II. AUDITION DE REPRÉSENTANTS DES ORGANISATIONS REPRÉSENTATIVES DES EMPLOYEURS
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Réunie le mercredi 13 juin 2018 sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission entend les organisations représentatives des employeurs.
M. Alain Milon , président . - Chers collègues, nous poursuivons nos travaux sur le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel dont l'Assemblée nationale a commencé l'examen en séance publique ce lundi et que nous examinerons, pour notre part, en commission le mercredi 27 juin et en séance publique la semaine du 9 juillet prochain. Nous accueillons ce matin les organisations représentatives des employeurs : d'une part, pour la CPME, M. Jean-Michel Pottier, vice-président chargé des affaires sociales et de la formation, est accompagné de MM. Florian Faure, directeur des affaires sociales et François Falise, conseiller ; d'autre part, pour le Medef, Michel Guilbaud, directeur général, Mme Elisabeth Tomé-Gertheinrichs, directrice générale adjointe chargée des politiques sociales et M. Armand Suicmez, chargé de mission à la direction des affaires publiques ; et enfin, pour l'U2P, M. Pierre Burban, secrétaire général. Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation et je vais donner la parole à chaque organisation pour 10 minutes d'exposé introductif. Je donnerai ensuite brièvement la parole à nos rapporteurs qui vous ont déjà reçu dans le cadre de leurs auditions, puis aux collègues qui souhaitent vous interroger.
M. Jean-Michel Pottier, vice-président chargé des affaires sociales et de la formation de la CPME . - Cette réforme contient à la fois des points positifs et suscite certaines réserves.
S'agissant des éléments positifs, cette réforme répond aux préoccupations de la CPME en remettant le chef d'entreprise au coeur du dispositif de l'apprentissage, dont il avait été jusque-là tenu à l'écart du fait de la forte présence de l'administration. Or, les effectifs de l'entrée en apprentissage ont stagné pendant 5 ans. Le renforcement des objectifs assignés aux observatoires des métiers et des qualifications va de pair avec leur mise en cohérence avec ceux des observatoires territoriaux. Les branches professionnelles sont désormais chargées d'élaborer des référentiels de formation et pourront émettre un veto aux propositions de l'Éducation nationale. C'est là une véritable révolution ! Le dispositif de paiement au contrat, déjà en vigueur pour les contrats de professionnalisation, va également dans le bon sens. Ce système fonctionne très bien et nous nous félicitons de sa généralisation à l'apprentissage. En outre, libérer les CFA des contraintes administratives et du contingentement, dans lequel se trouvait jusqu'à présent l'apprentissage, permettra d'éviter le financement de sections à moitié vides. Cette démarche facilitera la conclusion des contrats de professionnalisation, dans le cadre de la formation continue, et des contrats d'apprentissage en matière de formation initiale.
Néanmoins, de nombreuses inconnues demeurent. Ce projet de loi renvoie à des décrets, qui couvrent des champs de grande ampleur, sur lesquels nous ne disposons d'aucune information. Les chefs d'entreprise n'ont aucune visibilité sur la transition entre ces deux systèmes, alors qu'ils doivent s'engager sur des contrats de trois ans. Les acteurs de l'apprentissage doivent être rassurés sur ce point. Cette transition doit être la plus rationnelle possible. Nous souhaiterions également que la loi reprenne la disposition de l'accord national interprofessionnel (Ani) du 22 février 2018 selon laquelle tout contrat d'apprentissage doit être financé. Les branches professionnelles et les CFA doivent partir des coûts de référence pour négocier leurs contrats sous l'égide de France compétences, dont les missions et la gouvernance viennent d'être quelque peu clarifiées grâce à des amendements gouvernementaux adoptés hier.
Si les aides financières aux TPE et PME devraient être concentrées sur les entreprises de moins de 250 salariés, leur limitation au niveau Bac nous paraît une erreur ; le niveau Bac + 2 ou Bac + 3 nous paraissant plus pertinents pour répondre aux besoins des entreprises.
