III. LES TROIS GRANDS OPÉRATEURS DU PROGRAMME FONT FACE À D'IMPORTANTS DÉFIS FINANCIERS
A. SNCF RÉSEAU, QUI BÉNÉFICIE DE NOMBREUX SOUTIENS FINANCIERS DE L'ÉTAT, POURSUIT LE GRAND PLAN DE MODERNISATION DU RÉSEAU STRUCTURANT ET BÉNÉFICIERA D'UN ASSAINISSEMENT DE SA SITUATION FINANCIÈRE À LA SUITE DE LA RÉFORME VOTÉE AU PRINTEMPS 2018
La loi n° 2018-515 pour un nouveau pacte ferroviaire , si elle portait principalement sur l'ouverture à la concurrence du marché domestique de voyageurs et sur la réforme du cadre social des personnels de la SNCF , a également prévu la réorganisation et la transformation en sociétés nationales à capitaux publics de SCNF Mobilités et de SNCF Réseau .
En 2019 et dans les années suivantes, SNCF Réseau va pouvoir poursuivre ses missions, notamment la modernisation du réseau structurant trop longtemps négligé , dans un contexte financier assaini grâce notamment à la reprise d'une partie de sa dette par l'État.
1. Porter à 3,6 milliards d'euros par an le montant des investissements en faveur du réseau structurant le plus circulé devrait permettre de véritablement le moderniser
L'audit du réseau ferré français réalisé en 2005 par l'école polytechnique fédérale de Lausanne, actualisé en 2012, a démontré que le réseau ferré structurant le plus circulé s'était considérablement dégradé en France ces trente dernières années en raison d'investissements d'entretien et de modernisation longtemps très insuffisants 9 ( * ) .
Cette situation pose des problèmes en termes de sécurité mais également d'efficacité, en raison de la multiplication des ralentissements de la circulation des trains sur quelque 5 300 kilomètres du réseau .
Pour y remédier, SNCF Réseau a conçu en 2013 un grand plan de modernisation du réseau qui vise à régénérer notre patrimoine ferroviaire en péril .
Les engagements pris dans le cadre du contrat de performance conclu entre l'État et SNCF Réseau le 20 avril 2017 prévoyaient des investissements de 2,5 milliards d'euros par an en 2018 et en 2019 puis de 3 milliards d'euros par an à compter de 2020 en faveur du réseau .
S'il s'agissait d'un progrès par rapport à la situation antérieure, ce montant paraissait néanmoins insuffisant pour répondre à l'ensemble des besoins , comme l'avait montré le rapport d'information de notre commission des finances « Infrastructures de transport : sélectionner rigoureusement, financer durablement » 10 ( * ) présenté en septembre 2016, qui estimait « qu'il serait nécessaire de porter l'effort consenti par SNCF Réseau entre 3,5 et 4,5 milliards d'euros pendant 15 ans » .
Comme le Gouvernement l'avait annoncé au moment de la discussion du projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire, la programmation des investissements dans les transports prévoit désormais que SNCF Réseau investira 3,6 milliards d'euros par an dans le réseau existant , soit un montant nettement plus conséquent que celui qui était prévu précédemment et plus en adéquation avec ce que notre commission des finances avait préconisé.
Un sujet d'inquiétude toutefois : les crédits que l'État est censé apporter à SNCF Réseau via l'AFITF pour l'amélioration de la sécurité du réseau, en particulier celle des passages à niveaux, sont régulièrement inférieurs aux montants promis à l'opérateur. Votre rapporteure spéciale souhaite que cette difficulté soit rapidement corrigée, compte tenu de l'importance de cette question.
2. Si l'État va reprendre 35 milliards d'euros de dettes de SNCF Réseau, l'opérateur devra également améliorer sa productivité pour éviter de s'endetter de nouveau
Au 31 décembre 2018, la dette financière nette de SNCF Réseau en valeur de remboursement hors ICNE 11 ( * ) devrait représenter environ 48,2 milliards d'euros , soit 3 milliards d'euros de plus qu'au 31 décembre 2017.
Lors de la discussion du projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire, l'État s'est engagé à reprendre 35 milliards d'euros de dette de SNCF Réseau dans le cadre de la transformation de l'opérateur en société anonyme à capitaux publics . Cette reprise se fera en deux temps : 25 milliards d'euros seront repris en 2020 et 10 milliards d'euros en 2022.
Le mécanisme retenu devrait permettre de décharger immédiatement l'entreprise d'une part considérable des frais financiers de 1,5 milliard d'euros par an générés par le montant actuel de sa dette.
