EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 21 février 2018, la commission a examiné le rapport sur la proposition de loi n° 83 (2017-2018) tendant à sécuriser et à encourager les investissements dans les réseaux de communications électroniques à très haut débit.
Mme Marta de Cidrac , rapporteure . - La proposition de loi tendant à sécuriser et à encourager les investissements dans les réseaux de communications électroniques à très haut débit a été déposée le 10 novembre 2017 par Patrick Chaize et plusieurs de ses collègues du groupe Les Républicains, dans un contexte marqué par d'importantes turbulences pour le déploiement des réseaux à très haut débit en fibre optique. L'annonce par l'opérateur SFR d'un projet de couvrir unilatéralement l'intégralité du territoire national par son propre réseau a, en effet, menacé les principes structurants du déploiement du très haut débit en France et en a souligné les fragilités.
Depuis 2013, dans les zones très denses et moyennement denses identifiées par l'appel à manifestation d'intentions d'investissement de 2011 (dit « AMII »), les déploiements sont menés par les opérateurs privés, sur fonds propres. Le reste du territoire national constitue la zone d'initiative publique, dans laquelle la maîtrise d'ouvrage est confiée aux collectivités territoriales et à leurs groupements. Les déploiements sont alors assurés via des financements publics apportés par l'État, les collectivités territoriales, l'Union européenne et des partenaires publics comme la Caisse des dépôts et consignations. Des cofinancements privés y contribuent également.
Compte tenu des investissements nécessaires à la réalisation d'un réseau local en fibre optique sur l'ensemble du territoire national, une logique de mutualisation des infrastructures est privilégiée hors des zones très denses. Dans la zone d'initiative publique, le respect de ce principe est indispensable pour assurer la viabilité économique des réseaux publics. Même si l'opérateur SFR a depuis fait marche arrière, rien n'empêche un autre opérateur de mener demain des déploiements en doublon d'un autre réseau et de fragiliser ainsi les équilibres existants.
Par ailleurs, dans la zone d'initiative privée, la concrétisation pleine et entière des intentions exprimées par les opérateurs dans l'AMII de 2011 reste incertaine. Comme l'avaient souligné nos collègues Hervé Maurey et Patrick Chaize dans un rapport d'information adopté par notre commission en 2015, le manque de précision sur ces engagements et l'absence d'instruments de contrôle n'apportent aucune garantie sur la concrétisation de leurs intentions. Encore récemment, dans son avis rendu à la demande du Sénat en octobre 2017, l'ARCEP a souligné la nécessité de renforcer l'encadrement de l'initiative privée et de protéger les réseaux d'initiative publique.
La proposition de loi répond à ce besoin de clarification et de sécurisation du partage des tâches, pour un chantier dont le coût total était estimé à 20 milliards d'euros en 2013 et qui dépassera peut-être in fine 30 milliards d'euros. Un projet d'une telle importance pour nos concitoyens ne saurait, en effet, reposer exclusivement sur un consensus précaire entre acteurs publics et privés. La proposition de loi comporte, par ailleurs, une série de mesures visant à faciliter le déploiement des réseaux en fibre optique, ainsi que quelques dispositions relatives à la couverture mobile.
En vue d'appréhender efficacement ces sujets aussi techniques qu'essentiels pour l'aménagement de nos territoires, j'ai souhaité mener dans un temps resserré une vingtaine d'auditions et de consultations. J'ai pu ainsi entendre des représentants des administrations centrales, de l'ARCEP, des grands opérateurs privés et des opérateurs alternatifs, ainsi que des associations de collectivités territoriales. Il en ressort un besoin de clarification pour conforter les déploiements en cours, auquel le présent texte vise à répondre.
Une première série d'articles contribue à l'objectif de sécurisation des réseaux, en prévenant les risques de duplication. L'article 1 er complète les règles générales encadrant l'établissement des réseaux de communications électroniques en y ajoutant la prise en compte des lignes en fibre optique existantes ou projetées. L'article 2, particulièrement important, modifie l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques (CPCE) en prévoyant l'établissement par arrêté d'une liste identifiant les opérateurs et les collectivités territoriales chargés, sur le territoire de chaque établissement public de coopération intercommunale (EPCI), d'établir un réseau en fibre optique. Cette liste précisera également le calendrier prévisionnel de déploiement des lignes encore à réaliser, sur la base d'engagements pris auprès du ministre s'agissant des opérateurs privés et des schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique (SDTAN) pour les collectivités territoriales. L'ARCEP sera chargée de contrôler le respect de la répartition des responsabilités et du calendrier de déploiement fixés et pourra, le cas échéant, adopter des sanctions.