Sur la formation professionnelle, nous regrettons que le projet de loi se soit éloigné de l'ANI du 22 février dernier. Certes, le travail des parlementaires permet de revenir au principe de réalité dont les annonces subreptices de la ministre du travail relatives au Big Bang en la matière s'étaient quelque peu éloignées. Le compte personnel de formation (CPF) pose problème : un accès quasi-universel, par voie de smartphone, à la commande d'une action de formation est certes une idée généreuse, mais peu en phase avec la vie des entreprises. Les salariés les moins qualifiés ne vont pas bénéficier de ce système, alors qu'ils en ont pourtant le plus besoin, faute de pouvoir se servir de cette fonctionnalité. Ce n'est donc pas une bonne solution. La CPME est, à l'inverse, extrêmement attachée à la co-construction de la formation entre l'employeur et le salarié. En 2013, nous avions déjà défendu le principe de convergence et la co-construction est actuellement soit empêchée, soit découragée, que ce soit avec l'entreprise ou la branche professionnelle. Si l'entreprise accorde un soutien à l'action de formation éligible au CPF et financée par le salarié, son financement transitera par la Caisse des dépôts et consignations, ce qui s'avère dissuasif. Le texte doit évoluer pour favoriser cette co-construction qui reste indispensable à l'élévation des compétences des salariés.
M. Michel Guilbaud, directeur général du Medef . - Cette loi représente, à nos yeux, un cap historique pour l'apprentissage. La méthode du dialogue social a changé depuis l'élection d'Emmanuel Macron, qui a mis au centre de son projet présidentiel l'enjeu des compétences. À ce titre, les organisations professionnelles de branche ont été placées au coeur du dispositif de l'apprentissage. Après les premières réformes conduites par ordonnances, le fait que le Gouvernement négocie avec les partenaires sociaux sur l'apprentissage, qui ne relevait pas de leurs compétences, est une première et traduit la volonté du Gouvernement de les écouter. Certes, certains décalages peuvent se faire jour entre l'accord du 22 février dernier et le contenu du projet de loi, mais ceux-ci apparaissent secondaires et peuvent encore être corrigés.
Sur le fond, nous rejoignons la CPME. D'une part, le CPF libellé en euros, destiné à remplacer le CPF en heures, nous paraît susceptible de générer des comportements de thésaurisation au détriment des projets de formation. D'autre part, la co-construction, qui permet d'aller plus loin dans l'autonomie individuelle et de mieux répondre aux besoins aux entreprises, n'apparaît pas dans le corps du texte actuellement débattu à l'Assemblée nationale. Nous ne savons, pas, du reste, ce qui ressortira de ce débat.
Par ailleurs, alors que le Medef promouvait la fusion d'instances comme le Comité régional de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (Crefop), le Comité interprofessionnel pour l'emploi et la formation (Copranef) et le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), l'État a choisi de confier la gouvernance globale du système à un nouvel établissement public, France Compétences, qui devra également assumer des missions de régulation financière. Nous souhaitons que la gouvernance de ce nouvel organisme accorde une place importante aux partenaires sociaux et aux régions et que ses missions ne se limitent pas aux montages financiers pour intégrer celles d'évaluer les performances de l'ensemble du système. Des amendements, en cours de discussion à l'Assemblée nationale, devraient préciser les compétences de ce nouvel établissement public dont il faudra veiller à maintenir l'efficience.
La coopération future avec les régions est essentielle. Dans l'Ani, nous préconisions la création d'un pacte d'objectifs partagés avec les régions mais non prescriptif. Si nous sommes très attachés à la liberté d'établissement, il est essentiel d'échanger avec les régions sur le financement. La loi n'aborde pas ce point, malgré l'annonce par le Gouvernement, lors de la présentation de son projet de loi, de l'importance de la coopération avec les régions.
