C. UNE ÉTAPE VERS UNE RÉDUCTION PLUS PÉRENNE DES SUBVENTIONS AUX RÉGIMES SPÉCIAUX DE RETRAITE ?

Malgré une érosion des dépenses de la mission, les taux de subventionnement des régimes spéciaux demeurent élevés.

Néanmoins, l'exécution des crédits en 2017 peut être considérée comme une étape supplémentaire vers une réduction des dépenses d'équilibre des régimes spéciaux. Celle-ci reste toutefois entourée d'incertitudes. Par ailleurs, elle s'accompagne du maintien d'une perspective d'appel aux contributions publiques pour couvrir un besoin de financement persistant, même à un horizon très long marqué par l'amplification des effets de rééquilibrage attendus d'une désindexation des pensions, dont la soutenabilité au long cours peut susciter une certaine perplexité.

1. Les taux de subventionnement des régimes spéciaux par la mission demeurent élevés...

Taux de subventionnement des plus importants régimes spéciaux par la mission

SNCF

RATP

Marins

Mines

Total

Subvention de la mission

(A)

(en millions d'euros)

3 271,4

680,6

828,1

1 215,7

5 995,8

Pensions

(B)

(en millions d'euros)

5 308,3

1 124,9

1 052

1 437,4

8 922,6

A/B

61,6 %

60,5 %

78, 7%

84,6 %

62 %

Source : commission des finances du Sénat d'après les données du rapport annuel de performances de la mission

La contribution des crédits de la mission au financement des pensions servies par les régimes spéciaux de retraite est variable selon le régime considéré, mais elle dépasse 60 % pour les plus grands de ces régimes.

Si l'on considère que la plupart des régimes spéciaux correspondent à des entreprises opérant sur des champs plus ou moins concurrentiels, on pourrait juger que cette situation revient à subventionner par appel aux contribuables une partie des coûts sociaux de l'exploitation, conduisant à des perturbations de concurrence.

Cette conclusion serait probablement hâtive dans la mesure où la subvention accordée par l'État résulte en réalité de deux facteurs agissant dans des proportions variables selon le régime considéré. En effet, la contribution versée par l'État vient, d'une part, pallier les effets de l'isolement de régimes aux ratios démographiques défavorables, et, d'autre part, compenser un certain nombre d'avantages de retraites supposés constituer une contrepartie à la pénibilité particulière de certains métiers. C'est le volet « solidarité » de la subvention qui est alors en cause.

On pressent que la réforme des retraites en voie de définition, qui devrait se traduire par l'adoption d'un régime universel en points fondé sur une uniformisation de la contrevaleur des contributions retraites en points (soit la mise en oeuvre du slogan « pour un euro cotisé les mêmes droits de retraite pour tous »), modifiera en profondeur les conditions dans lesquelles pourrait être déterminée une éventuelle subvention publique des régimes de retraite.

Cette perspective demeurant à vérifier, on se bornera à indiquer, qu'en l'état actuel de l'information budgétaire, ni la justification fine des subventions versées aux différents régimes spéciaux couverts par la mission, ni une quelconque analyse de leurs impacts économiques et sociaux ne sont accessibles.

2. ... mais la baisse des charges de la mission devrait se prolonger...

Le compte général de l'État présente une projection à long terme (horizon 2050 et 2117) des besoins de financement cumulés, et actualisés, des principaux régimes spéciaux de retraite qui fait ressortir les montants d'engagements implicites correspondant à différentes hypothèses de taux d'intérêt.

La fourchette va de 377,6 milliards d'euros à 179,5 milliards d'euros en 2116 , et de 163,3 milliards d'euros à 120,7 milliards d'euros en 2050.

Les résultats de la projection ressortent comme très sensibles au choix du taux d'actualisation 191 ( * ) .

Projection à moyen terme des besoins de financement cumulé actualisé
des grands régimes spéciaux de retraite financés par la mission

(en millions d'euros de 2017)

Source : compte général de l'État en 2017

Ces résultats sont de nature à impressionner mais il convient de garder à l'esprit qu'ils expriment des besoins de financement cumulés à long, voire très long, terme 192 ( * ) , le haut de la fourchette étant au surplus fondé sur une hypothèse d'assez nette contraction des conditions économiques et monétaires qui se traduirait par un taux d'intérêt réel constamment négatif au cours de la période.

Même en ce cas, le graphique ci-dessous l'illustre, le besoin de financement des régimes spéciaux se réduirait très fortement en début de période pour connaître une relative stagnation après 2065 autour d'un besoin de financement de 1,5 milliard d'euros constants.

Les charges de la mission devraient ainsi subsister tout au long de la période de projection mais connaître une très nette diminution, de 4,8 milliards d'euros à terme, si bien que le poids de la mission se trouverait allégé de près de 80 %.

Financement des retraites des régimes spéciaux subventionnées
(hors SEITA)

Source : compte général de l'État pour 2017

Toutefois, la lecture du graphique suggère que cette évolution résulterait d'un mouvement en ciseaux, les pensions se réduisant tandis que les recettes propres des régimes progresseraient. Cette dissociation des dynamiques des ressources et des charges est attribuable à des variables en volume mais également au choix d'une mécanique d'indexation des retraites qui suscite des interrogations puisqu'elle aboutit à un décrochage considérable du niveau de vie des retraités par rapport à celui des actifs.

Par ailleurs, la part prise par le besoin de financement des retraites de la SNCF dans le total des besoins de financement des régimes spéciaux doit être remarquée. Elle conduit à souligner l'influence de ce régime spécial sur la problématique d'ensemble des régimes spéciaux (du moins pour ceux couverts par la mission) et, de ce fait, les liens entre la santé économique de l'entreprise et sa charge en subventions publiques.

