II. LA POSITION DE LA COMMISSION : NE PAS ADOPTER UN TEXTE QUI SOULÈVE DE RÉELLES DIFFICULTÉS JURIDIQUES ET PRATIQUES
L'analyse des dispositions de la proposition de loi fait apparaître un risque de remise en cause de la cohérence de notre régime d'exécution des peines sans bénéfice avéré sur la prévention de la récidive.
A. DES DIFFICULTÉS JURIDIQUES ET PRATIQUES CERTAINES
Cette exclusion systématique des « auteurs de violences conjugales » de certaines mesures d'exécution ou d'aménagement des peines paraît inadaptée et contraire au principe d'égalité devant la loi.
1. Une proposition contre-productive pour la prévention de la récidive
a) Le risque de sorties sèches et d'un moindre suivi des personnes condamnées pour violences conjugales
Selon les magistrats entendus par votre rapporteur, l'exclusion systématique des « auteurs de violences conjugales » des mesures d'aménagement des peines prononcées dans les conditions prévues aux articles 720-1 et 723-1 du code de procédure pénale, serait contre-productive pour prévenir le risque de récidive .
En effet, sans l'application des articles 720-1 et 723-1 du code de procédure pénale, les condamnés sortiraient d'incarcération de manière « sèche sans mesure probatoire, c'est-à-dire sans pouvoir faire l'objet de certaines mesures utiles pour les encadrer et les accompagner. Or les mesures de placement extérieur ou de semi-liberté sont particulièrement utiles pour garantir l'éviction de la personne condamnée du domicile conjugal tout en en assurant sa prise en charge.
Contrairement aux infractions terroristes, les violences conjugales sont des infractions qui s'inscrivent dans une problématique de relations interpersonnelles, pour lesquelles il paraît plus aisé d'agir sur les causes du passage à l'acte.
Pour ces infractions qui demandent un suivi particulier en détention et après l'incarcération, il semble paradoxal de réduire la palette des mesures pouvant être prononcées par les juridictions de l'application des peines pour accompagner le retour progressif à la liberté des auteurs de violences conjugales.
Destinée à faire en sorte que les condamnés effectuent l'intégralité de leur peine d'emprisonnement, la proposition de loi serait sans effet sur l'aménagement ab initio , par la juridiction de jugement ou le juge de l'application des peines, des peines d'emprisonnement d'une durée inférieure ou égale à deux ans (un an en cas de récidive), en l'absence de mandat de dépôt (prévue par les articles 474 et 723-15 du code de procédure pénale). Elle pourrait même inciter les juridictions à prononcer des peines plus faibles.
b) Un moindre suivi post-sentenciel
Le temps correspondant à tout ou partie des crédits de réduction de peine accordés à un condamné constituent l'assiette de plusieurs mesures de suivi post-sentenciel . Pendant cette période, un condamné sortant d'incarcération peut être soumis à plusieurs mesures de suivi destinées à favoriser sa réinsertion , à prévenir la récidive et à protéger les victimes.
• En premier lieu, ces réductions de peine peuvent être utilisées pour l'application du « suivi post-libération » ou « suivi fin de peine » (article 721-2 du code de procédure pénale).
Le juge de l'application des peines peut soumettre le condamné à des mesures d'aide et de contrôle, à des obligations et à des interdictions 9 ( * ) applicables après sa libération, pour une durée qui ne peut excéder la durée cumulée des réductions de peine dont il a bénéficié.
Ce dispositif est applicable à toute personne condamnée à une peine privative de liberté qui n'a pas bénéficié d'un aménagement de peine ou d'une libération sous contrainte, d'un sursis avec mise à l'épreuve ou d'un suivi socio-judiciaire et pour laquelle ne peut être prononcée une mesure de surveillance judiciaire.
En cas de non-respect de ces mesures, obligations ou interdictions, le juge de l'application des peines peut retirer ces réductions de peine et ordonner la réincarcération de la personne.
• Une autre modalité de suivi post-sentenciel peut être imposée à un condamné après sa libération, sur le fondement de la durée des réductions de peine dont il a bénéficié : en application du II de l'article 721-2 du code de procédure pénale, le condamné peut avoir l'interdiction d'entrer en relation avec la victime pendant une durée qui ne peut excéder le total des réductions de peine dont il a bénéficié pendant son incarcération, cette interdiction pouvant être assortie de l'obligation d'indemniser la partie civile .
