III. LES CRÉDITS DE LA MISSION SONT LOIN DE RENDRE COMPTE DE L'EFFORT PUBLIC CONSACRÉ À LA RECONNAISSANCE DE LA NATION ENVERS SES ANCIENS COMBATTANTS
Il convient de compléter le paysage suggéré par les crédits de la mission par la mention de deux circuits de financement complémentaires, constitués, l'un, par des dépenses rattachables aux actions financées par la mission mais prises en charge par d'autres missions budgétaires, l'autre, par des transferts effectués au profit des anciens combattants et victimes de guerre à travers les dépenses fiscales correspondant aux divers avantages fiscaux qui leur sont réservés.
A. DES DÉPENSES EFFECTIVES SUPÉRIEURES AUX DÉPENSES DIRECTES ET INSUFFISAMMENT RECENSÉES
En ce qui concerne les crédits « déversés » par d'autres missions budgétaires, ils correspondent principalement aux dépenses de personnel acquittées par le ministère de la défense pour organiser la journée défense et citoyenneté.
Au total, les crédits engagés à partir d'autres missions se sont élevés à 105,8 millions d'euros en 2017 (+ 2,6 millions d'euros par rapport à 2016) comme récapitulés ci-dessous.
Source : Rapport annuel de performances de la mission pour 2017
Dans ces conditions, les dépenses complètes de la mission se sont élevées, en réalité, à 2 609,2 millions d'euros, soit 104,2 % des dépenses imputées sur les seuls crédits ouverts à elle par la loi de finances initiale.
Votre rapporteur spécial s'interroge toutefois, une fois encore, sur l'exhaustivité des dépenses extérieures prises en compte pour donner une vision plus complète des dépenses publiques liées à l'accomplissement des objectifs assignés aux crédits de la mission.
En plus des concours apportés à l'Institution nationale des invalides par le ministère de la santé, qui ne sont pas récapitulés dans le document budgétaire au titre des dépenses indirectes présentées ci-dessus, il convient de considérer les contributions des collectivités territoriales dont un recensement mériterait de figurer dans les documents budgétaires afin de mieux rendre compte de l'effort public consacré aux différentes politiques publiques financées par la mission.
B. LES TRANSFERTS PUBLICS AU PROFIT DES ANCIENS COMBATTANTS DÉPASSENT DE BEAUCOUP LES DÉPENSES PUBLIQUES DU FAIT DE RÉGIMES FISCAUX AVANTAGEUX
Quant aux transferts réalisés au bénéfice des anciens combattants à travers les régimes fiscaux dérogatoires qui leur reconnaissent des avantages particuliers, ils sont évalués par le rapport annuel de performances annexé au projet de loi de règlement à 762 millions d'euros, soit 30,4 % des dépenses budgétaires de la mission .
Dans ces conditions, l'effort public consolidé consacré aux différents objectifs poursuivis par la mission doit a minima être relevé d'à peu près un tiers par rapport aux crédits votés en loi de finances initiale une fois les dépenses fiscales additionnées aux dépenses publiques qu'ils permettent d'engager.
Votre rapporteur spécial observe toutefois que les prescriptions détaillées de dépenses de la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques ne s'appliquent pas aux dépenses fiscales 33 ( * ) si bien que leur niveau, quoiqu'élevé, ne conduit pas à réviser l'appréciation portée plus haut sur le respect du triennal par les consommations de crédits.
En revanche, la dynamique des dépenses fiscales tranche avec celle des crédits. Pour 2016, ces derniers se replient tandis que les dépenses fiscales restent presque stables, moyennant une révision effectuée pour l'année 2016 qui en a augmenté l'estimation de près de 20 millions d'euros.
Les six dépenses fiscales inventoriées dans le rapport annuel de performances passent de 769 millions d'euros en 2016 à 762 millions d'euros en 2017. Elles déclinent légèrement malgré l'assouplissement de la condition d'âge pour bénéficier de la demi-part supplémentaire (1 an de moins et 30 millions d'euros de plus), mais depuis 2010 leur croissance a été particulièrement forte. Alors, les cinq dépenses fiscales recensées s'élevaient à 430 millions d'euros. Dans un contexte de quasi-homogénéité entre le champ de l'évaluation de ces transferts entre 2010 et 2017, on relève ainsi une augmentation de 77 % du poids des dépenses fiscales en sept ans. Avec 332 millions d'euros en plus, elles ont considérablement atténué la baisse de 672 millions d'euros constatée sur les dépenses de la mission.
Encore faut-il observer que seules trois des six dépenses fiscales recensées dans le rapport annuel de performances sont évaluées tandis que l'inventaire des transferts alloués aux anciens combattants et à leurs ayants droits par la Cour des comptes conduit à constater que le recensement proposé par la documentation budgétaire continue d'être incomplet.