Il devra également permettre de garantir un traitement équitable de l'ensemble des créanciers notamment obligataires de SNCF Réseau .
Les réponses au questionnaire de votre rapporteure spéciale précisent en outre que « quel que soit le montage financier retenu, les effets de la reprise de dette sur le budget de l'État feront l'objet d'un suivi précis année après année afin que la représentation nationale, et l'ensemble des Français, sachent exactement ce qu'ils paient pour leur système ferroviaire ».
Il convient de noter que la reprise partielle de la dette de SNCF Réseau par l'État n'aura en revanche aucun impact sur le déficit public et sur la dette publique , la dette de SNCF Réseau étant désormais considérée comme intégralement publique (voir l'encadré infra ).
La dette de SNCF Réseau est désormais
considérée
Dans un communiqué de presse en date du 6 septembre 2018, l'Insee a annoncé sa décision de reclasser , en accord avec Eurostat, SNCF Réseau dans la catégorie des administrations publiques (APU) à compter de l'année 2016. SNCF Réseau avait été classé hors APU en 1997 car ses recettes marchandes représentaient plus de 50 % de ses coûts de production. L'Insee a estimé que ce n'était plus le cas depuis 2016 , compte tenu des nouvelles préconisations européennes pour le calcul de la consommation de capital fixe (CCF) . La consommation de capital fixe (CCF), qui fait partie des coûts de production de SNCF Réseau, correspond à la dépense d'investissement que devrait consentir chaque année l'entreprise pour compenser l'usure et l'obsolescence des lignes ferroviaires en service . Pour calculer sa CCF, SNCF Réseau se base sur une valeur des infrastructures calculée sur la base des flux futurs de revenus générés par leur exploitation. Cette valeur est très sensible à la fois aux hypothèses retenues en matières de durée de vie des lignes ferroviaires , mais également de trajectoire des péages futurs . Soucieux de limiter au maximum le risque d'une sous-estimation des coûts de production, Eurostat a demandé à l'ensemble des pays européens de retenir désormais des hypothèses hautes quant au calcul de la CCF . L'Insee a procédé à une nouvelle estimation de la CCF de SNCF Réseau qui l'a conduit à constater que la part des coûts de production de SNCF Réseau couverte par des recettes marchandes , si elle était bien supérieure à 50 % pour 2015 et les années antérieures, était passée sous ce seuil en 2016 , en 2017 et qu'il en irait très probablement de même en 2018 . L'Insee a donc décidé de reclasser SNCF Réseau dans la catégorie des administrations publiques à compter de 2016 , en considérant désormais que cet opérateur est un organisme divers d'administration centrale (ODAC) . Le fait que SNCF Réseau soit désormais considérée comme une administration publique (en l'occurrence, un ODAC) en comptabilité nationale entraîne deux conséquences : - son déficit doit être comptabilisé dans le déficit public ; - sa dette doit être entièrement reclassée en dette publique , et non plus seulement une fraction de sa dette comme c'était le cas depuis 2014. L'Insee a donc revu à la hausse le déficit public de 3,2 milliards d'euros en 2016 et de 2,2 milliards d'euros en 2017 pour prendre en compte le déficit de SNCF Réseau . Dans le même temps, la requalification de l'intégralité de la dette de SNCF Réseau en dette publique à partir de 2016 conduit à majorer la dette publique de la France de 35,8 milliards d'euros en 2016 et de 39,4 milliards d'euros en 2017. Cette opération comptable entraîne une forte hausse du poids de la dette publique par rapport au PIB, passé de 95,6 % en 2015 à 98,2 % en 2016 puis 98,5 % en 2017. Pour mémoire, 10 milliards d'euros de dettes de SNCF Réseau étaient déjà comptabilisés dans la dette publique depuis 2014 et étaient assimilés à une dette de l'État . L'intégralité de la dette de SNCF Réseau étant désormais considérée comme celle d'un ODAC , les 10 milliards d'euros précités ne seront plus attribués à l'État. Source : commission des finances du Sénat |
Plusieurs autres mesures financières annoncées par le Gouvernement au moment de l'examen du projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire vont venir modifier les équilibres du contrat de performance décennal que l'opérateur avait signé avec l'État le 20 avril 2017 et nécessiteront l'élaboration au cours des prochains mois d'une nouvelle trajectoire financière pour SNCF Réseau .
