B. LA CONSTRUCTION PROGRESSIVE D'UN RÉGIME CONTRACTUEL

1. Deux types distincts de contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens

La réforme de la forfaitisation des dotations des établissements médico-sociaux s'accompagne d'un cadre contractuel repensé. L'ambition des pouvoirs publics, engagée depuis la promulgation de la loi ASV, est de doter les gestionnaires d'établissements d'un instrument juridique capable d'assurer un pilotage plus responsabilisant des dotations qui leur sont versées. Il s'agit du contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (Cpom), dont on peut distinguer deux modalités :

• le Cpom dit de l'article L. 313-12 du CASF , qui régit le périmètre des Ehpad ;

• le Cpom dit de l'article L. 313-12-2 du CASF , qui régit le périmètre des établissements accueillant des personnes handicapées.

Le maintien de cette distinction, que les dispositifs successifs des LFSS pour 2016 et 2017 ainsi que du PLFSS pour 2018 tendent à estomper, se justifie encore pour deux raisons. D'une part, selon que l'on considère l'un ou l'autre type de Cpom, la nature des gestionnaires d'établissements peut différer : dans le champ des Ehpad, le gestionnaire peut être un acteur public, un acteur privé à but non lucratif ou un acteur privé commercial, alors que dans le champ de la prise en charge du handicap, seules les deux premières catégories sont ouvertes au gestionnaire. D'autre part, et surtout, le rythme différé des réformes tarifaires - en voie d'aboutissement dans le secteur des personnes âgées, encore embryonnaire dans le secteur des personnes handicapées - nécessite d' adapter les caractères de l'instrument contractuel en fonction des critères d'allocation des dotations .

On peut ainsi observer, en comparant les articles L. 313-12 et L. 313-12-3, que le droit de la contractualisation des établissements du secteur médico-social dessine deux modèles bien distincts .

Personnes âgées

(article L. 313-12)

Personnes handicapées

(article L. 313-12-2)

Cpom obligatoire

Oui (IV ter A, alinéa 1)

Oui (alinéa 1)

Cpom pluri-établissements

(en cas d'identité
de gestionnaire)

Obligatoire dans le cadre
du département

Possible dans le cadre de la région (IV ter A, alinéa 2)

Cpom pluri-secteurs

(transversal
entre personnes âgées
et personnes handicapées)

Possible à la double condition d'une identité du gestionnaire et du ressort territorial (IV ter A, alinéa 3)

Le signataire « principal » reste l'Ehpad

Possible à la double condition d'une identité de gestionnaire et du ressort territorial
et si le contrat ne comprend pas d'Ehpad signataire (article 50 PLFSS 2018)

Modulation du tarif
en fonction d'objectifs d'activité

Oui (article 50 PLFSS 2018)

Oui (alinéa 1)

Sanction si refus
de signature du Cpom

Sanction financière dans la limite de 10 % de la dotation soin (IV ter A, alinéa 4)

Liberté d'affectation
des résultats laissée
au gestionnaire

Oui (IV ter B, alinéa 5)

Oui (article 50 PLFSS 2018)

EPRD

Oui (IV ter C)

Oui (alinéa 3)

2. Vers une homogénéisation des pratiques gestionnaires

On observe d'après ce tableau 43 ( * ) que le droit de la contractualisation dans le champ des personnes âgées a connu un étayage bien plus important que dans le champ des personnes handicapées. Comme indiqué précédemment, ce mouvement s'explique par l'aboutissement d'un mode de tarification pour les Ehpad reposant sur des critères d'activité , alors que les établissements accueillant des personnes handicapées sont encore largement financés par reconduction de dotations historiques .

Pour cette raison, il était risqué de porter la responsabilisation des gestionnaires des établissements chargés du handicap au même degré que celle des gestionnaires d'Ehpad : les dotations ne reposant pas encore sur des critères d'activité établis, les éventuels excédents d'exploitation constatés pour les premiers pouvaient encore résulter de taux d'occupation insuffisamment élevés . Le Gouvernement a donc choisi, par sécurité, de procéder à une responsabilisation du secteur handicap en deux étapes.

a) La modulation en fonction de critères d'activité

La LFSS pour 2017 44 ( * ) a d'abord introduit la possibilité de modulation de la dotation de l'établissement en fonction de critères d'activité, afin d'écarter le risque de sous-occupation . Les conditions d'exercice de cette modulation concernent la dotation médicalisée et la dotation à l'autonomie et ont été énoncées par le décret du 21 décembre 2016, qui modifie les articles R. 314-160 (pour la dotation médicalisée) et R. 314-174 (pour la dotation à l'autonomie) du CASF.

Ces deux articles disposent que, lorsque le taux d'occupation est inférieur à un seuil fixé par arrêté ministériel , le directeur de l'ARS ou le président du conseil départemental peut moduler le montant du forfait global. Le pourcentage de modulation est égal à la moitié de la différence entre le taux d'occupation effectif et ce seuil . Ces seuils ont été définis par deux arrêtés respectifs 45 ( * ) , qui en incrémentent la valeur pour la période de convergence, mais qui la fixent en 2024 à 95 % . Cela signifie concrètement qu'un établissement médico-social dont le taux d'occupation ne serait en 2024 que de 85 % pourrait subir, de la part de chacun de ses tarificateurs, une baisse de ses dotations de 5 %.

b) La liberté d'affectation des résultats

On entend par « libre affectation des résultats » la possibilité pour un établissement, à la clôture de son exercice budgétaire, de conserver la jouissance des éventuels excédents d'exploitation dégagés et de décider, dans un cadre défini, de leur affectation sur l'exercice à venir. Un établissement ne jouit pas de la libre affectation des résultats lorsque son autorité de tarification décide la reprise de son excédent d'exploitation, autrement dit procède à l'amputation de la dotation versée pour l'an prochain du montant de cet excédent.

