Rapport n° 475 (2017-2018) de MM. Daniel GREMILLET et Franck MONTAUGÉ , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 16 mai 2018
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N° 475
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018
Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 mai 2018 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la proposition de résolution européenne, présentée au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, en faveur de la préservation d'une Politique agricole commune forte , conjuguée au maintien de ses moyens budgétaires ,
Par MM. Daniel GREMILLET et Franck MONTAUGÉ,
Sénateurs
et TEXTE DE LA COMMISSION
(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; Mme Élisabeth Lamure, MM. Daniel Gremillet, Alain Chatillon, Martial Bourquin, Franck Montaugé, Mmes Anne-Catherine Loisier, Noëlle Rauscent, M. Alain Bertrand, Mme Cécile Cukierman, M. Jean-Pierre Decool , vice-présidents ; MM. François Calvet, Daniel Laurent, Mmes Catherine Procaccia, Viviane Artigalas, Valérie Létard , secrétaires ; MM. Serge Babary, Jean-Pierre Bansard, Mme Anne-Marie Bertrand, MM. Yves Bouloux, Henri Cabanel, Mmes Anne Chain-Larché, Marie-Christine Chauvin, Catherine Conconne, MM. Roland Courteau, Pierre Cuypers, Marc Daunis, Daniel Dubois, Laurent Duplomb, Alain Duran, Mmes Dominique Estrosi Sassone, Françoise Férat, M. Fabien Gay, Mmes Michelle Gréaume, Annie Guillemot, MM. Xavier Iacovelli, Jean-Marie Janssens, Joël Labbé, Pierre Louault, Michel Magras, Jean-François Mayet, Franck Menonville, Jean-Pierre Moga, Mme Patricia Morhet-Richaud, MM. Robert Navarro, Jackie Pierre, Michel Raison, Mmes Évelyne Renaud-Garabedian, Denise Saint-Pé, MM. Dominique Théophile, Jean-Claude Tissot . |
Voir les numéros :
Sénat : |
430 et 437 (2017-2018) |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat a toujours prêté une attention particulière aux enjeux liés à la politique agricole commune (PAC), tant cette politique européenne impacte le quotidien des agriculteurs français et joue un rôle stratégique pour l'autonomie alimentaire de l'Europe.
Pressentant que les négociations relatives au cadre financier pluriannuel pour 2021/2028 seraient délicates pour la plus intégrée des politiques européennes, les commissions des affaires économiques et des affaires européennes ont en novembre 2016 constitué un groupe de suivi sur la politique agricole commune.
Cette démarche visait à permettre aux parlements nationaux, qui demeurent au plus près des territoires, de « s'inviter » dans cette négociation, menée par d'autres acteurs institutionnels comme les hauts responsables politiques des États membres, la Commission européenne et le Parlement européen.
Après six mois de travail, nourries par près de vingt auditions, les deux commissions ont autorisé la publication d'un rapport d'information à l'intitulé prémonitoire : «PAC : traverser le cap dangereux de 2020 ». Ce rapport formulait un vaste ensemble de propositions pour l'avenir de la PAC en faisant la constatation que la PAC actuelle apparaissait d'ores et déjà de moins en moins commune et de moins en moins agricole. Il avait dégagé cinq axes prioritaires de réforme, en matière de gestion des risques, d'organisation des marchés, de compétitivité, de lien avec les territoires et de prise en compte pragmatique et efficace de l'impératif environnemental.
Pour faire suite à ce travail de fond, le 20 juillet 2017, la commission des affaires européennes et la commission des affaires économiques, réunies, ont adopté à l'unanimité une proposition de résolution européenne. Devenue résolution du Sénat le 8 septembre 2017, elle comportait 17 recommandations.
Malheureusement, les propositions et réflexions mises en avant depuis lors par la Commission européenne ne reprennent pas les recommandations de cette résolution du Sénat. Les dernières annonces laissent même à penser qu'elles contredisent totalement les orientations proposées par le Sénat.
Ainsi, dans ses propositions relatives au Cadre Financier Pluriannuel 2021-2028, la Commission propose une réduction de 5 % du budget de la politique agricole commune en euros courants (plus de 10% en euros constants selon les hypothèses retenues). Les aides directes aux agriculteurs, représentant pourtant une part non négligeable de leurs revenus, seraient visées par une baisse de 4% en euros constants soit 80 % de la baisse annoncée du budget total.
Cette proposition revient à faire de la PAC la variable d'ajustement du budget européen. Victime de coupes budgétaires drastiques, le format de cette politique sera mécaniquement réduit, au détriment d'un monde agricole déjà en souffrance.
Cette réduction budgétaire, qui revient à considérer la PAC comme une « vieille politique » ayant une moindre « valeur ajoutée européenne », entre en totale contradiction avec les choix géostratégiques effectués par les autres grandes puissances agricoles mondiales, à commencer par la Chine, les États-Unis ou la Russie qui ont, à l'inverse, considérablement accentué leur effort budgétaire dans ce secteur.