Il va également nous falloir préciser, avec les branches professionnelles, les champs et des métiers pris en compte lors du remplacement des organismes paritaires collecteurs agréés (Opca) par les opérateurs de compétences (Opcom). Le Gouvernement a d'ailleurs décidé d'accélérer le calendrier de cette mutation.
Enfin, nous soutenons les fondamentaux de la réforme de l'apprentissage, s'agissant notamment des procédures de conclusion et de rupture des contrats de travail, de la liberté d'installation des CFA, du financement des CFA au contrat et de la coopération avec les régions en matière d'orientation. Le Medef souhaite pouvoir dialoguer avec les régions pour identifier les cibles des investissements à plus ou moins longue échéance.
En revanche, ce projet de loi comprend d'autres dispositions sur l'assurance chômage, l'emploi des personnes en situation de handicap, ou encore l'égalité professionnelle. Le système paritaire de l'assurance chômage est modifié très substantiellement et la création de droits nouveaux s'opère sans que soit précisé son financement ; les cotisations salariales étant remplacées, à terme, par une part de la Contribution sociale généralisée (CSG) votée dans le cadre des lois financières. Dans cette nouvelle configuration, qui repose sur un cadrage financier fixé par l'État, quelles seront les marges de négociation des partenaires sociaux ? Que deviendra ce paritarisme de gestion revisité ?
En outre, nous sommes opposés à l'idée d'un bonus-malus qui sanctionnerait les entreprises recourant à des contrats de très courte durée ; le débat nous semble très mal formulé tant il repose sur l'hypothèse implicite d'un comportement fautif des employeurs qui doivent pourtant faire face aux aléas économiques et, parfois, répondre favorablement aux voeux de leurs employés. Les branches commencent à négocier sur ce sujet et cette décision renvoie à la question du modèle économique reconnu comme pertinent pour caractériser le marché du travail, notamment dans les services. Le projet de loi n'aborde pas, en tant que tel, les personnes en situation de handicap ou l'égalité professionnelle, des concertations sur ces deux thématiques étant conduites concomitamment à son examen parlementaire.
M. Pierre Burban , secrétaire général de l'U2P . - Nous partageons globalement ce qui vient d'être dit. La formation professionnelle continue et initiale représente un sujet d'autant plus important en période de reprise où les entreprises connaissent des difficultés de recrutement, malgré un chômage de masse important. L'apprentissage demeure, pour un grand nombre de métiers représentés par l'U2P dans l'artisanat, le commerce de proximité ou les professions libérale, la voie d'excellence vers l'insertion professionnelle. La relance de l'apprentissage est un serpent de mer depuis 1987, date à laquelle celui-ci est devenu une réelle filière de formation. Cette réforme devrait répondre aux besoins de qualification et des effectifs dans les entreprises, en contribuant, enfin, au décollage de l'apprentissage. Parmi les points positifs, la certification des organismes et l'amélioration de la qualité de la formation nous semblent aller dans le bon sens ; un amendement adopté par l'Assemblée nationale vise à une égalité de traitement entre les différentes structures proposant des formations en apprentissage. L'U2P soutient également la simplification des dispositions des contrats d'apprentissage. Le maintien de la rémunération en fonction de l'âge peut devenir une difficulté pour certaines branches qui éprouvent des difficultés à accueillir les apprentis les plus âgés, alors que le projet de loi entend ouvrir l'apprentissage aux personnes jusqu'à 30 ans. Les mesures relatives à la rupture du contrat d'apprentissage nous semblent positives, tout comme le développement de l'orientation et le nouveau rôle des branches professionnelles dans la délivrance des diplômes et des titres professionnels. Les régions ont toute leur place dans l'orientation, l'apprentissage et la formation professionnelle continue. En pratique, le développement de l'apprentissage impliquera la synergie de l'État, des régions, des branches et des entreprises. Les régions garderont leur compétence en matière d'investissement ainsi que pour la création de sections d'apprentissage ou de CFA. La question des montants financiers est effectivement importante.
