EXAMEN EN COMMISSION

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(Mercredi 11 mai 2016)

M. Philippe Bas , président . - Nous allons examiner la proposition de loi, présentée par Mme Assassi et plusieurs de ses collègues, visant à lutter contre les contrôles d'identité abusifs.

M. Alain Marc , rapporteur . - Les dispositions relatives aux contrôles d'identité, complexes, résultent de la sédimentation d'une dizaine de lois adoptées entre 1981 et 2006. Toutefois, l'ensemble est aujourd'hui stabilisé.

Cette proposition de loi, qui redéfinit le critère justifiant un contrôle d'identité opéré dans un cadre de police judiciaire, applicable notamment pour rechercher les auteurs d'une infraction, supprime toutes les autres formes de contrôles d'identité, en particulier pour prévenir les atteintes à l'ordre public, et met en place une expérimentation de délivrance par les agents des forces de l'ordre d'un récépissé aux personnes contrôlés.

Ces dispositions déstabiliseraient massivement le cadre applicable aux contrôles d'identité, pourtant particulièrement nécessaire dans le contexte actuel, et créerait une forte insécurité juridique pour les agents des forces de l'ordre. Je vous proposerai par conséquent de rejeter la proposition de loi.

Le cadre juridique fait coexister plusieurs types de contrôle d'identité. Toute personne présente sur le territoire national peut en faire l'objet. Il se définit, je cite, comme « l'acte d'un agent de l'autorité publique consistant à demander à un particulier, sous les conditions posées par la loi, de justifier son identité aux fins de l'examen du document fourni, en tout lieu où cet agent se trouve légalement » .

Deux types de contrôles d'identité sont habituellement distingués : les contrôles effectués dans le cadre de la police judiciaire, notamment dans le but de rechercher les auteurs d'un délit ou d'un crime ou pour empêcher la commission imminente d'une infraction et les contrôles effectués dans le cadre de la police administrative, qui ne visent pas la répression d'un délit ou d'un crime mais ont pour objet de prévenir une atteinte à l'ordre public. Dans ces deux cas, les contrôles d'identité doivent être motivés par des éléments concrets, rattachables à la personne faisant l'objet du contrôle et non simplement par des considérations générales ou abstraites.

Deux autres procédures permettent de contrôler l'identité de manière systématique : les contrôles sur réquisition du procureur de la République, dans des lieux qu'il définit et pour une durée déterminée, pour prévenir la commission de certaines infractions et les contrôles d'identité dits « Shengen », qui visent à lutter et à prévenir les infractions relatives à la criminalité transfrontalière, dans une bande géographique de vingt kilomètres à partir de la frontière, créés en 1993 à la suite de l'adoption de la convention Schengen du 19 juin 1990.

En complément de ces contrôles, les véhicules et, depuis la loi relative à la sécurité des transports terrestres adoptée le 22 mars dernier, les bagages peuvent être contrôlés selon des procédures plus encadrées.

Dans tous les cas, les contrôles d'identité sont effectués par des agents des forces de l'ordre, policiers ou gendarmes, ayant la qualité d'officiers de police judiciaire (OPJ), d'agents de police judiciaire ou d'agents de police judiciaire adjoints.

Toutes les procédures relatives au contrôle d'identité sont placées sous le contrôle du procureur de la République et le contentieux de ces mesures, qu'elles se rattachent à la police judiciaire ou à la police administrative, relève de la compétence du juge judiciaire.

Le régime des contrôles est aujourd'hui stabilisé. La Cour de cassation a précisé les circonstances particulières pouvant motiver un contrôle d'identité, imposant depuis longtemps des motivations précises et non abstraites : ainsi le seul fait de s'éloigner d'un groupe ne permet pas de caractériser un comportement justifiant un contrôle d'identité. En revanche, une personne changeant de direction à l'arrivée des policiers peut faire l'objet d'un contrôle. Dans un cadre de police judiciaire, un renseignement anonyme ne motive pas à lui seul un contrôle d'identité. En revanche, des éléments concrets confortant ce renseignement peuvent le justifier. Enfin, une personne qui cherche à se dissimuler à la vue d'un véhicule de police peut faire l'objet d'un contrôle d'identité dans le cadre de la police judiciaire.

