II. L'URGENTE NÉCESSITÉ DE RECOURIR UNE NOUVELLE FOIS À LA SOLIDARITÉ NATIONALE POUR AMÉLIORER RAPIDEMENT LE NIVEAU DES PLUS PETITES RETRAITES AGRICOLES
A. DES DIFFICULTÉS STRUCTURELLES DU RÉGIME NÉCESSITANT DE RECOURIR À LA SOLIDARITÉ NATIONALE
1. Un très fort déséquilibre démographique
En 2018, la branche vieillesse du régime de base des non-salariés agricoles compte 1,387 million de pensionnés pour 470 000 actifs cotisants, ce qui fait du ratio démographique de ce régime (0,34) l'un des plus dégradés de tous les régimes de retraite de notre pays 25 ( * ) .
Ce déséquilibre démographique, qui résulte directement du vieillissement de la population du régime comme le montre la pyramide des âges du régime, tend pourtant à se résorber.
Pyramide des âges des deux
régimes
gérés par la Mutualité sociale
agricole
Source : CCMSA
En effet, entre 2015 et 2018, le nombre de pensionnés a diminué plus vite (- 3 %) que le nombre de cotisants (- 1,6 %) 26 ( * ) . D'après les informations communiquées à votre rapporteur, cette tendance devrait se confirmer jusqu'en 2021.
Créé plus récemment, le régime complémentaire obligatoire (RCO) voit ses effectifs de pensionnés diminuer également mais moins fortement (en moyenne de - 1,6 % jusqu'en 2021).
La baisse du nombre de pensionnés est nettement plus
marquée au sein du régime pour les conjoints-collaborateurs et
les aidants-familiaux
(- 6,5 % par en moyenne).
En résumé, pour une nouvelle pension attribuée, le régime enregistre entre deux et trois décès.
Cette diminution plus forte du nombre de pensionnés par rapport aux cotisants ne permet bien évidemment pas de pallier le déséquilibre démographique structurel du régime, ce qui conduit à privilégier la solidarité nationale pour revaloriser les pensions agricoles. En revanche, elle a pour conséquence de faire baisser les dépenses du régime ce qui amoindrit, à terme, le surcoût généré par cette proposition de loi.
2. La faiblesse structurelle des revenus agricoles
Au cours des auditions, votre rapporteur a fait le constat, certes un peu décourageant, que le problème des petites retraites agricoles était très directement lié à la faiblesse des revenus agricoles qui obère la capacité contributive des exploitants agricoles.
D'après les chiffres communiqués par la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole, les revenus professionnels pour les non-salariés agricoles s'élèvent en moyenne en 2017 à 17 000 euros bruts annuels, soit 1 416 euros par mois environ. Ce chiffre est à comparer avec le Smic brut mensuel au 1 er janvier 2018 de 1 499 euros qui s'avère donc supérieur à la rémunération mensuelle moyenne des exploitants agricoles.
À cette moyenne, s'ajoute la question de la volatilité des revenus qui peuvent fortement varier d'une année sur l'autre en fonction de contraintes climatiques ou de marché.
Des mesures ont donc été prises pour renforcer l'effort contributif des agriculteurs, en fixant des assiettes minimales pour chacune des cotisations d'assurance vieillesse, et lisser l'impact des variations de revenus, en calculant les cotisations sociales sur la base des revenus des trois dernières années.
La chaîne de conséquences est pourtant sans appel : de faibles revenus entraînent de faibles cotisations qui génèrent de faibles pensions.
Lors de son audition, la Confédération paysanne a regretté la logique ayant conduit le monde agricole à considérer la cotisation sociale comme une charge et à ainsi privilégier une logique de court terme en socialisant faiblement le risque vieillesse.
De même, les auditions ont permis d'évoquer les stratégies d'optimisation fiscale et sociale menées par certains exploitants agricoles visant à investir pour réduire le revenu disponible sur lequel sont prélevées les cotisations.
Votre rapporteur remarque que le niveau de pension des exploitants agricoles est le fruit d'une histoire qui doit conduire à mieux prendre en compte le besoin de protection sociale que rencontreront demain les actifs d'aujourd'hui. Elle ne peut toutefois conduire à fermer les yeux sur la situation actuelle des retraités les plus modestes.
Là encore, le recours à la solidarité nationale s'impose pour répondre à la situation d'urgence sociale qu'ils rencontrent.
