EXAMEN EN COMMISSION
La commission s'est réunie le jeudi 17 mai 2018 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par Mme Gisèle Jourda et M. Michel Raison, le débat suivant s'est engagé :
M. Simon Sutour . - Je félicite Mme Jourda pour son initiative. J'observe que son propos, comme celui de M. Raison, a été écouté dans un silence de cathédrale. Car la question est cruciale, même si nous savons que notre tâche sera difficile. M. Botrel a posé, mardi, une question d'actualité au gouvernement sur les dotations aux collectivités locales. Si leur enveloppe globale, en légère augmentation, de 80 millions d'euros, ne bougera pratiquement pas, en revanche, certaines communes très pauvres verront baisser leur dotation, tandis que des communes « opulentes » la verront augmenter. Et l'on ne parvient pas, là non plus, à connaître les critères : la ministre s'est contentée de lire un papier, qui ne nous a rien appris.
Il en va de même pour l'ICHN. On ne comprend pas certaines sorties, ni pourquoi certaines communes, au contraire, entrent dans un dispositif qui se traduit par une cartographie, comme l'a dit Mme Jourda, en « peau de léopard ». Or, si elles ne reçoivent plus d'aide, il n'y aura plus d'agriculture dans ces zones ni d'aménagement du territoire, de paysages, ou même de vie. Mon département n'est pas trop touché, car les zones de montagne sont épargnées, mais tel n'est pas le cas des zones de piémont. Sans aides, ces paysages magnifiques que l'on appelle, en occitan, les bancèls ou les faïsses - les terrasses en français - retourneront à l'état sauvage, avec les risques d'incendie que cela entraîne, de surcroît.
Les gouvernements ne l'ont pas assez pris en compte, et cela jusqu'aujourd'hui : dans le « nouveau monde », l'« ancien monde » se perpétue... Il est bon que nous votions cette résolution, dans laquelle nous demandons au gouvernement de renégocier.
Je me demande si nous ne devrions pas y ajouter un avis politique, pour nous adresser directement à la Commission européenne.
M. Daniel Gremillet . - La France, ne l'oublions pas, est à l'origine de la politique de compensation du handicap, au temps de l'Europe des Six. On est en train de renier les fondements sur lesquels cette compensation avait été pensée, et qui visaient à permettre aux paysans, quel que soit leur territoire, d'exister sur le même marché, grâce à la solidarité de l'État et de l'Europe.
Différentes zones avaient été retenues, comme la montagne, le piémont, sur le fondement de critères objectifs et non de considérations politiques du moment. Il est vrai que l'élargissement a modifié la donne géographique de l'Union européenne, et l'on en est venu à s'éloigner du coeur du principe. Je m'interroge, comme M. Sutour, sur notre marge de manoeuvre.
Sur les nouveaux critères retenus par l'Europe, la France ne s'est pas battue comme elle l'aurait dû. La profession non plus ne s'est pas assez battue au sein des organisations agricoles européennes. Ne pas revenir sur ces nouveaux critères, c'est renier l'ancienne politique de compensation du handicap. Voyez les zones de piémont, qui concernent les Vosges et le Massif Central, plus que les Alpes et les Pyrénées. La montagne n'est pas une, et c'est bien pourquoi la haute montagne avait aussi été prise en compte.
Le sujet n'est pas anodin, car il emporte des conséquences en chaîne, y compris en termes d'aménagement du territoire. S'agit-il bien pour nous de demander un ajustement, ou ne devrions-nous pas, plutôt, remettre en cause, sur le fond, ce qui nous est proposé ?
M. Franck Menonville . - Je félicite nos deux rapporteurs pour cet exercice qui arrive à point nommé. L'ICHN touche au devenir de l'agriculture sur l'ensemble du territoire. Cette politique publique européenne a été bâtie pour que les territoires ayant des handicaps géographiques, climatiques reçoivent compensation, afin de préserver leur compétitivité et une présence économique.
Je tiens à souligner l'opacité qui a marqué ce dossier. À un an des élections européennes, c'est donner une bien mauvaise image de l'Europe. Il faut en analyser les causes et remettre l'ouvrage sur le métier, pour renouer avec la cohérence. Dans mon département, nous avons essayé de comprendre les critères proposés : les explications que nous avons obtenues ont été fort peu claires. Le fait est que ce dossier a été très mal géré depuis le début, et que les gouvernements successifs se sont contentés de se passer la patate chaude.
Nous devons faire preuve de volonté, pour imposer la continuité géographique. Alors que la réforme de la PAC se prépare, il est vital de préserver une agriculture compétitive sur l'ensemble du territoire : l'ICHN est indispensable au maintien de la diversité.