La proposition de loi présente de très nombreuses difficultés. D'abord, elle supprime le critère qui justifie actuellement un contrôle d'identité dans le cadre de la police judiciaire ; en effet, l'agent devrait justifier de raisons « objectives et individualisées » pour effectuer ce contrôle, ce qui lui imposerait en fait de connaître l'identité de la personne avant même le contrôle, le rendant ainsi inutile et inopérant.

Elle supprimerait surtout l'ensemble des fondements légaux de tous les contrôles d'identité, à l'exception de ceux qui relèvent de la police judiciaire : les contrôles sur réquisition, les contrôles effectués dans un cadre de police administrative et les contrôles «Schengen » disparaîtraient, privant ainsi les forces de l'ordre d'instruments tout à fait essentiels pour prévenir les atteintes à l'ordre public. Incidemment, une représentante du Syndicat de la magistrature a établi une corrélation entre la baisse, dans certains États américains, des contrôles effectués et la baisse des attaques à main armée. Devant mes objections, elle a reconnu l'absence de lien de cause à effet... À titre d'exemple, il ne serait plus possible de procéder à des contrôles d'identité préalablement à une manifestation ou à un rassemblement, alors qu'il est établi que de tels contrôles facilitent le bon déroulement des manifestations. Les conséquences en matière de lutte contre l'immigration irrégulière seraient également assez catastrophiques.

La proposition d'instaurer un récépissé aurait quant à elle des effets pratiques négatifs sur le nombre de contrôles d'identité réalisés. Bien qu'il n'existe aucun chiffre officiel, les évaluations fournies par la gendarmerie ou la police font état de plusieurs millions de contrôles effectués par an. Par conséquent, instaurer un récépissé alourdirait significativement les tâches des forces de l'ordre, pour un bénéfice nul : cela n'empêcherait pas un nouveau contrôle par les forces de l'ordre et ne constituerait pas la preuve d'un traitement discriminatoire. Lors de son audition, le Défenseur des droits a au demeurant reconnu que des moyens alternatifs de traçabilité des contrôles d'identité devaient être expérimentés. Dans les pays où le récépissé a été mis en place, comme aux États-Unis, les relations entre la population jeune et la police ne sont pas forcément meilleures, comme le Défenseur des droits l'a aussi constaté.

De plus, il existe de nombreux mécanismes de lutte contre les pratiques dénoncées par le texte, dont le numéro matricule sur les tenues instauré en 2014 et les plates-formes Internet de signalement permettant de saisir directement les inspections en cas de dysfonctionnement. Ces dernières sont sans doute sous-utilisées, avec 239 faits signalés à l'inspection de la police nationale au cours de 2014 et 2015 - sur des millions de contrôles ! Le code de déontologie et une meilleure formation des agents sont également des réponses efficaces.

Enfin, les caméras mobiles, bientôt généralisées par la loi relative à la simplification de la procédure pénale, aident beaucoup plus que les récépissés à la constitution d'éléments de preuve réels.

Je vous propose de rejeter cette proposition de loi au regard des multiples difficultés juridiques qu'elle pose, de l'ineffectivité probable des mesures proposées et d'un risque accru d'insécurité juridique au détriment des forces de l'ordre, à l'égard desquelles elle marque au demeurant une défiance injustifiée.

M. Philippe Bas , président . - Merci de ce rapport, qui révèle un cadre juridique plus complexe qu'on ne le croit.

Mme Éliane Assassi . - Je m'associe à ces remerciements, tout en regrettant que les auditions du rapporteur n'aient pas été élargies au monde associatif qui se mobilise depuis longtemps sur le sujet.

Notre proposition de loi a été déposée en décembre 2015 ; dans le même temps, nous avons déposé deux amendements reprenant ses dispositions dans la proposition de loi sur la sécurité dans les transports et, en mars dernier, dans le projet de loi relatif à la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme. Enfin, Esther Benbassa avait déposé une proposition de loi en ce sens en 2011, puis Yves Pozzo di Borgo l'année suivante et, à l'Assemblée nationale, Marie-George Buffet. Toutes ces initiatives démontrent qu'il s'agit d'une question importante transcendant les clivages partisans.