Il sera en particulier demandé à l'établissement de réaliser des efforts de productivité supplémentaires de l'ordre de 380 millions d'euros en 2026 , portant ainsi la productivité à mettre en oeuvre à plus de 1,6 milliard d'euros en 2026 .
Deuxième mesure d'ores-et-déjà annoncée : la révision de la trajectoire d'évolution des péages des activités commerciales (fret et TGV), dont les chroniques d'indexation seront ramenées au niveau de l'inflation générale des prix (IPC), alors qu'une forte augmentation de 1,3 milliard d'euros sur la période 2017-2026 des péages perçus auprès des entreprises ferroviaires était jusqu'ici prévue, au risque d'aggraver la logique malthusienne dont souffrait depuis trop longtemps notre système ferroviaire et qui conduisait à faire circuler trop peu de trains en raison de niveaux de péages trop élevés.
Enfin, SNCF Réseau bénéficiera du renforcement de la règle d'or prévue par la loi pour un nouveau pacte ferroviaire.
3. Les crédits d'intervention du programme 203 à destination de SNCF Réseau augmenteront en 2019 et l'opérateur bénéficiera également d'une hausse des transferts en provenance de l'AFITF
Les liens financiers entre SNCF Réseau et le programme 203 sont très importants puisque l'action 41 « Ferroviaire » , qui représente 72 % des crédits dudit programme , porte pour 2019 2 430,3 millions d'euros en AE et 2 431,3 millions d'euros en CP, de crédits d'intervention en faveur de SNCF Réseau , soit un montant légèrement supérieur de 1,2 % aux 2 421,6 millions d'euros de 2018.
Cette hausse des concours de l'État à SNCF Réseau devrait se poursuivre dans les années à venir puisque le contrat de performance décennal de l'opérateur prévoit qu'ils augmenteront de 450 millions d'euros au total sur la période 2017-2026.
Ces crédits visent à financer l e coût de l'utilisation du réseau ferré national par les trains régionaux de voyageurs (TER) , les trains d'équilibre du territoire (trains Intercités) et les trains de fret , que les péages que perçoit par ailleurs SNCF Réseau ne parviennent pas à couvrir .
En vertu de ce mécanisme, SNCF Réseau percevra ainsi en 2019 :
- 1 696,8 millions d'euros (AE=CP) pour le financement de l'utilisation du réseau ferré national par les TER , contre 1 668,4 millions d'euros en 2018. Ce montant correspond à la redevance d'accès facturée par SNCF Réseau pour l'utilisation par les TER du réseau ferré national hors Île-de-France ;
- 536,6 millions d'euros pour le paiement par l'État de la redevance d'accès facturée par SNCF Réseau pour l'utilisation du réseau ferré national hors Île-de-France par les trains d'équilibre du territoire (TET), dont l'État est l'autorité organisatrice (voir infra ) , contre 527,7 millions d'euros en 2018;
- 196,9 millions d'euros pour le financement de l'utilisation du réseau ferré national par les trains de fret , y compris le financement du complément de prix visant à contribuer au financement du coût marginal du fret pour SNCF Réseau, contre 224,3 millions d'euros en 2018 .
Par ailleurs, 0,96 million d'euros de crédits de paiement sont prévus pour le financement en 2019 du transfert de l'exploitation et de la maintenance à la société LFP , filiale de la SNCF et de l'AFIF espagnole, de la ligne ferroviaire franco-espagnole à grande vitesse Perpignan-Figueras , à la suite de la liquidation du concessionnaire TP Ferro .
Les liens financiers de SNCF Réseau avec l'AFITF sont également significatifs, puisque l'agence devrait lui verser quelque 729 millions d'euros en 2019 au titre de la modernisation et du développement du réseau .
En ce qui concerne la dette accumulée par l'AFITF vis-à-vis de SNCF Réseau, celle-ci est actuellement en cours de réduction, même si l'AFITF doit encore 221 millions d'euros à SNCF Réseau au titre de la ligne à grande vitesse (LGV) Sud Europe Atlantique (SEA).
* 9 Dans un passé récent, l'État a clairement privilégié la construction de nouvelles lignes à grande vitesse (LGV), qui ont monopolisé les ressources financières, mais également les ressources humaines de SNCF Réseau et de ses sous-traitants.
* 10 Rapport d'information n° 858 (2015-2016) du 28 septembre 2016 de Vincent Capo-Canellas, Yvon Collin, Marie-Hélène des Esgaulx, Thierry Foucaud, Roger Karoutchi, Fabienne Keller, François Patriat et Daniel Raoul, fait au nom de la commission des finances.
* 11 Intérêts courus non échus.