M. Benoît Huré . - Dans une vie antérieure, j'ai été représentant des jeunes agriculteurs, au moment même où l'on imaginait l'ICHN. Les idées et les critères étaient alors beaucoup plus simples, plus lisibles, mais au fil des décennies, la complexification administrative l'a brouillé.
Je remercie nos deux rapporteurs d'avoir accompli ce travail ciselé pour tenter de démêler une affaire qui arrive au plus mauvais moment. A la veille de la réforme de la PAC et d'élections européennes dont on peut craindre le pire, il est de notre devoir d'éviter tout ce qui serait susceptible de ranimer l'« eurobashing ».
La notion de compensation du handicap vise à faire en sorte que quel que soit le territoire, une même production puisse concourir sur le même marché. Nous voulons une agriculture sur l'ensemble du territoire, avec ses effets d'entraînement sur d'autres activités économiques. Quand un pays entre dans l'Union, on prévoit des mesures d'accompagnement. Nous devons nous situer dans le même état d'esprit.
Mieux vaudrait, à mon sens, en rester au statu quo et faire entrer la question dans la renégociation de la PAC. Il est vrai qu'avec ces nouveaux critères, si certaines communes sortent, d'autres sont, en revanche, appelées à entrer, que l'on a fait en quelque sorte rêver. Demandons-leur de prendre patience, pour définir des critères plus lisibles, comme l'altitude, la géologie, le potentiel agronomique.
M. Claude Haut . - Nous soutiendrons cette résolution, dont je remercie Gisèle Jourda d'avoir pris l'initiative. Le ministre de l'agriculture doit prendre l'affaire à bras le corps. On a mal pris la mesure de ce que représente l'ICHN. Sur la PAC, la Commission européenne fait déjà ses annonces, mais sur ce sujet de l'ICHN, le gouvernement français a encore du temps pour agir. Je ne sais si l'on parviendra à conserver à la fois toutes les communes bénéficiaires et à en ajouter d'autres, mais attelons-nous, pour le moins, à définir des critères objectifs. Je ne doute pas que l'on puisse, là-dessus, avancer.
M. René Danesi . - Je félicite à mon tour Mme Jourda de son initiative et M. Raison de son soutien. Nous parlions tout à l'heure des Alsaciens qui vont faire leurs emplettes en Allemagne, mais on pourrait aussi parler à l'inverse des Suisses, qui viennent acheter des fruits, des légumes, de la viande en France, parce que ces produits sont très coûteux chez eux. La Suisse, qui a souffert, lors des deux guerres mondiales, d'être un îlot entouré de belligérants, et qui a dû se rationner, a voulu aller vers l'autonomie, ce qui n'était pas simple dans un pays fait de beaucoup de montagne et de piémont. Cette politique coûte très cher au contribuable suisse, mais le consommateur y adhère : si la Suisse a refusé à deux reprises d'entrer dans l'Union européenne, alors que la banque, la finance, l'industrie menaient campagne pour l'y pousser, c'est bien parce qu'elle considérait que cela signerait la mort de son agriculture.
L'agriculture européenne, de plus en plus mondialisée, reste, même si elle s'est beaucoup « verdie », productiviste. Avec les difficultés budgétaires que connaît l'Union européenne, parce que les Britanniques ont « filé à l'anglaise », elle est tentée d'agir à la baisse sur tous les piliers. Et l'Ouest s'en trouve d'autant plus pénalisé qu'il faut encore se préoccuper de l'Europe centrale, même si elle a tendance à « mal voter »...
Certains ont dit que le dossier avait été mal géré, mais pouvait-il l'être mieux dans ce contexte d'agriculture productiviste, conçue, soit dit en passant, par la France, qui s'était donnée pour objectif de nourrir l'Europe et une partie du reste du monde, tandis que l'Allemagne se concentrait sur l'industrie. Mais aujourd'hui, l'Allemagne a réussi à mettre à flot l'agriculture de l'ancienne Allemagne de l'Est et sa production est supérieure à celle de la France dans le domaine agro-alimentaire. Avec ses plaines de grande culture à l'Est, elle ne sera pas la première à nous soutenir dans la politique de compensation des handicaps géographiques. Peut-on arriver, dans ces conditions, à soutenir l'ensemble de la production agricole française, ou n'est-on pas appelés à faire des choix, ou du moins à définir des priorités ? Pour moi, la compensation du handicap est prioritaire : à demander au Gouvernement français de tout défendre, on risque de ne rien obtenir. Je suis d'avis, pour conclure mon propos, outre notre résolution, de nous adresser directement à la Commission européenne.