Notre texte ne tient pas tant à l'instauration d'un récépissé qu'à notre volonté de mettre fin à une dégradation des relations entre les jeunes et la police. Les forces de l'ordre souffrent de cette dégradation, alors que leurs conditions de travail empirent et qu'elles se trouvent dans des situations engendrant du stress et, parfois, des conflits. Dans mon département, la Seine-Saint-Denis, on envoie les policiers les plus jeunes et les moins expérimentés dans les quartiers difficiles.

De plus, cette initiative fait partie des soixante engagements pris par le candidat Hollande - il est temps de les respecter, d'autant plus que le Président de la République a récemment annoncé sa volonté de les tenir avant la fin de son mandat. Nous espérons donc que nos collègues de gauche apporteront leur vote à cette proposition de loi. N'oublions pas le droit de vote pour les résidents étrangers, promesse qui, c'est une certitude, ne sera pas tenue...

M. Philippe Bas , président . - Si vous prenez une initiative législative en ce sens, nous sommes prêts à l'examiner...

Mme Éliane Assassi . - J'insiste pour que notre proposition de loi soit débattue. Il est urgent de rétablir la sécurité juridique et l'efficacité de ces contrôles en modifiant l'article 78-2 du code de procédure pénale. Les imperfections du dispositif actuel entraînent des dérives et réduisent l'efficacité des autres mesures relatives à l'ordre public, tout en portant atteinte à des principes fondamentaux comme la libre circulation, la protection contre l'arbitraire, la protection de la vie privée ou encore la non-discrimination.

Nous proposons ainsi de réécrire l'article 78-2 en remplaçant les mots « raisons plausibles de soupçonner » par les mots « raisons objectives et individualisées ». Cela donnerait un sens nouveau aux contrôles d'identité et changerait les mentalités. Grâce à la réduction des contrôles, les policiers pourraient être affectés à de véritables enquêtes plutôt qu'à la traque des jeunes.

Le texte introduit également un principe de non-discrimination sur la base de l'article 225-1 du code pénal.

Enfin, nous proposons une expérimentation au titre de l'article 37-1 de la Constitution, consistant à établir un document spécifiant les motifs du contrôle, ainsi que les modalités de garantie de l'anonymat des personnes contrôlées.

Dans le contexte particulier où se trouve notre pays, je vous appelle à voter cette proposition de loi.

Mme Esther Benbassa . - Merci au rapporteur, dont cependant je ne partage pas l'avis sur l'absence de lien entre le récépissé et l'amélioration des relations avec la police. Lorsque j'avais déposé ma proposition de loi en 2011, le Défenseur des droits d'alors avait organisé un colloque avec la participation de policiers venus des États-Unis, d'Espagne et du Royaume-Uni. Lors de ce colloque qui avait duré une journée, les représentants espagnols avaient dit que l'expérimentation du récépissé avait réellement amélioré les relations entre les jeunes et la police dans les quartiers autour de Madrid. Les policiers américains avaient souligné que, malgré leurs craintes initiales vis-à-vis du récépissé, ce dispositif avait fortement réduit l'agressivité lors des contrôles. Ce n'est donc pas une vue de l'esprit.

Un ouvrage publié par deux chercheurs du CNRS, Fabien Jobard et René Lévy, fondé sur une année d'observations à la gare du Nord, a montré la fréquence des contrôles que subissaient les gens de couleur et ceux qui portaient une capuche ; au-dessus de 25 à 30 ans, les femmes, elles, n'étaient plus contrôlées. De même, les hommes âgés, maghrébins ou non, ne l'étaient pas non plus. Le contrôle au faciès est une discrimination. C'est un constat, et non une preuve de défiance à l'égard de la police. Aujourd'hui, dès que l'on ose dire quelque chose à l'encontre de la police, on est accusé d'ingratitude ; or nous apprécions le travail de la police lorsqu'il est bien conduit.