Il convient, au reste, de rappeler l'importance des externalités positives de l'agriculture à l'égard de la société et de l'environnement, notamment en matière de stockage du carbone. Ces externalités justifient d'autant plus l'importance d'une rémunération juste et mieux conçue des agriculteurs pour les services rendus.
De manière plus générale, les politiques de développement rural contribuant au devenir de zones rurales et hyper rurales en décrochage économique et démographique se trouveraient fortement affectées par cette baisse du budget de la PAC (2 ème pilier).
Compte tenu de cette feuille de route budgétaire, qui demeure au stade de piste d'étude, les annonces de la Commission, qui devraient être publiées fin mai concernant spécifiquement la réforme de la politique agricole commune, suscitent de vives inquiétudes.
Tous ces éléments justifiaient que le Sénat prenne à nouveau position sur ce sujet majeur pour le monde agricole. C'est dans ce contexte que vos deux commissions ont poursuivi leur travail commun pour servir de signal d'alarme et interroger la position à venir des pouvoirs publics français en proposant une nouvelle proposition de résolution européenne.
M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny, M. Claude Haut et M. Franck Montaugé, rapporteurs du groupe de suivi de la politique agricole commune, ont publié un rapport d'information au nom de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires économiques intitulé « Prochaine réforme de la politique agricole commune : pour un maintien des moyens budgétaires, au service d'une PAC forte et rénovée. »
Ce rapport d'information, au nom des deux commissions, a débouché sur une proposition de résolution, déposée par M. Claude Haut, Mme Pascale Gruny et vos rapporteurs, dans le but de réaffirmer et de compléter la position exprimée par le Sénat dans sa résolution du 8 septembre 2017.
La proposition de résolution comporte ainsi vingt-trois demandes et recommandations visant, principalement, à garantir un budget stable en euros sur la période 2021/2027, refuser tout statu quo sur les questions essentielles des modalités de gestion des crises et de l'adaptation du droit de la concurrence aux problématiques agricoles, rappeler les enjeux agricoles liés au commerce international, au soutien des territoires ainsi qu'à l'innovation.
La proposition de résolution invite enfin à ne pas précipiter l'aboutissement d'une réforme de la dernière chance pour la PAC en la liant impérativement aux négociations budgétaires du prochain cadre pluriannuel ou au calendrier électoral.
Cette proposition de résolution a été débattue lors d'une réunion commune entre la commission des affaires économiques et la commission des affaires européennes le 12 avril 2018. Elle a été adoptée, comme la précédente résolution, à l'unanimité des deux commissions.
Conformément à l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, la proposition de résolution n'a été adoptée à ce stade que par la commission des affaires européennes, puis a fait l'objet d'un renvoi à la commission des affaires économiques saisie au fond.
Dans ce contexte, afin d'entériner le vote qu'elle a effectué lors de sa réunion commune avec la commission européenne du 12 avril 2018, il est nécessaire que la commission des affaires économiques, saisie au fond, adopte formellement sans modification cette résolution.
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Réunie le 16 mai 2018 sous la présidence de Mme Sophie Primas, la commission a adopté la proposition de résolution européenne sans modification. |
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution ;
Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en particulier ses articles 38 à 44 ;
Vu les conclusions du Conseil européen des 22 et 23 mars 2018, sur le prochain Cadre financier pluriannuel (CFP) de l'Union européenne, d'une part, sur l'avenir de la Politique agricole commune (PAC), d'autre part ;
Vu les documents préparatoires de la Commission européenne et du Parlement européen sur la PAC et sur le CFP 2021/2027 ;
Vu la résolution européenne du Sénat du 8 septembre 2017, sur la rénovation de la Politique agricole commune ;
Vu les dispositions du Règlement dit « Omnibus » 2017/2393 du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2017 ;
Vu les négociations commerciales en cours ;
Vu les conclusions de la présidence du conseil « agriculture et pêche » du 19 mars 2018, sur la communication de la Commission européenne intitulée « L'avenir de l'alimentation et de l'agriculture » ;
Considérant que l'agriculture française ressort exsangue des crises des dernières années et que la France ne saurait sortir de cette spirale négative sans une stratégie offensive, qui pourrait au demeurant utilement s'inspirer de l'exemple d'autres États membres de l'Union européenne ;
Considérant que les modalités actuelles de fonctionnement de la PAC n'assurent pas une protection suffisante aux exploitants agricoles, en particulier face à la volatilité des prix agricoles ;
Considérant, qu'en dépit des améliorations appréciables introduites par le « Règlement Omnibus » du 13 décembre 2017, les outils de gestion de crise de la PAC ne sont ni assez efficaces, ni suffisamment réactifs ;
Considérant que les éléments préparatoires, disponibles à ce jour sur la prochaine réforme de la PAC, ne répondraient que très partiellement aux préconisations de la résolution du Sénat du 8 septembre 2017, voire en contrediraient certains points essentiels, notamment sur le plan budgétaire, que cette circonstance conduit le Sénat à réaffirmer ses priorités pour la prochaine réforme ;
