CHAPITRE II - PROTECTION DE L'IDENTITÉ DE CERTAINS AGENTS INTERVENANT DANS LES PROCÉDURES PÉNALES ET DOUANIÈRES AINSI QUE DES SIGNATAIRES DE DÉCISIONS ADMINISTRATIVES FONDÉES SUR DES MOTIFS EN LIEN AVEC LA PRÉVENTION D'ACTES DE TERRORISME
Sur proposition de son rapporteur, votre commission a adopté l' amendement COM-32 qui apporte des précisions rédactionnelles à l'intitulé du chapitre II du projet de loi.
Article 2 (art. 15-4 [nouveau] du code de procédure pénale et art. 55 bis [nouveau] du code des douanes) - Protection de l'identité de certains agents intervenant dans les procédures judiciaires et douanières
Constituant également l'un des engagements pris par le ministre de l'intérieur en octobre 2016, l'article 2 élargit les conditions dans lesquelles les agents intervenant dans le cadre d'une procédure judiciaire peuvent protéger leur identité et faire mention, en lieu et place de leurs nom et prénom, d'un numéro d'identification, de leur qualité et de leur service ou unité d'affectation. Ce dispositif s'inspire du régime prévu par l'article 706-24 du code de procédure pénale, créé par la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 78 ( * ) , dont le bénéfice est réservé aux seuls officiers et agents de police judiciaire spécialement chargés de la lutte contre le terrorisme.
Le régime d'anonymat des enquêteurs de
l'article 706-24
En application de ce dispositif, les officiers et agents de police judiciaire, affectés dans les services de police judiciaire spécialement chargés de la lutte contre le terrorisme, peuvent être nominativement autorisés par le procureur général près la cour d'appel de Paris à procéder aux investigations relatives aux infractions constituant des actes de terrorisme, en s'identifiant par leur numéro d'immatriculation administrative. Ils peuvent alors être autorisés à déposer ou à comparaître comme témoins sous ce même numéro. Leur état civil ne peut être communiqué que sur décision du procureur général près la cour d'appel de Paris. Il est également communiqué, à sa demande, au président de la juridiction de jugement saisie des faits. Les sanctions pénales prévues à l'article 706-84 du code de procédure pénale sont applicables en cas de révélation de l'identité de ces officiers ou agents de police judiciaire, exception faite du cas de communication sur décision du procureur général de la cour d'appel de Paris ou du président de la juridiction de jugement. Aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement d'actes de procédure effectués par des enquêteurs ayant bénéficié de ce régime d'anonymat et dont l'état civil n'aurait pas été communiqué, à sa demande, au président de la juridiction saisie des faits. Les mesures d'application de ce dispositif (article R. 50-29 du code de procédure pénale) prévoient qu'il est tenu, au parquet général de la cour d'appel de Paris, un registre coté et paraphé dans lequel sont mentionnées les autorisations de s'identifier par leur numéro d'immatriculation administrative délivrées par le procureur général de Paris aux officiers ou agents de police judiciaire et auquel sont annexées les copies de ces autorisations. Les numéros d'immatriculation administrative sont donnés par le chef du service. Ils peuvent être différents pour chaque procédure à laquelle participent les officiers ou agents de police judiciaire. Ces numéros sont mentionnés, pour chaque procédure, dans un registre coté et paraphé détenu par le service, registre auquel sont annexées les autorisations. Les autorisations sont valables pendant toute la durée de l'affectation des officiers ou agents de police judiciaire dans le service. Selon les précisions fournies par l'étude d'impact du présent projet de loi, ces dispositions, qui concernent au premier chef les trois principaux services de police judiciaire chargés de la lutte antiterroriste 79 ( * ) , n'ont pas été mises en oeuvre jusqu'en 2014, malgré les demandes de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), en raison de la définition d'une doctrine d'application assez stricte par la cour d'appel de Paris. Cette doctrine a ensuite été assouplie, sur demande du ministère de la justice, et le dispositif est monté en puissance au cours des deux dernières années. Au début de l'année 2016, la direction générale de la police nationale (DGPN) a saisi le ministère de la justice d'une demande d'extension du bénéfice de ces dispositions pour les enquêteurs affectés dans les services territoriaux de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) dès lors qu'ils sont amenés à traiter d'affaires de terrorisme, demande relayée auprès de la cour d'appel de Paris. Au total, le dispositif prévu par l'article 706-24 bénéficie actuellement à 963 enquêteurs spécialisés (727 enquêteurs de la DGSI, 131 de la sous-direction antiterroriste (SDAT), 100 de la brigade criminelle de la préfecture de police de Paris et 5 de la section de recherche de Pau). Il devrait prochainement être procédé à l'extension demandée par la DGPN pour les enquêteurs des services territoriaux. |
Aux fins de création d'un dispositif pouvant être appliqué de manière plus large à des agents intervenant dans le cadre de procédures pénales, il est prévu d'insérer un nouvel article 15-4 dans le code de procédure pénale.