En l'état actuel du droit, la libre affectation des résultats n'est reconnue qu'aux gestionnaires d'Ehpad, par exception au principe défini à l'article R. 314-43 du CASF, aux termes duquel « « lorsque le Cpom est signé en application de l'article L. 313-12 ou de l'article L. 313-12-2, ce contrat prévoit les modalités d'affectation de ces résultats en lien avec ses objectifs [...]. Celles-ci peuvent prévoir le report à nouveau pour tout ou partie d'un excédent comptable en diminution du tarif de l'exercice sur lequel cet excédent est constaté ou de l'exercice qui suit, sauf pour les établissements mentionnés aux I et II de l'article L. 313-12 [à savoir les Ehpad] ».

Le cadre juridique des Cpom des Ehpad est en effet suffisamment renforcé pour que le législateur ait admis cette libre affectation. Deux éléments l'expliquent principalement :

• d'une part, la mise en place de la réforme tarifaire, avec le versement des dotations en fonction du GMPS et du GMP, ont écarté tout caractère « suspect » aux éventuels excédents dégagés par les Ehpad, puisque leurs dotations leur sont versées en fonction de leurs activités constatées . L'excédent ne peut donc pas s'expliquer par une sous-occupation des locaux, puisque cette sous-occupation participerait en amont du calcul de la dotation ;

• d'autre part, la crainte que l'on pouvait avoir qu'un excédent sur la dotation médicalisée ou sur la dotation à l'autonomie n'aille financer des dépenses non reliées à l'accueil des résidents a été dissipée par une limite posée au principe de la libre affectation : elle ne peut s'exercer qu'entre les forfaits médicalisé et autonomie .

Bien que la réforme tarifaire ne soit pas encore mise en oeuvre dans le secteur du handicap, il n'était plus possible au législateur de refuser que la libre affectation des résultats s'y applique. En effet, la disposition de la LFSS pour 2017 prévoyant la modulation du tarif en fonction d'objectifs d'activité s'applique tout autant aux Cpom de l'article L. 313-12-2 du CASF. Ainsi, les risques d'excédents d'exploitation liés à une sous-occupation de l'établissement se trouvent dissipés, puisque l'autorité de tarification dispose désormais d'un pouvoir de modulation de la dotation spécialement pensé pour ce cas. Le PLFSS pour 2018 46 ( * ) s'appuie donc sur cette garantie pour introduire le principe de libre affectation des résultats dans le secteur du handicap .

3. Des différences persistantes dans le périmètre des contrats

Certaines disparités demeurent entre les périmètres respectifs des deux types de Cpom. Dans le champ des Ehpad, l'article L. 313-12 du CASF pose explicitement l'obligation de réunion au sein du même Cpom des établissements gérés par le même gestionnaire dans le ressort du même département. Cette disposition se justifie pleinement au vu du modèle tarifaire identique qui s'applique aux Ehpad et qui garantit, pour l'autorité de tarification, une certaine transparence dans la mutualisation des versements.

On ne constate pas de mesure similaire dans le secteur du handicap, probablement en raison de la pluralité des modèles de tarification en fonction des établissements (unique et régional pour les maisons d'accueil spécialisées, unique et départemental pour les foyers de vie ou les foyers d'hébergement, binaire pour les foyers d'accueil médicalisés). Ainsi, si l'absence d'obligation d'un Cpom unique en fonction du seul critère territorial se justifie - les circuits de financement perdraient alors en transparence - on pourrait tout à fait l'envisager à la triple condition d'une identité du gestionnaire, du ressort territorial et du ou des tarificateurs . Cette mesure permettrait aux gestionnaires de plusieurs établissements identiques et dans le même ressort territorial (régional ou départemental selon le tarificateur) de bénéficier, grâce à un Cpom unique, des facilités de gestion qui leur sont ménagées par le présent PLFSS.

Une autre disparité, moins explicable, concerne la possibilité de conclure des Cpom embrassant des établissements et des services des deux secteurs . Dans le cas des Cpom de l'article L. 313-12 du CASF, dans lesquels l'Ehpad est le « signataire principal », la possibilité d'ouvrir le contrat à des établissements et services chargés de la prise en charge du handicap est prévue, à condition d'une identité de gestionnaire et de ressort territorial. Dans le cas des Cpom de l'article L. 313-12-12 du CASF, la possibilité pour un gestionnaire d'établissement pour personnes handicapées de contracter avec un Ehpad est expressément exclue par le PLFSS pour 2018 .


* 43 Y figurent en italique les dispositions non encore en vigueur prévues par le PLFSS pour 2018.

* 44 Loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016 de financement de la sécurité sociale pour 2017, article 89.

* 45 Arrêtés du 4 et du 28 septembre 2017.

* 46 Issu d'un amendement de l'Assemblée nationale à l'article 50 voté en première lecture.

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