Exemples de dépenses fiscales et sociales
L'impôt sur le revenu (IR) Le projet annuel de performances (PAP) ne fait pas figurer : - la part des dépenses fiscales découlant des dispositifs prévus par le programme 158 qui correspondrait à 3,5 % de la dépense n° 120126 ; le ministère de la défense, la direction du budget et le Secrétariat général du Gouvernement ont indiqué qu'ils étaient disposés à répartir la dépense fiscale qui figure aujourd'hui au titre du programme 169 entre les deux programmes 158 et 169 et à rattacher les montants correspondants dans le PAP. Des travaux seront entrepris à ce sujet ; - l'exonération d'impôt sur le revenu des PMI reversées aux ayants droit des militaires et anciens combattants décédés, en vertu des dispositions du CPMIVG ; - pour le programme 158, les indemnités versées aux ayants droit des victimes de spoliation qui sont exonérées d'IR. Les droits de mutation Le PAP ne mentionne pas l'exonération dont bénéficie le capital versé aux victimes de spoliations qui serait soumis au droit d'enregistrement (programme 158). Les droits de succession Le PAP ne mentionne pas que : - la transmission du capital de la rente mutualiste, lorsqu'il a été opté pour le régime réservé viagèrement, se fait hors droit de succession dans la limite de la fiscalité actuelle ; - pour les ayants droit des victimes de spoliations, les indemnités versées postérieurement au décès du bénéficiaire ne constituent pas un patrimoine taxable. Les prélèvements sociaux Certaines aides bénéficient d'exonérations de prélèvements sociaux : - les PMI, la retraite du combattant, la retraite mutualiste des anciens combattants (dans la mesure où elle bénéficie de la majoration de l'État) et les allocations de reconnaissance servies aux anciens membres des formations supplétives de l'armée française en Algérie et leurs veuves sont exonérées de CSG et de CRDS. Cette exonération est d'ailleurs codifiée par l'article L. 136-2-III-3° du code de la sécurité sociale. Le coût de ces avantages est difficile à évaluer en raison des modulations susceptibles d'intervenir. Compte tenu de l'augmentation des taux de la CSG en 2018, il devrait s'alourdir par rapport aux données suivantes appréciées par la Cour des comptes sur la base de différents échanges : le coût de l'exonération pour les retraites mutualistes avait été estimé, en 2013, à 80 millions d'euros ; quant à la retraite du combattant, l'exonération avait été estimée à 67 millions d'euros ; |
- les sommes perçues par les orphelins des victimes de la barbarie, les orphelins des victimes d'actes d'antisémitisme pendant la Seconde guerre mondiale et par les victimes de spoliations ne sont pas soumis à prélèvements sociaux. Bien que ces deux exonérations ne relèvent pas de la loi de finances initiale stricto sensu, et ne doivent pas figurer dans le PAP à ce titre, mais du projet de loi de financement de la sécurité sociale, les montants correspondants viennent augmenter le coût global de cette politique. Ils pourraient donc être mentionnés dans les documents budgétaires pour porter à la connaissance de la représentation nationale le coût de cette politique. L'impôt sur la fortune (ISF) Le PAP ne fait pas figurer les dispositifs suivant qui sont exonérés d'ISF : - les sommes allouées aux ayants droit des victimes de persécutions antisémites en vertu de l'article 885 K du code général des impôts ; - la rente mutualiste, sa valeur de capitalisation n'est pas imposable ; - l'ensemble des aides financières versées aux orphelins et aux victimes de spoliations n'entrent pas dans le champ de l'ISF. Lorsque ces indemnités sont versées aux ayants droit des victimes elles sont également exonérées d'ISF. Ces derniers avantages ne devraient plus être comptabilisés comme dépenses fiscales du fait de la suppression de l'ISF. Source : à partir de la note d'analyse budgétaire 2015. Cour des comptes |
La montée en puissance des transferts fiscaux dans le total des expressions de la reconnaissance de la Nation aux anciens combattants conjointe avec celle des majorations accordées aux rentes mutualistes conduit à une concentration des manifestations de soutien de la Nation à ses anciens combattants dans un contexte où les allocations les plus « universelles » n'ont bénéficié ces dernières années d'aucune revalorisation significative.
* 33 La loi de programmation des finances publiques fixe un plafond aux dépenses fiscales mais celui-ci est global et, en conséquence, n'est pas décliné par mission au contraire du régime applicable aux crédits de paiement qui sont, de leur côté, plafonnés par mission. Ce hiatus dans le statut des transferts de l'État selon qu'ils passent par des dépenses ou par des faveurs fiscales n'est pas purement arbitraire dans la mesure où les dépenses fiscales sont présumées moins pilotables que les crédits mais, outre que cette présomption n'est pas irréfragable (le plafond de dépenses fiscales fixé par la loi de programmation l'atteste), elle ouvre la perspective d'arbitrages au profit de transferts par les dépenses fiscales plutôt que par des dépenses publiques pouvant aboutir (effet pervers s'il en est) à une plus grande inertie des finances publiques et à une plus faible visibilité des interventions de l'État.