• Les agents concernés
Seraient éligibles à ce dispositif, les agents de la police et de la gendarmerie nationales 80 ( * ) , mais également les agents des douanes et les agents des services fiscaux habilités à effectuer des enquêtes judiciaires en application des articles 28-1 et 28-2 du code de procédure pénale. En outre, conformément aux dispositions du nouvel article 55 bis du code des douanes résultant du II du présent article, l'ensemble des douaniers seraient susceptibles de bénéficier du dispositif dans le cadre des procédures engagées sur le fondement du code des douanes.
Selon les précisions fournies par l'étude d'impact du projet de loi, ces dispositions seraient applicables : - pour les agents de la police nationale, à tout agent susceptible d'apparaître dans une procédure judiciaire, à savoir : aux fonctionnaires des corps de conception et de direction, de commandement et d'encadrement et d'application en qualité d'OPJ et d'APJ mais également à ceux d'entre eux qui ont le statut d'agent de la force publique (perte de la qualification judiciaire au cours des missions de maintien de l'ordre public 81 ( * ) comme les agents du RAID), aux personnels administratifs et de police technique et scientifique (PATS) et aux adjoints de sécurité (ADS) ; - pour les personnels militaires de la gendarmerie nationale, en sus de ceux ayant la qualité d'OPJ, d'APJ et d'APJA, à tous ceux qui peuvent intervenir dans une mission judiciaire. Sont visés les militaires qui ont le statut d'agent de la force publique (GIGN, antennes GIGN, la gendarmerie mobile, la garde républicaine). Pour les personnels civils de la gendarmerie nationale, il s'agirait notamment des « experts » (Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) notamment) qui réalisent des rapports qui sont annexés à la procédure ; - aux agents de la douane judiciaire prévus par l'article 28-1 du code de procédure pénale et aux agents des services fiscaux prévus par l'article 28-2 de ce code qui, même s'ils n'ont pas la qualité d'officiers de police judiciaire, disposent des mêmes prérogatives que ces derniers pour mener, dans les domaines infractionnels limitativement énumérés par ces articles, des enquêtes de police judiciaire à l'occasion desquelles ils peuvent être exposés aux mêmes menaces que les enquêteurs de la police ou de la gendarmerie nationales. |
• La procédure de délivrance de l'autorisation
Contrairement au dispositif de l'article 706-24 qui confie la responsabilité de cette prérogative à l'autorité judiciaire, les agents pourraient être autorisés à bénéficier de ces dispositions relatives à l'anonymat sur décision de leur responsable hiérarchique défini par décret, le projet de loi précisant que celui-ci doit être « d'un niveau suffisant ». Par l' amendement COM-33 de son rapporteur, votre commission a supprimé cette précision dont elle a estimé qu'elle n'apportait aucune garantie : il appartiendra au pouvoir réglementaire de définir le niveau hiérarchique adéquat. Sollicité par votre rapporteur, le ministère de l'intérieur lui a précisé que cette prérogative serait confiée, pour la police, au directeur départemental de la sécurité publique ou à son adjoint et, pour la gendarmerie, au commandant de groupement ou à son adjoint. Le texte précise que le procureur de la République territorialement compétent serait rendu destinataire de la copie des autorisations.