Dans ce contexte, la loi pour un nouveau pacte ferroviaire accroît les incertitudes. Pour préserver les droits des personnels actuels de la SNCF, sa disposition principale, qui prévoit la fin du recrutement au statut, se traduira progressivement par une accélération de la baisse du nombre des cotisants par rapport à la situation ex ante tandis que le profil d'évolution des pensionnés n'est appelé à se trouver modifié que moyennant un délai. La période de transition sera ainsi marquée par un creusement du besoin de financement, qui, pour être temporaire, est susceptible de modifier très sensiblement les perspectives exposées ci-dessus.

3. ... non sans susciter quelques interrogations sur son modèle

Dans ces évolutions l'application des réformes des retraites aux régimes spéciaux joue un rôle important malgré l'hypothèse d'un maintien des limites d'âge dérogatoires ménagées au profit des catégories non sédentaires des entreprises de transport.

Une modification des bornes d'âge de ces catégories accentuerait la baisse du besoin de financement des régimes. Même si elle supposerait sans doute des évolutions de toutes sortes, comme l'expérience a pu le montrer dans un passé récent, il est assez peu probable qu'elle n'intervienne pas au cours de la très longue période considérée ici.

La réduction du besoin de financement des régimes serait alors plus forte que ne le montrent les projections.

Sous les conditions de celles-ci, à législation constante, c'est l'impact du différentiel entre l'indexation des pensions et la dynamique économique qui pèse joue principalement sur les résultats de la projection ainsi que l'illustrent les écarts entre les résultats de long terme selon l'hypothèse de croissance.

Tout comme pour le régime de la fonction publique d'État pris en charge par le compte d'affectation spéciale « Pensions » (voir ci-dessous), on peut s'interroger sur la soutenabilité d'un modèle d'équilibre des régimes de retraite basé sur un décrochage des revenus des pensionnés par rapport à celui des actifs .

Même si sa traduction en niveau de vie peut être tempérée par plusieurs facteurs (situations patrimoniale, familiale, charges diverses...), ce décrochage programmé revient à rompre radicalement avec un objectif de parité des niveaux de vie des retraités et des actifs, certes non écrit et susceptible de modulations, mais qui, au demeurant atteint , a toujours constitué un horizon pour les régimes de retraite.

À ce titre, nul doute qu'il sera pleinement pris en compte dans les débats à venir sur la réforme du régime des retraites, dans la mesure, en particulier, où une répartition cible des revenus entre période d'activité et période d'inactivité déterminera très étroitement la fixation des contributions au nouveau régime par points.

Par ailleurs, dans un tel modèle d'équilibre des comptes de la retraite, l'attractivité des régimes obligatoires de retraite tend à se détériorer par rapport à des alternatives où les créances constituées par les épargnants se trouvent implicitement indexées sur le PIB.

On dira que la portée pratique d'une telle perte d'attractivité , qui en soi mérite d'être relativisée dans un contexte où la faculté d'un « opting out » 193 ( * ) n'est légalement pas ouverte, est assez virtuelle compte tenu de la structure de financement des régimes spéciaux pour lesquels la subvention de l'État revient à élever le taux de rendement des cotisations supportés par les salariés que ce soit directement (les cotisations salariales) ou indirectement (les cotisations des employeurs) 194 ( * ) .

Néanmoins, l'inévitable baisse du niveau de vie des retraités créera un besoin de revenus complémentaires dont les conditions de réunion n'ont aucune raison d'être équivalentes à celles dont dépendent les pensions versées par les régimes. La perspective d'une baisse des taux de rendement offerts par ceux-ci au niveau desquels la subvention de la collectivité publique contribue aujourd'hui fortement, posera la question de la distribution entre les différents niveaux de revenu des transferts publics alternatifs qui peuvent bénéficier à certaines formes d'épargne de précaution.

Une dernière observation conduit à mettre en relief les disparités de rendements des régimes spéciaux de retraite entre les générations. En effet, pour la partie qui correspond au différentiel d'indexation des pensions et des assiettes contributives, la réduction du besoin de financement peut être lue comme recelant la perspective d'un allègement structurel des contributions des générations futures aux pensions des retraités.


* 191 Par ailleurs, compte tenu de l'isolement de ces régimes et du fait que certains d'entre eux concernent des entreprises (plus ou moins) soumises à la concurrence, les hypothèses économico-démographiques sur lesquelles reposent les projections apparaissent d'emblée affectées d'incertitudes qu'il serait utile d'illustrer par des projections établies en variantes. Cette recommandation s'impose d'autant plus que les hypothèses choisies pour réaliser les projections ne sont pas présentées avec un détail suffisant dans le cadre du compte général de l'État. On ne peut qu'ajouter quelques interrogations sur les effets de l'innovation technologique notamment sur les conditions de financement des régimes concernant les entreprises de transport où les progrès de productivité par tête pourraient aboutir à une reconsidération radicale des modalités de financement de la protection sociale dans l'hypothèse où ils seraient captés par le capital.

* 192 Ainsi, un besoin de financement de 346 milliards d'euros en 2117 équivaut grosso modo à un besoin de financement annuel moyen de 3,5 milliards d'euros, résultat à comparer avec les 6,3 milliards d'euros de dépenses de la mission en 2017.

* 193 L'« opting out » désigne l'option ouverte dans certains régimes d'assurances sociales de ne pas s'affilier au régime de base. La levée de l'option dépend d'une appréciation d'opportunité reposant sur une perception du bilan risque-rendement des différentes offres d'assurance.

* 194 Votre rapporteur spécial tend à considérer que cotisations salariales et cotisations employeurs sont également des éléments de rémunération différées des salariés.

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