Lors des auditions conduites à l'occasion de l'examen de ma proposition de loi, le ministre d'alors, Manuel Valls, avait promis la mise en place de caméras portatives fixées sur la veste des policiers. C'était un compromis viable, or nous ne voyons rien évoluer, même si la proposition a de nouveau été formulée.

L'État a perdu un procès contre un collectif de personnes qui estimaient avoir été contrôlées abusivement ; il s'est pourvu en cassation. Voilà une nouvelle preuve que le problème ne peut être nié.

Dans le rapport d'information que j'avais rédigé avec Jean-René Lecerf - que l'on ne peut qualifier de gauchiste ! - sur la lutte contre les discriminations, nous recommandions de trouver une solution au phénomène des contrôles au faciès. C'est pour moi l'occasion de rendre hommage à cet homme de droite capable d'écouter ceux qui ne sont pas de son avis.

M. Philippe Bas , président . - Je m'associe à cet hommage.

M. Jacques Bigot . - La proposition de loi d'Éliane Assassi a le mérite d'ouvrir un débat. Le rapporteur a éclairé le contexte juridique. Tout pouvoir porte en germe ses abus : la question est de parvenir à les éviter.

Voici ce que dit l'engagement numéro 30 du candidat Hollande : « Je lutterai contre le "délit de faciès" dans les contrôles d'identité par une procédure respectueuse des citoyens, et contre toute discrimination à l'embauche et au logement. Je combattrai en permanence le racisme et l'antisémitisme. »

M. Pierre-Yves Collombat . - Cela n'engage à rien !

M. Jacques Bigot . - En proposant de remplacer les « raisons plausibles de soupçonner » par les « raisons objectives et individualisées » comme motif du contrôle, vous imposez de fait à l'agent de connaître l'identité de la personne qu'il va contrôler. Vous indiquez que le récépissé n'est pas la disposition essentielle du texte ; en ce cas, autant l'abandonner !

Voici les promesses tenues par le Président : l'entrée en vigueur, au 1 er janvier 2014, du code de déontologie unifié de la police et de la gendarmerie comportant notamment des dispositions contre le contrôle au faciès ; des formations théoriques et pratiques sur les contrôles et les palpations ; un numéro individuel d'immatriculation des policiers et des gendarmes ; enfin une plate-forme Internet de signalement.

Quant aux relations entre les jeunes et la police dans les quartiers difficiles, les élus locaux participent aux cellules de veille et aux conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance : c'est là qu'ils peuvent alerter les responsables de la police sur d'éventuels abus de pouvoir.

Le projet de loi contre la criminalité organisée et le terrorisme qui sera discuté cet après-midi par la commission mixte paritaire prévoit la mise en place de caméras portatives. Nous avions proposé que l'enregistrement puisse être également déclenché à l'initiative de la personne contrôlée ; cela n'a pas été voté, mais c'est une voie à explorer.

Voilà ce qui reste de votre texte : un récépissé qui va compliquer la tâche de la police et dont vous reconnaissez qu'il n'est pas essentiel. Cette proposition de loi n'est donc pas nécessaire, à moins que vous ne vouliez avoir l'occasion de contester dans l'hémicycle l'action du Président de la République...

Mme Éliane Assassi . - Nous n'avons pas besoin de cela !

M. Jean Louis Masson . - Esther Benbassa dénonce les contrôles d'identité abusifs ; moi aussi, mais nous n'en avons certainement pas la même définition. Les contrôles d'identité sont légitimes et ne me dérangent aucunement lorsque j'en suis l'objet.

Je n'ai pas la culture de Mme Benbassa, aussi me contenterai-je de citer mon grand-père, qui disait : « Quand on va à la pêche, il faut aller là où il y a du poisson. » C'est un peu primaire, mais il est logique de contrôler des musulmans lorsque l'on cherche des terroristes musulmans ; et si l'on recherche des stupéfiants, mieux vaut aller dans les milieux où sévit le trafic de drogue. Un grabataire ne va pas vendre de la drogue dans les ZUP ! De même, lorsque l'on considère la population des prisons, il n'est pas aberrant de contrôler ceux qui portent une capuche. Mme Benbassa souhaite-t-elle que l'on contrôle les maghrébins de plus de trente ans ? Je n'y vois pas d'inconvénient. Le bon sens, c'est d'aller là où il y a du poisson. J'approuve le titre de la proposition de loi, mais je ne la voterai pas.