Cette autorisation pourrait être délivrée dans le cas où la révélation de l'identité de l'agent serait susceptible, compte tenu des conditions d'exercice de sa mission ou de la nature des faits qu'il constate habituellement, de mettre en danger sa vie ou son intégrité physique ou celles de ses proches .
• Le champ d'application
La délivrance de l'autorisation permettrait à son bénéficiaire de s'identifier, en lieu et place de ses nom et prénom, par un numéro d'immatriculation administrative, sa qualité et son service ou unité d'affectation.
Cette identification anonymisée pourrait être utilisée dans tous les actes de procédure portant sur un crime ou un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement , le seuil pour les délits ayant été retenu par référence avec celui à partir duquel est applicable la détention provisoire.
À l'issue de ses auditions et au regard des arguments qui lui ont été présentés à cette occasion, votre rapporteur a proposé à votre commission, qui l'a accepté avec l' amendement COM-35 , ainsi qu'avec l' amendement identique COM-6 présenté par M. Jean-Pierre Grand et plusieurs de ses collègues, de supprimer la limitation du bénéfice de ces dispositions, pour les délits, à ceux qui sont punis d'au moins trois ans d'emprisonnement compte tenu de la porosité qui existe entre les procédures pénales justifiant l'application de l'anonymat.
Les bénéficiaires d'une telle autorisation seraient également autorisés à déposer ou à comparaître comme témoin, au cours de l'enquête ou devant les juridictions d'instruction ou de jugement, et à se constituer partie civile, en utilisant ces mêmes éléments d'identification qui sont seuls mentionnés dans les procès-verbaux, citations, convocations, ordonnances, jugements ou arrêts.
Ce dispositif ne serait pas applicable dans le cas où l'agent bénéficiaire d'une autorisation serait, à raison d'un acte commis dans l'exercice de ses fonctions, entendu en audition libre (article 61-1 du code de procédure pénale) ou en garde à vue (article 62-2 du même code) ou ferait l'objet d'une procédure pénale.
• Conséquences procédurales
Outre le procureur de la République, les juridictions d'instruction ou de jugement saisies des faits auraient accès aux nom et prénom de l'agent s'étant identifié par son immatriculation administrative.
Dans le cas où une partie à une procédure souhaiterait obtenir, par requête écrite et motivée, communication des nom et prénom de l'agent, il appartiendrait, selon les cas, au juge d'instruction, au président de la juridiction de jugement ou au procureur de la République dans le cadre de l'article 77-2 du code de procédure pénale 82 ( * ) de décider des suites à donner à la demande. Cette demande serait prise, après avis du ministère public pour les informations judiciaires et procédures devant les juridictions de jugement, en tenant compte, d'une part, de la menace que la révélation de l'identité ferait peser sur la vie ou l'intégrité physique du bénéficiaire ou celles de ses proches et, d'autre part, de la nécessité de révéler ces informations pour l'exercice des droits de la défense.
Comme souligné par l'étude d'impact, conformément aux dispositions de droit commun, la décision du juge d'instruction ou de la juridiction de jugement pourra être contestée en cas d'appel (soit par appel devant la chambre de l'instruction de la décision motivée de refus du juge d'instruction qui serait prise en application de l'article 82-1 du code de procédure pénale, soit devant la chambre des appels correctionnels en cas d'appel d'une condamnation correctionnelle, soit par une nouvelle demande formée devant le président de la cour d'assises statuant en appel). La décision du procureur de la République prise en application de l'article 77-2 ne pourrait en revanche pas être contestée.