Sur la formation professionnelle continue, la transformation des Opca en Opcom reste un enjeu majeur. Cependant, la question de la formation se pose en termes différents selon la taille de l'entreprise. Ainsi, les TPE, qui ne disposent pas de service de ressources humaines, devront être spécifiquement accompagnées par l'Opcom.
Si le droit individuel à la formation est essentiel, l'appétence des salariés pour ce dispositif reste diverse : plus ils sont formés et plus ils souhaitent suivre de nouvelles formations, et inversement. L'idée que tout citoyen français puisse commander une formation depuis son smartphone est un doux rêve ! L'orientation prise par la gestion du CPF nous semble contraire à ses ambitions. Par ailleurs, le CPF du travailleur indépendant pose problème et l'U2P préconise qu'il bénéficie d'un financement symétrique par rapport à celui des entreprises.
Nous sommes sceptiques quant au passage du CPF en heures à celui en euros. Cette démarche s'avère très inégalitaire car le décompte de la formation en heures permet de niveler les différences de coûts entre les secteurs d'activités. La limitation de l'aide à l'embauche d'apprentis à des jeunes de niveau Bac posera problème aux TPE et va à l'encontre des efforts consacrés par les branches professionnelles depuis plusieurs années à l'élévation des niveaux. L'article 40 de la Constitution est souvent allégué pour refuser les amendements tendant à élargir les aides pour les diplômes de niveau Bac + 2, au motif que leurs dispositions sont susceptibles d'entrainer un renchérissement de l'apprentissage : je le regrette.
L'U2P, qui représente les chefs d'entreprises relevant de l'ancien régime social des indépendants, n'était pas demandeuse de la création d'une allocation spécifique pour les indépendants privés d'activité, annoncée lors de la dernière campagne présidentielle. Cependant, l'équilibre proposé nous satisfait en l'état : nous ne souhaitons pas sa modification. Concernant le bonus-malus, nous souhaitons que les négociations soient confiées aux branches, mais cette démarche ne saurait avoir de sens pour les TPE !
Enfin, parallèlement au projet de loi, une disposition, qui concerne les plateformes et leur relation avec les travailleurs indépendants, pourrait faire l'objet d'un prochain amendement qui créerait une nouvelle catégorie juridique, en plus de celles des travailleurs salariés et des indépendants. Prenons garde aux conséquences d'une telle décision qui vise à sécuriser les plateformes en évitant toute requalification en salariat. Notre droit est déjà trop sédimenté et compliqué ! En Californie, le juge n'a pas hésité à procéder à une requalification des contrats de prestation en contrat de travail en faveur des chauffeurs employés par la société Uber. La création, via un amendement gouvernemental, de cette troisième catégorie induirait de réelles conséquences sur notre modèle social.
M. Michel Forissier , rapporteur . - Le Sénat a un rôle à jouer dans ce CPF, dont l'utilisation doit être précisée. Croiser le plan de formation de l'entreprise et l'utilisation du CPF permettrait d'abonder les fonds de l'entreprise et ceux du salarié, et ainsi d'aboutir à une forme de co-construction. Par ailleurs, les montants qui seront attribués aux régions pour soutenir les CFA - soit 250 millions d'euros pour le fonctionnement et 180 millions d'euros pour l'investissement - seront-ils à même de garantir un équilibre territorial satisfaisant ? Ne pensez-vous pas que les régions devraient conserver certaines prérogatives pour co-piloter la politique d'apprentissage avec les branches pressionnelles, compte tenu de leur connaissance des bassins d'emploi et de leurs compétences en matière d'aménagement du territoire ?
Mme Frédérique Puissat , rapporteur . - Ma question concernera la gouvernance de l'assurance chômage. Seriez-vous favorable à ce que le Parlement, sans alourdir le processus de décision, puisse s'exprimer, tous les trois ans, sur le projet de document de cadrage que le Premier ministre remettra aux partenaires sociaux avant l'ouverture de la négociation de la convention d'assurance chômage ?