M. Yves Détraigne . - Intéressante dans son principe, votre proposition de loi manque de réalisme.

« Les contrôles d'identité réalisés en application du présent article donnent lieu, à peine de nullité, à l'établissement d'un document spécifiant le motif du contrôle, ainsi que les modalités de garantie de l'anonymat des personnes contrôlées », est-il écrit. Le temps que le policier établisse ce document, il pourra passer du monde ! À moins de former des files, ou de fournir un secrétaire au policier... Le texte part d'un bon sentiment, mais n'est pas réaliste.

M. Pierre-Yves Collombat . - À titre personnel, je ne me sens pas lié par les promesses du candidat Hollande.

Ma religion n'est pas faite sur cette question. Les contrôles au faciès sont un problème incontestable, mais comment définir le facies ? Pour les uns, la cagoule est un élément de contrôle. Pour moi, il faudrait contrôler tous les porteurs de valise, qui utilisent cet objet pour transporter leurs capitaux au Luxembourg... Pour autant, je ne suis pas convaincu de la pertinence de cette proposition de loi. On le voit en pédagogie : les expérimentations réussissent parce que ceux qui les conduisent sont déjà convaincus. Des policiers sensibilisés sur le sujet se comportent mieux parce qu'ils sont conscients du problème, et le récépissé n'y change rien.

À mon avis, mieux vaut miser sur le recrutement et la formation d'une part, la facilitation des recours en cas d'abus d'autre part. Une meilleure identification des policiers fautifs est aussi de nature à améliorer la situation sur le terrain. Utilisons des méthodes adéquates sans accuser l'ensemble de la police car ces pratiques ne sont pas généralisées.

M. Christian Favier . - Vous évoquez, monsieur le rapporteur, « plusieurs millions » de contrôles par an. Ne pas avoir de chiffres précis est problématique. Lors de la préparation de cette proposition de loi, nous avons discuté avec des jeunes des quartiers. Certains d'entre eux sont contrôlés plusieurs fois par jour, par des policiers qui les connaissent déjà. Le récépissé montrera l'inutilité d'un deuxième contrôle dans la journée. Il a vocation à décrisper les relations. Les contrôles s'accompagnent aussi de palpations vécues comme dégradantes. Les « raisons plausibles » mentionnées par l'article 78-2 du code de procédure pénale ouvrent la porte, par leur caractère très vague, à toutes sortes de pratiques.

Vous faites valoir le faible nombre de plaintes ; mais l'association « Stop contrôle au faciès » nous a déclaré, lors de son audition, avoir reçu plus de 2 200 sollicitations, sans compter qu'il est difficile d'aller au commissariat déposer une plainte contre la police... La récente condamnation de policiers pour des contrôles d'identité abusifs témoigne de la réalité du problème. Il est indispensable d'améliorer la formation.

L'argument de l'alourdissement des procédures administratives ne tient pas, puisque le récépissé entraînera une réduction du nombre de contrôles.

L'amendement déposé par Yves Pozzo di Borgo va dans le même sens. La question est récurrente, elle a fait l'objet de plusieurs initiatives rappelées par Esther Benbassa et ne se pose pas seulement depuis que M. Hollande est Président de la République. Ne nous interdisons pas ce débat au nom de l'état d'urgence, et améliorons les relations entre les jeunes et la police. Nombreux sont ceux, parmi les premiers, qui ont le sentiment d'être ciblés à cause de leur couleur de peau.

M. François Bonhomme . - Je me rallie aux arguments du rapporteur. Au cours des dernières années, l'action des officiers de police et de gendarmerie a été très largement encadrée par le code de déontologie, la plate-forme Internet des signalements et le numéro individuel d'identification. La caméra piéton est une initiative intéressante dont nous attendons le retour d'expérimentation. Il me semble dangereux d'aller au-delà.