En outre, le projet de loi prévoit une procédure conciliant office du juge, respect du contradictoire et protection de l'identité de la personne, en cas de demande d'annulation d'un acte de procédure fondée sur la violation des formes prescrites par la loi dont l'appréciation nécessite la révélation de l'identité des personnes. Ainsi, en cas de demande d'annulation d'un acte de procédure fondée sur la violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou sur l'inobservation des formalités substantielles dont l'appréciation nécessite la révélation des nom et prénom des bénéficiaires d'une telle autorisation, le juge d'instruction, le président de la chambre de l'instruction ou le président de la juridiction de jugement statueront sans verser ces éléments au débat contradictoire ni indiquer les nom et prénom des personnes concernées dans leur décision.
• Sanctions pénales
Hors les cas dans lesquels elle serait décidée par une autorité judiciaire compétente, la révélation de l'identité du bénéficiaire d'une autorisation d'anonymisation délivrée sur le fondement de l'article 15-4 du code de procédure pénale serait passible des mêmes sanctions pénales que celles qui sont prévues pour la procédure de protection des enquêteurs compétents en matière de répression du terrorisme 83 ( * ) :
- cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour la révélation de l'identité ou de tout élément permettant l'identification personnelle ou la localisation du bénéficiaire ;
- sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende dans le cas où la révélation a entraîné des violences à l'encontre du bénéficiaire, de son conjoint, de ses enfants ou de ses ascendants directs ;
- dix ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende quand la révélation a entraîné la mort du bénéficiaire ou de son conjoint, de ses enfants ou de ses ascendants directs, sans préjudice de l'application des peines qui résulteraient d'une condamnation prise sur le fondement des dispositions du code pénal relatives aux atteintes à la vie 84 ( * ) .
Outre des améliorations rédactionnelles, l' amendement COM-41 de votre commission, présenté par son rapporteur, écarte explicitement les sanctions pénales dans le cas où la révélation de l'identité serait ordonnée par le juge d'instruction, le président de la juridiction de jugement ou le procureur de la République à la suite d'une requête formulée par une partie à la procédure, conformément aux dispositions présentées ci-avant.
• Conformité du dispositif aux exigences conventionnelles et constitutionnelles
L'étude d'impact indique tout d'abord que les dispositions de l'article 706-24 du code de procédure pénale sur l'anonymat des enquêteurs chargés de la lutte antiterroriste n'ont jamais été sérieusement contestées à l'occasion de procédures pénales. Cette affirmation doit cependant être nuancée au regard du fait que ce régime d'anonymat ne trouve réellement à s'appliquer que depuis l'année 2014.
Par ailleurs, il est également précisé que le recours à la procédure d'anonymat des enquêteurs est généralisé en Espagne, au regard des spécificités de la lutte contre le terrorisme basque. Toutefois, le Gouvernement souligne que les dispositions de la législation espagnole n'ont jamais été portées ni devant le Tribunal constitutionnel ni devant la Cour européenne des droits de l'homme.
Il n'en reste pas moins que la CEDH a déjà rendu plusieurs décisions dans le domaine du recours aux mesures d'anonymisation des fonctionnaires de police au regard du droit au procès équitable (article 6 de la convention), qui sont développées dans l'étude d'impact du projet de loi.