Mme Catherine Fournier , rapporteur . - Le délai laissé aux partenaires sociaux pour délimiter le périmètre de compétence des Opcom, qui devront se regrouper selon une logique de filière, court jusqu'à octobre prochain. Si cette échéance n'était pas honorée, l'État prendrait la main. En conséquence, ce délai vous paraît-il trop bref ?
M. Philippe Mouiller , rapporteur . - Quel est votre regard sur l'obligation d'emploi de travailleurs handicapés (OETH) et la contribution annuelle y afférente ? Les modalités proposées seront-elles plutôt favorables à l'emploi direct des travailleurs handicapés ou à la sous-traitance ?
Mme Florence Lassarade . - En pratique, dans les lycées professionnels qui vont créer des CFA, comment les élèves et les familles vont-ils s'y retrouver, alors que le nombre de conseillers d'éducation est voué à diminuer ?
M. Yves Daudigny . - Comment distinguer dans l'utilisation du CPF entre la satisfaction de besoins immédiats de l'entreprise, lesquels pourraient entrer dans son plan de formation, et la recherche de nouvelles compétences pour le salarié ? Le CPF ne risque-t-il pas de déroger à son principe initial ? En outre, la contribution unique ne risque-t-elle pas d'exister ? Enfin, la suppression des différents organismes lors de la création des Opcom n'induit-elle pas une perte du travail accompli par les partenaires sociaux au bénéfice d'une reprise en main par l'État ?
M. Olivier Henno . - Je partage votre opinion sur l'empilement du droit, puisque l'évaluation de la réforme de 2014 ne me semble guère avoir été conduite. En outre, ne pensez-vous pas que la formation continue a vocation à se substituer aux faiblesses de la formation initiale ?
Mme Nadine Grelet-Certenais . - L'apprentissage, devenu un objectif à part entière de la politique de l'emploi, semble désormais privilégier l'insertion professionnelle au détriment d'objectifs éducatifs de plus grande ampleur. Je prendrai pour preuve l'allongement de la durée du travail sur laquelle le projet de loi est relativement flou, en créant deux catégories d'apprentis. En pratique, le temps de travail des mineurs est aligné sur celui des salariés majeurs. Que pensez-vous d'une telle disposition ? En outre, certaines formations professionnelles, dispensées dans de petits CFA, pourraient disparaître, avivant le problème de la mobilité et l'accès à la formation dans les zones plus rurales.
Mme Corinne Féret . - Le relèvement de la limite d'âge à 30 ans pour l'apprentissage sera-t-il bénéfique à ses effectifs ? Faut-il revenir sur la durée minimale des contrats initialement fixée à un an, en autorisant la conclusion de contrats plus courts durant toute l'année ? Enfin, l'alignement du temps de travail entre les majeurs et les mineurs simplifiera-t-il le fonctionnement des entreprises, au risque d'accroître les difficultés d'intégration de ces derniers ? La création de classes de préparation à l'accès aux métiers dès la classe de troisième, qui serait une phase intermédiaire entre la scolarisation et l'insertion par l'apprentissage en entreprises, vous paraît-elle une initiative bénéfique ?
M. Jean-Noël Cardoux . - Le compte personnel de formation serait abondé à hauteur de 500 euros par an et plafonné au bout de 10 ans à 5 000 euros. C'est un gadget de communication ! Pensez-vous vraiment qu'il soit possible, avec une telle somme, de suivre individuellement une formation de qualité ?