En cas d'inobservation de ces obligations et interdictions, le juge de l'application des peines peut retirer ces réductions de peine et ordonner la réincarcération de la personne.
• Enfin, les personnes condamnées pour des infractions d'une particulière gravité, qui ne font pas l'objet d'une peine de suivi socio-judiciaire ou d'une libération conditionnelle, peuvent être soumises à une mesure de surveillance judiciaire des personnes dangereuses 10 ( * ) . Concrètement, la personne est astreinte, en principe, à une injonction de soins et est soumise à des obligations et interdictions. Cette mesure est prononcée, par le tribunal de l'application des peines, en cas de risque de récidive avéré , pour un temps d'épreuve qui ne peut excéder la durée cumulée des réductions de peine dont la personne a bénéficié pendant son incarcération. En cas d'inobservation de la mesure, le juge de l'application des peines peut retirer ces réductions de peine et ordonner la réincarcération de la personne.
En conséquence, la suppression de l'octroi des crédits de réduction de peine priverait les personnes condamnées de la possibilité d'être suivies au titre de ces mesures, ce qui aurait des conséquences négatives sur le risque de récidive, en l'absence de dispositifs nouveaux permettant la prise en charge des condamnés en post-sentenciel.
2. Une rupture d'égalité non justifiée
En application de l'article 707 du code de procédure pénale, le régime d'exécution des peines privatives et restrictives de liberté vise à préparer l'insertion ou la réinsertion de la personne condamnée afin de lui permettre d'agir en personne responsable, respectueuse des règles et des intérêts de la société, et d'éviter la commission de nouvelles infractions. Ce régime est adapté au fur et à mesure de l'exécution de la peine , en fonction de l'évolution de la personnalité, de la situation matérielle, familiale et sociale de la personne condamnée.
C'est le quantum de la peine prononcée 11 ( * ) et le prononcé ou non d'un mandat de dépôt qui déterminent les modalités d'exécution d'une décision de condamnation. Celles-ci ne dépendent pas de la simple nature de l'infraction visée mais prennent en compte la gravité des faits et la personnalité de l'auteur.
Depuis les lois n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale et n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste , il existe un régime spécifique d'exécution et d'aménagement des peines pour les personnes condamnées en matière de terrorisme.
Le régime de l'exécution des peines
dérogatoire
En application de l'article 720-1 du code de procédure pénale, les personnes condamnées pour une infraction terroriste prévue aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal (à l'exclusion des infractions mentionnées aux articles 421-2-5 et 421-2-5-2 du même code) sont exclues de la possibilité de suspension ou de fractionnement de leur peine d'emprisonnement. Elles ne peuvent pas bénéficier d'aménagements de peine sous forme de placement à l'extérieur et de semi-liberté (article 723-1 du code de procédure pénale). En application de l'article 730-2-1 du code de procédure pénale, les personnes condamnées pour une infraction terroriste sont soumises à un régime dérogatoire pour l'octroi de la libération conditionnelle. |
Néanmoins, ces dispositions applicables en matière de lutte contre le terrorisme semblent difficilement pouvoir être étendues au champ des infractions retenu par la proposition de loi, qui recouvrent des comportements d'une inégale gravité 12 ( * ) : certaines infractions visées ne sont réprimées que d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.
En conséquence, votre rapporteur estime que ces dispositions apparaissent porter une atteinte manifeste aux principes constitutionnels d'égalité devant la loi, de nécessité des peines, de proportionnalité et d'individualisation des peine s.
* 9 Définies aux articles 132-44, 132-45 et 132-46 du code pénal.
* 10 En application de l'article 723-29 du code de procédure pénale, cette mesure peut s'appliquer aux personnes condamnées soit à une peine privative de liberté d'une durée égale ou supérieure à 7 ans pour un crime ou un délit, soit à une peine privative de liberté d'une durée égale ou supérieure à 5 ans en cas de récidive, et pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru.
* 11 Qui définit si une peine est aménageable ou non.
* 12 Par ailleurs, certaines infractions pénales, notamment celles liées à la répression des violences faites en groupe (bande organisée, embuscade, etc.) ne peuvent être commises à l'encontre d'une victime par son conjoint, concubin ou partenaire d'un pacte civil de solidarité.