On ne sait pas qui sont les « jeunes » dont vous parlez. Votre proposition de loi est de pure circonstance, liée à des problèmes internes à la gauche ; c'est de peu d'intérêt.

« Traquer les jeunes », dites-vous madame Assassi, en prétendant que la confiance est mise à mal. Or, un syndicat représentatif a récemment fait circuler deux affiches ; l'une représente une matraque dans une mare de sang avec le texte suivant : « La police doit protéger les citoyens et non les frapper ! » ; l'autre un alignement de rangers souillés de sang avec le slogan « Stop à la répression ». Toutes les forces politiques ne les ont pas condamnées... Voilà qui n'est pas de nature à améliorer les relations entre la police et les « jeunes ».

M. Jean-Pierre Sueur . - Les propos de M. Masson, qui nous a quittés, ne me font pas rire. Ils sont discriminatoires parce qu'ils justifient un ciblage religieux ès qualités ; il en va de même pour la capuche. Voilà des propos communautaristes très pernicieux sous l'habillage d'un prétendu bon sens. Pour le reste, je m'associe aux propos très clairs de Jacques Bigot. Le ministre de l'intérieur, pour qui j'ai le plus grand respect, a pris des mesures réglementaires et disciplinaires pour faire respecter la déontologie : la police fait un travail difficile et les débordements, lorsqu'ils ont eu lieu, ont été dûment signalés.

Imposer des raisons « objectives et individualisées » rend les contrôles pratiquement impossibles. De plus, l'alinéa 4 - « Aucun contrôle d'identité ne peut être réalisé au motif d'une quelconque discrimination, telle que définie par l'article 225-1 du code pénal » - est déjà satisfait par le droit existant qui interdit toute pratique discriminatoire, de la part d'un policier ou non.

M. François Grosdidier . - En matière de contrôle au faciès, il est difficile de faire la part de l'objectif et du ressenti. Maire d'une ville que mon collègue de Lorraine trouverait particulièrement « poissonneuse », avec une population d'origine étrangère à plus de 50 %, j'ai parfois reçu des dénonciations sur le comportement subjectif des policiers à l'occasion d'une verbalisation pour non-respect d'un feu rouge. Or la verbalisation est la même, quelle que soit l'origine ! Cependant, le ressenti ne peut être écarté ; ainsi le tutoiement est trop souvent pratiqué par les policiers, même s'il l'est aussi par les jeunes. C'est d'abord une question de formation des polices nationale et municipales.

La vidéo, que j'ai fait expérimenter dans ma commune, a pour effet de calmer immédiatement les esprits et d'éviter l'escalade comme les propos blessants.

Je suis opposé au développement d'une activité administrative supplémentaire qui ne traite pas le fond du problème : c'est moins la fréquence des contrôles que leur déroulement qui pose problème. Les policiers consacrent plus de la moitié de leur temps de travail aux actes de procédures et d'administration ; il convient de les en désengager.

J'ai regretté le rejet de l'amendement de l'opposition ouvrant la possibilité d'un enregistrement à la demande de la personne contrôlée ; mais avec les portables, l'activité de la police est bien plus filmée par nos concitoyens que par les policiers eux-mêmes. La transparence s'en trouve renforcée.

La formation et la sensibilisation sont, elles aussi, en progrès. Évitons la propagation au sein des forces de l'ordre d'idéologies dont l'auteur du premier amendement est un représentant... Je suivrai l'avis du rapporteur.

M. René Vandierendonck . - Ancien maire de Roubaix, je n'apprécie pas la métaphore des eaux poissonneuses. On cible des capuches ; mais pourquoi pas des bonnets rouges, des bérets basques ou des cagoules corses ? Le ressenti ne peut être nié.

Ne retombons pas dans des échanges sur telle étude du CNRS, telle expérimentation au Canada, telle prise de position pour ou contre l'état d'urgence... Il semble que l'on ne puisse plus parler de la police sans commencer par saluer son action !

Mieux vaudra aborder la question au fond, une fois l'état d'urgence levé et quand les effectifs de la police seront remis à niveau. Enfin, conduisons une recherche-action associant la police, les jeunes et les organismes de recherche pour élaborer un référentiel de formation sur le modèle canadien. J'attends sans a priori le retour sur l'expérimentation des caméras embarquées. Faute d'un travail de ce type, nous reviendrions aux postures de campagne pour lesquelles je n'ai plus de patience.