En lien direct avec ce dispositif, l'article 5 complète les pouvoirs de l'ARCEP en définissant les sanctions encourues par les opérateurs en cas de manquement aux engagements pris dans le cadre de la liste précitée, qui pourront atteindre 1 500 euros par local non raccordable. Quant à l'article 3, il permet à l'autorité d'intégrer à sa réglementation un objectif d'optimisation de l'utilisation des infrastructures, en vue de définir de nouvelles règles techniques renforçant le partage des infrastructures et prévenant les risques de duplication.
Sur un plan opérationnel, l'article 6 modifie les règles relatives à l'occupation du domaine public pour le déploiement des réseaux de communications électroniques. Il vise à contrer deux stratégies, régulièrement dénoncées, que constituent la duplication des réseaux - source d'inefficiences économiques - et la préemption des infrastructures d'accueil - source de retards dans les déploiements. Il renforce les pouvoirs à disposition des autorités gestionnaires du domaine public pour favoriser le partage des infrastructures dites « d'accueil » des réseaux de communications électroniques. En outre, il permet aux collectivités territoriales de délivrer, après information de l'ARCEP, une permission de voirie à un autre opérateur lorsque l'opérateur en place ne remplit pas ses obligations de déploiement. Le titre d'occupation domaniale de l'opérateur ayant failli à ses obligations deviendra alors caduque.
Ces différents articles constituent un ensemble de mesures favorables à la mutualisation des réseaux. Par ailleurs, d'autres articles traitent de sujets connexes, mais plus ciblés. L'article 4 interdit toute aide ou subvention publique à un opérateur de réseau en fibre optique ou à un utilisateur final, sauf dans le cadre de la compensation d'obligations de service public ou de l'établissement d'un réseau d'initiative publique. Cette disposition vise à prévenir les pressions exercées par les opérateurs privés pour obtenir des aides destinées au raccordement final des logements.
L'article 7 modifie un intitulé au sein du code général des collectivités territoriales en vue de consacrer la qualification de service public pour les activités d'établissement et d'exploitation par les collectivités de réseaux de communications électroniques. Cette précision répond à un impératif de clarification, certaines juridictions administratives ayant adopté des positions différentes sur ce sujet.
L'article 8 modifie l'article L. 33-11 du CPCE, relatif au statut de « zone fibrée », en permettant à l'opérateur gestionnaire d'un réseau de cuivre sur une zone ayant obtenu ce statut de demander à la collectivité territoriale concernée de racheter les infrastructures d'accueil susceptibles de donner lieu à des travaux de génie civil pour le nouveau réseau en fibre optique. Un refus ne pourra être fondé sur le prix demandé dès lors qu'il apparaît raisonnable au regard notamment de l'état des infrastructures concernées et de leur utilité. Un décret fixera les critères retenus en vue d'apprécier ce caractère raisonnable. Pour mémoire, le statut de « zone fibrée », créé en 2015, permet de constater un déploiement de la fibre suffisamment avancé pour déclencher des mesures facilitant la bascule intégrale et définitive du réseau cuivre vers la fibre. Cet article vise à apporter une réponse équilibrée au problème de propriété de certaines infrastructures d'accueil, afin d'éviter aux collectivités territoriales de dépendre d'une location des infrastructures d'Orange et de faciliter le déploiement de la fibre optique.
Trois articles visent ensuite à soutenir les déploiements mobiles. L'article 9 plafonne ainsi le montant de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER) applicable aux stations des réseaux mobiles, à hauteur de 20 000 fois le montant forfaitaire par station. L'objectif est d'inciter les opérateurs à déployer de nouvelles stations pour améliorer la couverture du territoire. Afin de faciliter concrètement ces déploiements, l'article 10 définit une clause de dispense ou d'allègement de certaines formalités prévues par le code de l'urbanisme au bénéfice des opérations effectuées sur des constructions existantes, ayant pour objet d'améliorer la couverture du territoire, y compris par un changement de technologie. Un décret en Conseil d'État en précisera la procédure. Quant à l'article 11, il modifie les critères retenus pour constater la couverture des « zones blanches » en centre-bourg, en prévoyant qu'elle devra désormais correspondre à une très bonne ou une bonne couverture en réseau 2G, au sens de la nouvelle méthodologie définie par l'ARCEP depuis septembre 2017.