Ainsi, l'identification des agents par un numéro doit être au premier chef liée à la nature des missions qu'ils exercent et non à leur seule qualité de fonctionnaire (CEDH - Lüdi c/Suisse - 6 décembre 1990). Par ailleurs, la force probante des documents et témoignages produits par des fonctionnaires bénéficiant d'un tel anonymat est diminuée. Ainsi, si la CEDH a admis que, dans certaines circonstances, des dépositions anonymes puissent être utilisées pour asseoir une condamnation (CEDH - Doorson c/Pays-Bas, 26 mars 1996), elle souligne invariablement qu'une condamnation ne peut se fonder uniquement, ni dans une mesure déterminante, sur des déclarations anonymes. S'agissant plus particulièrement du témoignage des policiers anonymes, à l'occasion de son arrêt Van Michelen et autres c/Pays-Bas du 23 avril 1997, la CEDH a jugé, §56, que « la mise en balance des intérêts de la défense et des arguments militant en faveur du maintien de l'anonymat des témoins pose des problèmes particuliers si les témoins en question appartiennent aux forces de police de l'État. Si les intérêts de ces derniers - comme évidemment ceux de leurs familles - méritent eux aussi la protection de la Convention, il faut reconnaître que leur situation diffère quelque peu de celle d'un témoin désintéressé ou d'une victime. Ils ont un devoir général d'obéissance envers les autorités exécutives de l'État, ainsi d'ordinaire que des liens avec le ministère public ; pour ces seules raisons déjà, il ne faut les utiliser comme témoins anonymes que dans des circonstances exceptionnelles. De surcroît, il est dans la nature des choses que parmi leur devoir figure, spécialement dans le cas de policiers investis de pouvoirs d'arrestation, celui de témoigner en audience publique . » De la même manière, dans l'affaire Kostovski c/Pays-Bas du 20 novembre 1989, la CEDH a jugé qu'en soi, le témoignage anonyme n'était pas contraire à la convention européenne des droits de l'homme, mais que son utilisation pouvait méconnaître le principe du procès équitable dans la mesure où, « si la défense ignore l'identité d'un témoin, elle peut être dans l'incapacité d'établir qu'il est partial, hostile ou indigne de foi ». Toutefois, la plupart de ces décisions ont été rendues dans des hypothèses de témoignage totalement anonymes ou d'intervention d'enquêteurs non identifiés ni identifiables, et non dans l'hypothèse, juridiquement et pratiquement différente, de l'intervention d'un enquêteur qui n'est nullement anonyme, puisqu'il est précisément identifié - et qu'une confrontation directe entre lui et l'accusé est notamment possible sans aucune difficulté - mais que cette identification ne se fait pas par référence à ses nom et prénom, mais uniquement à un numéro administratif unique, à sa qualité et à son service ou unité d'affectation. Source : page 43 de l'étude d'impact du projet de loi |
S'agissant du cadre constitutionnel national, l'étude d'impact s'appuie sur une analyse de la décision du Conseil constitutionnel sur la loi relative à la géolocalisation 85 ( * ) , tout en indiquant que cette décision « n'est pas transposable à celle d'un enquêteur identifié par un numéro administratif » dans la mesure où « elle porte sur des éléments de preuve dont il était envisagé de cacher à l'accusé les conditions dans lesquelles ils avaient été réunis, ce qui a été jugé contraire à la Constitution ».
Votre rapporteur considère ainsi que les dispositions soumises à l'examen du législateur effectuent une conciliation qui n'apparaît pas manifestement déséquilibrée entre les intérêts en présence, en l'occurrence la protection des enquêteurs et le respect des droits de la défense. Il relève en effet que les autorités judiciaires disposeront des moyens de connaître l'identité des bénéficiaires des autorisations d'anonymisation et se verront reconnaître la faculté de lever cet anonymat en opérant une analyse des intérêts contradictoires en présence. Il lui apparaît par conséquent qu'un tel dispositif garantit le respect des droits de la défense et le droit à un procès équitable et en approuve l'économie générale.
Convaincue par une telle analyse, votre commission en partage l'esprit et a adopté, outres les amendements COM-33, COM-35, COM-6 et COM-41 présentés ci-dessus, 7 amendements ayant essentiellement une portée rédactionnelle ( amendements COM-34, COM-36, COM-37, COM-38, COM-39, COM-40 et COM-42 ).
Votre commission a adopté l'article 2 ainsi modifié .
Article 3 (art. L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration et art. L. 5 et L. 773-9 [nouveau] du code de justice administrative) - Protection de l'identité des signataires de décisions administratives en lien avec la prévention d'actes de terrorisme
L'article 3 permet d'assurer les conditions de l'anonymat des signataires de décisions administratives fondées sur des motifs en lien avec le terrorisme.