3. La situation spécifique des outre-mer
Dans les outre-mer, la gestion de la protection sociale des exploitants agricoles dont celle de leur branche vieillesse est assurée par les caisses générales de sécurité sociale (CGSS) du régime général 27 ( * ) .
Le nombre d'anciens exploitants agricoles à la retraite dans les départements d'outre-mer s'élève à 27 600 pour les titulaires d'une pension de base. Les niveaux de pension de ces retraités ultramarins sont éloignés des standards, déjà faibles, de l'hexagone. En moyenne, le montant de retraite d'un pensionné de droit direct dans les outre-mer s'élève à 293 euros pour un homme et 255 euros pour une femme contre respectivement 445 euros et 334 euros dans l'hexagone 28 ( * ) . Parmi les monopensionnés, plus de la moitié perçoit une retraite inférieure à 333 euros.
Cette différence s'explique par une moindre capacité contributive des exploitants agricoles dans les outre-mer qui résulte d'une série de facteurs.
Le premier concerne la mise en place tardive du régime d'assurance vieillesse pour les exploitants agricoles, qui n'est intervenue qu'en 1964 alors que le régime MSA-exploitants remonte à 1952 au niveau hexagonal. Les retraités actuels ont donc commencé à cotiser plus tardivement entraînant une plus faible pension de base.
Par ailleurs, le régime complémentaire obligatoire bénéficie dans les territoires ultramarins à seulement 30 % des retraités (35 % à La Réunion) contre plus de la moitié dans l'hexagone. Lors de la création du RCO en 2003, peu nombreux étaient en effet les agriculteurs ultramarins à avoir pu bénéficier de la validation gratuite de périodes antérieures de cotisation, ne pouvant justifier des périodes minimales d'assurance requises en qualité d'exploitants. Pour les bénéficiaires d'une pension RCO, le montant moyen de la part complémentaire s'élève à 46 euros dans les DOM contre 91 euros dans l'hexagone.
La part de retraités agricoles justifiant d'une carrière complète dans les outre-mer ne s'élève qu'à 10 % contre au moins 30 % dans l'hexagone. Ce chiffre monte à 23 % seulement parmi les monopensionnés. En moyenne, les non-salariés agricoles ont cotisé 8,5 années de moins que leurs homologues hexagonaux.
En troisième lieu, le système de cotisations retraite est sensiblement différent dans les outre-mer. L'assiette de cotisation repose, non pas sur les revenus professionnels comme dans l'hexagone, mais sur la superficie pondérée avec une exonération totale de cotisation pour les exploitations inférieures à 40 hectares. Cette dernière concerne près de 97 % des actifs du monde agricole outre-mer.
Le barème pour l'obtention des points de retraite proportionnelle et complémentaire entraîne également un moindre effort contributif. D'après les informations obtenues par votre rapporteur, le nombre de points de retraite proportionnelle acquis par annuité de cotisation pour un chef d'exploitation varie de 16 à 30 points dans les départements d'outre-mer contre 23 à 104 points en métropole. A l'inverse, la cotisation ouvrant droit à l'acquisition de ces 16 points outre-mer varie en 2015 de 7 à 49 euros par an alors que la cotisation minimale pour l'obtention de 23 points dans l'hexagone est de 779 euros.
La même logique préside à la gestion du RCO. L'acquisition minimale de points est de 14 par annuité de cotisation dans les outre-mer contre 100 points minimum dans l'hexagone. La cotisation afférente minimale s'élève respectivement à 79 euros et 525 euros par an.
Ces différents facteurs expliquent donc la moindre capacité contributive des exploitants ultramarins et par voie de conséquence la faiblesse de leur pension.
Lors des auditions, les difficultés d'accès au foncier agricole ont été avancées pour expliquer l'impossibilité des exploitants agricoles à justifier d'une durée d'assurance suffisante pour l'obtention du statut d'exploitant agricole. Cette question a été documentée dans un rapport récent du Sénat 29 ( * ) .
* 25 Au sein du régime général, le ratio démographique est de 1,32.
* 26 Rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale, septembre 2017.
* 27 Il y a dans ces territoires quatre caisses générales de sécurité sociale (CGSS) en Martinique, Guadeloupe, Guyane, La Réunion, et une caisse de sécurité sociale (CSS) à Mayotte.
* 28 Chiffres pour l'année 2014.
* 29 Conflit d'usage en outre-mer, un foncier disponible rare et sous tension, Rapport d'information fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, Thani Mahomed Soilihi, Daniel Grémillet et Antoine Karam, 6 juillet 2017.