Rappelle l'importance de l'agriculture et du secteur agro-alimentaire pour le tissu économique et sociétal ;
Demande a minima que la PAC bénéficie, pour la période 2021-2027, d'un budget stable en montant en euros ;
Déplore que la PAC soit présentée comme une « vieille politique » ayant une moindre « valeur ajoutée européenne », et ce alors même que les autres grandes puissances agricoles mondiales, à commencer par la Chine, les États-Unis, l'Inde et la Russie, ont a contrario fortement accru leur effort budgétaire dans ce secteur ;
Juge l'état de l'agriculture européenne et française trop fragile pour faire l'objet de « coupes sombres » budgétaires, demande aux institutions européennes de partager ce constat et soutiendra toutes les démarches des autorités françaises qui s'opposeraient à cette perspective, dans les négociations à venir ;
Refuse, en conséquence, que la PAC soit la variable d'ajustement du budget de l'Union européenne en raison, tout à la fois, du manque de ressources créé par le retrait Royaume-Uni et de l'émergence de nouvelles priorités politiques européennes ;
Juge indispensable que la Commission européenne apporte rapidement des garanties effectives sur le nouveau mode de mise en oeuvre qu'elle envisage pour la PAC, au regard du très fort risque de création de distorsions de concurrence ;
Estime que, faute de disposer de ces informations, le schéma de simplification proposé par la Commission européenne ne serait qu'une pétition de principe, tandis que l'expérience des Plans de développements régionaux du « second pilier » de la PAC fait redouter a contrario une complexité supplémentaire ;
Affirme que l'adoption du « Règlement Omnibus » ne constitue qu'une étape dans la voie d'une meilleure sécurisation des revenus des agriculteurs, grâce à une plus large palette d'instruments, notamment assurantiels ;
Réitère la nécessité d'adapter, en règle générale, le droit de la concurrence aux spécificités agricoles et de renforcer effectivement le poids des producteurs dans la chaîne alimentaire, ce que la réglementation européenne ne permet pas encore suffisamment ;
Demande que la lutte contre les pratiques commerciales déloyales des firmes transnationales et contre les pratiques des « centrales offshore » d'optimisation fiscale du secteur de la distribution, fasse l'objet d'une réglementation européenne ;
Rejette la perspective d'un statu quo de la future PAC en matière de règles de gestion de crise ou d'intervention, au motif que les avancées du « Règlement Omnibus » seraient suffisantes, quitte à envisager le basculement d'une partie du montant des aides découplées vers des mécanismes de gestion des risques, ou la création de nouveaux outils au sein du « premier pilier », ou bien encore l'activation des mécanismes existants du « second pilier » ;
Déplore, dans un contexte général où les outils de régulation des aléas économiques liés aux rendements et au climat font défaut aux agriculteurs, que la réserve de crise du budget européen n'ait jamais été activée depuis 2013, ce qui justifierait que son emploi soit conçu à l'avenir dans un cadre triennal ;
Demande que les mesures de gestion des crises agricoles prises par l'Union européenne reposent sur les mécanismes d'aides volontaires à la réduction de la production, d'autant plus efficaces que tous les États membres respecteront cette discipline collective, sans comportement opportuniste de « passager clandestin » ;
Appelle, d'une façon générale, à aborder les questions relatives à la concurrence et à la gestion des crises sous l'angle du pragmatisme et de l'efficacité, au-delà des seules considérations de principe en faveur des règles du marché ;
Confirme son attachement au soutien des zones défavorisées, ainsi qu'aux enjeux de la préservation de l'emploi et de la diversité des territoires, dans la conception et le fonctionnement de la Politique agricole commune ;
Rappelle l'importance de valoriser les externalités positives de l'agriculture, en particulier pour son potentiel en matière de stockage de carbone, au regard des services rendus, tant à l'égard de la société que de l'environnement, ce qui devrait valoir aux agriculteurs une rémunération mieux conçue et plus simple des biens publics qu'ils produisent ;
Réaffirme l'importance de la recherche et de l'innovation pour l'avenir de l'agriculture européenne, tout en demandant une Politique agricole plus incitative dans ces domaines ;
Réitère son attachement aux principes de réciprocité ainsi qu'à la nécessité d'une concurrence loyale dans les échanges internationaux ;
Confirme son soutien aux démarches de la Commission européenne tendant à assurer, tout à la fois, la promotion internationale de nos produits, la recherche de débouchés à l'exportation et le respect des indications géographiques sur les marchés extérieurs ;
Continue à exiger que la Commission européenne veille au respect de l'égalité des conditions de concurrence sanitaires, environnementales et de production, applicables aux importations des produits agricoles des pays tiers, par rapport aux produits de l'Union européenne ;
Réaffirme que la Commission européenne doit consacrer autant de ressources administratives au suivi des accords commerciaux déjà signés, qu'à l'ouverture de nouvelles négociations commerciales ;
Demande que la Commission européenne soit particulièrement attentive à la préservation des relations commerciales futures entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, dans les domaines de l'agriculture et de la pêche ;
S'interroge sur la possibilité de conclure les négociations en cours sur la PAC d'ici au printemps 2019 ;
Invite le Gouvernement à faire valoir cette position dans les négociations au Conseil.