M. Jean-Michel Pottier . - On réforme tellement vite sans prendre le temps d'évaluer les dispositifs existants, comme le démontre le peu d'évaluation de la loi de 2014 ! Nous n'avions pas signé l'accord de 2013, en raison de l'absence de co-construction de la formation entre l'employeur et le salarié. Il faut favoriser ce principe, sans pour autant le mettre en rapport avec le plan de formation de l'entreprise. La volonté politique de redéfinir les opérateurs de compétence privilégie une approche individualiste du CPF. Or, il est fondamental que les TPE, qui n'ont pas de service de ressources humaines, puissent s'appuyer sur un opérateur compétent, pour trouver des financements auprès de leur branche, de la région, ou encore des fonds européens. Le délai laissé aux branches professionnelles pour désigner leurs nouveaux opérateurs de référence est fixé au 31 octobre prochain. Cette date nous paraît irréaliste ; on ne peut commencer la définition des compétences dans un paysage social où les opérateurs sont appelés à changer ! La CPME préconise le report du délai, pour les branches, au 31 décembre et pour les opérateurs de compétence et leur accord constitutif au 31 mars 2019, quitte à prévoir une application rétroactive. Allons très vite, mais de manière plus sécurisée, à moins que l'État ne décide de reprendre immédiatement la main sur cette question. J'espère que les débats à l'Assemblée nationale absorberont cette question de manière sereine.
La question des filières a été évacuée par un amendement gouvernemental. La logique de secteurs et de métiers nous semble désormais idoine et nous allons promouvoir cette idée auprès des deux experts qui viennent d'être nommés par le Gouvernement pour assister les branches dans la recomposition du paysage des opérateurs de compétence.
La contribution unique, c'est une farce car elle existe déjà, comme l'illustre le versement, par les entreprises, de leur contribution formation et leur taxe d'apprentissage au même opérateur : un Opca est aussi un organisme collecteur de taxe d'apprentissage (Octa) ! Politiquement, le maintien de l'exonération pour certains employeurs ne change guère les choses. En revanche, l'Urssaf sera certes chargée de collecter ces contributions, mais elle ne sera pas capable de transmettre les données techniques nécessaires au fonctionnement de France compétences. Le directeur de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) le reconnaît lui-même. Les opérateurs de compétence vont ainsi devoir agir à l'aveugle, à l'instar des fonds d'assurance formation auprès des travailleurs indépendants qui doivent aujourd'hui justifier, a posteriori, leurs cotisations. En réponse, nous souhaitons que le texte mentionne des objectifs de renseignements par les Urssaf, faute de quoi, il faudrait laisser la collecte aux opérateurs de compétence.
La limite financière à 500 euros des CPF s'inscrit dans une logique de marché. S'acheter son action de formation risque de devenir une démarche à bas coût. Les partenaires sociaux s'étaient pourtant exprimés, dès le départ, pour le maintien du compte en heures.
L'apprentissage de 25 à 30 ans est destiné aux jeunes qui ont souvent débuté des études universitaires, voire qui en sont diplômés mais ont ensuite besoin d'une autre formation diplômante pour accéder à un métier. Nous soutenons donc cette mesure.
Il est difficile d'évaluer l'impact des mesures proposées sur l'emploi direct des travailleurs handicapés. En revanche, elles vont mettre fin à une zone d'ombre, puisque de nombreux travailleurs handicapés se trouvent dans des entreprises qui ne sont pas assujetties à la taxe ! Encore faut-il que l'entreprise trouve des compétences chez les travailleurs handicapés qui permettent de les intégrer. Il faut être attentif à ce que ces mesures couperet n'occultent pas les réalités des territoires. Pourvoir les emplois ne relève nullement d'un processus automatique. Enfin, sur la gouvernance de l'assurance chômage, piloter sans connaître le montant des recettes et en vertu d'un simple document de cadrage s'avère périlleux !
