B. TRANCHER CLAIREMENT LA QUESTION DE L'APPLICATION DE LA LOI NOUVELLE AUX CONTRATS EN COURS
La troisième grande question, celle de l'application dans le temps de la loi nouvelle, nourrit de très intenses débats dans la doctrine et chez les praticiens, certains plaidant même pour une application du droit nouveau à tous les contrats en cours, dans un objectif de simplicité et d'uniformité du droit applicable. La jurisprudence récente de la Cour de cassation avive encore ces débats, car elle laisse supposer qu'elle pourrait faire application de larges pans de l'ordonnance aux contrats anciens 27 ( * ) .
Sur cette question, l'article 9 de l'ordonnance est clair : l'ordonnance est entrée en vigueur le 1 er octobre 2016 et « les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne », sous réserve de certaines dispositions de trois articles du code expressément rendues applicables à tous les contrats dès l'entrée en vigueur de l'ordonnance. Attachée aux exigences de sécurité juridique, de stabilité et de prévisibilité pour les parties, votre commission en approuve sans restriction les termes.
Pour autant, en dépit de cette rédaction, la jurisprudence classique de la Cour de cassation permet déjà d'appliquer certaines règles de la loi nouvelle aux contrats antérieurs, au titre de la théorie des effets légaux du contrat, selon laquelle les effets légaux du contrat sont régis par la loi en vigueur au moment où ils se produisent, ainsi qu'au titre des règles d'ordre public nouvelles qu'il semblerait justifié d'appliquer à tous les contrats. La jurisprudence plus récente, dans des arrêts de février et septembre 2017, semble aller encore au-delà, lorsqu'elle indique expressément que l'évolution du droit des contrats, telle qu'elle résulte de l'ordonnance, conduit la Cour à « apprécier différemment » les règles anciennes, pourtant supposées continuer à régir les contrats anciens.
Néanmoins, aller au-delà de ce que prévoit expressément l'article 9 de l'ordonnance en matière d'application de la loi nouvelle aux contrats en cours, en contredisant sa lettre comme son esprit, constituerait, selon votre commission, une dénaturation de l'intention du législateur . De plus, une telle interprétation pourrait heurter la protection constitutionnelle dont bénéficient les contrats légalement conclus , fondée sur le principe de la liberté contractuelle, suivant la jurisprudence rappelée dans l'encadré ci-après. Une telle protection, qui limite la marge d'appréciation du législateur lui-même, ne peut pas être ignorée.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel
Dès 1998, le Conseil constitutionnel a affirmé que « le législateur ne saurait porter à l'économie des conventions et contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 » 28 ( * ) . Ensuite, en 2000, le Conseil a reconnu une valeur constitutionnelle au principe de « la liberté contractuelle qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen » 29 ( * ) , à laquelle ne doit pas être apportée une atteinte contraire à la Constitution, sauf motif d'intérêt général suffisant. En 2002, le Conseil a affirmé plus clairement que « le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 » 30 ( * ) . En 2006, Le Conseil a indiqué que « le législateur peut (...) à des fins d'intérêt général (...) déroger au principe de la liberté contractuelle » 31 ( * ) . En 2012, il a énoncé qu'« il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, qui découlent de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi » 32 ( * ) . En 2013, dans un considérant de principe, le Conseil constitutionnel a rappelé, en même temps, la valeur constitutionnelle du principe de la liberté contractuelle et la protection constitutionnelle dont bénéficient les contrats légalement conclus : « d'une part, il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle qui découlent de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi » et « d'autre part, le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 » 33 ( * ) . Enfin, très récemment, en 2017, le Conseil a eu l'occasion de rappeler la protection dont doivent bénéficier les contrats légalement conclus : « le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant de l'article 4 de la Déclaration de 1789 » 34 ( * ) . |
En conséquence, à l'initiative de son rapporteur, votre commission a adopté un amendement tendant à affirmer plus clairement que les contrats conclus avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance, le 1 er octobre 2016, doivent bien demeurer entièrement régis par la loi ancienne .
En revanche, s'agissant du renouvellement de contrat, y compris par tacite reconduction, votre commission rappelle qu'il donne naissance à un nouveau contrat, auquel s'applique donc la loi nouvelle, à la différence de la prorogation de contrat. S'agissant d'un contrat cadre conclu avant l'entrée en vigueur de la réforme, si ses contrats d'application ont été conclus après, ils sont régis par la loi nouvelle. Un contrat négocié avant la loi nouvelle, mais conclu après, reste soumis au droit ancien en cas de litige sur la négociation. Le document précité du Haut comité juridique de la place financière de Paris propose d'autres précisions interprétatives sur l'application de la loi dans le temps, que votre commission approuve pleinement, en matière d'offre ou de promesse de contrat, de rétractation de promesse unilatérale, d'avenant, de cession de contrat et de faits juridiques 35 ( * ) .
* 27 Voir infra le commentaire de l'article 15 du projet de loi.
* 28 Conseil constitutionnel, décision n° 98-401 DC du 10 juin 1998, loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail.
* 29 Conseil constitutionnel, décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000, loi de financement de la sécurité sociale pour 2001.
* 30 Conseil constitutionnel, décision n° 2002-465 DC du 13 janvier 2003, loi relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi.
* 31 Conseil constitutionnel, décision n° 2006-543 DC du 30 novembre 2006, loi relative au secteur de l'énergie.
* 32 Conseil constitutionnel, décision n° 2012-242 QPC du 14 mai 2012, Association Temps de Vie.
* 33 Conseil constitutionnel, décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013, loi relative à la sécurisation de l'emploi.
* 34 Conseil constitutionnel, décision n° 2017-752 DC du 8 septembre 2017, loi pour la confiance dans la vie politique.
* 35 Ces interprétations ont été confirmées par les observations du ministère de la justice, présentées en annexe de ce document.