Enfin, l'article 12 gage la proposition de loi et l'article 13 en précise les modalités d'entrée en vigueur en indiquant que les modifications apportées à l'article L. 33-13 du CPCE par l'article 2 ne s'appliquent pas aux engagements qui auraient été souscrits et acceptés via cet article dans sa rédaction antérieure à la proposition de loi.
À ces dispositions, je vous proposerai d'apporter des ajustements, en vue d'en préciser le sens et de tenir compte de certaines observations qui nous ont été faites lors des travaux préparatoires, sans toutefois bouleverser les grands équilibres du texte. Je vous proposerai une nouvelle rédaction de l'article 2, afin de ne pas modifier l'article L. 33-13 précité, qui sert de base à des négociations en cours entre l'État et les opérateurs, et de privilégier la création d'un nouvel article au sein du même code. À cette occasion pourront être apportées plusieurs précisions au dispositif, notamment en excluant les zones très denses, en prévoyant un avis public de l'ARCEP sur le projet de liste et en précisant le traitement des cas de duplication.
À l'article 4, sans remettre en cause l'interdiction d'aides publiques aux opérateurs, un amendement visera à permettre aux collectivités territoriales d'accorder des aides aux habitants dans le cadre d'une politique d'action sociale. Il me semble, en effet, important de maintenir une telle faculté pour les élus de nos territoires.
À l'article 6, je vous proposerai des amendements visant à inciter les acteurs publics à l'anticipation en matière de gestion du domaine public dans le cadre du déploiement des réseaux à très haut débit et à sécuriser le dispositif prévu par les auteurs de la proposition de loi. La réduction des nuisances et la bonne gestion du domaine public justifient de porter davantage d'attention au contrôle de ces déploiements et d'assurer une plus grande cohérence dans la délivrance des autorisations d'occupation domaniale.
À l'article 8, je vous proposerai une nouvelle rédaction pour le rachat des infrastructures d'accueil des réseaux en cuivre, afin de laisser davantage de marges de manoeuvre aux collectivités.
À l'article 11, je vous proposerai de renforcer les exigences de couverture dans les zones blanches en matière de téléphonie mobile. La situation que vivent certains territoires est insupportable et le relèvement des exigences de couverture me semble indispensable pour souligner l'importance de sujet et, qu'en 2020, le concept de zones blanches disparaisse. Enfin, je vous proposerai de supprimer l'article 13 de la proposition de loi, par cohérence avec les modifications apportées à l'article 2, qui le privent d'objet.
Nous aurons par ailleurs à examiner deux amendements déposés par notre collègue Patrick Chaize, portant sur l'attribution du statut de « zone fibrée » et sur l'IFER applicable aux réseaux en fibre optique, qui permettront de renforcer le texte.
En conclusion, l'ensemble de ces dispositions forment un ensemble cohérent en faveur d'un déploiement plus sécurisé des réseaux à très haut débit pour apporter à nos concitoyens, quel que soit leur lieu de vie, un accès de qualité aux réseaux de communications électroniques. A l'heure où internet constitue un bien commun, il est indispensable que chacun puisse en bénéficier dans de bonnes conditions ; cette proposition de loi y contribuera.
M. Hervé Maurey , président . - Merci, madame la rapporteure, pour la qualité de votre travail, mené dans des délais forts contraints. Vous avez réussi votre baptême du feu !
M. Patrick Chaize , auteur de la proposition de loi . - Je remercie également notre rapporteure pour son implication et le soin qu'elle a apporté à m'associer à ses travaux, mais également la centaine de cosignataires de la proposition de loi, qui ont ainsi soutenu mon projet.
L'objectif de ce texte est de sécuriser les investissements publics et privés et d'éviter ainsi de mettre à mal des projets d'infrastructures, dans un contexte où l'annonce de SFR d'un fibrage de la France sans recours aux subventions publiques mettait à mal le plan France très haut débit et le partage en différentes zones du territoire national. Le risque était grand de voir se multiplier les dédoublements de réseaux aux côtés de zones sans aucune connexion. À titre d'illustration, sur l'île de La Réunion, certaines communes bénéficient de deux ou trois réseaux concomitants, tandis que certaines en sont complètement privées. Il est absolument nécessaire de répartir les investissements sur le territoire, afin d'éviter tout risque de fracture numérique.