• Le principe de transparence des auteurs de décisions administratives
Le principe général posé par l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration est que « toute personne a le droit de connaître le prénom, le nom, la qualité et l'adresse administratives de l'agent chargé d'instruire sa demande ou de traiter l'affaire qui la concerne ; ces éléments figurent sur les correspondances qui lui sont adressées ». Il en résulte, selon les termes de l'article L. 212-1 du même code, que « toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ».
Ce principe de transparence connaît cependant une exception permettant de respecter l'anonymat de l'agent, prévue par l'article L. 111-2, si des motifs intéressant la sécurité publique ou la sécurité des personnes le justifient. Cette exception a cependant vocation à concerner les agents en charge de l'instruction d'un dossier ou du traitement d'une affaire et ne s'étend pas aux signataires des décisions, dont la compétence doit pouvoir être vérifiée par les mentions relatives à leur identité et qualité.
• La nécessité d'une protection des signataires de certaines décisions
La politique de lutte antiterroriste menée par les autorités s'appuie, aux côtés de la répression judiciaire des infractions terroristes, sur un important volet préventif mis en oeuvre par l'administration. Il en résulte que de nombreuses décisions de police administrative sont prises dans le cadre de cette politique préventive, qu'il s'agisse des interdictions de sortie du territoire 86 ( * ) , des interdictions administratives du territoire 87 ( * ) , d'expulsions du territoire français 88 ( * ) , des mesures de gel d'avoirs 89 ( * ) ou des nombreuses mesures prises par les autorités administratives compétentes dans le cadre de l'état d'urgence 90 ( * ) . Compte tenu de la sensibilité de ces mesures, de la dangerosité potentielle des individus qu'elles visent et des risques de rétorsion qui pèsent sur leurs signataires, il apparaît utile de prévoir des dispositions spécifiques permettant de garantir l'anonymat des signataires de mesures fondées sur des motifs en lien avec le terrorisme.
• Le dispositif d'anonymisation
À cet effet, l'article 3 du projet de loi complète l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration par un second alinéa qui dispose que les décisions fondées sur des motifs « en lien avec le terrorisme », expression que votre commission vous propose, par l' amendement COM-43 du rapporteur, de remplacer par « en lien avec la prévention d'actes de terrorisme », sont prises dans les conditions qui préservent l'anonymat de leur signataire. En pratique, la personne faisant l'objet de la décision se verra communiquer une ampliation anonyme de l'acte, l'original étant conservé par l'administration.
Comme le souligne l'étude d'impact du projet de loi, une telle possibilité est déjà admise par la jurisprudence qui admet que « dès lors que l'original de la décision comporte, en caractères lisibles, les mentions prévues par la loi, la circonstance que l'ampliation de cette décision notifiée ne comporte pas la signature de l'auteur de l'acte attaqué ou son identité est sans influence sur la légalité de cet acte » 91 ( * ) .
• L'aménagement de la procédure contentieuse
Afin de garantir à ces dispositions leur pleine efficacité, il convient par ailleurs d'aménager les règles procédurales applicables en cas de contestation de la légalité d'une telle décision devant les juridictions administratives. En effet, l'anonymat ne pourrait être respecté si, dans le cadre d'une telle procédure, l'identité de l'auteur de la décision était versée par le juge administratif au débat contradictoire.
Par conséquent, à l'instar de ce qu'avait prévu le législateur dans le cadre de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement 92 ( * ) pour le contentieux de la mise en oeuvre des techniques de renseignement et des fichiers intéressant la sûreté de l'État 93 ( * ) , l'article 3 du projet de loi aménage les règles du contradictoire définies à l'article L. 5 du code de justice administrative, en prévoyant que les exigences de la contradiction sont adaptées à celles tenant à l'urgence (ce qui constitue le droit en vigueur), au secret de la défense nationale et à la protection de la sécurité des personnes.