Mme Anne-Catherine Loisier . - Je salue le travail accompli par nos collègues, qui permet de nourrir les réflexions émanant de nos territoires. En Côte-d'Or, il n'y a pas que des viticulteurs : les Hautes Côtes sont des zones de piémont où l'avenir des agriculteurs est en jeu. Les débats sont nombreux et la profession viticole peine à prendre position sur les différents sujets soulevés.
Sur le terrain, des démarches ont été engagées, notamment au titre du volet de continuité territoriale. Il ne faudrait pas que les diverses initiatives s'entrechoquent. Aussi, j'aimerais savoir ce qu'ont donné vos échanges avec la profession.
En outre, si l'on procède à fonds constants, certains professionnels recevront moins de crédits. Méfions-nous de l'effet boomerang !
Mme Colette Mélot . - Je ne connaissais pas cette réforme du zonage, et pour cause, la Seine-et-Marne, le département dont je suis élue, n'est pas concernée, car il ne présente pas de handicap naturel.
J'adhère bien sûr à cette proposition de résolution. Cela étant, je souhaiterais savoir ce qu'il en est à l'échelle européenne : d'autres États de l'Union européenne sont-ils confrontés au même problème, sommes-nous soutenus par d'autres pays ? Nous avons grand besoin d'alliés !
M. Michel Raison . - À ma connaissance, la masse financière fournie par l'Union européenne pour compenser ces handicaps restera la même : nous sommes donc bien face à une bataille de répartition.
M. Benoît Huré . - C'est le piège !
M. Michel Raison . - Je ne ferai pas de reproche à « l'ancien monde », à l'ancien gouvernement, mais j'observe qu'il ne s'est pas précipité pour faire avancer le dossier...
M. Claude Haut . - Nous sommes toujours dans le même monde, monsieur Raison, vous le savez bien !
M. Michel Raison . - Ce n'était qu'un trait d'humour...
Avec la réforme, le nombre de communes concernées serait augmenté de 3 700, et la marge de manoeuvre ne serait que de 50 à 55 communes. Il faut également tenir compte des communes exclues, dont 26 dans l'Aude ; mais ce seul département comptera, en définitive, 112 communes supplémentaires. La situation d'ensemble est donc extrêmement délicate et, au-delà des effets de tribune, il faut être pragmatique.
M. Franck Menonville . - C'est clair.
Mme Gisèle Jourda . - Merci à toutes et à tous de leur contribution au débat, notamment à M. Gremillet, qui a éclairé l'historique de l'ICHN.
Il faut - si je puis dire - entrer à pas pressés dans une politique des petits pas, car cette refonte doit être achevée au 31 décembre prochain : la prochaine réglementation entrera en vigueur le 1 er janvier 2019.
La proposition de résolution porte sur les zones défavorisées, à l'exception des zones de montagne, lesquelles sont sanctuarisées. Cela étant, les communes de piémont peuvent faire l'objet d'un travail complémentaire ciblé.
Vous l'avez tous souligné, la réforme du zonage de l'ICHN inspire l'incompréhension au sein des territoires : à deux kilomètres de distance, une commune peut être classée et l'autre non.
Les agriculteurs et les éleveurs en circuit court ont bénéficié de la règle des 80 kilomètres, mais ils ne peuvent pas vendre leurs produits au-delà de ce périmètre, faute de quoi ils n'ont plus droit à la dérogation. À ce stade du dossier, les agriculteurs susceptibles de sortir du dispositif ne veulent pas entendre parler de mesures d'accompagnement : certaines communes ont encore un petit espoir de se voir appliquer le critère de continuité territoriale. Nous allons demander au Gouvernement d'inscrire ce critère dans la réglementation avant le 31 décembre 2018.
La question fondamentale est la suivante : avec toutes les cartes et les simulations qui ont été accumulées, comment se fait-il que le périmètre ne soit pas encore fixé ? Dans l'Aude, la commune de Bram figurait initialement dans le périmètre, et, au cours des deux derniers mois, elle en a été exclue. Pourquoi ? Mystère ! D'autres communes répondent aux critères géographiques de l'ICHN, mais non aux critères complémentaires. En définitive, les agriculteurs de l'Aude ne bénéficieront pas de compensation, du fait de l'accumulation des critères.
En outre, il faut replacer ce débat dans le contexte d'ensemble : la mise en cause de la politique de compensation, toutes zones confondues.
Les propositions de la profession ont été mentionnées. J'ai donné l'exemple qui m'a conduite à rédiger cette proposition de résolution : par le passé, on a négligé de se saisir de cette problématique, et la profession s'est trouvée démunie, pour ne pas dire prise à la gorge. Un silence assourdissant s'est fait. Ce sont les maires et les agriculteurs qui ont pris l'initiative d'alerter les responsables agricoles, ainsi que les politiques, les élus que nous sommes.