S'agissant de l'élaboration en cours du code européen des communications électroniques, je me suis assuré auprès de la Commission européenne que la présente proposition de loi n'entrait pas en contradiction avec les dispositions prévues. Elle ne contrevient nullement à la liberté d'investir et poursuit un objectif identique à celui de la Commission, visant à éviter l' over building , c'est-à-dire les dédoublements.
La proposition de loi cherche, en outre, à rendre plus contraignants les engagements pris par les opérateurs. L'absence actuelle de contrôle des investissements dans les zones AMII conduit à des retards sur la couverture intégrale prévue à échéance 2020. Il s'agit également de reconnaitre les réseaux de communications électroniques comme un service public local, inscrit à ce titre dans le code général des collectivités territoriales, de favoriser le basculement du cuivre vers la fibre, d'accélérer le développement du mobile en modifiant les règles applicables à l'IFER, de simplifier les procédures administratives et de redéfinir les zones blanches.
J'ai, en complément au texte initial, déposé deux amendements relatifs respectivement à l'IFER fixe - afin de prendre en considération les débats que nous avons eus à l'occasion de la dernière loi de finances rectificative - et au statut de « zone fibrée ».
Les opérateurs ne sont guère favorables au texte, considérant que SFR étant rentré dans le rang, les difficultés ont disparu. Mais nous voyons chaque jour combien l'équilibre demeure fragile ! Dans les Yvelines, par exemple, Orange va se déployer sur un RIP porté par une collectivité territoriale, mettant à mal son modèle économique. Friands de liberté, les opérateurs souhaitent pouvoir s'établir sur les secteurs denses et rentables, où les coûts ont déjà pour partie été assumés par les pouvoirs publics.
Fort malheureusement, le Gouvernement n'a pas encore rendu d'arbitrage sur cette proposition de loi, malgré de multiples relances et les accords de principe, comme l'a confirmé la récente audition de M. Denormandie. Je crains qu'à l'instar des récentes propositions de loi sénatoriales relatives à la compétence « eau et assainissement » et au littoral, il ne reprenne à son compte certaines de nos propositions, notamment dans le cadre du projet de loi « évolution du logement et aménagement numérique » (ELAN), dont cinq articles portent sur l'aménagement numérique du territoire dans l'avant-projet diffusé en décembre dernier.
M. Hervé Maurey , président . - Je partage les analyses de Marta de Cidrac et de Patrick Chaize. Le rapport d'information que nous avions élaboré en 2015 évoquait des problématiques et des solutions, qui trouvent avec ce texte leur aboutissement. Je considère d'ailleurs comme un très bon signe qu'il ne convienne pas aux opérateurs, qui n'aiment guère les contraintes ou les sanctions ! L'aménagement numérique du territoire représente un combat sénatorial depuis de longues années. Déjà, nous avions adopté en 2012 une proposition de loi sur ce thème, qui n'avait malheureusement pas abouti à l'Assemblée nationale, mais dont plusieurs dispositions ont été tardivement reprises par le Gouvernement. Quelle perte de temps !
Je crains, au regard du flou entretenu sur ce sujet par Julien Denormandie devant notre commission la semaine dernière, que le présent texte subisse le même sort. Je suis d'ailleurs intervenu en séance publique et ai écrit sur ce sujet un courrier au Président Larcher, pour alerter, au-delà de ce texte, sur l'attitude peu correcte du Gouvernement, qui donne par principe un avis défavorable à certains textes d'initiative sénatoriale avant d'en reprendre le contenu à son compte, comme pour les propositions de loi relatives à l'eau et l'assainissement ou au littoral. Je crois savoir que ce sujet sera abordé ce soir en conférence des présidents en présence du ministre des relations avec le Parlement.
M. Gérard Cornu . - Le peu d'enthousiasme manifesté par les opérateurs pour ce texte me rassure beaucoup ! L'objectif du Sénat doit être de faire en sorte que l'aménagement numérique du territoire permette de résorber la fracture numérique. Si elle se heurte parfois à des considérations économiques, la volonté du législateur doit in fine s'imposer. Il faut effectivement valoriser les travaux du Sénat contre la mauvaise manière qui leur est trop souvent faite par ce Gouvernement. Même politiquement opposées, les deux chambres ont, par le passé, toujours eu la volonté de coopérer !
