avec les crédits consommés au cours d'un exercice révèle une sous-budgétisation répétée et désormais structurelle des dépenses d'AME de droit commun, contrevenant au principe de sincérité budgétaire. En dépit de leur dépassement répété, les crédits proposés en loi de finances initiale s'avèrent d'année en année insuffisants pour faire face à la dynamique de la dépense.
Votre rapporteur spécial note que ces éléments récurrents, pourtant bien connus du Gouvernement, ne l'ont pas empêché de procéder à l'annulation de près de 9,2 millions de crédits par voie de décret d'avance en 2017 15 ( * ) . Cette annulation de crédits découlait d'une prévision de baisse des dépenses de l'AME de droit commun, en raison d'une diminution du nombre de ses bénéficiaires ayant recours à des soins, observée au premier semestre 2017. Or, celle-ci s'est finalement révélée imprudente, dans la mesure où une augmentation de la dépense au titre de l'AME a finalement été constatée en fin d'année.
Ainsi, en 2017, les dépenses d'AME de droit commun enregistrées par la CNAMTS (801,1 millions d'euros) ont été supérieures de 5 % aux crédits de paiement inscrits en loin de règlement (763,3 millions d'euros). L'accroissement non anticipé des dépenses aggravé par des mesures de régulation imprudentes a entraîné la reconstitution d'une dette dont le montant passe de 11,5 millions d'euros à 49,8 millions d'euros à la fin de l'année 2017 (+ 38,3 millions d'euros) .
À cette dette s'ajoute celle résultant de l'écart entre la dotation forfaitaire de 40 millions d'euros au titre des soins urgents de l'AME et les dépenses effectivement prises en charge par l'assurance maladie (65,1 millions d'euros en 2017).
Finalement, la diminution des crédits dédiés à l'AME exécutés en 2017, qui permet au Gouvernement d'afficher une maîtrise de la dépense publique, a été compensée par l'assurance maladie . Votre rapporteur spécial déplore ce désengagement de l'État et dénonce ce transfert à l'assurance maladie de la prise en charge de dépenses qui relèvent pourtant exclusivement du périmètre de la politique de santé publique .
* 15 Décret n° 2017-1639 du 30 novembre 2017 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance.