EXPOSÉ GÉNÉRAL
I. LES DISPOSITIONS DE LA PROPOSITION DE LOI SUR LE VOLET FONCIER AGRICOLE.
A. LA PROBLÉMATIQUE DE LA MAÎTRISE FONCIÈRE ESSENTIELLE POUR LES AGRICULTEURS.
La maîtrise des terres agricoles est indispensable à l'agriculteur pour assurer la pérennité de son exploitation. Certes la propriété des terres n'est pas le seul moyen à sa disposition car le statut du fermage est très protecteur pour le locataire. Le faire-valoir indirect n'a d'ailleurs pas cessé de progresser : passant de 50 % en 1980 à plus de 75 % en 2010, d'après une étude du centre d'études et de prospective du ministère de l'agriculture 3 ( * ) . Une part de cette progression est plus apparente que réelle, puisque certaines terres sont mises à disposition par des associés. Mais, quelles que soient les méthodes d'analyse, le faire-valoir indirect est aujourd'hui majoritaire.
Or, détenir au moins une part du foncier paraît indispensable à l'équilibre économique des exploitations , ne serais-ce que pour apporter des garanties réelles lorsque l'agriculteur doit solliciter les banques pour obtenir des emprunts pour son exploitation. Une autre étude du centre d'études et de prospective du ministère de l'agriculture 4 ( * ) montre que le contrôle du foncier par les agriculteurs et leurs familles constitue l'un des éléments constitutifs de l'agriculture familiale, modèle que la France cherche à conserver et à promouvoir.
Cette étude montre aussi que la part des terres détenues en propriété par l'exploitant, qui augmente fortement avec l'âge, a eu tendance à baisser à âge égal entre 1988 et 2010.
Les prix des terres agricoles s'établissent en France à des niveaux inférieurs à nos voisins européens. D'après la dernière étude de la fédération nationale des SAFER (FNSAFER), publiée en mai 2016, concernant les transactions effectuées en 2015, le prix des terres et prés libres non bâtis s'établit à 6 010 € par hectare en moyenne en France (156 000 hectares concernés en 2015), tandis que les terres et prés loués non bâtis se vendent en moyenne à 4 470 € par hectare (187 000 hectares concernés en 2015).
Ces prix sont en hausse sur longue période, mais encore très inférieurs à ceux pratiqués dans la plupart des autres États membres de l'Union européenne : 12 000 € par hectare au Danemark, 20 000 € en Italie et jusqu'à 50 000 € aux Pays-Bas. Cette situation attire naturellement les investisseurs qui anticipent des gains en capital dans le cadre d'un vaste mouvement de hausse des prix des terres agricoles.
Ces investissements sont portés par des sociétés, qui achètent les terres bien au-dessus de leur valeur et contribuent au mouvement de hausse des prix, ce qui accroît les difficultés des agriculteurs, en particulier des jeunes, qui veulent acheter une partie de leur foncier.
D'après les SAFER, les achats de terres par des personnes morales ont été multipliés par 4 en 20 ans, et représentent aujourd'hui 13 % des surfaces et 26 % de la valeur des échanges.
Une étude des SAFER effectuée en Haute-Normandie montre que la concentration de la propriété foncière agricole peut s'effectuer sans que cela soit visible dans les statistiques agricoles concernant le nombre d'exploitations : ainsi, cette étude montrait que 48 exploitations ne correspondaient en réalité qu'à 20 unités réelles de production et de gestion, dont une dizaine dépassait les 500 hectares.
L'affaire de la vente à des investisseurs chinois, à travers une société, de 1 600 hectares de terres dans le Berry, sans possibilité d'intervention de la SAFER, a fait brutalement prendre conscience que la France ne s'était pas dotée d'instruments juridiques permettant d'empêcher des acquisitions non souhaitées de terres par des investisseurs hors du monde agricole .
La loi d'avenir agricole de 2014 avait étendu le droit de préemption des SAFER mais elle n'aurait pas suffi à empêcher l'opération incriminée, non seulement parce que ses dispositions n'étaient pas encore entrées en vigueur au moment de celle-ci, mais aussi parce qu'elle ne prévoyait pas de droit de préemption des SAFER sur des cessions partielles de parts sociales de sociétés agricoles.
* 3 Augmentation de la part des terres agricoles en location : échec ou réussite de la politique foncière ? par Frédéric Courleux - Centre d'études et de prospective du ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt - Mars 2013.
* 4 L'agriculture familiale en France métropolitaine : éléments de définition et de quantification - Centre d'études et de prospective du ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt - Mai 2016.