Puis, un chapitre spécifique, composé d'un unique article L. 773-9, serait inséré dans le code de justice administrative pour définir les règles contentieuses applicables aux décisions administratives fondées sur des motifs en lien avec la « prévention d'actes de terrorisme » selon la rédaction retenue par votre commission avec l' amendement COM-43 . Ces dispositions permettent à l'administration, dans le cadre d'un recours formé contre une décision préservant l'anonymat du signataire, de produire la décision signée ainsi que la justification de la compétence du signataire à la juridiction qui statue sur ces moyens sans communiquer ces éléments dans le cadre du débat contradictoire ni indiquer l'identité du signataire dans sa décision.
L'étude d'impact du projet de loi précise à cet égard que cette exception d'asymétrie dans le contradictoire « n'altère pas les droits de la défense dès lors que le contrôle opéré par le juge est objectif et formel ». Elle souligne également qu'elle a été « admise par la jurisprudence européenne, au regard des motifs impérieux propres à la lutte anti-terroriste, par la jurisprudence Kadi II » 94 ( * ) et qu'elle « est mise en oeuvre dans le règlement de procédure du Tribunal de l'Union en vigueur depuis le 1 er juillet 2015 dans une nouvelle section relative au Traitement des renseignements, des pièces et des documents confidentiels produits dans le cadre des mesures d'instruction ».
Votre rapporteur ne peut que souscrire au bien-fondé des mesures proposées par l'article 3 et propose par conséquent leur adoption, sous réserve des précisions rédactionnelles présentées ci-dessus.
Votre commission a adopté l'article 3 ainsi modifié .
* 78 Loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers.
* 79 Direction générale de la sécurité intérieure, sous-direction antiterroriste de la direction centrale de la police judiciaire et brigade criminelle de la préfecture de police de Paris.
* 80 Cette formulation étant ainsi susceptible de concerner l'ensemble des personnels des deux forces de sécurité intérieure, c'est-à-dire non seulement les fonctionnaires des services actifs de la police nationale ou les militaires de la gendarmerie nationale, mais également les personnels techniques et scientifiques intervenant dans les procédures judiciaires.
* 81 En vertu des articles 16 (pour les OPJ) et 20 (pour les APJ) du code de procédure pénale, l'exercice des attributions de police judiciaire est momentanément suspendu pendant le temps où l'officier ou l'agent participe, en unité constituée, à une opération de maintien de l'ordre.
* 82 Procédure résultant de l'article 56 de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 précitée en vertu de laquelle un accès au dossier est désormais possible dans le cadre des enquêtes préliminaires les plus longues pour les personnes ayant fait l'objet d'une audition libre ou d'une garde à vue.
* 83 Lesquelles sanctions pénales sont identiques à celles prévues par l'article 706-84 du code de procédure pénale applicable en cas de révélation de l'identité réelle d'officiers ou d'agents de police judiciaire ayant effectué une opération d'infiltration sous une identité d'emprunt.
* 84 Dans le cas par exemple où la personne ayant révélé les informations serait reconnue coupable de complicité d'homicide.
* 85 Décision n° 2014-693 DC du 25 mars 2014 dans laquelle le Conseil a précisé qu'une information mettant en cause une personne ne peut pas constituer un élément de preuve devant la juridiction répressive si la personne mise en cause est privée de la possibilité de contester les conditions dans lesquelles elle a été recueillie.
* 86 Article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure.
* 87 Articles L. 214-1 à L. 214-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
* 88 Articles L. 521-1 à L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
* 89 Article L. 562-1 du code monétaire et financier.
* 90 Loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence.
* 91 Conseil d'État, 22 février 2002, Senina, req. no 231414, Lebon T. 773 ; Conseil d'État, 29 janvier 2016, n° 396449 ; Cour administrative d'appel de Paris, 8 juillet 2016, n°16PA01153.
* 92 Loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement.
* 93 Procédure prévue aux articles L. 773-1 à L. 773-8 du code de justice administrative.
* 94 Cour de justice de l'Union européenne, 18 juillet 2012, Kadi II, aff C-584/10 P.