EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
À partir de 2017, les députés et les sénateurs puis, à compter de 2019, les députés européens, ne pourront plus cumuler leur mandat parlementaire avec une fonction exécutive locale. Ils pourront en revanche conserver un mandat local.
Les débats parlementaires sur les deux lois du 14
février 2014, souvent très vifs, ont mis en exergue la crainte
que les parlementaires ne deviennent « hors sol »,
c'est-à-dire déconnectés de la vie publique
locale
- notamment pour les sénateurs qui, en vertu du
quatrième alinéa de l'article 24 de la Constitution,
assurent «
la représentation des collectivités
territoriales de la République
» - d'où un
amoindrissement de leur rôle au sein des institutions de la
République.
Afin de conjurer ces craintes, des réflexions ont été engagées pour conserver aux parlementaires un rôle dans la vie institutionnelle de leur territoire et une familiarité avec les sujets locaux - proximité indispensable à l'exercice de leurs missions législatives et de contrôle.
C'est l'objet de la présente proposition de loi, présentée par MM. Yannick Botrel, René Vandierendonck et plusieurs de leurs collègues, soumise à l'examen de votre Haute Assemblée qui propose de définir des « modalités d'association des parlementaires à la vie politique et institutionnelle locale, dans une perspective de meilleure prise en considération des retours de terrain et des expériences locales ».
Il semble un peu tardif de s'aviser des effets possibles de l'interdiction du cumul des mandats qu'il aurait mieux valu prendre en compte lors du vote des lois considérées. En outre, la réponse proposée par ce texte apparaît bien modeste au regard des enjeux légitimes soulevés par les auteurs de la proposition de loi. Si le rôle des députés et des sénateurs va nécessairement évoluer avec l'application des lois du 14 février 2014, il n'est pas certain que l'institutionnalisation de la présence des parlementaires au sein de commissions locales renforcera leur rôle au niveau local. Par ailleurs, certaines dispositions soulèvent de nombreuses réserves de la part des élus locaux qui craignent une ingérence des parlementaires dans la vie publique locale.
I. LA FIN DU CUMUL D'UN MANDAT PARLEMENTAIRE AVEC UNE FONCTION EXÉCUTIVE LOCALE : LA CRAINTE DE PARLEMENTAIRES « HORS SOL »
A. LE CUMUL DES MANDATS NATIONAUX ET LOCAUX : UNE SPÉCIFICITÉ FRANÇAISE ENCADRÉE
1. Une pratique ancienne de la tradition politique française
Le cumul, par un élu, d'un mandat parlementaire avec une fonction exécutive locale, est ancien et concerne aujourd'hui la plupart des députés et sénateurs.
Pendant plusieurs décennies, aucune règle limitant le cumul des mandats n'était prévue puisqu'étaient distinguées les élections dites « politiques » au niveau national - les parlementaires participant à l'expression de la souveraineté nationale - des élections dites « administratives », l'élu local administrant au plan local une collectivité, sans disposer d'une réelle autonomie à l'égard du pouvoir central. Notre collègue, M. Simon Sutour 1 ( * ) , relevait que « le cumul des mandats était largement admis comme une conséquence du degré avancé de centralisation du pays dans l'histoire nationale. » En outre, le cumul d'un mandat parlementaire avec un mandat local permettait aux députés et aux sénateurs de bénéficier d'un statut, avant que ne soient adoptées les dispositions composant aujourd'hui le statut de l'élu local.
La France se singularise, au niveau européen, par le cumul des mandats nationaux et locaux. M. Simon Sutour relevait qu'en 2012, 82 % des députés et 77 % des sénateurs exerçaient au moins un autre mandat électif, le plus souvent à la tête d'un exécutif local : 45 % des députés et 48 % des sénateurs étaient soit maire, soit président de conseil départemental, soit président de conseil régional. En d'autres termes, si, dans la plupart des États européens, la proportion de parlementaires disposant également d'un mandat local n'excède pas 20 % - 16 % des parlementaires en Italie, 15 % en Espagne, 13 % en Grande-Bretagne et 10 % en Allemagne - elle concerne 80 % des parlementaires français.
2. Un encadrement progressif du cumul des mandats
Le législateur est progressivement intervenu pour limiter le cumul des mandats.
En 1985, a été posé le principe d'une limitation de cumul des mandats locaux 2 ( * ) : un parlementaire ne pouvait cumuler son mandat national qu'avec un seul mandat local ou fonction exécutive locale prévu sur une liste.
Puis la loi organique n° 2000-294 du 5 avril 2000 relative aux incompatibilités entre mandats électoraux et la loi n° 2000-295 du 5 avril 2000 relative à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice ont posé les principales règles encore applicables aujourd'hui en matière de cumul des mandats.
Il est ainsi interdit d'être à la fois député et sénateur 3 ( * ) , député ou sénateur et député européen 4 ( * ) .
En outre, un député, un sénateur ou un député européen ne peut exercer plus d'un des mandats suivants : conseiller régional, conseiller départemental, conseiller de Paris, conseiller à l'assemblée de Corse, conseiller municipal d'une commune d'au moins 1 000 habitants 5 ( * ) . Le cumul entre un mandat de parlementaire national ou européen et une fonction exécutive locale (président de conseil régional, président de conseil départemental, président du conseil exécutif de Corse, maire ou maire d'arrondissement) est toutefois autorisé.
En revanche, les fonctions de président de conseil régional, président du conseil exécutif de Corse, président de conseil départemental, maire et maire d'arrondissement sont incompatibles 6 ( * ) .
