II. L'ÉLARGISSEMENT DU « CIEL UNIQUE EUROPÉEN »
A. LA POLITIQUE EUROPÉENNE D'AVIATION CIVILE
1. Sa genèse
Les arrêts de la Cour de justice des communautés européennes du 5 novembre 2002 relatifs à des accords bilatéraux passés entre certains États membres et les États-Unis (arrêts dits de « Ciel ouvert ») ont marqué l'émergence d'une politique extérieure de l'Union européenne dans le domaine de l'aviation .
À cette occasion, si la Cour n'a pas donné raison à la Commission européenne qui estimait que la Communauté disposait d'une compétence exclusive pour conclure des accords de transport aérien avec des pays tiers, elle a estimé, en revanche, que certaines dispositions des accords bilatéraux conclus par les États membres représentaient une entrave à la liberté d'établissement , alors que d'autres empiétaient sur la compétence communautaire (dispositions relatives aux systèmes informatisés de réservation et à la gestion des créneaux horaires, ainsi que certaines dispositions tarifaires).
Prenant acte des arrêts de la Cour, le Conseil transports du 5 juin 2003 a adopté une décision autorisant la Commission à négocier un accord avec les États-Unis visant à établir un « espace aérien sans frontière » avec l'Union européenne, destiné à remplacer les accords bilatéraux de l'ensemble des États membres et à résoudre les problématiques juridiques soulignés par la Cour.
Le Conseil de juin 2003 a également autorisé la Commission à négocier avec l'ensemble des pays tiers (mandat de négociation dit « horizontal ») des accords dont l'unique objet est de remplacer les dispositions des accords bilatéraux des États membres contraires au droit européen .
Enfin, lors de cette session, le Conseil a arrêté une approche générale concernant un projet de règlement sur la négociation et la mise en oeuvre des accords de services aériens entre les États membres et les pays tiers. Celle-ci s'est concrétisée par l'adoption, en avril 2004, du règlement (CE) n° 847/2004 du Parlement européen et du Conseil.
2. Ses objectifs
En mars 2005, la Commission a précisé les objectifs de cette nouvelle politique dans une communication intitulée « Développer l'agenda de la politique extérieure de l'aviation de la Communauté » . Il s'agit principalement :
- d' assurer la mise en conformité avec le droit européen des accords bilatéraux existants, soit par le biais de négociations bilatérales entre les États membres et les pays tiers concernés, soit en ayant recours à une négociation européenne dans le cadre du mandat horizontal donné en 2003 ;
- et de négocier des accords entre l'Union européenne et certains pays tiers , qui se substitueraient aux accords bilatéraux de services aériens conclus par les différents États membres.
Ce dernier objectif s'articule autour de deux axes :
- le premier concerne les pays de la politique de voisinage de l'Union européenne , auxquels il est proposé de conclure des accords européens de services aériens dont la principale caractéristique est de subordonner l'accès au marché intérieur à la reprise et la mise en oeuvre de l'acquis européen applicable au transport aérien ;
- le second concerne les partenaires clés de l'Union européenne - comme les États-Unis -, pour lesquels les accords européens de services aériens sont adaptés aux spécificités du pays concerné, en recherchant toutefois un certain degré de convergence des réglementations dans les principaux domaines du transport aérien, notamment dans celui de la sécurité.
Cette communication a servi de base aux conclusions que le Conseil transports a adoptées en juin 2005.
En décembre 2012, le Conseil a adopté de nouvelles conclusions pour orienter la politique extérieure de l'Union européenne dans ce domaine, sur la base d'une communication de la Commission intitulée « La politique extérieure de l'Union européenne dans le domaine de l'aviation - Anticiper les défis à venir » . Considérant notamment que l'Union européenne devait adopter une approche « individualisée » avec certains partenaires clés (l'Inde, la Russie, la Turquie, certains pays du Golfe, l'Association des nations d'Asie du Sud-Est - ASEAN), le Conseil a notamment appelé à intensifier les négociations avec les pays du voisinage et consacré une large part de ses conclusions à la nécessité d'assurer les conditions d'une concurrence loyale entre transporteurs aériens .
Enfin, dans sa communication du 7 décembre 2015 « Une stratégie de l'aviation pour l'Europe » , la Commission a réservé une place importante à la politique extérieure de l'Union européenne dans le domaine de l'aviation . La Commission a ainsi recommandé au Conseil de lui délivrer des autorisations pour négocier des accords globaux dans le domaine des transports aériens avec la Chine, l'ASEAN, la Turquie, six pays du Golfe (Arabie Saoudite, Bahreïn, Émirats arabes unis, Koweït, Qatar et Oman), le Mexique et l'Arménie, et proposé d'entamer de nouveaux dialogues dans le domaine de l'aviation avec des partenaires clés comme l'Inde. La commission a en outre fait part de son intention d' introduire des dispositions relatives à la concurrence loyale dans le cadre de la négociation des accords européens de transport aérien, et indiqué qu'elle envisageait d' adopter des mesures pour lutter contre les pratiques déloyales de la part des pays tiers et des opérateurs de ces pays.
Sur cette base, en juin 2016, le Conseil transports a autorisé la Commission à ouvrir des négociations avec l'ASEAN, les Émirats arabes unis, le Qatar et la Turquie puis, lors de sa session de décembre 2016, le Conseil a délivré une autorisation similaire pour l'Arménie. Enfin, lors du Conseil transports de juin 2017, la Commission a présenté une proposition de règlement visant à préserver la concurrence dans le domaine du transport aérien.
3. Une politique française plus pragmatique
La politique de transport aérien menée par la France à l'égard des pays tiers vise à satisfaire la demande , en adaptant les capacités agréées de part et d'autre, tout en assurant les conditions d'une concurrence équitable entre les transporteurs aériens.
Contrairement à la politique européenne, elle n'a pas nécessairement pour objectif de libéraliser les services aériens , mais plutôt de répondre, de manière pragmatique, aux besoins du transport aérien entre la France et le pays concerné. La politique française n'a pas non plus l'objectif d'harmoniser les réglementations en matière de transport aérien ; les parties s'engagent simplement à respecter les standards de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) dans les domaines essentiels de la sécurité et de la sûreté aériennes.
Les objectifs de chacune des sessions de négociations diffèrent selon les besoins de l'industrie du transport aérien (aéroports et compagnies aériennes), les tendances de l'évolution du trafic ou l'ancienneté des accords aériens, ce qui conduit dans certains cas à proposer de conclure de nouveaux accords, conformes à la réglementation européenne 8 ( * ) et comprenant des clauses adaptées aux besoins de l'aviation civile actuelle 9 ( * ) . Les autorités aéronautiques françaises proposent également d'introduire un article spécifique à la concurrence entre transporteurs aériens, qui aborde différents aspects de la question, comme les discriminations, les subventions et les pratiques de « dumping » ou de position dominante.
* 8 Dispositions relatives à la désignation des transporteurs aériens et celles qui font référence à des ententes entre transporteurs.
* 9 En matière de sécurité, de sûreté et d'approbation des tarifs.