M. Christophe Béchu . - J'ai salué en son temps la mise en place du numéro individuel d'identification. Pour le reste, je me rallie à la position du rapporteur. Ayant passé une nuit à suivre la police de mon territoire, j'ai été le témoin de situations ubuesques où l'agent devait évaluer la quantité de stupéfiants saisis lors d'un flagrant délit sans avoir le droit de les peser
- prérogative de la justice... Réduisons les lourdeurs et complexités administratives.

Il n'y a pas de défiance de la population vis-à-vis des forces de police ; au contraire, le taux de confiance est supérieur à 80 %.

Enfin, je suis gêné par l'utilisation du mot « jeunes » qui tend à remplacer les vocables de « voyous » ou « casseurs ».

M. René Vandierendonck . - Très bien !

M. Christophe Béchu . - Dans un pays vieillissant, ce n'est pas de nature à nous donner foi en l'avenir. Il y a d'autres jeunesses en France, n'insultons pas les « jeunes » dans leur ensemble.

Je crois à l'utilité de la vidéo. Elle a récemment permis de disculper les forces de police, accusées d'avoir maltraité une personne handicapée à la gare de Lyon mais c'est parfois aussi le contraire. Laissons le temps au numéro individuel d'identification et à la plate-forme de signalement de produire leurs effets.

Votre proposition de loi a pour seul mérite de rappeler le Président de la République à ses promesses. Elle aurait plus de poids si elle rassemblait l'ensemble des promesses non tenues ! Nous pourrions alors envisager une convergence.

M. Philippe Bas , président . - Nous serions prêts à discuter un tel texte...

M. Alain Marc , rapporteur . - Je n'ai pas reçu les associations par manque de temps, mais j'ai lu leurs contributions. Le pôle juridique de l'association « Stop contrôle au faciès » a été sollicité 2 300 fois entre avril 2011 et décembre 2015, soit 460 fois par an. La plate-forme Internet a reçu 236 signalements en deux ans. Ce n'est pas considérable.

La gendarmerie évalue le nombre de ses contrôles à au moins deux millions par an. En comptant ceux effectués par la police, on peut donc les estimer à plusieurs millions, sans crainte de se tromper.

La plupart des études menées sur le sujet se résument à une série de témoignages ; c'est une approche impressionniste. Nous avons besoin de travaux scientifiquement plus solides, pas d'un catalogue de cas montés en épingle dans les médias.

Le ministère de l'intérieur a fait un effort considérable, notamment avec la mise en place du code de déontologie et avec l'amélioration de la formation.

Comme l'avait relevé notre ancien collègue Christian Bonnet dans son rapport sur la loi du 10 août 1993 relative aux contrôles d'identité, de simples contrôles d'identité ont permis l'arrestation de Max Frérot, l'artificier d'Action Directe, et de Thierry Paulin, le « tueur de vieilles dames ». Votre proposition de loi supprime l'alinéa qui régit les contrôles d'identité relevant de la police administrative, un outil pourtant essentiel à la police et à la gendarmerie.

Les caméras portatives auront une mémoire tampon de trente secondes, avant le déclanchement de la prise de vue. Elles fourniront des moyens de preuve pour les deux parties et rasséréneront les personnes contrôlées. Les enregistrements seront conservés pendant six mois et la police n'aura pas accès aux images.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article 1 er

M. Alain Marc . - Avis défavorable à l'amendement COM-1 de Jean-Louis Masson.

L'amendement COM-1 n'est pas adopté.

M. Alain Marc , rapporteur . - Avis défavorable à l'amendement COM-2 qui détaille le contenu du récépissé.

L'amendement COM-2 n'est pas adopté.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1 er

M. MASSON

1

Modification du critère motivant un contrôle d'identité relevant de la police judiciaire

Rejeté

M. POZZO di BORGO

2

Définition du contenu du récépissé
du contrôle d'identité

Rejeté

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