Cela étant, j'infléchis mon propos par la précision suivante : certains secteurs, par exemple dans l'Aude, ont obtenu le classement ICHN, alors qu'ils n'en bénéficiaient pas précédemment et que l'on ne s'attendait pas à leur entrée dans le dispositif.
Enfin, je relève que, pour ce qui concerne ces classements, il n'y a pas toujours d'unité, de conjonction des intérêts au sein de la profession. Nous aurions aimé entendre clairement les différentes voix syndicales. Mais, j'insiste, la date butoir approche : pour nos agriculteurs, l'enjeu, c'est aujourd'hui et maintenant. Il faut donc émettre une position politique claire.
M. Claude Kern . - Ce serait bien !
Nous avons besoin d'alliés, en effet. L'Italie, l'Espagne, l'Autriche sont parmi les pays les plus engagés à nos côtés.
M. Benoît Huré . - Nous sommes à deux ans d'une nouvelle PAC : militons pour le statu quo ! Nous aurons les moyens d'une vraie discussion quand, pour l'heure, nous sommes dans le flou sur les critères.
Mme Anne-Catherine Loisier . - Nous sommes d'accord sur l'objectif à atteindre. Les acteurs professionnels, dans mon département, me disent avoir engagé des démarches sur la question de la continuité territoriale - ce qui représente une surface de 70 000 hectares. Accordons nos violons, pour ne pas alimenter la confusion, et demandons un gel pour remettre l'ouvrage sur le métier dans le cadre de la révision de la PAC.
Mme Gisèle Jourda . - Le zonage doit entrer en application au 1 er janvier 2019 : on ne peut pas attendre la PAC ! Il nous faut émettre une proposition avant le 31 décembre 2018. Si l'on ne propose rien, les communes concernées ne pourront plus être réintégrées. Proposons des critères objectifs.
Mme Anne-Catherine Loisier . - Il n'est pas normal de déconnecter cette question de la PAC.
M. Benoît Huré . - N'oublions pas que nous sommes à enveloppe constante. S'il s'agit de partager la gamelle, on ne fera que des mécontents.
M. Jean Bizet , président . - Le coup est parti. Je propose que nous votions la proposition de Gisèle Jourda, avec les deux amendements présentés...
M. Daniel Gremillet . - Il faudrait être plus clairs sur les zones de piémont.
M. Jean Bizet , président . - ... et que l'on alerte, par un courrier, le président Juncker. Ma deuxième proposition est d'organiser une délégation, avec la commission des affaires économiques, pour rencontrer Phil Hogan. L'Europe qui protège doit protéger les citoyens et les filières les plus fragiles, c'est une question de solidarité, j'insiste sur le terme. J'aurais, personnellement, aimé entendre plus fortement la profession. Autant elle s'exprime sur l'approche sociétale de l'agriculture, autant elle reste oublieuse de l'approche économique. Cela me chiffonne.
M. Michel Raison . - « tout en préservant la spécificité de la zone de piémont » : ne pourrait-on ajouter ce membre de phrase, même s'il est vrai que la question est plutôt franco-française ?
M. Daniel Gremillet . - Cela existe aussi en Autriche.
M. Michel Raison . - Ces zones sont aussi difficiles que les zones de montagne, mais ne peuvent y être classée, parce qu'elles n'ont pas l'altitude requise.
M. Jean Bizet , président . - On peut le spécifier dans notre dialogue avec la Commission européenne.
M. Daniel Gremillet . - On peut retenir un critère simple, en retenant la zone de montagne Insee, qui recouvre la zone de montagne stricto sensu et la zone de piémont ICHN. Aujourd'hui, la France s'apprête à passer le piémont par pertes et profits.
De deux choses l'une, soit nous avons la capacité de réunir, pour fin décembre, une majorité de pays qui disent leur opposition, ce qui permettrait de renégocier les critères, soit on accepte un simple redécoupage. Les échéances de la PAC et celles de l'ICHN ne sont pas les mêmes, et c'est pourquoi nous nous trouvons dans une situation terrible.
M. Jean Bizet , président . - Je vous propose de voter la proposition de résolution, de l'adresser à la Commission européenne et de constituer une délégation pour rencontrer le commissaire européen Phil Hogan. Lors de la prochaine COSAC, les 18 et 19 juin, à Sofia, je peux travailler à sensibiliser un certain nombre d'Etats membres, mais nous devons garder présente à l'esprit la date butoir du 31 décembre 2018. Et encore une fois, je regrette que la profession agricole néglige le volet économique, car je n'oublie pas non plus l'autre date butoir, celle de juin 2019, pour la PAC.
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À l'issue du débat, la Commission adopte, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne dans la rédaction suivante :