M. Claude Bérit-Débat . - Le groupe Socialiste et Républicain est convaincu de l'opportunité de débattre de la présente proposition de loi et s'accorde sur l'intérêt de son contenu. Mais la question de son avenir se pose effectivement. Je suis, à cet égard, solidaire des propos tenus par MM. Maurey et Cornu sur l'attitude du Gouvernement : il est plus élégant de faire aboutir une initiative parlementaire dont on partage l'esprit que de la reprendre à son compte dans un autre texte. Mes deux interrogations sur la proposition de loi portent respectivement sur le contenu de l'accord conclu entre les opérateurs et le Gouvernement et sur son adéquation avec le futur code européen des communications électroniques.
Mme Pascale Bories . - La présente proposition de loi répond à une attente forte des fédérations et des syndicats spécialisés dans ce domaine, qui ont fait part de leur satisfaction. Je partage les inquiétudes exprimées quant à l'attitude du Gouvernement sur ce texte. Nos propositions seront-elles retenues et dans quel cadre ? Je m'interroge également sur le financement des infrastructures numériques : malgré les promesses gouvernementales, il semble qu'il manque encore 5 à 6 milliards d'euros. Qu'en est-il, à cet égard, de la création annoncée d'un fond d'aménagement numérique du territoire ?
Dans le département du Gard, nous avons des problématiques de connexion entre les zones AMII et le reste des territoires. Certaines communes en zone AMII sont, en effet, très éloignées des noeuds de raccordement d'abonnés (NRA). Serait-il dès lors possible de les raccorder sur une autre zone dans le cadre du RIP ? Enfin, quel bilan peut-on établir sur les zones où le réseau en cuivre est défaillant ? Pourrait-on envisager d'y installer la fibre de manière prioritaire ?
M. Louis-Jean de Nicolaÿ . - Cette proposition de loi a le grand mérite de clarifier le débat sur l'aménagement numérique du territoire. Il n'est en effet pas simple de comprendre la stratégie des opérateurs en la matière. Je me réjouis que le texte prévoie l'installation de la fibre sur l'ensemble du territoire national. Toutefois, en Sarthe, le coût d'une telle opération est estimé à 400 millions d'euros. Comment les financer si les opérateurs n'investissent plus que dans les zones AMII ? Ce pourrait être extrêmement coûteux pour les collectivités territoriales. Quelles sont, dans ce cadre, les obligations des syndicats d'aménagement numérique ? Vous avez évoqué l'objectif de couvrir les centre-bourgs des zones blanches en 2G. Il m'avait pourtant semblé, en écoutant la semaine dernière M. Denormandie, que nous en étions déjà à l'étape de la 4G, voire de la 5G...
M. Guillaume Gontard . - Si la proposition de loi, en sécurisant les investissements et en clarifiant les tâches de chacun, va dans le bon sens, elle s'inscrit dans un système dont le fonctionnement général ne nous convient pas. Il socialise les pertes, avec des investissements publics en zones non rentables, et privatise les profits. Ce modèle économique hybride ne permet pas aux acteurs de l'aménagement numérique de remplir leur mission d'intérêt général et de service public local. Le groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste aura donc un avis réservé sur le présent texte.
M. Frédéric Marchand . - Je salue aussi la qualité du travail de nos collègues. J'irai néanmoins à rebours de l'enthousiasme général : on ne part pas de rien puisque sera bientôt présenté le futur projet de loi ELAN. Julien Denormandie, lors de son audition, nous a bien fait sentir la volonté forte du Gouvernement d'inclure dans ce projet de loi ELAN des dispositions contenues dans la proposition de loi. Je m'interroge donc sur la redondance de ce texte, qu'on retrouverait partiellement ou totalement dans un projet de loi prochainement en discussion.
J'entends dire que les opérateurs voient cette proposition d'un mauvais oeil ; nous n'avons pas les mêmes retours. La Caisse des dépôts a récemment publié un document selon lequel les opérateurs observent avec bienveillance ce texte.
Enfin, comme mon collègue socialiste, je m'interroge sur la transposition de la directive européenne. Bien malin qui peut connaître son contenu et peut-être serons-nous amenés à légiférer de nouveau. Nous penchons pour une abstention bienveillante sur ce texte qui concerne à la fois le monde rural et le monde urbain.