M. Michel Guilbaud . - Sur le CPF, nous croyons au possible croisement entre les attentes de l'individu et celles de l'entreprise. Le CPF, dont nous sommes à l'origine, représente une fraction de la formation professionnelle, mais ne permet pas à lui seul d'effectuer une reconversion totale. C'est la raison pour laquelle nous avons proposé d'y inclure le congé individuel de formation (CIF). Nous préconisons de mettre fin à la segmentation actuelle des dispositifs qui ne coïncident que fortuitement aux besoins des entreprises. Désormais, cette réforme, qui fera remonter les besoins des entreprises des branches via les observatoires de branche et les Opcom, permettra de proposer au salarié de véritables options, sans pour autant rompre ses liens avec son entreprise. C'est la raison pour laquelle le Medef a souhaité que soit inscrite dans la loi une disposition selon laquelle, lorsqu'un accord est signé avec les syndicats, le CPF est mis au service du plan de développement des compétences qui est sous-jacent. L'accord individuel sur le CPF s'impose, bien qu'il ne représente que 0,2 % de la masse salariale, alors que l'effort global de formation peut atteindre, dans certaines entreprises, jusqu'à 3 ou 4 %.
Le Medef croit au dialogue avec les régions, et nous regrettons que le Gouvernement ne l'ait pas prévu plus explicitement. A l'inverse, l'existence d'un veto administratif nous paraît contraire au principe de liberté qui doit présider à l'établissement de CFA. Le gouvernement avait proposé, en réponse à l'abandon de la carte de formations, que soit accordé aux régions un droit de veto. Nous y sommes opposés : tous les CFA actuels ont vocation à être financés, ce qui motive l'existence d'un mécanisme de péréquation, mais les acteurs devront être plus efficients.
Le financement par les régions des CFA doit être bien dosé et fait, pour l'heure, l'objet d'une étude conjointe entre Régions de France et la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP). La contribution alternance passera ainsi par les Opcom et les régions doivent pouvoir participer financièrement, de manière supplétive, au financement de ces CFA.
Lors de la négociation de la convention d'assurance chômage, les partenaires sociaux étaient déjà conscients de l'objectif d'équilibre des finances publiques. Pour autant, nous ne sommes guère favorables à l'élaboration d'un document d'orientation contenant des données relatives à nos cotisations employeurs et renvoyant à un projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
Le Parlement peut donner son avis, même si nous sommes dubitatifs quant à la question du cadrage. Cette démarche recoupe celle de la place des finances sociales dans les finances publiques.
Le délai assigné aux Opcom nous paraît également très court. La restructuration du paysage conventionnel devrait aboutir à un nombre de branches compris entre 50 et 100. Les filières résulteront-elles de la convergence des enjeux relatifs aux emplois ou aux métiers, voire d'enjeux économiques ? Encore faut-il que nous disposions d'un peu de temps pour débattre de ces questions sur le terrain, d'autant que l'amendement qui a conduit au resserrement du calendrier a été déposé sans concertation préalable.
On ne résume pas l'emploi des handicapés à une formule mathématique. L'agenda législatif impliquait de se prononcer d'abord sur l'adaptation de l'OETH, avant de définir les contours de la politique d'accompagnement des handicapés par les entreprises. Or, cette dernière phase de concertation n'a pas encore démarré et sera prolongée. En outre, une forme de suspicion est alimentée par les pouvoirs publics qui considèrent les accords d'entreprise agréés sur le handicap comme autant de contournements de l'OETH ! Le Gouvernement a annoncé quelques arbitrages sur la question le 5 juin dernier. Le Medef souhaite, quant à lui, rappeler l'enjeu d'une amélioration qualitative de l'emploi des personnes en situation de handicap, alors que le dispositif, tel qu'il est proposé, risque de déstabiliser l'emploi des personnes handicapées jusque-là sécurisé dans les établissements et service d'aide par le travail (Esat).
Enfin, sur l'alignement du temps de travail des mineurs sur celui des majeurs, la réalité des entreprises doit être prise en compte. Il faut être pragmatique !