Enfin, il n'est pas possible de cumuler plus de deux mandats locaux parmi ceux de conseiller régional, conseiller à l'assemblée de Corse, conseiller départemental, conseiller de Paris, conseiller municipal. Ces interdictions n'empêchent pas a priori l'élection, mais elle impose a posteriori un choix au député ou au sénateur concerné.
S'agissant des députés européens et des élus locaux, ils ont l'obligation d'abandonner leurs mandats les plus anciens.
À ces limitations légales, de nombreux gouvernements ont instauré dans les faits de nouvelles interdictions de cumul. Ainsi, les ministres doivent renoncer à leurs fonctions exécutives locales. Certains partis politiques ont par ailleurs adopté des règles de non-cumul des mandats (limitation du cumul dans le temps ou selon la nature des fonctions exercées) qui s'imposent à leurs membres élus.
L'application des règles de cumul des mandats
électoraux
et des fonctions électives
CUMUL « HORIZONTAL » |
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Un député ne peut exercer un mandat de sénateur. |
art. L.O. 137
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Un sénateur ne peut exercer un mandat de député. |
art. L.O. 297
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Un député ou un sénateur ne peut exercer un mandat de représentant au Parlement européen. |
art. L.O. 137-1
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- un conseiller régional, un conseiller à l'assemblée de Corse, un conseiller à l'assemblée de Guyane, un conseiller à l'assemblée de Martinique, un conseiller territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon, un conseiller territorial de Saint-Martin, un conseiller territorial de Saint-Barthélemy, un membre d'une assemblée de province de la Nouvelle-Calédonie, un membre de l'assemblée de la Polynésie française ou un membre de l'assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna ; - un conseiller départemental, un conseiller de Paris ; - un conseiller municipal ; ne peut exercer au maximum qu'un autre de ces mandats. |
art. L. 46-1
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Un président de conseil régional, un président de l'assemblée de Corse, un président de conseil départemental, un maire ou un maire d'arrondissement ne peut exercer une autre de ces fonctions. |
art. L. 2122-4, L. 2511-25, L. 3122-3,
L. 4133-3, L. 4422-19
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CUMUL « VERTICAL » |
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Un député, un sénateur ou un représentant au Parlement européen peut exercer au maximum un mandat de : - conseil régional, conseiller à l'Assemblée de Corse, conseiller à l'Assemblée de Guyane, conseiller à l'Assemblée de Martinique, conseiller territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon, conseiller territorial de Saint-Martin, conseiller territorial de Saint-Barthélemy, membre d'une assemblée de province de la Nouvelle-Calédonie, membre de l'assemblée de la Polynésie française ou membre de l'assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna ; - conseil départemental ou conseiller de Paris ; - conseiller municipal d'une commune d'au moins 1 000 habitants. |
art. L.O. 141
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Un député ou un sénateur ne peut exercer la fonction de : - maire, de maire d'arrondissement, de maire délégué et d'adjoint au maire ; - président et de vice-président d'un établissement public de coopération intercommunale ; - président et de vice-président de conseil départemental ; - président et de vice-président de conseil régional ; - président et de vice-président d'un syndicat mixte ; - président, de membre du conseil exécutif de Corse et de président et vice-présidents de l'assemblée de Corse ; - président et de vice-président de l'assemblée de Guyane ou de l'assemblée de Martinique ; de président et de membre du conseil exécutif de Martinique ; - président, de vice-président et de membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ; de président et de vice-président du congrès de la Nouvelle-Calédonie ; de président et de vice-président d'une assemblée de province de la Nouvelle-Calédonie ; - président, de vice-président et de membre du gouvernement de la Polynésie française ; de président et de vice-président de l'assemblée de la Polynésie française ; - président et de vice-président de l'assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna ; - président et de vice-président du conseil territorial de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon ; de membre du conseil exécutif de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon ; - président et de vice-président du conseil de la métropole de Lyon ; - président de l'Assemblée des Français de l'étranger, de membre du Bureau de l'Assemblée des Français de l'étranger et de vice-président de conseil consulaire. |
art. L.O. 141-1
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Un représentant au Parlement européen ne peut exercer la fonction de : - maire, de maire d'arrondissement, de maire délégué et d'adjoint au maire ; - président et de vice-président d'un établissement public de coopération intercommunale ; - président et de vice-président de conseil départemental ; - président et de vice-président de conseil régional ; - président et de vice-président d'un syndicat mixte ; - président, de membre du conseil exécutif de Corse et de président et vice-présidents de l'assemblée de Corse ; - président et de vice-président de l'assemblée de Guyane ou de l'assemblée de Martinique ; de président et de membre du conseil exécutif de Martinique ; - président et de vice-président de l'organe délibérant de toute autre collectivité territoriale créée par la loi ; - président de l'Assemblée des Français de l'étranger, de membre du Bureau de l'Assemblée des Français de l'étranger et de vice-président de conseil consulaire. |
art. 6-3 de la
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N.B. : Les incompatibilités prévues au chapitre IV du titre II du livre I er du code électoral pour les députés s'appliquent aux sénateurs en application de l'article L.O. 297 du code électoral. Source : commission des lois du Sénat |
* 1 Rapport n° 832 (2012-2013), consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l12-832/l12-8321.pdf
* 2 Loi organique n° 85-1405 du 30 décembre 1985 tendant à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions électives par les parlementaires.
* 3 Articles L.O. 137 et L.O. 297 du code électoral.
* 4 Article L.O. 137-1 du code électoral.
* 5 Article L.O. 141 du code électoral.
* 6 Article L. 46-1 du code électoral.