M. Hervé Maurey , président . - Le projet de loi ELAN n'a pas encore été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale et n'est même pas passé en conseil des ministres. Je ne vois pas pourquoi nous nous censurerions et n'examinerions pas un texte sous prétexte que le Gouvernement a prévu d'en déposer un. L'argument est réversible : puisque le Sénat va probablement adopter notre texte, pourquoi le Gouvernement ne le soutiendrait-il pas à l'Assemblée nationale ? Cela serait plus rapide que d'attendre l'examen du projet de loi ELAN, qui ne sera peut-être pas adopté définitivement avant la fin de l'année.
M. Jean-François Longeot . - Félicitations à Mme la rapporteure et à Patrick Chaize. Je souhaitais savoir ce qu'il était advenu de l'amendement déposé par Sylvie Vermeillet tendant à insérer un article additionnel après l'article 2 ?
M. Hervé Maurey , président . - Cet amendement, que vous avez cosigné, a bien été déposé, mais il a été déclaré irrecevable au titre de l'article 40. Tendant à modifier la destination des fonds de concours intercommunaux, il constituait un élargissement de l'autorisation de dépenser des communes.
M. Jérôme Bignon . - Félicitations à Mme la rapporteure pour son galop d'essai et à l'auteur de cette proposition de loi, qui a rédigé un texte de qualité sur les plans technique et juridique.
Ce jeu parlementaire est vieux comme la V e République. L'initiative parlementaire a au moins un mérite : comme le Gouvernement a une plus grande maîtrise de l'ordre du jour, elle peut être incitative. Il ne faut pas perdre cette capacité, il faut même la renforcer. Il ne faut pas abandonner notre pouvoir d'initiative, sauf à déposer des propositions « bidon » sans intérêt. Cherchons des complicités à l'Assemblée nationale et faisons avancer ce texte dans l'intérêt général.
Lorsque j'étais député, le garde des sceaux de l'époque nous avait sollicités pour rédiger une proposition de loi réformant le droit des faillites parce que son administration n'avait pas les moyens de le faire. C'est ainsi qu'a été réformée la loi Badinter, à partir d'une copie blanche.
Mme Marta de Cidrac , rapporteure . - Messieurs Chaize, Maurey et Cornu, comme vous l'avez souligné, cette proposition de loi va dans le sens de l'aménagement numérique du territoire.
Monsieur Bérit-Débat, vous avez évoqué l'accord de janvier dernier sur la téléphonie mobile, qui est un sujet connexe de la présente proposition de loi, laquelle porte essentiellement sur les réseaux fixes. Le mobile est évoqué seulement aux articles 9 à 11.
Il faut également suivre les évolutions des règles européennes. La proposition de loi en tiendra compte, quitte à connaître quelques modifications.
Au niveau national, il ne faut pas s'interdire de faire notre travail de législateur sur des sujets d'une telle importance pour nos territoires.
Mme Bories m'a interrogée sur le coût véritable du haut débit. Dans ma présentation, j'évoquais un chiffre compris entre 20 et 30 milliards d'euros. Nous resterons vigilants.
La mise en cohérence des zones AMII et des RIP à la frontière est une question opérationnelle qui ne me semble pas relever directement du niveau de la loi.
Sur la priorisation des déploiements y compris quand le cuivre n'est pas entretenu, le choix incombe au porteur du RIP. En outre, la loi pour une République numérique de 2016 a renforcé les obligations du responsable du service universel pour entretenir le réseau cuivre.
Monsieur de Nicolaÿ, au sujet des choix technologiques, la proposition de loi vise le fixe, mais n'exclut aucune autre technologie. Il ne s'agit pas d'écarter ce qui existe déjà dans nos territoires. Dans tous les cas, les financements privés peuvent alimenter les déploiements. Des solutions subsidiaires existent comme les réseaux radios locaux, de satellites, la montée en débit du cuivre, mais la proposition de loi cible la fibre optique. Nous n'opposons pas les technologies entre elles.
En ce qui concerne le mobile, nous avons déposé un amendement renforçant les exigences de couverture 2G imposées aux opérateurs dans les actuelles « zones blanches ». Certains diront que ce n'est pas suffisant, mais j'ai souhaité faire preuve de réalisme dans mes propositions.
M. Patrick Chaize . - Le périmètre du projet de loi ELAN est à peu près connu. Dans l'avant-projet, cinq articles portent sur l'aménagement numérique, dont quatre sur la simplification des déploiements. Le projet de loi est donc complémentaire à cette proposition de loi. Il comprend également une disposition modifiant l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques qui donne pouvoir à l'ARCEP de contrôler les engagements souscrits par les opérateurs. Or c'est bien le sens de mon texte, déposé le 10 novembre, que j'ai présenté au Gouvernement.