Mme Élisabeth Tomé-Gertheinrichs, directrice générale adjointe chargée des politiques sociales du Medef . - L'impact de la loi sur l'existence des CFA résulte de l'application du principe de leur création dans chaque lycée professionnel. Il est d'ailleurs étrange de constater que les inquiétudes sur la répartition des CFA, en termes d'aménagement du territoire, ne portent pas sur la répartition des lycées professionnels. Cette démarche va, en effet, accroître le risque de la disparition de CFA existants. Par ailleurs, le dispositif de financement complémentaire, prévu par la loi, est destiné à soutenir ces petits CFA qui ont vocation à perdurer, pour des motifs d'aménagement du territoire. Ceux-ci pourront encore bénéficier des nouvelles modalités de calcul du financement au contrat, où pourra être pris en compte leur éloignement géographique. On a donc plutôt circonscrit ce risque, à la réserve près que le Gouvernement l'a renforcé en acceptant que chaque lycée professionnel ait son propre CFA.
Le passage de 25 à 30 ans est une question importante. Dans des secteurs comme la grande distribution, cette mesure permet d'ouvrir les possibilités de reconversion pour des personnes plus âgées. La recherche de la durée du contrat est associée à une meilleure évaluation, au préalable, des compétences acquises par la personne entrant en apprentissage, afin d'éviter d'entrer dans un cycle long qui ne les valoriserait pas. C'est à nos yeux un facteur d'agilité.
La modification de l'accueil des apprentis mineurs ne vise nullement leur précarisation mais à remédier au taux d'échec de l'apprentissage. Il faut que la place de ces jeunes dans l'entreprise soit valorisée. Le Medef a demandé à la fois la simplification du contrat d'apprentissage et de ses modalités de rupture. L'articulation entre l'Éducation nationale et le monde de l'entreprise, s'agissant notamment de la certification, demeure perfectible. L'association de l'entreprise aux régions permettrait de fixer des objectifs partagés en matière d'orientation vers l'apprentissage. Une voie de passage s'esquisse donc, dans un environnement plus global où la rupture demeure entre le monde de l'entreprise et l'Éducation nationale.
M. Pierre Burban . - Je ne serai pas en contradiction avec ce qui vient d'être dit. D'une part, la transformation des opérateurs en Opcom nous pose un réel problème. L'idée d'avoir des Opcom de filières est totalement incohérente et ne permettait pas de répondre aux besoins des entreprises et des salariés. Ainsi, selon que la boulangerie est artisanale ou industrielle, les emplois et les savoir-faire diffèrent totalement ! Les formations proposées par les Opcom devront être cohérentes et la taille de l'entreprise devra être prise également en compte. La volonté du Gouvernement d'accélérer le mouvement pose manifestement problème aux branches.
La contribution unique fera certainement l'objet d'une future réforme législative. On oublie trop souvent de dresser les bilans de l'application des lois. Cette contribution vise la participation de tous à l'apprentissage quels que soient les secteurs d'activités et la taille des entreprises. Le postulat de départ consistait dans le maintien des charges en l'état. Compte tenu de la précipitation, la compensation de l'imposition de cette contribution unique généralisée s'est avérée impossible. Cette question resurgira dans quelques années !
Enfin, nous nous sommes finalement ralliés au financement au contrat des CFA, qui sont souvent gérés par les organisations professionnelles ou les chambres des métiers et de l'artisanat. L'U2P a donc signé l'accord du 22 février dernier. Pour autant, il nous faudra être vigilants sur ce sujet : ainsi, en Italie, certains métiers, comme le travail du verre qui relève pourtant du patrimoine historique transalpin, n'existent plus. Les monuments historiques italiens sont désormais obligés de se fournir en France... Les régions doivent combler les handicaps géographiques : si une section professionnelle ne peut plus être ouverte en-deçà de vingt-cinq élèves, beaucoup de métiers pourraient disparaître !
M. Alain Milon , président . - Il faudrait s'inspirer de la loi de bioéthique et réexaminer systématiquement, tous les sept ans, les dispositifs législatifs en vigueur.
Mme Victoire Jasmin . - Tenons compte des intempéries et des risques majeurs dans la réflexion sur la durée des contrats d'apprentissage, que l'on peut rencontrer autant dans l'hexagone qu'en outre-mer !
M. Alain Milon , président . - Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre participation.