En tout état de cause, si nous adoptons cette proposition de loi le 6 mars prochain, elle ne s'appliquera pas immédiatement. Durant la navette parlementaire, nous devrions pouvoir mieux cerner les contours de la future directive européenne. Si nécessaire, l'Assemblée nationale pourra apporter des correctifs à notre texte. Nous serions ainsi en avance, pour une fois, dans le processus de transposition d'une directive...
Ce débat est nécessaire pour que les opérateurs sachent ce que le Parlement et le Gouvernement veulent en matière de numérique. Il faut maintenir une certaine pression sur eux et rassurer les collectivités, pour qu'elles continuent à investir.
Le Gouvernement a engagé 3,3 milliards d'euros dans le plan France Très Haut Débit. L'objectif, à l'échéance 2022, c'est de couvrir 100 % de la population en très haut débit, dont 80 % en fibre optique. Certains territoires seront déjà à 100 % en 2022, d'autres ne seront qu'à 50 %. Le Gouvernement va donc devoir mettre en place des financements complémentaires pour atteindre un objectif de 100 % en 2025.
À mon collègue Guillaume Gontard, je veux dire que ce texte, globalement, est conforme à l'esprit qui anime son groupe, à savoir protéger les investissements publics. À ce jour, une collectivité peut voir arriver sur son territoire des opérateurs privés qui vont mettre à mal son modèle économique. Nous sommes là pour préserver les investissements publics et assurer de façon certaine la desserte de l'ensemble des habitants en fibre optique.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1 er
L'article 1 er est adopté sans modification.
Mme Marta de Cidrac , rapporteure . - Mon amendement COM-4 propose une réécriture de l'article 2, en créant un article additionnel au sein du code des postes et des communications pour ne pas modifier l'article L. 33-13, qui sert actuellement de base à des discussions entre le Gouvernement et les opérateurs pour formaliser les engagements de déploiements des réseaux fixes, dont nous avons demandé la transmission lors de l'audition de M. Denormandie.
Par ailleurs, cette nouvelle rédaction apporte plusieurs ajustements au contenu initial de l'article 2. Elle exclut les zones très denses du périmètre du dispositif, dès lors qu'y prévaut un principe de concurrence par les infrastructures et qu'il n'apparaît ni possible ni souhaitable d'identifier dans ces zones un opérateur chargé du segment mutualisé.
Elle prévoit également un avis de l'ARCEP sur le projet de liste, avec un délai d'un mois à compter de la publication de cet avis avant la fixation de la liste par le Gouvernement, afin de permettre au Parlement de s'exprimer en temps utile sur son adéquation aux besoins d'aménagement numérique du territoire. C'est une question de transparence et d'information de la représentation nationale.
Enfin, elle précise le traitement des cas de duplication, en visant les empiètements par des opérateurs privés sur une zone d'initiative publique, sans l'accord de la collectivité territoriale ou du groupement qui est chargé du déploiement.
L'amendement COM-4 est adopté.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 3
L'article 3 est adopté sans modification.
Mme Marta de Cidrac , rapporteure. - Sans modifier l'esprit de l'article 4, mon amendement COM-7 vise à permettre l'octroi d'aides aux utilisateurs pour l'accès à un réseau à très haut débit, dans le cadre d'une politique d'action sociale. Une collectivité territoriale pourrait en effet décider d'accorder des aides sur critères sociaux à certains habitants, en vue de faciliter leur raccordement à un réseau en fibre optique, dans les zones où le coût de cette opération entraîne un reste à charge important pour l'habitant.
M. Benoît Huré . - Ces aides portent-elles sur l'usage ou l'investissement ?
Mme Marta de Cidrac , rapporteure. - Cela concerne les derniers mètres de raccordement, qui restent parfois à la charge de l'usager.
M. Benoît Huré . - Une personne dite « fragile » peut être aidée par la collectivité pour son raccordement fibre. Mais si elle déménage ?
Mme Marta de Cidrac , rapporteure. - Nous parlons de l'action sociale de la commune de déploiement. Si une personne bénéficiaire d'une telle aide au raccordement déménage, il reviendra à sa commune d'accueil de lui proposer, éventuellement, une nouvelle aide.
L'amendement COM-7 est adopté.
L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 5
L'amendement rédactionnel COM-5 est adopté.
L'article 5 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Marta de Cidrac , rapporteure . - Mon amendement COM-6 de précision vise à améliorer la gestion du domaine public dans le cadre du déploiement des réseaux à très haut débit en fibre optique.
Il doit permettre d'inciter les opérateurs et les collectivités publiques à prendre en compte par anticipation la disponibilité du domaine public routier lors de l'installation de réseaux en fibre optique. Il s'agit de rappeler le principe de cohérence qui doit régir le déploiement de nouveaux réseaux par rapport aux réseaux existants ou projetés.
L'amendement COM-6 est adopté.
Mme Marta de Cidrac , rapporteure. - Mon amendement COM-8 consolide le dispositif prévu par les auteurs de la proposition de loi visant à lutter contre la duplication des réseaux et à rationaliser les travaux de génie civil sur le domaine public routier.
L'amendement COM-8 est adopté.
L'article 6 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 7
L'article 7 est adopté sans modification.
Mme Marta de Cidrac , rapporteure. - Cet amendement de précision COM-2 vise à clarifier les modalités d'octroi du statut de « zone fibrée », en consolidant la compétence de l'ARCEP en la matière. L'attribution du statut se fera désormais sans sollicitation de l'opérateur. L'ARCEP sera responsable du recensement des réseaux en fibre optique ayant atteint un stade suffisant de maturité dans leur déploiement pour pouvoir obtenir le statut de « zone fibrée » et déclencher la transition vers le très haut débit. L'Autorité précisera les obligations pesant sur l'opérateur chargé du réseau concerné.
Cette nouvelle procédure doit permettre une mise en oeuvre transparente et plus généralisée du statut de « zone fibrée ». J'attire cependant l'attention de la commission sur la nécessité pour le ministre chargé des communications électroniques de prendre rapidement l'arrêté précisant les modalités et conditions d'attribution de ce statut, pour permettre à l'ensemble des acteurs d'intégrer les exigences afférentes. Cet arrêté n'a pas été pris alors que la décision de l'ARCEP proposant les modalités et conditions d'attribution du statut de « zone fibrée » a été rendue depuis le 27 juillet 2017.
L'amendement COM-2 est adopté.
L'amendement de précision COM-9 est adopté.
L'article 8 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 9
L'article 9 est adopté sans modification.
Article additionnel après l'article 9
Mme Marta de Cidrac , rapporteure. - L'amendement COM-3 de Patrick Chaize vise, pour les réseaux en fibre optique, à subordonner l'application de l'IFER à la délivrance du statut de « zone fibrée ». Cette imposition a été étendue aux réseaux en fibre optique et en câble via la seconde loi de finances rectificative pour 2017, sans discussion de fond sur les implications de cette décision pour les nouveaux réseaux, et alors même que le déploiement du très haut débit a été affirmé comme une priorité nationale par le Gouvernement.
S'il n'est pas incohérent de faire évoluer l'assiette de cette IFER, actuellement limitée au réseau en cuivre, l'application dès 2019 de cette imposition à toutes les lignes en fibre optique établies depuis cinq ans va modifier brutalement l'équilibre économique de certains réseaux en cours de déploiement.
Dès lors que le statut de « zone fibrée » vise précisément à conforter un réseau du fait de sa maturité technique et commerciale, il est pertinent de subordonner l'application de l'IFER fixe à ce statut. À ce stade d'avancement, le réseau concerné pourra plus aisément intégrer cette imposition nouvelle dans son modèle économique. Avis favorable.
L'amendement COM-3 est adopté et devient article additionnel.
Article 10
L'article 10 est adopté sans modification.
Mme Marta de Cidrac , rapporteure . - Notre amendement COM-10 renforce les exigences de couverture imposées aux opérateurs pour les communes identifiées dans le cadre du programme « zones blanches - centre-bourgs ». Je vous propose, dans la lignée des auteurs de la proposition de loi, une approche réaliste des exigences de couverture.
L'amendement COM-10 est adopté.
L'article 11 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 12
L'article 12 est adopté sans modification.
Mme Marta de Cidrac , rapporteure . - Notre amendement COM-11 de suppression tire les conséquences des modifications apportées à l'article 2.
L'amendement COM-11 est adopté et l'article 13 est supprimé.
M. Hervé Maurey , président . - Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi ainsi modifiée.
M. Frédéric Marchand . - Nous nous abstenons.
Mme Éliane Assassi . - Nous nous abstenons également.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.